
L’émergence des enregistreurs sonores autonomes sur bande magnétique dans les années 1950 a accompagné un profond bouleversement des arts et des médias. La possibilité d’enregistrer la parole dans l’espace public ou privé, de préserver des formes musicales ou sonores auparavant inaccessibles in situ, de témoigner par le son de l’évolution des lieux et des milieux, a offert au cinéma, à la radio, à l’ethnologie, à la musicologie et aux pratiques musicales des possibilités nouvelles. Elle a aussi, en retour, rejoint et matérialisé des reconsidérations majeures des hiérarchies inscrites dans la culture occidentale : primauté de la vue sur l’audition, association du réalisme à l’espace perspectif, conception et histoire du paysage, distinction entre musique et bruit, etc.
Ce colloque international, conçu au sein du projet FNS Nagra, histoire du cinéma et archéologie des médias sonores en Suisse, voudrait participer à repenser la place du magnétophone autonome et des appareils mobiles d’enregistrement sonore au sein des transformations des modes de production sonore et des modes d’écoute. C’est particulièrement à partir d’une réflexion sur l’agencement entre pensée du son et pensée du lieu que nous voudrions placer notre démarche. L’enregistreur autonome a permis de disposer des microphones hors des studios, dans des endroits dont la représentation sonore était auparavant irréalisable. Le Nagra, le Perfectone, et les autres machines concurrentes jusqu’aux applications intégrées dans nos smartphones ont permis de réinscrire le son dans le lieu, mais aussi de redonner au lieu son intégrité sonore. C’est ainsi que les sound studies se sont d’emblée fondées sur la notion de « paysage sonore » (soundscape) pour inventer une « écologie acoustique » (Schafer 1977) qui établira par le son l’inscription indémêlable de tout le vivant dans un espace terrestre circonscrit et localisé (voir par exemple l’acoustémologie ou l’anthropologie sonore de Steven Feld). C’est aussi en pensant le son comme inscrit dans et comme inscription d’un lieu qu’une décolonisation du dispositif de la prise sonore peut se construire. Ces questions sont aujourd’hui cruciales, et leurs enjeux majeurs pour la culture comme pour la compréhension des évolutions politiques et environnementales.
Nous voudrions, lors de cette rencontre, prolonger ces discussions, pour en montrer à la fois l’importance contemporaine ainsi que la diversité des modes d’appréhension méthodologiques, théoriques, et historiques qu’elles suscitent. Nous serons notamment intéressés par des contributions sur :
— Histoire et technologie des enregistreurs sonores
— Micros, casques, enregistreurs
— Écoute directe, écoute appareillée, écoute médiatisée
— Des analyses d’œuvres cinématographiques, radiographiques, musicales intégrant une réflexion sur l’inscription du son dans le lieu
— Les concepts de paysage ou de perspective, tels qu’ils sont reformulés par l’enregistrement sonore
— Les approches écologiques du son localisé
— L’histoire coloniale, post-coloniale et décoloniale de l’enregistrement sonore
— Appareillage de l’audition et culture sourde
— Les rapports entre bruit et musique tels que reposés par le field recording
— Les reconfigurations contemporaines de l’écoute
Cette liste est ouverte et non exhaustive. Les contributions pourront prendre la forme de conférences ou de performances.
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Les propositions (une page environ) sont à envoyer, accompagnées d’une courte biographie, à Benoît Turquety (benoit.turquety@univ-paris8.fr) avant le 10 avril 2025.
Le colloque aura lieu les 15 et 16 janvier 2026 à Paris.