
« J’inventerai pour toi la rose »
Aragon, Elsa, Paris, Gallimard, 2008, p. 48.
La nostalgie est une expérience humaine des plus inextricables. Pareille délectable « ivresse », qui oscille entre la douce rêverie et la mélancolie poignante, est un « instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l’emplit de douceur » (Nothomb, 90, 2013). Transgressive à l’ordre temporel, elle tient d’une palingénésie du non-temps dans le temps, tissant un lien entre passé et présent, entre évanescent et pérenne. Elle est capable de mettre en sourdine un temps existentiel au profit d’une tonalité temporelle des affects où l’émotion redéfinit la perception de la durée. Partant, les formes de la connaissance, comme la structure de la réalité, deviennent envers et endroit de la même médaille.
Aristote nous enseigne dans la même veine que la nostalgie agit comme un placébo. Elle autorise à se projeter dans un passé idéalisé pour se soustraire aux tribulations afférentes au présent. Pour Heidegger, elle met aux prises le sentiment de sa finitude et l’irréversibilité du temps, lequel « sert depuis longtemps de critère ontologique ou plutôt de critère ontique pour distinguer naïvement différentes régions de l’étant » (Heidegger, 43, 1986).
Sur un autre volet, la nostalgie participe aussi à la construction de l’identité, moyennant la narration de la mémoire collective. Incanter le temps révolu, « celui qui résulte du rapport de postériorité de la voix narrative par rapport à l’histoire qu’elle raconte » (Ricœur, 1984, 148), permet de rétablir le contact avec ses origines et charpenter le « nous inclusif » (Ricœur, 1984, 148). Elle est ainsi une aspiration. C’est cette idée que Paul Ricœur corrobore lorsqu’il soutient qu’« à la mémoire est attachée une ambition, une prétention, celle d’être fidèle au passé » (Ricœur, 2000, 26). Il s’ensuit que pareille « fidélité » immunise contre les dysfonctionnements imputés à l’oubli.
De leur part, les littérateurs s’emploient à traiter de ce thème avec acuité. Ils y voient une remémoration de l’âge d’or (Les Travaux et les jours d’Hésiode par exemple), mettant en exergue l’homme suborné par l’onirique d’un microcosme harmonieux, exempt de vénalité. Elle devient la catéchèse d’un « monde nu au giron » selon l’expression de Montaigne. Ce mantra littéraire est pareillement une « innocence adamique », voire un feu de joie cosmique. Il a charge de réduire en poussière la pompe héraldique des aristocrates, les sceptres de la royauté : « art puissant ! tu ne forces pas seulement le passé qui s’évanouit à revivre éternellement, mais tu peux également évoquer l’avenir », (Hawthorne, 1844, 499) dixit Nathaniel Hawthorne. La nostalgie aspire à ravoir la permanence du moi à travers une quête de transparence et de sérénité intérieure. Ce mécanisme introspectif revisite le passé pour en appréhender les multiples facettes, en repérer les discontinuités et s’approprier les expériences traumatisantes. C’est le cas de Jean-Jacques Rousseau, chez qui Les Confessions « disent la nostalgie de l’unité perdue, et l’attente anxieuse d’une réconciliation finale » (Starobinski, 230, 1971). Bref, coucher la nostalgie sur papier revient à recouvrer ce qui a forgé l’authenticité de soi.
Le même propos s’applique à la peinture. Au XIXe siècle, les romantiques assimilent la nostalgie à la quête d’un idéal d’innocence et de grandeur révolue. C’est le cas de Caspar David Friedrich. Ses paysages mystérieux et contemplatifs, nommément Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818), objective une nostalgie de l’infini et du sublime, laissant entendre le désir d’un ailleurs inatteignable. Les symbolistes érigent ce thème en une spéléologie des émotions par l’entremise de figures féminines opaques et de paysages allégoriques. Avec Hésiode et la Muse (1891), Gustave Moreau figure un monde mythologique et intemporel où la nostalgie s’agglutine sur le désir de la beauté idéale. Arnold Böcklin, de sa part, crée avec L’Ile des morts (1880-1886) une atmosphère élégiaque, conviant au voyage vers un passé inaccessible. Sur un autre volet, les évènements historiques et les changements sociaux ayant marqué le XXe siècle amènent les peintres à placer la nostalgie sous le signe de la mémoire, de l’enfance et de la tradition. Edward Hopper décrit avec Nighthawks (1942) des espaces vides et des personnages reclus paradigmatiques du désenchantement. La Promenade (1917-1918) de Marc Chagall narre des souvenirs d’enfance où fiction et réalité se mêlent à une palette de couleurs vives et poétiques. La nostalgie est de surcroit l’apanage du cinéma. C’est un secret de polichinelle !
Les cinéastes font feu de tout bois pour que le spectateur envisage autrement ses réminiscences. Ils jettent leur dévolu sur l’identification spectatorielle afin de déconstruire le temps révolu et par conséquent appréhender ses contrecoups sur le présent. Des biopics ou des dystopies, comme Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, ravivent l’expérience individuelle et suscitent un dialogue avec la mémoire collective. La nostalgie, toujours en interrelation avec le septième art, est également un outil implacable de satire sociale. La confrontation de l’image idéalisée d’une époque et sa vraie réalité appesantit sur son caractère aporétique. À titre d’illustration, le protagoniste de Midnight in Paris de Woody Allen, qui rêve du Paris des années 1920, finit par prendre conscience que cette nostalgie est une chimère : l’être humain a toujours été enclin à sacraliser le passé et tout ce qui le représente. De la même manière, The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, où la nostalgie n’est pas sentiment, mais personnage incarné par l’hôtel lui-même, ressuscite un âge d’or de l’élégance et de la civilité révolu. Avec ses couleurs pastel et ses cadres symétriques, ce récit filmique célèbre d’une manière mélancolique un style de vie englouti par l’injure du temps et dans lequel une esthétique de la nostalgie vient s’imbriquer inextricablement sur l’émotion.
Ce colloque international convie les chercheurs à disséquer ce leitmotiv, en résonance avec les arts et les mutations socioculturelles. Voici à titre indicatif quelques axes à examiner sous toutes les coutures :
Axe 1 : Appétits passéistes
— La cristallisation de la mémoire individuelle et collective
— Les contrecoups de la nostalgie sur la perception de la durée
Axe 2 : La verbalisation de la nostalgie
— Nostalgie et arts : littérature, cinéma, musique, peinture, etc.
— Le point de vue de la culture populaire (rétro, vintage, remix, etc.)
Axe 3 : Tours et détours de l’identité
— La fragilité de la construction de l’identité personnelle
— Trajectoires de l’exil
Axe 4 : Nostalgie et société
— L’instrumentalisation politique de la nostalgie
— Le marketing mémoriel ou le recyclage du souvenir
Axe 5 : Enjeux de la technologie
— Les réseaux sociaux et la réactivation de la mémoire
— La réalité virtuelle en tant que reproduction de l’expérience nostalgique
Axe 6 : Considérations sur la psyché humaine
— La nostalgie entre normalité et pathologie
— La thérapie de l’évocation
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Références
— HAWTHORNE Nathaniel, Contes étranges, Paris, Michel Lévy Frères, 1876.
— HEIDEGGER Martin, Être et temps, Paris, Gallimard, 1986.
— HORKHEIMER Max et WIESENGRUND-ADORNO Theodor, La Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974.
— NOTHOMB Amélie, La Nostalgie heureuse, Paris, Albin Michel, 2013.
— RICŒUR Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
— STAROBINSKI Jean, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, Paris, Gallimard, 1971.
Bibliographie sélective
— BURGHOLZER Laurette et MAZZA Vincenzo, La Nostalgie au théâtre : Écritures et pratiques scéniques, Paris, Hermann, 2024.
— DODMAN Thomas, Nostalgie. Histoire d’une émotion mortelle, Paris, Seuil, 2022.
— DUVERGER Maurice, La Nostalgie de l’impuissance, Paris, Albin Michel, 1988.
— ELIAS Norbert, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973.
— JANKÉLÉVITCH Vladimir, L’Irréversible et la Nostalgie, Paris, Flammarion, 1974.
— JANKÉLÉVITCH Vladimir, Philosophie première : Introduction à une philosophie du « presque », Paris, PUF, 2011.
— LEMIEUX Denise, Une Culture de la nostalgie, l’enfant dans le roman québécois de ses origines à nos jours, Montréal, Boréal express, 1984.
— MIRCEA Eliade, La Nostalgie des origines, Paris, Gallimard, 1971.
— NOTHOMB Amélie, La Nostalgie heureuse, Paris, Albin Michel, 2013.
— PONZETTO Valentina, Musset ou la nostalgie libertine, Genève, Droz, 2007.
— RICŒUR Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
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Modalités de soumission
Les propositions de communication rédigées en français, en anglais ou en arabe doivent être soumises sous forme de résumé de 300 mots maximum, assorti d’une notice bio-bibliographique. Elles sont à envoyer à l’adresse suivante : colloquenostalgiefps@gmail.com
Calendrier prévisionnel
— Date limite d’envoi des propositions : 10 mai 2025
— Réponse aux auteurs : 20 mai 2025
— Date de la tenue du colloque : 26 juin 2025
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Coordonnateurs du colloque
— BAMMOU Lahcen, FP, Safi
— OUMAKI Abdelouahed, CPA, Marrakech
— AZEROUAL Sidi Omar, FLAM, Marrakech
Comité scientifique et d’organisation
FP, Safi
— Les membres du Laboratoire de Recherche LCSIF-Safi
UCA, Marrakech
— AZEROUAL Sidi Omar, FLAM, Marrakech
— BOUHOU Mohamed, ENS, Marrakech
— EL MIR Siham, FLAM, Marrakech
— LAGZOULI Jihane, FLSH, Marrakech
— OUMAKI Abdelouahed, CPA, Marrakech
— ZERRAD Abdelhak, EST, Essaouira
Autres établissements
— ACHAMRAH Mohamed, FLSH, Béni Mellal
— AIT SAGH Lhoucine, FLSH, Agadir
— AZEROUAL Sidi Abdellah, ENSAM, Meknès
— BARAKATE Hassna, ESIF, El Jadida
— COULIBALY Moussa, Université Assane Seck de Ziguinchar, Sénégal
— DIRTU Evagrina, Technical University of Iasi, Roumanie
— EL-HIMER Mohamed, FLSH, Dhar El Mehraz, Fès
— EL-HIMER Amal, ESEF, Oujda
— KHADRAOUI Driss, FLSH, Mohammedia
— MAJIT Afaf, FLSH, Ain Chock, Casablanca.