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Le lecteur dans tous ses états. Rencontre avec Maxime Decout (Meknès, Maroc)

Le lecteur dans tous ses états. Rencontre avec Maxime Decout (Meknès, Maroc)

Publié le par Marc Escola (Source : Abdelouahed Hajji)

Le Laboratoire de recherche

« Sciences du Langage, Art, Littérature, Éducation et Culture » (SCALEC)

École Normale Supérieure de Meknès, Université Moulay Ismaïl

Organise

Le 15 avril 2025 - 14h30-16h30

Une rencontre littéraire avec l’écrivain Maxime Decout

Sous le thème

Le lecteur dans tous ses états

Coordonnée par Abdelouahed HAJJI et Mohammed DEKHISSI 

Maxime Decout est professeur de littérature française à la Sorbonne Université. Il est également membre junior de l’Institut Universitaire de France, essayiste et auteur entre autres de livres publiés chez Minuit :  En toute mauvaise foi. Sur un paradoxe littéraire, 2015 ; Qui a peur de l'imitation ? , 2017 ; Pouvoirs de l’imposture , 2018, Éloge du mauvais lecteur , 2021. Il fait partie de la famille des universitaires et écrivains qui considèrent la recherche scientifique comme un acte de pensée. Dans ses ouvrages, il insuffle la vie à la théorie littéraire et introduit le lecteur dans des recoins insoupçonnés de la littérature. Ses recherches sur les pratiques de la lecture visent à renouveler la théorie littéraire. Maxime Decout fait des notions de « lecture », « mauvais lecteur », « imitation », « plagiat » et « imposture » des entrées inédites dans le royaume de la littérature ; des notions socialement critiquées, mais que les textes revalorisent au-delà du bien et du mal, en ceci que l’éthique ne se pose en littérature. L’œuvre de cet écrivain est traversée par la question du vrai et du faux en littérature. Elle interroge ainsi les théories de la lecture dans le but de défaire ces attitudes qui consistent à fermer les textes dans des catégories morales tout en renouvelant notre rapport à eux. Decout est également un spécialiste de la littérature juive, ayant consacré une thèse de doctorat à Albert Cohen et dirigé plusieurs ouvrages dans cette spécialité, dont Écrivains juifs de langue française. Son œuvre fait du commentaire une activité vitale et substantielle pour la compréhension des textes et des concepts de la théorie littéraire. La littérature a le pouvoir de poser l’existence, mais aussi de nier ce qui existe. Ce dernier aspect renvoie à l’imposture comme la prétention d’être ce que l’on n’est pas.

En déconstruisant les stéréotypes liés à la lecture, Maxime Decout introduit la figure du mauvais lecteur comme un lecteur audacieux, apte à creuser les textes et à présenter la littérature sous un nouveau jour. Il s’agit d’une invitation à lire autrement, ou à « mal lire », les textes tout en remettant en question les grilles stéréotypées de lecture. Cette entrée inédite permet de revivifier les savoirs littéraires dans un épanouissement de la création littéraire. Cette mauvaise lecture s’avère fertile puisqu’elle permet de nouveaux horizons littéraires. Comme l’écrit Maxime Decout, la mauvaise lecture « ne peut pas être assimilée à une lecture ratée. Elle est une lecture qui emprunte des voies détournées, dévalorisées, et dont les forces créatrices sont fréquemment sous-estimées.[1] ». Il faut lire l’expression « mauvaise lecture » dans le sens d’une antiphrase. Car elle est en réalité une lecture créatrice qui refuse de collaborer avec le texte et s’écarte ainsi des sentiers battus. En cela, elle remet en question le lecteur modèle, décrit par Umberto Eco. La mauvaise lecture est une manière d’interroger les habitudes de lecture pour revaloriser le rapport subjectif et libre avec les corpus littéraires et autres. C’est une spécificité particulière du texte littéraire, qui tolère une interprétation plurielle, contrairement aux textes informatifs caractérisés par une structure plus ou moins fermée.  C’est ainsi que se définit le rôle de la critique : rendre compte de l’aspect polysémique et pluriel de la lecture, mettre en évidence ses contradictions. La critique littéraire ne doit pas projeter des savoirs extérieurs sur des textes, mais essayer de comprendre leur fonctionnement, voire participer à l’aventure de l’écriture sans recourir à l’hégémonie du commentaire. Sans la critique littéraire, l’œuvre sombre dans une solitude mortelle. La critique est alors une activité plurielle qui donne la vie à l’œuvre ; elle se place parfois du côté de l’auteur, parfois du côté de l’œuvre, voire du côté du lecteur. Les approches de la critique littéraire sont variées, à l’image de la littérature, d’autant plus qu’il existe des voix qui considèrent le geste critique comme une branche de la littérature, puisque le critique partage le même matériau que l’écrivain, à savoir le langage. Le commentaire est un acte plein d’écriture. En effet, « la critique ne peut pas demeurer dans les limites d’un savoir vérifiable ; elle doit se faire œuvre à son tour, et courir les risques de l’œuvre.[2] » Dans les textes de Decout, la voix de la critique littéraire retentit, favorisant la création de nouvelles géographies littéraires, habile à transmettre des héritages littéraires et culturels dans un dialogue intertextuel. Decout a su faire de la recherche universitaire une stratégie pour faire bouger les frontières de la littérature et du savoir théorique dans une perspective joviale. À la lecture de ses textes (Qui a peur de l’imitation ? ; Pouvoirs de l’imposture ; Faire trace. Les écritures de la Shoah, ou encore Eloge du mauvais lecteur), on repère facilement son érudition et son approche souple quant au traitement des textes. Cela révèle encore une fois que la critique est un écho sensible qui revivifie les textes et non pas une méthode jargonneuse. La critique est un savoir susceptible d’élargir notre compréhension de l’art et de la littérature. Les essais théoriques de Maxime Decout ont le mérite également de créer un équilibre entre le discours spécialisé et le discours large, en ceci que l’auteur défend une lecture immersive, contrefactuelle, buissonnière, interventionniste et fétichiste ; bref son œuvre décrit le lecteur dans tous ses états.

Cette conférence de Maxime Decout est dédiée à tous les collègues et à tous les étudiants de l’Université Moulay Ismaïl de Meknès, tous cycles confondus (Licence, Master et Doctorat). Ce sera l’occasion de revisiter les engrenages de la théorie littéraire, une stratégie pour interroger les notions littéraires qui passent pour des évidences, mais qui sont en réalité complexes. La notion de littérature ne peut être que plurielle et variable. Il en est de même de celles de lecture et de critique littéraire, qui ne peuvent pas être réduites à une seule catégorie. Notons que la valeur littéraire de la critique se pose à l’échelle du genre, d’où l’ensemble des stéréotypes qui l’accompagnent. Autrement dit, la critique et l’essai sont les parents pauvres de la théorie littéraire. Cette rencontre littéraire, Le lecteur dans tous ses états, a pour objectif d’éclaircir des notions de théorie et de critique littéraires. Un autre objectif anime le choix de cette rencontre : faire sortir, ne serait-ce que temporairement, les étudiants du cadre du cours pour les exposer à d’autres sensibilités et modes d’enseignement diversifiés.

[1] Maxime Decout, Eloge du mauvais lecteur, Paris, Minuit, 2021, p. 12.

[2]Jean Starobinski, L’Œil vivant II. La Relation critique, Paris, Gallimard, « Tel », 1970 (2001 pour la présente édition augmentée), p. 55.