
Textes réunis et présentés par Michel Surya
Textes sur Adamov, Beckett, Blanchot, Camus, Céline, Char, Conrad, Genet, Klossowski, Miller, Paulhan, Prévert, Prokosch, Proust, Queneau, Réage, Sade…
« Il importe de définir ce que met en jeu la littérature, qui ne peut être réduite à servir un maître. Non serviam est, dit-on, la devise du démon. En ce cas, la littérature est diabolique. » Georges Bataille
Ce livre réunit les plus remarquables des textes critiques consacrés par Georges Bataille à la littérature : Adamov, Beckett, Blanchot, Camus, Char, Conrad, Genet, Klossowski, Miller, Paulhan, Prévert, Prokosch, Queneau, Réage, mais aussi Proust et Sade. Ils datent en quasi-totalité de l’après-guerre, c’est-à-dire des dix premières années de la revue Critique, que Bataille a créée à la Libération et qu’il a dirigée jusqu’à sa mort en 1962. On ne le lira pas définir ici la littérature, « définition » qu’il s’est toujours abstenu de formuler précisément, y compris dans La Littérature et le mal (1957), dont le présent recueil constitue le pendant principalement consacré à ses contemporains. On le verra cependant formuler une représentation de la littérature, de son « rôle », comme on le disait alors – ou, plus justement selon lui, de sa nécessaire absence de rôle, prenant ainsi le contrepied de Sartre : la littérature doit « servir », proclame alors ce dernier ; s’asservissant, affirme Bataille, la littérature n’en est plus une.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un billet de S. Massonet sur cet ouvrage :
"Sous sa couverture grise et son lettrage rouge, la sobriété des éditions Lignes nous a habitués à la publication des textes essentiels de Georges Bataille. Après les Courts écrits sur l’art, Les limites de l’utile ou encore La valeur d’usage de Sade, voici qu’un nouveau volume rassemble les textes de Georges Bataille sur la littérature. Entre des noms comme Céline, Miller, Breton, Prévert, Proust, Adamov, Camus, Paulhan, Genet, Char, Beckett, Blanchot, Hemingway, Sade, Klossowski, Réage, ou encore l’intervention de Bataille au cours du procès Sade, se développe une réflexion sur la littérature qui reste ouverte sur une dépense inutile. Fondamentalement inserviable, elle s’aligne sur la devise diabolique « Non serviam » qui donne son titre au volume. La fresque est saisissante. Elle s’ouvre sur le manuscrit de la nuit dans lequel Céline examine les « rapports qu’un homme entretient avec sa propre mort ». Au cœur de ce rapport, naît la question de l’usage de la littérature. L’utilité de la littérature se pose avec acuité comme le cœur du rapport entre poésie et politique à la sortie de la guerre. La chute dans l’utile s’impose à partir du moment où rien dans l’écriture ne s’élève au-delà d’elle-même pour atteindre la divine liberté de l’inutile. Ce refus de toute forme de servitude est donc le trait fondamental d’une littérature maudite, qui relève de cette « monstrueuse immoralité » dont parlait Maurice Nadeau à propos d’Henry Miller.
Que peut la littérature ? Voilà une question qui ne cesse de poursuivre l’écrivain qui écrit hors de tout projet, en pure perte, pour remettre en jeu cette liberté que nous donne la littérature. Question à fonds perdu, qui épuise la non-servitude de la littérature comme un refus d’engagement envers toute cause, tout projet politique, pour rester ouverte sur la question du mal et de la dépense. Il y a une infortune profonde à l’écriture qui se dépense hors de tout projet, hors de tout possible. Tel est le lieu où la littérature touche à l’impossible. La littérature et le mal pose une archéologie de cette malédiction. Non serviam poursuit la question vers l’avenir même de la littérature. L’Histoire du surréalisme de Maurice Nadeau et le texte « Le surréalisme et sa différence avec l’existentialisme » offrent à Bataille la possibilité de cristalliser cette interrogation autour de la polarisation des engagements politiques, entre « la sommation morale » du surréalisme et l’engagement sartrien ou la morale de Camus, à laquelle Bataille ne peut souscrire. La question se pose, selon Michel Surya, dans cet entre-deux où Bataille n’en démord pas, aggrave son cas en se tenant au revers de tout moralisme, de toute politique, et finalement de tout jugement sur la littérature. Il préfère la laisser briller du fond de son abjection plutôt que d’accepter sa soumission à quelque forme de servitude." — Stéphane Massonet