
Poésie et critique
Colloque Université de Caen/IMEC, les 9-10 avril 2026
Les liens entre poésie et critique (entendue dans un sens large, et incluant la théorie) apparaissent aujourd’hui multiples et presque inextricables, tant ces activités, encore représentées au XIXe siècle comme antinomiques, malgré des contre-exemples éclatants (Gautier, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé…), se sont progressivement rapprochées. L’écriture critique a acquis au XXe siècle toute sa légitimité, voire sa noblesse littéraire, et tous les poètes célébrés ces cinquante dernières années furent aussi des critiques de premier plan (Bonnefoy, Jaccottet, Hocquard). Y voir plus clair dans ces relations, tâcher de les définir, proposer une cartographie des frontières, souvent poreuses, entre poésie et critique dans le champ français contemporain (des années 1970 à aujourd’hui), est l’ambition du colloque. Il vise à soulever en particulier les questions suivantes :
- Comment s’enchaînent et se concilient la création poétique et la critique dans la carrière ou le parcours des écrivains qui mènent de front ces deux activités ? Pourquoi un poète devient-il critique, ou l’inverse ? Y a-t-il des profils types de poètes-critiques ? Sur quelles institutions (ou quelle absence d’institution) peuvent-ils s’appuyer ? Sur quels supports (livres, revues, papier ou numérique, blogs, réseaux sociaux, etc.) écrivent-ils et quel impact ont ces supports sur leur double pratique ?
- Quelles postures énonciatives et auctoriales, quelles scénographies sont déployées par les poètes-critiques (ou les critiques-poètes, selon la prééminence qu’on voudra accorder à l’une des deux pratiques) ? Les deux rôles sont-ils présentés, formulés, construits de façon complémentaires ou entrent-ils en tension – voire en rivalité, dans le cas par exemple de l’adoption d’un pseudonyme pour l’un des deux rôles ? En quoi le discours critique assure-t-il au poète un surcroît de légitimité ou de visibilité ? Est-il au contraire susceptible de fragiliser les positions du poète qui endosse l’habit du critique ?
- Qu’elle soit formulée par les poètes eux-mêmes ou par des critiques qui s’intéressent à eux, la théorie est-elle nécessaire à la reconnaissance poétique, ou à l’inscription durable d’une figure ou d’un mouvement poétique dans l’histoire littéraire (même si l’on considère celle-ci sur une courte échelle temporelle) ? Une force particulière peut-elle inversement venir, pour la poésie, d’un refus catégorique de toute théorisation ? Querelles critiques ou oppositions entre critiques et poètes sont-elles structurantes pour le champ poétique ?
- Y a-t-il spécifiquement dans la poésie (et si oui, quoi) quelque chose qui invite à la réflexion critique, qui n’existerait pas dans les autres genres ou les autres arts ? (Par exemple, une plus grande part de création ex nihilo, qui impliquerait de réfléchir davantage à ce qu’on fait à défaut de pouvoir se reposer sur des conventions génériques ou historiques existantes.) Réciproquement, la critique des poètes a-t-elle une spécificité par rapport à celle des critiques non-poètes (universitaires ou d’autres arts) ?
- D’un point de vue esthétique et formel, quelles interférences se produisent entre poésie et critique, lorsque ces deux activités sont pratiquées par une même personne ? En découle-t-il des jeux textuels, des effets de porosité, des écritures particulières ? Quels renouvellements apporte à la poésie sa dimension théorique, l’incorporation qu’elle opère de la critique littéraire ou son dialogue intime avec la critique d’art ? Faut-il choisir entre une option maximaliste (toute écriture poétique est réflexive, donc critique) et une option minimaliste (la critique serait démunie face à toute écriture authentiquement poétique) ? Faut-il les rejeter toutes deux ? Les dialectiser l’une par l’autre ?
- Enfin, les nouveaux enjeux, dans un champ en importante mutation, redistribuent-ils les cartes ? L’apparition en nombre d’autrices femmes et d’œuvres aux prises avec des problématiques politiques (Black Lives Matter, écologie, intersectionnalité, etc.) a-t-elle un effet sur la critique des poètes (l’infléchit-elle, par exemple, vers une critique moins « autonomiste ») ?
Réunissant historiens et sociologues de la poésie, théoriciens, critiques, poètes et poètes-critiques, le colloque proposera tant des réflexions générales que des études de cas, tant des analyses de spécialistes de la poésie que des témoignages et lectures de ses praticiens.
Comité scientifique : Julie Anselmini, Olivier Barbarant, François Bordes, Anne Gourio, Esther Tellermann, Pierre Vinclair.
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Les propositions de communication (environ une demi-page, accompagnée d’une brève bio-bibliographie) sont à adresser à julie.anselmini@unicaen.fr, francois.bordes@imec-archives.com et anne.gourio@unicaen.fr pour le 15 octobre 2025.