Questions de société

"Un permis de piller ? Une erreur d’interprétation au sujet de la mission Dakar-Djibouti", par Julien Bondaz (laviedesidees.fr)

Publié le par Marc Escola

Un permis de piller ? Une erreur d’interprétation au sujet de la mission Dakar-Djibouti

par Julien Bondaz, en ligne le 22 avril sur laviedesidees.fr

"Du 15 avril au 14 septembre 2025, le musée du quai Branly-Jacques Chirac consacre une exposition à la mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti, expédition collective qui traversa l’Afrique d’ouest en est entre 1931 et 1933, sous la direction de l’ethnologue Marcel Griaule. Cette mission, considérée comme fondatrice de l’ethnologie professionnelle française, est aussi connue pour avoir rapporté en France environ 3600 objets, dont plusieurs dizaines ont été volés. Michel Leiris, recruté comme secrétaire-archiviste par Griaule, a raconté dans son journal (publié sous le titre L’Afrique fantôme en 1934) quelques-uns de ces vols, les plus sacrilèges, concernant des statues ou des masques conservés dans des sanctuaires, notamment au Mali (à l’époque Soudan français). L’exposition organisée par le musée du quai Branly-Jacques Chirac, aujourd’hui détenteur de l’immense majorité de ces objets, est intitulée « Mission Dakar-Djibouti (1931-1933) : contre-enquêtes » [1]. Elle documente de façon la plus précise possible les conditions d’acquisition (et donc, pour partie, de pillage) de ces collections. Elle s’inscrit ainsi pleinement dans le cadre des débats actuels au sujet de la restitution des biens culturels spoliés aux sociétés africaines.

Or, il existe un document qui a longtemps paru justifier, au nom de la science, les vols commis par Griaule et son équipe : un « permis de capture scientifique » accordé par le ministère des Colonies, dont l’existence a été révélée par Jean Jamin, l’un des premiers historiens de l’ethnologie française et qui fut également l’exécuteur testamentaire de Leiris. Ce permis est depuis devenu l’un des symboles du pillage des objets africains durant la période coloniale et de la part la plus sombre de l’histoire de l’ethnologie française. Tout récemment encore, il a été présenté comme « l’expression la plus flagrante » des dépossessions et des spoliations dont ont été victimes les sociétés colonisées [2]. Pourtant, cette interprétation est totalement erronée : le permis de capture scientifique accordé à la mission Dakar-Djibouti ne concerne aucunement les collections d’objets. Corriger cette erreur maintes fois répétée ne revient évidemment pas à occulter les vols commis par Griaule et son équipe. Au contraire, retracer son origine et comprendre son succès permet d’apporter de nouveaux éléments de compréhension à leur sujet. […]"

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