
Sur le blog de P. Assouline, ce billet relatif aux récentes épreuves du concours ENS-LSH :
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La poésie de Roubaud est explosive
Oyez, oyez cette histoire édifiante ! Avant-hier dans les locaux d'Eurosites à la Plaine-Saint-Denis se déroulaient les épreuves écrites du concours d'admission à l'Ecole normale supérieure de Lyon section Lettres et Arts. Quatre auteurs au programme de la composition française : Montesquieu (L'Esprit des lois), Stendhal (La Chartreuse de Parme), Corneille (La place Royale) et Jacques Roubaud. (Quelque chose chose noir). Un contemporain bien vivant, ce qui est assez rare pour être remarqué.
Certaines écoles préparatoires ont fait le choix de ne pas trop préparer à l'hypothèse Roubaud, persuadées qu'elle n'avait guère de chances de s'imposer. Après tout, pourquoi pas, la “prépa” a toujours aussi obéi à ce genre de loterie et de pari. Seulement voilà : c'est le Roubaud qui est sorti !
Murmures dans les travées, ça s'indigne. Vaine grogne car il était au programme. Les candidats se mettent donc à plancher mais quarante cinq minutes avant la fin officielle de l'épreuve, alors qu'un certain nombre d'entre eux avaient déjà rendu leur copie et avaient quitté la salle, coup de théâtre ! Alerte à la bombe, évacuation d'urgence, suspension des épreuves. Dehors, les élèves échangent quelques “impressions” sur le sujet tandis que la police s'avise du danger. Deux heures après, l'épreuve reprend.
Avant d'être reportée à samedi matin par le président du jury. Celle de mardi a été annulée, la procédure normale ayant été interrompue, permettant ainsi aux candidats de se communiquer des informations. Les résultats auraient été à la merci de plaintes en annulation. Mais beaucoup ne l'entendent pas ainsi : ils ont d'ores et déjà mis en ligne une pétition visant à faire annuler ce report !
Voici le sujet de l'épreuve :
“Dans une étude intitulée Les possibles de la poésie, Michel Deguy, Denis Roche, Jacques Roubaud (2006), Stéphane Baquey écrit à propos de Quelque chose noir :
“Jacques Roubaud renonce à définir la poésie autrement que comme un “monde possible”, comme un “jeu de langage” paradoxal, public-privé, qu'aucune grammaire ne saurait constituer, mais qui repose sur l'invention d'une stratégie dont l'adversaire peut être la nature sans cesse changeante ou bien la mort elle-même, le néant du deuil. Dès lors, si la poésie se donne des règles explicites, des contraintes, c'est sans fondement théorique, sans assises linguistiques, en vertu d'une pure fiction. Cette fiction n'est cependant pas sans vérité : elle est précisément une manière pour la poésie de résister à tout ce qui conspire à la rendre impossible”.
En quoi ce jugement éclaire-t-il votre lecture de Quelque chose noir ?”
Pour Catherine Flohic, qui dirige les éditions Argol où est paru Roubaud, livre d'entretiens et de florilège, et à qui je dois le récit de cette histoire, ”elle met en évidence le désintérêt de l'université française pour ne pas dire l'hostilité pour tout ce qui touche au contemporain.” Quant à Jacques Roubaud, il juge tout cela “bien regrettable”:
“Je ne dis pas cela pour moi mais pour les élèves qui avaient bien travaillé sur le texte qui leur avait été soumis. En fait, ce qui est sans doute le plus navrant, c'est qu'un élève (et peut-être un groupe, je ne sais) a choisi le moyen d'une alerte à la bombe !!! pour changer le déroulement d'un concours. Mais qu'est-ce qu'il y a donc dans cette ou ces têtes-là ? Les bombes, particulièrement aujourd'hui, ce n'est pas une farce.”