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Disparition de J. Saramago

Disparition de J. Saramago

Publié le par Marc Escola

L'écrivain portugais engagé vient de mourir à l'âge de 87 ans. Il avait reçu le prix Nobel de littérature en 1998.

La quasi-totalité de l'oeuvre de José Samarago est disponible en français aux éditions du Seuil.

Pour saluer Saramago, par P. Assouline.

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Le Monde, le Figaro, Libération lui rendent également hommage:

La virgule de José Saramago

LE MONDE pour Le Monde.fr | 18.06.10 |
C'est grâce à une virgule que José Saramago est devenu un grand écrivain. Au début des années 1980, alors qu'il avait plus de cinquante ans, en rédigeant un roman sur les paysans de l'Alentejo (Portugal), sa région d'origine, il a réussi à trouver son style.

35326566343963613461326136336430?&_RM_EMPTY_ "J'écrivais un roman comme les autres, avait-il expliqué au "Monde des Livres" du 17 mars 2000. Tout à coup, à la page 24 ou 25, sans y penser, sans réfléchir, sans prendre de décision, j'ai commencé à écrire avec ce qui est devenu ma façon personnelle de raconter, cette fusion du style direct et indirect, cette abolition de la ponctuation réduite au point et à la virgule. Je crois que ce style ne serait pas né si le livre n'était pas parti de quelque chose que j'avais écouté. Il fallait trouver un ton, une façon de transcrire le rythme, la musique de la parole qu'on dit, pas de celle qu'on écrit. Ensuite, j'ai repris les vingt premières pages pour les réécrire."

Après un premier essai infructueux, à la fin des années 1940, et un deuxième roman au milieu des années 1970, c'est avec Levantado do Chao (Soulevé de la terre, non traduit en français), qu'il trouve sa forme, au début des années 1980.

La clé du style de cet ancien serrurier est celle-ci : les dialogues chez Saramago se fondent dans un bloc de prose compacte. Ils sont introduits par une virgule, suivie d'une majuscule qui signale le changement de locuteurs. Cela donne des grands romans polyphoniques, labyrinthiques, comme Le Dieu Manchot (éd. Albin-Michel), L'Année de la mort de Ricardo Reis ou Histoire du siège de Lisbonne (éd. Seuil).

ART NARRATIF TOUT EN CIRCONVOLUTIONS

Les voix s'y entremêlent, les romans ressemblent à des opéras. Les voix des personnages se superposent et sont entrecoupées par celle du romancier omniscient, souvent ironique, quand ce n'est pas par celle de Dieu lui-même, dans L'Evangile selon Jésus-Christ (éd. Seuil). "Dans les divers arts, et principalement dans l'art d'écrire, le meilleur chemin entre deux points mêmes proches n'a jamais été, ne sera jamais et n'est pas la ligne droite", écrit-il dans Le Radeau de pierre.

Parce qu'il a mis du temps à le forger, Saramago manie avec aisance un art narratif tout en circonvolutions qu'il appuie sur une idée romanesque, dont il file la métaphore jusqu'au bout. "J'ai besoin d'entendre une voix qui dit ce que je suis en train d'écrire, alors le moteur commence à fonctionner, sinon ça n'avance pas. J'ai aussi besoin d'une idée forte. Je peux attendre trois semaines ou trois mois, il y a des pensées qui flottent et je rencontre l'idée que j'attendais, je le sais immédiatement", expliquait-il.

C'est ainsi que l'intervention d'un correcteur modifie le cours du siège de Lisbonne (Histoire du siège de Lisbonne) ; la péninsule ibérique se détache de l'Europe pour devenir une île (Le Radeau de pierre) ; Joseph, hanté par le massacre des innocents, se suicide (L'Evangile selon Jésus-Christ) ; un matin, tout le monde (ou presque) se réveille aveugle (L'Aveuglement). Chez Saramago, les idées (parfois un peu trop appuyées) font toujours la part belle à une riche imagination.


Alain Salles

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J. Saramago, la mort d'un Nobel rouge, par G. de Cortanze (lefigaro.fr):

José Saramago n'a cessé, tout au long de son oeuvre, de revisiter à sa manière l'histoire du Portugal. Né en 1922, cet écrivain tardif (il avait plus de soixante ans quand il a connu ses premiers grands succès), appartient à la littérature née de la «révolution des Oeillets», qui mit fin, en 1974, au régime salazariste. Relevé du sol, qu'il fait paraître en 1980, est issu de cette mystique du «beau rêve d'avril». Dans ce roman, l'écrivain conte la misère des paysans sans terre employés comme journaliers sur les grands domaines. Il ne faut pas oublier les origines de Saramago : fils de paysans pauvres, c'est un autodidacte, et son seul diplôme est celui de… serrurier, métier qu'il a exercé pendant trois années avant de travailler dans des ­bureaux puis de devenir journaliste. Il milita pendant des années dans la clandestinité au parti communiste. Il publia de loin et loin quelques livres, des romans, un recueil de poèmes. Rien de très important.

Il faut attendre les années 1980 pour qu'il accède à la notoriété avec Le Dieu manchot et, surtout, L'Année de la mort de Ricardo Reis. Dans ce roman, Saramago fait revivre la figure mythique de Fernando Pessoa. Les critiques louent son savoir-faire, son art de conter, sa fantaisie. Mais c'est par le scandale qu'il touche le grand public. En 1991 son iconoclaste Évangile selon Jésus-Christ lui vaut en effet d'être fustigé par L'Osservatore Romano, organe de presse officiel du Vatican, qui juge sa «vision substantiellement antireligieuse». Le romancier relit en effet les Évangiles à sa façon et affirme que Jésus a été l'amant de Marie Madeleine. Il présente en outre Jésus comme le jouet d'un Dieu qui, frustré de ne régner que sur le peuple hébreu, désire étendre son emprise sur le monde entier. La polémique devint une affaire d'État. Selon un ­ministre portugais, l'écrivain portait atteinte au «patrimoine religieux national». À la suite de ce scandale, Saramago quitta son pays. Il s'installa sur l'île de Lanzarote, dans l'archipel espagnol des Canaries.

S'il choqua les catholiques du Portugal et de l'Espagne, le ricanement voltairien du Portugais fut du goût des jurés du Nobel. José Saramago reçut en 1998 la prestigieuse récompense, l'Académie suédoise expliquant, dans ses ­attendus, que l'oeuvre de l'écrivain «rendait tangible une réalité fuyante grâce à des paraboles par l'imagination, la compassion et l'ironie». Quand il apprit qu'il avait le Nobel, l'écrivain fit cette boutade : «C'est comme Miss Portugal, l'an prochain on l'aura oubliée…»

Depuis quelques années, ce grand lecteur de Montaigne, de Cervantes et de Kafka alimentait régulièrement un blog dans lequel il ne mâchait pas ses mots. Défenseur de la cause palestinienne, il avait à plusieurs reprises violemment dénoncé la politique israélienne dans les Territoires occupés. L'an dernier, Saramago n'hésitait pas à mettre en cause le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, le qualifiant de «délinquant». Saramago le blogueur prolongeait ainsi via Internet la mission qu'il pensait être celle de l'écrivain : tenir un discours sur l'état du monde.

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Dans Libération:

L'écrivain portugais José Saramago, prix Nobel de littérature 1998, décédé vendredi à 87 ans sur l'île espagnole de Lanzarote, est l'auteur de romans denses à la limite du fantastique qui invitent à se révolter contre l'état du monde.
Né en novembre 1922 dans le village d'Azinhaga, au centre du pays, ce fils de paysans sans terre émigrés à Lisbonne, abandonne le lycée à 12 ans pour suivre une formation de serrurier, métier qu'il exercera pendant deux ans. Après un premier roman en 1947, Terre de péché, il attendra 19 ans pour publier son deuxième livre, un recueil de Poèmes possibles. Entretemps il travaille dans l'administration ou des maisons d'édition et collabore à plusieurs journaux.
Inscrit au Parti communiste, alors clandestin, en 1969, il prend part à la Révolution des oeillets du 25 avril 1974 qui met fin à la dictature salazariste. Son deuxième roman, Manuel de peinture et de calligraphie, paraît en 1977. Mais ce n'est qu'en 1982, alors qu'il a 60 ans, qu'il accède à la notoriété avec Le Dieu manchot, roman d'amour situé au XVIIIe siècle.
Un communiste libertaire

Il aura donc fallu 95 ans aux jurés du Nobel pour connaître le portugais. José Saramago a été le premier lauréat de l'Académie suédoise à écrire dans cette langue: «Justice est enfin rendue», avait résumé à l'époque l'ancien président de la République du Portugal Mario Soares et l'écrivain brésilien Jorge Amado.

En 1992, il fait scandale au Portugal avec L'évangile selon Jésus-Christ, où il dépeint Jésus perdant sa virginité avec Marie-Madeleine et utilisé par Dieu pour étendre sa domination sur le monde. Saramago quitte alors son pays pour s'installer dans l'archipel espagnol des Canaries.

En août 2008, à peine remis d'une grave pneumonie, il avait publié Voyage d'un éléphant, suivi l'année suivante de Caïn, qui raconte de manière ironique le récit biblique de l'assassinat d'Abel par son frère Caïn.
Lors de la présentation de son livre, Saramago, qui se décrivait lui-même comme un «communiste libertaire», avait à nouveau créé la polémique en qualifiant la bible de manuel de «mauvaises moeurs». En soixante ans, José Saramago a publié une trentaine d'oeuvres, des romans mais aussi de la poésie, des essais et des pièces de théâtre.