Cette journée d’étude, comme son nom l’indique, vise à rendre justice intellectuellement et stylistiquement à l’humoriste Pierre Desproges, dont le comique atypique a suscité encore trop peu d’intérêt universitaire. Il existe toutefois quelques travaux pionniers comme ceux de Bernard Sarrazin (« Le rire et le croire : Devos, Desproges, Dieu » dans Approche du discours comique de J.-M. Fays et L. Rosier, 1999), ou ceux de F. Leca (« Ironie polyphonique et transgression des tabous chez Pierre Desproges », 2010 ; « Étude comparée des manuels de savoir-vivre de P. Louÿs, San-Antonio et P. Desproges », dans San-Antonio et la culture française, 2010). Ces travaux, associés à ceux sur l’humour et l’ironie en général, permettent de dégager les lignes de force de l’approche qui sera explorée ici. Cette journée rassemblera pour la première fois, une série de spécialistes de l’humour et de l’ironie, autour d’un auteur encore peu étudié, alors même que son corpus est riche d’indéniables qualités littéraires dignes d’être exploitées. Tout le corpus desprogien pourra être sollicité, via des approches multiples et croisées (littéraires, intersémiotiques avec l’analyse du posturo-mimo-gestuel et de l’intonation, pragmatiques, stylistiques…).
Quelques pistes d’étude privilégiées :
- La richesse de ses textes, qui se singularisent par leur copia et leur style littéraire (parodique ou non ?) peut faire l’objet d’une analyse stylistique.
- La spécificité de son jeu de scène, de son phrasé en particulier, mériterait une étude spécifique. À cet égard, le témoignage artistique de Christine Murillo, qui a interprété l’hiver dernier avec Dominique Valadié des textes extraits des Chroniques de la haine ordinaire, sera un apport précieux.
- Les aspects polyphoniques de son écriture seront aussi un champ à explorer. De nombreux textes possèdent une dimension intertextuelle (Pastiches persillés de parodies que constituent le Dictionnaire superflu, le Manuel de savoir-vivre, l’Almanach, les Réquisitoires…).
- Pour analyser la spécificité du comique desprogien (du comique de scène en particulier) il pourra être comparé à celui d’autres « amuseurs publics » (pour reprendre le titre du numéro de la revue Humoresques qui leur a été consacré en mars 2011), comme Raymond Devos, Pierre Dac, Pierre Doris, ou des humoristes plus contemporains (voir A.-M. Paillet, « Bourges et beaufs : ironie et « styles de vie » chez les humoristes français », colloque de Cerisy, septembre 2009, « Style, discours, société », organisé par E. Bordas et G. Molinié, à paraître).
Les questionnements partagés :
- Comment caractériser le rire suscité par Desproges ? Y-a-t-il une ironie desprogienne ? Desproges n’atteint-il pas souvent un « au-delà » de l’ironie, non réductible cependant à l’humour noir et au nonsense hérité de son maître Pierre Doris ? (voir « Jeu surréaliste et humour noir, sous la direction de Jacqueline Chénieux-Gendron, 1993 et André Breton et la notion d’humour noir : une révolte supérieure de l’esprit de Christophe Graulle, 2001).
- D’un point de vue pragmatique, on peut poser la question qui fâche : le rire desprogien est-il soluble dans la modernité ? Fait-il toujours rire ? La satire, la parodie, le pastiche sont des formes particulièrement vulnérables au passage du temps et à l’oubli des référents… Là encore, le témoignage de Christine Murillo pourra apporter un éclairage précieux.
À travers le cas des textes de Pierre Desproges, la journée d’étude se propose de réfléchir aux frontières et aux catégorisations très débattues des notions : « humour » / « humour noir » / « ironie ». La notion d’humour est-elle englobante ou excluante ? (voir à ce sujet Patrick Charaudeau, « Des catégories pour l’humour ? », in Questions de communication, 2006). Des théoriciens spécialistes de ces questions comme Laurence Rosier et Pierre Schoentjes apporteront leur contribution à la réflexion.
Ce débat pourra donc s’inscrire dans les réflexions contemporaines sur la notion d’humour et de ses frontières (voir les actes du colloque sur l’humour tenu en février 2012 à Madrid, à paraître prochainement sous le titre Frontières de l’humour, aux Presses Universitaires de Franche-Comté).
Florence Leca et Anne-Marie Paillet
Programme détaillé : 9h00-17h00
9h30 : « L'œil est capable de clin : ironie, dictionnaire et bestiaire chez Pierre Desproges »
(Pierre Schoentjes, Université de Gand)
10h00 : « Desproges grammairien »
(Laurence Rosier, Université libre de Bruxelles)
10h30 : « Desproges et la voix du corps, dans les Chroniques de la haine ordinaire »
(Julie Jacquemin, Université Paris-Sorbonne)
11h15 : « Le courage de la haine »
(Michel Didym, Directeur du Centre dramatique de Nancy, metteur en scène de Pierre Desproges, Chroniques d’une haine ordinaire)
11h45 : Textes de Desproges par Christine Murillo, actrice, interprète de Pierre Desproges, Chroniques d’une haine ordinaire
14h30 : « Qu’est-ce qu’il a de plus que moi, Paul Claudel ? Les comparaisons de Desproges »
(Anne-Marie Paillet, ENS Ulm)
15h00 : « L’adjectif à l’usage des rustres et des malpolis »
(Florence Leca, Université Paris-Sorbonne)
15h45 : « Pierre Desproges, un humour de droite ? »
(Arnaud Mercier, Université de Lorraine)
16h15 : « D’un humanisme corrosif : La Rochefoucauld, Cioran, Desproges »
(Anne-Marie Houdebine, Université Paris Descartes-Sorbonne)