Référence bibliographique : C. Coquio, Le Mal en vérité ou l'utopie de la mémoire, Armand Colin, collection "Le temps des idées", 2015. EAN13 : 9782200271749.
Compte rendu publié dans Acta fabula (Décembre 2015, vol. 16, n° 8) : "Pourquoi notre mémoire des atrocités humaines est-elle devenue une culture mémorielle ?" par Michèle Bokobza Kahan.
Lire aussi sur laviedesidees.fr : "Pesante mémoire", par É. Méchoulan.
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Catherine Coquio, Le Mal en vérité ou l'utopie de la mémoire
Paris : Armand Colin, coll. "Le temps des idées", 2015.
EAN 9782200271749.
320 p.
Prix 25EUR
Présentation de l'éditeur :
« Mémoire », « vérité », « témoignage », « catharsis » : ces mots ne cessent de revenir au sujet des catastrophes politiques du 20e siècle, comme s’ils aidaient à les assimiler. La hantise d’un effondrement a donné lieu à une morale de la transmission, mais en réalité nul ne sait quoi faire d’un tel héritage, qui semble barrer l’accès au présent et obstruer notre avenir. De ce non-savoir vient le mot « mémoire », protoplasme sous lequel s’agitent le chaos des chagrins individuels et collectifs, celui des luttes pour la reconnaissance, un nouveau vocabulaire politique, un marché culturel, un immense continent littéraire, et à présent un champ académique : bref une culture. Mais cette culture devenue régulatrice, travaillée par ses points aveugles, semble toucher ses limites et se désamarrer du réel au point de faire écran à ce dont elle se réclame : la réalité passée et sa mémoire.
Plutôt que de dénoncer en vain les « abus de mémoire », l’auteur change de perspective en voyant s’exprimer dans cette obsession mémorielle une angoisse de la vérité détruite ou privée d’autorité, issue d’une perte d’autorité du réel lui-même : l’herméneutique de la mémoire conduit à une anthropologie du mensonge politique et de la destruction des faits. Au-delà du refus d’oublier, ce qui déchire l’espèce et détruit des mondes produit pour certains un lancinant mal de vérité, et pour tous une durable crise de la vérité, qui ne se limite pas au conflit des interprétations, ni à l’habituelle division de la vérité. Les mythes qui (en Occident mais aussi hors Occident) se forment aujourd’hui autour des vieux mots « mémoire », « témoignage », « catharsis », ont pour fonction d’y répondre.
Sous cette religion d’époque, l’auteur dessine les contours d’une étrange utopie, qui semble vouloir espérer à travers le passé et à partir du pire. Au cœur de cette utopie il y a le témoignage, à présent sacralisé et souvent (re)christianisé : l’apostolique « passage de témoin » relaie en littérature le politique « devoir de mémoire », et l’utopie bascule alors dans la dystopie. En observant les oscillations et contradictions de ce principe espérance à l’envers, en dressant la physionomie critique de cette culture, l’auteur tente un autre usage des textes témoins, pour penser avec eux ce mal qui travaille notre rapport au passé, et chercher un rapport politique au présent.
Catherine Coquio est professeur de littérature comparée à l’université Denis-Diderot (P7) où elle co-anime l’axe « Penser et écrire l’histoire » au Cerilac. Elle a créé avec I. Wohlfarth en 1997 l’association Aircrige, qu’elle a présidée de 1999 à 2008. Elle est l’auteur de Mécislas Golberg, passant de la pensée (1995), Rwanda. Le réel et les récits (2004), L’Art contre l’art (2006), L’Enfant et le génocide (avec A. Kalisky, 2007), La Littérature en suspens (2015) ; parmi les collectifs : L’Histoire trouée. Négation et témoignage (2003), Retours du colonial ? (2008), Littérature et histoire en débats (2013), Roms, Tsiganes, Nomades : un malentendu européen (avec J.L. Poueyto, 2014). Elle a créé en 2012 chez Garnier la collection « Littérature, Histoire, Politique ».
Table des matières :
Introduction
La vérité divisée
La mémoire comme culture
Le mal de vérité
1. Pour une histoire politique du mensonge et de la vérité
Vérité et politique : une antinomie tragique ?
« Vérités de fait » et « modes existentiels » (H. Arendt)
2. La destruction du réel et sa réfutation
Douter du concept de vérité ? (Derrida)
« L’historicité sacrale de la vérité »
Du mensonge politique au « différend »
Le mal d’archive comme « mal radical »
Le « mal au réel » et la « perversion historiographique » (Rancière, Ginzburg, Nichanian)
Phénoménologie du survivant
3. La « réfutation » du témoin
Penser le mensonge en témoin. Rousset, Margolin, Kouznetsov
L’écrivain et la preuve. Chalamov, Celan
L’existence comme réfutation. Orwell Kertész
« C’est de là que je viens ». Le mal de l’héritier
4. Une vérité sans autorité
Autorité et vérité en démocratie
L’enquêteur, le témoin et le juge : le cas d’Ed Vulliamy
La « vérité toute entière » et « l’autorité des morts » (Srebrenica)
La vérité vacille (Syrie).
Le témoignage comme utopie et la mémoire comme religion
Témoignage : la complication et la “crise”
La « chaîne » des témoins : l’oeuvre et le mythe
1. Culture de la mémoire et devoir de mémoire : la captation du témoin
De la « mémoire collective » au « memory turn »
L’institution politique du témoin et le « devoir de mémoire »
Le « travail de mémoire » : « héritage » et « contagion »
Quel travail de mémoire dans une société fracturée ? (Charlie Hebdo)
2. Le « passage de témoin »
Postmémoire et « témoin de témoin »
De quelques « passages de témoin »
La sublimation esthétique. Shoshana Felman
L’entrée dans l’espace du sacré. Jacques Derrida
Le serment performatif. Giorgio Agamben
Témoin de l’histoire et témoin de Dieu : le « véritable témoignage »
3. Le témoignage comme utopie
Le témoignage aujourd’hui : une utopie critique
Le témoignage, « fonction utopique » inconnue ?
« L’horizon » du témoin et « l’esprit »
« D’autres forces que celles de l’espoir » (Chalamov)
En ces sombres jours d’Aram Andonian
La folie du témoin
L’humanité, utopie d’après
Le rite, le jeu et le schisme
Le retour de la catharsis
« Catharsis » et tragédie : la question et le mythe
Actualité d’un mythe
1. La catharsis après la catastrophe
La foi dans la narration : trauma et storytelling
La vérité en « robe de juges » : « purification » ou « réparation »
La justice comme tragédie grecque : Nuremberg et le procès Eichmann
Le témoignage au théâtre
2. La « catharsis impossible » ou l’interdit de représentation
La catharsis en procès. Adorno, Lanzmann, Daney
Les philosophes français et « l’irreprésentable ». Lyotard, Nancy, Rancière
S21 ou la violence et l’apaisement : Rithy Panh
3. « Une possibilité de tragédie ». Imre Kertész
La « traversée de la maladie »
Kertész au cinéma
4. Témoignage et tragédie
Épilogue : « N’oublie pas le meilleur »