L’éditeur à l’œuvre : reconsidérer l’auctorialité ? fin XVe s.-XXIe s.
Colloque international organisé par
Dominique Brancher, Gaëlle Burg (Université de Bâle) et Giovanni Berjola (Université de Nancy)
Université de Bâle, 11-12 octobre 2018
Qui fait le livre ? Aux yeux du sens commun, la réponse semble évidente : l’auteur écrit un texte, qu’il confie à l’éditeur, lequel imprime le livre puis le publie. Il revient alors aux lecteurs de le consacrer en l’érigeant en œuvre littéraire. La distinction paraît claire entre création et publication. Or, on le sait, dans le cadre sociologique de ce que Dominique Maingueneau nomme l’« institution littéraire »[i], les choses sont plus complexes et moins tranchées. De même que l’auteur est à la fois une personne, l’écrivain, et un personnage incarné par le nom de l’auteur, l’éditeur ne saurait se réduire à un individu unique mais regroupe un ensemble d’intervenants. Comme le montre Roger Chartier, l’œuvre imprimée est le fruit d’une convergence de systèmes, d’acteurs et de pratiques, véritables « machineries sémantiques »[ii] qui dépassent l’intentionnalité du seul écrivain. Les notions d’instance auctoriale et d’instance éditoriale seraient ainsi plus pertinentes puisqu’elles désignent moins des personnes que des fonctions qui contribuent toutes deux à la genèse de l’œuvre et à son sens.
À la Renaissance, l’œuvre littéraire se présente, pour reprendre l’heureuse expression d’Anne Réach-Ngô, comme une « création collaborative »[iii] : à l’écriture créatrice de l’écrivain répond une « écriture éditoriale »[iv]. Cette dernière ne se superpose pas au travail initial de l’auteur mais fait partie intégrante d’un processus où création et publication s’amalgament. Celui qui en porte la responsabilité se nomme « imprimeur » ou « imprimeur-libraire » au XVIe siècle, tant les processus de conception, de fabrication et de vente de l’objet livre demeurent solidaires. Plus tard, avec l’apparition des mots « éditeur » et « édition » au sens moderne, on parlera de « libraire-éditeur » (1813). « Édition », attesté dès le deuxième tiers du XVIe siècle, a d’abord désigné l’action d’établir un texte en vue de sa parution et prend seulement, à la fin du XVIIe siècle, le sens de reproduire un texte, préalablement établi, par un procédé technique. Tardif (1738), le terme « éditeur » suit la même évolution sémantique, n’adoptant le sens de publication et de mise en vente d’ouvrages imprimés que vers 1775. Aujourd’hui, on distingue éditeur-papier et éditeur numérique, les pure players désignant des sociétés dont l’activité d’édition, de distribution, et d’infomédiation s’est développée exclusivement sur internet.
Ces transformations lexicales reflètent des évolutions ou des ruptures sur le plan des concepts ou des pratiques, conditionnées par le changement des supports et des techniques, ainsi que la spécialisation des fonctions. Mais à l’inverse, ces mêmes transformations masquent des constantes dans le travail de l’instance éditoriale, dès lors qu’on s’autorise à employer ce concept d’éditeur de manière diachronique aussi bien pour parler des livres imprimés de la première Modernité que des livres numériques. On peut ainsi étendre la réflexion sur le travail éditorial à la Renaissance à d’autres périodes : que l’on songe à la part que prennent les choix éditoriaux dans les succès littéraires depuis le XIXe siècle, période qui constitue, avec l’industrialisation de l’édition, un jalon important dans l’histoire du livre. L’œuvre de Jules Verne est, par exemple, étroitement liée au travail de son éditeur, Hetzel, qui ne manquait pas d’intervenir dans le processus créatif. L’édition contemporaine place désormais l’éditeur au centre de la sphère littéraire : les prix récompensent des auteurs qui portent les couleurs de leurs maisons d’éditions respectives. Parfois même, le livre est un produit de masse pensé et projeté par l’instance éditoriale avant d’être la création de l’instance auctoriale. Dans le domaine du numérique, la dimension collaborative de la création devient un principe éditorial à part entière. On peut se demander si la posture éditoriale a réellement évolué depuis la naissance de l’imprimerie. En définitive, quel est le poids véritable de cette instance dans la création littéraire ? On s’interrogera sur les dispositifs, les stratégies et les enjeux de ce processus en vue de reconsidérer la notion d’auctorialité.
Durant ce colloque nous privilégierons les études de cas s’inscrivant dans le champ de la littérature française de la Renaissance à nos jours. Voici une liste non exhaustive d’axes de recherche et de pistes de réflexion :
- Axe législatif : contrat, droits d’auteur, responsabilité pénale de l’auteur, etc.
- Axe éditorial : mise en texte, mise en livre, péritexte, publication et commercialisation, support papier/numérique, etc.
- Axe sociologique : création collaborative, tension entre éditeur et auteur, choix éditoriaux, réception de l’œuvre, concurrence et émulation entre éditeurs, concours et prix littéraires, etc.
Les propositions de communication de 250 mots maximum, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer à l’adresse suivante : gaelle.burg@unibas.ch avant le 1er janvier[v] 2018.
[i] Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, Paris, Armand Col.in, « U », 2004, p. 41.
[ii] Roger Chartier, Pratiques de la lecture, « Du livre au lire », Paris, Rivages, 1985, p. 79.
[iii] Anne Réach-Ngô, « Du texte au livre, et retour : la production littéraire à la Renaissance, une création collaborative ? », pp. 29-47, Genesis, 41, 2015, p. 32.
[iv] Ibid., p. 32.