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Littératures du faux (Regensburg)

Littératures du faux (Regensburg)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Anne-Sophie Donnarieix)

Colloque international organisé dans le cadre des

"Rencontres allemandes de la littérature contemporaine" (RALC, 2ème édition)

à l’Université de Regensburg

du 18 au 20 juin 2020

 

Entre imitation et contrefaçon, supercherie et mystification, les circuits de la fiction contemporaine conduisent les lecteurs et lectrices sur des sentiers souvent semés d’embûches. Jouant avec une fascination pour le faux qui exploite toute la polysémie du terme, de nombreux romans mettent en scène des régimes fondés sur le simulacre, l’inauthentique, l’erroné. Car le faux n’est pas simplement l’avatar de l’erreur (ou du mensonge), il engage aussi un système de reproduction fondé sur l’imitation plus ou moins fidèle, et sur l’idée d’une authenticité déviée, inventée, virtualisée, voire récusée. De la virtuose réfutation du Nouveau Monde chez Pierre Senges (La Réfutation majeure) au faux-roman d’Éric Chevillard (Défense de Prosper Brouillon) ou au célèbre et inexistant tableau révolutionnaire de Pierre Michon (Les Onze), des hétéronymes d’Antoine Volodine aux parodies de l’Histoire chez Alain Fleischer (La Hache et le violon, Imitation), des avatars virtuels chez Camille Laurens (Celle que vous croyez) aux doubles post-humains chez Michel Houellebecq (La Possibilité d’une île) ou aux effets d’(auto-)aliénation sociale chez Marie NDiaye (Autoportrait en vert, Ladivine), le faux attire par sa puissance à la fois facétieuse et fallacieuse, ludique et inquiétante. Le colloque souhaite examiner cette notion qui cristallise les relations complexes que la littérature contemporaine entretient avec ses modèles – réels comme littéraires, factuels comme fictionnels.

Un premier axe de recherche, d’ordre davantage typologique, portera ainsi sur les avatars du faux et sur les formes multiples que le terme recouvre dans les œuvres littéraires : on interrogera la présence de personnages doubles, de mystificateurs ou d’usurpateurs, des effets de faux-semblant, de duplication ou de simulation, voire de cliché ou de stéréotype, ainsi qu’un certain rapport thématique à l’illégitimité, l’incohérence, l’artifice ou la tromperie. Comment le faux se présente-t-il dans ces textes ? De quels ressorts morphologiques, épistémologiques use-t-il ? Et quels liens entretient-il avec le texte qui le produit : se dissimule-t-il, inavoué et caché, dans les rets de la fiction (qu’il se plaît aussi souvent à reproduire comme par métonymie), ou bien est-il exposé dans toute son inauthenticité par un texte qui le démasque en même temps qu’il s’en porte garant ?

Un deuxième axe analytique sera centré sur le faux comme stratégie d’écriture. On étudiera plus particulièrement les pratiques de la parodie, du pastiche ou des réécritures, mais aussi les emprunts à des genres établis (roman d’aventure, roman policier) sous le sceau du travestissement ou de la subversion. Le faux, plus retors dès lors qu’il s’insinue dans des genres supposés non-fictionnels (autobiographie, roman historique, littérature d’investigation etc.), peut poser aussi la question de sa légitimité et de ses limites éthiques quand il s’agit de contrefaire délibérément – notamment par l’humour – des événements ou des faits de société polémiques voire traumatiques. À l’inverse, on problématisera l’engouement contemporain pour des formes littéraires qui récusent une trop grande vraisemblabilité, versant parfois du côté de l’irrationnel pour explorer les pistes d’un faux qui le serait moins par manque d’authenticité que par dérogation à des impératifs logiques. Les techniques de dissimulation narrative ou auctoriale (pseudonymes ou hétéronymes, narrateurs insituables ou non-fiables, brouillages métaleptiques, doubles discours ou structures d’énonciation déficientes ou déceptives) constitueront une piste de recherche privilégiée, que l’on pourra aussi étendre à des formes non-romanesques ou bimédiales (quand le texte s’inspire de la peinture, de la photographie, du film, de la bande-dessinée) pour envisager d’autres sources de falsification discursive.

Enfin, on ouvrira également la réflexion aux fonctions qui accompagnent ces écritures du faux. Si ces dernières font souvent l’éloge de l’inauthentique en soulignant la vitalité malicieuse du simulacre, accrue par la complicité du lecteur ou de la lectrice qu’elle présuppose, elles sont parfois aussi traversées d’une visée critique. Les œuvres peuvent alors témoigner d’une certaine inquiétude face aux possibilités vertigineuses de démultiplication et de virtualisation, aux effets de standardisation ou de reproduction effrénée du même (dans le sillage des réflexions de Baudrillard) ou encore face à un monde devenu artificiel et incohérent, dont les textes se font les porte-parole ambivalents, cyniques ou désenchantés. À ce que Maxime Decout nommait « la puissance de réjouissance[1] » de l’imposture se superpose ainsi un rapport au faux plus entaché de malaise qu’il conviendra de replacer dans un contexte socio-culturel spécifique. Cette approche pourra nous conduire à une réflexion de nature diachronique sur la singularité des écritures contemporaines dans leur rapport au faux, et à ce désir d’épigonalité qu’elles mettent souvent en scène.

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Les propositions de communication (environ 300 mots) accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique sont à envoyer d’ici le 15 février 2020 à l’adresse suivante : as-donnarieix@hotmail.fr.

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Bibliographie sélective

Aron, Paul, Histoire du pastiche : le pastiche littéraire français, de la Renaissance à nos jours, Paris, Presses Universitaire de France, 2008.

Baudrillard, Jean, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1985.

Bouloumié, Arlette (dir.), L’Imposture dans la littérature, Angers, Presses Universitaires d’Angers, 2011.

Decout, Maxime, Pouvoirs de l’imposture, Paris, Les Éditions de Minuit, 2018.

Decout, Maxime, Qui a peur de l’imitation ?, Paris, Les Éditions de Minuit, 2017.

Di Folco, Philippe, Les grandes impostures littéraires : canulars, escroqueries, supercheries, et autres mystifications, Paris, Écriture, 2006.

Finné, Jacques, Des mystifications littéraires, Paris, José Corti, 2010.

Gauvin, Lise, Van den Avenne, Cécile ; Corinus, Véronique et Selao, Ching (dir.) Littératures francophones. Parodies, pastiches, réécritures, Lyon, ENS Éditions, 2013.

Jeandillou, Jean-François, Esthétique de la mystification : tactique et stratégie littéraires, Paris, Éditions de Minuit, 1994.

Jeandillou, Jean-François, Supercheries littéraires : la vie et l’œuvre des auteurs supposés, Genève, Droz, 2001.

Langevin, Francis, « La posture exotique du narrateur-personnage. Inconfort et non-fiabilité dans quelques romans contemporains », in Frances Fortier et Andrée Mercier (dir.), La Transmission narrative. Modalités du pacte romanesque contemporain, Montréal, Nota Bene, 2011, p. 207-233.

Martineau, Ysabelle, Le Faux littéraire. Plagiat littéraire, intertextualité et dialogisme, Québec, Nota Bene, « Essais critiques », 2002.

Maurel-Indart, Hélène, Du plagiat, Paris, Gallimard, 2011.

Mecke, Jochen (dir.), Cultures of lying. Theories and Practice of Lying in Society, Literature, and Film, Berlin, Galda+Wilch, 2007.

Mecke, Jochen, « Esthétique du mensonge », in Hélène Barrière, Karl Heinz Götze et Ingrid Haag (dir.), « Quelques vérités à propos du mensonge » Cahiers d’Études Germaniques, n° 68, 2015, p. 77-91.

Mecke, Jochen, « Une critique du mensonge par-delà le bien et le mal », in Hélène Barrière, Karl Heinz Götze et Ingrid Haag (dir.), « Quelques vérités à propos du mensonge » Cahiers d’Études Germaniques, n°67, 2014, p. 91-110.

Stoichita, Victor I., L’Effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres, Genève, Droz, 2008.

Wagner, Frank, « Quand le narrateur boit(e)… (Réflexions sur le narrateur non fiable et/ou indigne de confiance) », Arborescences, n°6, Polyphonies : voix et valeurs du discours littéraire, septembre 2016, p. 148-175.

 

 

[1] Maxime Decout, Pouvoirs de l’imposture, Paris, Les Éditions de Minuit, 2018, p. 179.