Appel à communications
Colloque international à l’université d’Artois, à Arras, les 26 et 27 mars 2020
Jean-Philippe TOUSSAINT en coulisses : making of, expérimentations, décalages
Isabelle ROUSSEL-GILLET et Évelyne THOIZET
Université d’Artois, EA 4028, Textes & Cultures, F-62000 Arras
Romancier, essayiste, photographe, cinéaste, commissaire d’expositions, Jean-Philippe Toussaint ouvre les coulisses de sa création à ses lecteurs et à ses spectateurs : il transpose en littérature et dans d’autres médias le making of qui désigne au cinéma un film ou un reportage montrant l’envers du décor, la genèse d’un film et les conditions matérielles de son tournage. Made in China (2017) peut ainsi être considéré comme le making of du film The Honey Dress (2015) évoqué dans le roman Nue (2013) qui met aussi en abyme les conditions de réalisation et les préparatifs d’une performance. Dans son site internet unique en son genre, Jean-Philippe Toussaint choisit de mettre à disposition de ses lecteurs ses sources documentaires, voulant souligner l’importance de l’expérimentation dans son processus de création. Quand il y présente l’exposition « Livre-Louvre » (Louvre, mars-juin 2012) qui allie photographies, films, installations et performances, il commence par en exposer le making-of, en six vidéos. Nous invitons les participants au colloque à considérer ce making-of comme partie intégrante de l’œuvre, qu’il soit configuré en récit, exposé dans un essai ou mis en ligne sur le site (archives, documentaires, traces maîtrisées, ébauches, essais, rushs). À partir du site conçu par Jean-Philippe Toussaint comme une mappemonde constellée de titres de romans et de noms de lieux clignotants, simultanément visibles, nous leur proposons de prendre en compte l’ensemble de l’œuvre romanesque, filmique, photographique, scénique et muséographique de Jean-Philippe Toussaint et de s’interroger sur la fécondité des croisements effectués. Seront privilégiées les approches transversales qui associent les médias, la littérature et les arts tout en problématisant le rapport à l’expérimentation et les nouveaux régimes temporels qu’elle implique.
Expérimentations
En déplaçant l’accent sur le making of, Jean-Philippe Toussaint conçoit l’œuvre au sens large (récit, roman, vidéo, performance) comme un dispositif expérimental : il privilégie l’œuvre en train de se faire par rapport au produit fini (publié ou regardé), dont il reprend des séquences (Zahir, la robe de miel) en les réécrivant ou en les transférant dans un autre art. Il s’agira de s’interroger par exemple sur les nouveaux régimes temporels induits par l’expérimentation : l’accident, l’imprévisible sont intégrés dans les dispositifs narratifs, cinématographiques, artistiques, créant des tensions internes et des changements brutaux de rythmes. Le lecteur ou le spectateur a ainsi l’illusion que tout est encore possible, que l’œuvre est en train de se faire sous ses yeux dans son présent, alors qu’elle a déjà été filmée ou écrite. Comment ces tensions entre accélération et ralentissement, urgence et patience, retard et précipitation sont-elles incarnées, thématisées, configurées ou argumentées dans l’œuvre tout entière ? Au lieu de poursuivre un objectif déjà fixé à la manière occidentale, l’auteur ou l’artiste semblent saisir l’occasion qui se présente, soit qu’ils aient patiemment observé le « potentiel de situation » à la manière asiatique (voir la référence à Nourrir sa vie de François Jullien dans Made in China, p. 22), soit qu’ils attrapent l’occasion au vol selon la conception grecque antique du kairos. Sur quelles philosophies repose une telle conception du temps de l’occasion ?
Pourront aussi être étudiés les brouillons et traces génétiques qui sont mis en ligne sur le site par Jean-Philippe Toussaint, et qui renvoient à la lenteur du travail antérieur d’élaboration de l’œuvre. Il peut être également intéressant de s’interroger sur l’esprit de collaboration expérimentale qui a animé Jean-Philippe Toussaint lors de ses résidences d’écrivain ou dans son travail de cinéaste, en rapport avec le processus individuel et solitaire d’écriture mis en abyme dans certains romans comme La Télévision.
Décalages
Le métatexte et le site mettent à distance les fictions. Par exemple, la voix off du narrateur dans les parenthèses métatextuelles déjà analysées par la critique fait entendre un écart par rapport à la fiction, au personnage et au temps de l’histoire racontée. Les reprises ou transferts de mêmes scènes entraînent aussi des décalages divers, dans l’espace (distances, écarts, éloignement, hors-champ) ou dans le temps (décalages horaires, écriture en différé, arrêts sur images ou décomposition chronophotographique du mouvement, accélération ou ralentissement du rythme romanesque, musical ou filmique). Ces décalages servent-ils simplement à remettre en cause l’illusion romanesque en faisant voir au lecteur les coulisses de la création ou bien ont-ils d’autres fonctions ? Est-il nécessaire de s’éloigner pour écrire et peut-on généraliser à toute l’œuvre ce que Jean-Philippe Toussaint écrit à propos de l’écriture de son premier roman, à savoir qu’elle a été rendue possible par son éloignement de Paris (L’Urgence et la patience, p. 16) ? Il s’agira d’interroger le paradoxe d’une œuvre qui veut coller au plus près des lieux contemporains les plus dynamiques (la Chine, les grandes métropoles modernes) et qui doit s’en éloigner pour capter le présent. Le décalage suppose un contretemps ou un écart, ou tout au moins une distance, par rapport à une référence qu’il conviendra de définir. Pourquoi Jean-Philippe Toussaint multiplie-t-il les décalages entre l’accessoire et l’essentiel, entre l’objectif d’une action (rapatrier un cheval de course) et sa mise en œuvre, entre le lieu (la salle de bain) et sa fonction, entre l’objet (le réfrigérateur) et son usage ? Cherche-t-il seulement à remettre en cause les modèles, voire les clichés contemporains ?
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Le colloque "Jean-Philippe TOUSSAINT en coulisses : making of, expérimentations, décalages" s’efforcera donc de penser l’œuvre tout entière comme un laboratoire et d’en analyser les conséquences. Les actes du colloque seront publiés dans la collection «Présences contemporaines » de la revue en ligne L’Entre-deux, du laboratoire Textes et Cultures. http://lentre-deux.com/
Bibliographie sur le site : http://www.jptoussaint.com/
Contacts
Les propositions de communications, accompagnées d’une courte présentation, sont à envoyer avant le 10 octobre 2019 aux deux adresses suivantes :
Isabelle Roussel-Gillet, maître de conférences HDR (littérature française XXe - XXIe siècles, muséographie, intermédialité, interculturalités) : isabelle.rousselgillet@univ-artois.fr
Évelyne Thoizet, professeur des universités (littérature française XXe - XXIe siècles) : evelyne.thoizet@univ-artois.fr