
Écrire, traduire et mettre en scène l’histoire du conflit israélo-palestinien (MSH Paris Nord)
Écrire, traduire et mettre en scène l’histoire du conflit israélo-palestinien
« L’écrivain qui veut dire le monde se fait, à sa manière, chercheur[1] »
Ce colloque international et interdisciplinaire aimerait s’intéresser à la pluralité des écritures produites autour de l’histoire du conflit israélo-palestinien et à la manière dont la littérature, les arts vivants, le cinéma ont apporté une mise en récit complémentaire et parallèle à celle des recherches en sciences sociales. Sur un terrain hautement conflictuel où chaque parole, chaque mot sont analysés et soupesés, l’écriture littéraire et poétique, le théâtre mais également les productions audio-visuelles sont autant de ressources et d’outils que des acteurs ont mobilisé pour dire, donner à connaître les histoires personnelles et collectives de cet affrontement.
Historien-n-e-s, anthropologues, politistes, sociologues ont déjà ébauché des analyses et proposé des récits souvent contradictoires et polémiques sur ce qu’ont été les grands étapes de ce conflit mais également plus récemment sur ce que peuvent être les circulations, les interférences, les entreprises de contrôle entre les espaces israéliens et palestiniens[2]. Des consensus commencent à se dégager péniblement. Comment les écritures fictionnelles s’articulent-elles avec ces récits ? S’en inspirent-elles ? Les recherches produites par les nouveaux historiens israéliens mais également par les historiens palestiniens, dans les années 80, ont-elles influencé de nouvelles générations d’écrivain-e-s, de cinéastes et de documentaristes ?
Ecrire l’histoire de ce conflit reste, pour les chercheur-e-s une entreprise difficile, une « écriture sous tension», encore complexifiée quand il s’agit de travailler conjointement sur les sociétés israéliennes et palestiniennes dans leur diversité. Dans le cas palestinien, la question de la difficulté de l’accès aux archives semble centrale et pertinente pour comprendre comment une écriture de recherche historique a parfois laissé place à une écriture littéraire et poétique pour conserver la mémoire et l’histoire palestiniennes. L’historien Rashid Khalidi montre bien combien cette « asymétrie dans le rapport aux archives traduit une asymétrie plus générale entre les deux parties[3] ». Dans l’expérience littéraire palestinienne en Israël, la trinité « histoire, mémoire et identité́ », est un réfèrent fondamental et ce depuis les années 1950 pour transcrire l’histoire d’une minorité. Salman Natour, l’a pérennisé et a accordé une place au cœur de son roman Zakira[4] (Mémoire), un récit littéraire articulé après une longue enquête menée par l’auteur auprès des Palestiniens en Israël sur leurs souvenirs de la Nakba, des souvenirs non investis par les historiens israéliens et non exprimés par les vaincus par peur de voir une fois encore leurs liens à leur terre ancestrale remis en cause[5].
Ce colloque aimerait revenir, à partir du cas israélo-palestinien, sur les liens entre histoire et fiction et sur les circulations croisées entre littérature et sciences-sociales[6].
Quelle place le conflit occupe-t-il dans le champ des productions littéraires et audio-visuelles israéliennes et palestiniennes depuis 1948 ? Quel-le-s sont les auteur-e-s et comment abordent-ils/elles les évènements ? La question des représentations de l’Autre[7] semble particulièrement importante dans un champ littéraire qui se recompose et se renouvelle au fil des années et au gré de l’évolution du conflit [8]. Réfléchir au contexte historique de production des œuvres littéraires, de l’affirmation du théâtre semble particulièrement important[9]. Peut-on désormais construire une histoire des représentations de la figure de l’Autre en l’inscrivant dans l’évolution des formes de conflictualités? Comment Israélien-n-e-s et Palestinien-n-e-s se sont-ils/elles adressées les un-e-s autres et dans quel but ? Ces écritures permettent-elles de contourner un langage et des processus politiques totalement bloqués ? Le théâtre peut-il ainsi fonctionner comme un outil de réparation individuel et collectif en contexte de guerre ?
Une attention particulière sera accordée à la question de la langue du conflit. Des travaux de recherche récents[10] ont montré comment la question de l’utilisation de la langue et de la traduction pouvait être centrale dans la tentative de s’adresser à l’Autre. Plusieurs écrivain-e-s palestinien-n-e-s d’ d’Israël ont décidé d’écrire en hébreu (et non pas seulement en arabe afin de s’adresser au public et faire connaître leur situation particulière et discriminée. Des chercheur-e-s en sciences sociales se heurtent plus concrètement au problème de publier en hébreu des recherches liées à l’histoire de la Nakba en 1948.[11]
La question d’une concurrence effrénée des narratifs nationalistes inscrit la pluralité des écritures et la rencontre des mises en récit comme une condition importante dans le long chemin vers la reconnaissance de l’histoire de l ‘Autre. S’il existe une solution territoriale et politique à cet affrontement, il apparaît comme indispensable d’opérer avant tout une réconciliation autour des narratifs politiques et nationalistes[12]. Connaître l’histoire de l’Autre, les discriminations dont il a été l’objet est déjà un premier pas vers une reconnaissance mutuelle et un espoir d’apaisement.
Dans ces écritures du conflit, les femmes israéliennes et palestiniennes[13], occupent une place importante mais souvent méconnue. Du côté palestinien c’est surtout depuis le déclenchement de la première Intifada que des écrivaines ont fait entendre leurs voix de femmes dans la rédaction d’œuvres littéraires donnant à découvrir la réalité du conflit et de l’occupation militaire[14]. Leur contribution, même si elle reste minorée dans l’histoire de la littérature palestinienne, n’en demeure pas moins originale car doublement impactée par la réalité de l’occupation israélienne ainsi que par leur propre oppression dans la société palestinienne. Du côté israélien, les femmes ont également tardé à être identifiées comme des autrices majeures mais elles sont maintenant très présentes. Israéliennes et Palestiniennes sont également particulièrement actives dans la production de films et de documentaires sur leurs sociétés respectives et elles donnent à voir et à entendre leur perception du conflit. Les identités de genre sont bien présentes dans des productions littéraires et filmiques qui construisent et déconstruisent le collectif nationaliste et y interrogent les rapports de domination dans une perspective post coloniale[15]. Ce colloque aimerait s’intéresser à la manière dont les femmes ont raconté le conflit et comment elles peuvent complexifier ces mises en récit[16].
Comité scientifique
Marie Anne Matard-Bonucci ( PE Paris 8, IHTP,IUF)
Danielle Storper-Perez (CNRS, CRFJ, Jérusalem)
Cédric Parizot ( Chargé de recherches, CNRS /IREMAM,)
Benjamin Stora ( PE, historien, Inspecteur général)
Nadine Picaudou ( PE, Paris 1 émérite)
Alain Dieckhoff (CERI, Sciences Po Paris)
Catherine Coquio (PE, littérature comparée, Paris 7)
Jihane Sfeir ( ULB, Bruxelles)
Valérie Pouzol ( MCF, Université de Paris 8)
Sadia Agsous ( Post-Doctorante, CRFJ, Jérusalem)
Gisèle Sapiro, Directrice de recherche (CNRS), directrice d'études (EHESS-CESSP)
[1] Ivan JABLONKA, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences-sociales, Paris, Points, 2017, p.8.
[2] Stéphanie LATTE ABDALLAH, Cédric PARIZOT (dir), Israël/Palestine. L’illusion de la séparation, Presses universitaires de Provence, 2017.
[3] Rashid KHALIDI, Palestine. Histoire d’un Etat introuvable, Actes Sud, 2007, p 43.
[4] Natour, SALMAN, Zakira (Mémoire), Dar al-Shourouk, Ramallah 2009 (en arabe)
[5] Sadia AGSOUS, « L’inquiétante étrangeté et l’effrayante angoisse du traducteur israélien face au roman palestinien », TRANS- Revue de littérature générale et comparée, 2017.
[6] Étienne ANHEIM, Antoine LILTI, « Introduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/2 (65e année), p. 253-260. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-2010-2-page-253.htm
[7] Françoise SAQUER-SABIN, « Les relations entre juifs et musulmans dans la littérature hébraïque », in in A Meddeb et B Stora (dir), Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2013, pp 559-579. De la même autrice Le Personnage de l’Arabe palestinien dans la littérature hébraïque, Paris, CNRS éditions 2002.
[8] Kadhim Jihad HASSAN, : « Figures de l’Israélien dans la littérature palestinienne », in A Meddeb et B Stora (dir), Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Paris, Albin Michel, 2013, pp 573-579.
[9] Shlomo SAND, Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël, Paris, Fayard, 2006.
[10] Sadia AGSOUS : Defining Identity in Relation to the ‘Other’ (Palestinians) in Novels Written in Hebrew by Palestinians of Israel”Proceedings of the Papers Consortium for Asian and African Studies (CAAS) 3rd international conference, Tokyo OFIAS, TUFS, 61, 70 pp .2016.
[11] Eitan et Eléonore BRONSTEIN, Nakba en hébreu, Haïfa, Pardes Publishing, 2018.
[12] Denis CHARBIT, « Paix ou réconciliation : les narratifs sont-ils négociables ? » in Henri COHEN-SOLAL, et Aline ALTERMAN et Lucie NUSSEIBEH (dir.), Penser la paix, penser l’impossible : le conflit israélo-palestinien, Paris, Lignes, 2015, p 104-133.
[13] Valérie POUZOL, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, éditions Complexe, IHTP-CNRS, 2008.
[14] Maja VAN DER VELDEN « Kill the Wall of Silence, O Sword of the Words : Palestinian Women Writters in the Occupied Palestinian Territories, in A. MOORS, T. VAN TEFFELEN, S. KANAA, I. ABU GHAZALEH (dir.), Discourse and Palestine. Power, Text and Context , Amsterdam, Het Spinuis, 1995, p173-188.
[15]Anna BALL, Palestinian Literature and Film in Postcolonial Feminist Perspective, Routledge Research, 2012.
[16] Miriam COOKE, Women and the War Story, Berkeley, University of California press, 1996.