Méditerranée-Caraïbes. Deux archipélités de pensées ?
Colloque international et interdisciplinaire
Groupes de recherche : EHIC, CRILLASH et CRLC
Université de Limoges, 13-14 octobre 2021
Coorganisateurs :
Cécile BERTIN-ELISABETH, PR, Université de Limoges (section 14)
Franck COLLIN, MCF HDR, Université des Antilles, Martinique (sections 8 et 10)
Appel à communications
Espaces insulaires, bordés par des continents, sans véritable centre, la Caraïbe et la Méditerranée ont souvent été comparées parce qu’elles constituaient des interfaces privilégiées entre mondes différents ouverts à l’altérité et aux échanges. Mais que vaut cette comparaison ? Ne rencontre-t-elle pas de sérieuses limites (http://atlas-caraibe.certic.unicaen.fr/fr/page-23.html), et n’est-elle pas surtout un vestige de la pensée coloniale, cherchant à calquer un modèle euro-maritime dans un contexte ultra-marin ? Édouard Glissant n’avançait-il pas que la Méditerranée, Terre du milieu, est « une mer qui concentre » (Entretiens de Baton Rouge, 2008), c’est-à-dire détermine la pensée unifiante et hégémonique de l’Europe, tandis que la Caraïbe, « archipel arqué » – selon la formule de Césaire –, serait une « mer qui diffracte », propice par son sens de la créolisation à la relation pluriculturelle et donc à la mise en synergie de divers codes ? Il nous paraît essentiel de reprendre cette réflexion afin de renouveler nos perceptions de chaque espace et de leurs possibles relations.
Partir de l’archipélité est primordial. Parce que l’île conditionne géographiquement un espace de vie, entre enfermement et appel d’un ailleurs. Parce que l’insularité est marquée par d’autres codes mentaux et identitaires qu’il importe de déchiffrer et de traduire (au sens propre et figuré). Et parce qu’entre îles et continents, entre continu et discontinu, entre centre(s) et marge(s), les archipels se présentent comme entre-deux, lien ou séparation, démultiplication ou répétition, voire perte et négation. Tout en étant des terres disséminées – des terres-d’avant-le-continent (ante-ilhas) rappelle Patrick Chamoiseau dans le cas de la Caraïbe (Éduquer en pays dominé, 1997) – ils sont des lieux intensément poïétiques où les questions identitaires se font lancinantes. N’est-ce pas donner en retour à l’ancien archipel grec, des Baléares à Chypre, l’occasion de se repenser autrement que sur le modèle indépassable d’une matrice dite de référence (Collin-Zerba, 2018) ? Yannis Ritsos ne pense pas Makronissos ou Gyaros (Πέτρες. Επαναλήψεις. Κιγκλίδωμα Pierres Répétitions Grilles, 1971) comme Ulysse pense Ithaque, ni comme Derek Walcott pense Sainte-Lucie (Une autre Vie, 1973).
Il s’agit donc bien de faire dialoguer deux archipels (ou réseaux d’archipels…) que tout sépare, à commencer par l’Atlantique qui les relègue chacun sur deux continents éloignés. Tout en étant éparpillées, ces insularités ont sans cesse attiré et organisé les espaces continentaux entre eux, suscité des migrations et des échanges, métissé les cultures et les langues, et revendiqué d’être des pays à part entière (ainsi La Barbade quittera-t-elle définitivement la couronne britannique en novembre 2021), en refusant la marginalisation face aux grandes puissances de leur temps. Sur des territoires parfois minuscules, l’Histoire a imprimé ses drames, tout comme elle a contraint des peuples hétérogènes – natifs, colons, esclaves – à y entretenir des rapports souvent conflictuels. En somme, de quelle façon parvient-on à se re-modeler en contexte post-colonial et décolonial ? Est-il possible de dépasser les anciens clivages qui marquent encore ces territoires et ses habitant.e.s (Haïti ; Chypre et d’autres) ? Les migrants de la Méditerranée et de la Caraïbe ne sont-ils pas les « blessures » que les continents provoquent et veulent ignorer à leurs portes ?
Ce colloque invite à réfléchir à partir de sujets choisis dans une diachronie longue, de l’Antiquité à nos jours, et en privilégiant une optique comparatiste reliant Méditerranée et Caraïbe. Les études s’appuieront sur le(s) champ(s) disciplinaire(s) de leur choix propre(s) aux sciences humaines : Littérature, Philosophie, Histoire, Géographie, Arts, Anthropologie, Ethnologie, Langues, Traductologie… Il s’agit de dégager un regard actualisé, voire utopique, sur les deux archipélités de pensée Méditerranée-Caraïbe, entre ressemblances et différences.
On pourra s’intéresser, par exemple, aux thématiques suivantes :
- l’archipélité en question entre modèle et contre-modèle ;
- les îles interfaces de relations complexes (cultures, colonialismes, circulations, migrations…) ;
- la construction et le codage d’identités plurielles à travers la littérature et les arts ;
- mythopoétique et écopoétique du lieu ;
- les conditions de survie de / dans l’espace insulaire ;
- l’île comme pays (peyi ; chôra) ;
- engranger et dépasser le passé ;
- les auteurs de l’archipélité : Cavafy, Ritsos, Césaire, Condé, Glissant, etc.
- Traduire l’archipélité ;
- la porosité linguistique et l’interculturalité ;
- les situations genrées et hiérarchisées…
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Nous souhaitons inviter un.e écrivain.e de chaque espace, caribéen et méditerranéen, afin de susciter un dialogue vivant.
Les propositions de communication (500 mots au plus, avec une brève présentation bio-bibliographique) sont à envoyer à Cécile Bertin-Elisabeth (cecile.bertin@unilim.fr) et à Franck Collin (franck.collin@univ-antilles.fr).
Date limite des propositions : 30 mai 2021.
Une réponse sera apportée le 15 juin.
Conseil scientifique :
Hedia ABDELKEFI, PR, Université El Manar de Tunis, Littérature française.
Jacques Emmanuel BERNARD, PR, Université de Toulon (section 8)
Cécile BERTIN-ELISABETH, PR, Université de Limoges (section 14)
Alya CHELLY-ZEMNI, MCF HDR, Université de Sousse, Littérature et civilisation françaises.
Franck COLLIN, MCF HDR, Université des Antilles, Martinique (sections 8 et 10)
Vincent COUSSEAU, MCF, Université de Limoges (section 22)
Lucie DEJOUHANET, MCF, Université des Antilles, Martinique / IUF (section 23)
Sylvie HUMBET-MOUGIN, PR, Université de Tours (section 10)
Benaouda LEBDAI, PR, Université du Mans (section 11)
Bénédicte MATHIOS, PR, Université de Clermont-Ferrand (section 14)
Corinne MENCE-CASTER, PR, Université Paris-Sorbonne (section 14)
Sarga MOUSSA, Directeur de recherche CNRS, UMR Thalim, Paris (section 9).
Érick NOËL, PR, Université des Antilles (section 22)
Odile PAUCHET, PR, Université de Limoges (section 9)
Eleonora TOLA, MCF, Université de Cordoba, Argentine, Littérature latine.
Bertrand Westphal, PR, Université de Limoges (section 10)
Michelle ZERBA, PR, Louisiana State University, Baton Rouge, Classical Studies.
Secrétariat :
Elodie DA CUNHA, Université de Limoges
Paula FERNANDEZ HERNANDEZ, Docteure, University of Florida
Liz OVALLES, Docteure, Université des Antilles
Doctorants d’EHIC
Quelques références bibliographiques :
BENÍTEZ ROJO Antonio, La isla que se repite, Barcelona, Editorial Casiopea, 1998 (1989, Ediciones del Norte).
Burkert Walter, Babylon, Memphis, Persepolis: Eastern Contexts of Greek Culture, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 2007.
Braudel Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (1949), volumes 1-3, Paris, Armand Colin, 1996, puis Livre de poche, 1993.
Cavafy Constantin, En attendant les barbares et autres poèmes, trad. de Dominique Grandmont, Paris, Nrf Poésie Gallimard n° 386, 2003.
DELEUZE Gilles, L’Ile Déserte et autres textes (1953-1974), Paris, Ed. de Minuit, 2002.
Détienne Marcel et Vernant Jean-Pierre, Les ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs (1974), Paris, Champs Flammarion, 2009.
Frame Douglas, The Myth of Return in Early Greek Epic, New Haven, Yale University Press, 1978.
GLISSANT Édouard, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990.
Laronde A. et Leclant J. (éd.), La Méditerranée d’une rive à l’autre : culture classique et cultures périphériques, Actes du XVIIe colloque de la villa Kérylos (2006), Cahiers de la villa “Kérylos” n° 18, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, diffusion De Boccard, 2007.
Madou Jean-Pol, « L’Un et le Divers : comment repenser le lyrique, l’épique, le tragique, le politique ? », Poétiques d'Edouard Glissant, Jacques Chevrier (dir.), p.193-202, PUPS, 2005.
MARTINEZ SAN MIGUEL Yolanda, « Colonialismo y decolonialidad archipielágica en el Caribe », Tabula rasa, n° 29, 2018, https://doi.org/10.25058/20112742.n29.03.
MOULIN CIVIL Françoise, NARANJO OROVIO Consuelo y HUETZ DE LEMPS Xavier (coor.), De la isla al archipiélago en el Mundo hispano, Madrid, Universidad Cergy-Pontoise, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, 2009.
Ritsos Yannis, Pierres, répétitions, barreaux, Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1971.
VOISSET Georges (dir.), L’imaginaire de l’archipel, Paris, Karthala, 2003.
WALCOTT Derek, Omeros, New-York, Farrar Strauss and Giroux, 1990.
- The Antilles, Fragments of Epic Memory, The Nobel Lecture (1992), New-York, Farrar Strauss and Giroux, 1993.
- Café Martinique (What the Twilight says, 1998), trad. Béatrice Dunner, Monaco, éd. du Rocher, « Anatolia », 2004.
WESTPHAL Bertrand, L’Œil de la Méditerranée : Une odyssée littéraire, La Tour d’Aigues, France, Éditions de l’Aube, coll. « Regards croisés », 2005.
English version :
MEDITERRANEAN-CARIBBEAN:
COMPARATIVE PERSPECTIVES ON TWO ARCHIPELAGOES
International and Interdisciplinary Conference
Research Groups: EHIC (Limoges), CRILLASH (Martinique) and CRLC (Paris)
University of Limoges, October 13-14, 2021
Co-organizers :
Cécile BERTIN-ELISABETH, PR, University of Limoges (14th section)
Franck COLLIN, MCF HDR, University of the Antilles, Martinique (8th and 10th section)
Call for Papers
This conference at the University of Limoges is designed to bring together two archipelagos (or networks of archipelagos) separated by the Atlantic. While scattered, these island chains have attracted and organized the continents between them, provoked migration and exchanges, combined cultures and languages, and claimed to be countries in their own right by refusing marginalization in the face of the great powers of their time. On their sometimes tiny territories, history has imprinted its dramas, just as it has forced heterogeneous peoples—natives, settlers, slaves—to maintain often conflicting relationships on common soil. Given such complex histories, how might archipelagoes help us remodel ourselves in post-colonial and decolonial contexts? Is it possible to go beyond the old divisions, especially marked in such places as Haiti and Cyprus, that still mark these territories and its inhabitants?
Insular spaces, bordered by continents, without a real center, the Caribbean and the Mediterranean have often been compared as interfaces between different worlds that are open to otherness and exchange. What are the implications of this comparison? Is the likeness a vestige of colonial thought that seeks to apply a European maritime model to an ultra-marine context (http://atlas-caraibe.certic.unicaen.fr/fr/page-23.html)? Édouard Glissant proposed that the Mediterranean (etymologically the Middle Earth) is “a sea that concentrates” (Entretiens de Baton Rouge, 2008). It shapes the unifying and hegemonic thought of Europe. The Caribbean space, by contrast, is an “arched archipelago,” to use Aimé Césaire's words, “a diffracting sea” that is able through creolization to foster pluricultural relationships and the synergy of various codes. Derek Walcott advances a somewhat different perspective. He considers the Mediterranean a mythical sea that can be deterritorialized, adapted by different cultures, and expanded to a planet-sized body of water that functions as a stage for the world. The conference will engage such perspectives in an effort to renew our perceptions of these seas and their possible relationships.
The concept of the archipelago is suggestive, first, because islands geographically impose a living space between confinement and the call from elsewhere; second, because insularity is marked by mental and identity codes that must be deciphered and translated; and third, because archipelagoes present an entre-deux, or an “in-between-two”—between islands and continents, between continuous and discontinuous, between center(s) and margin(s). They both link and separate, multiply and repeat, connect and divide. While being scattered lands—lands before the continent (ante-ilhas), suggests Patrick Chamoiseau of the Caribbean (Éduquer en pays dominé, 1997)—they are intensely poetic places where questions of identity percolate. Such characterizations enable a rethinking of the ancient Greek archipelago, from the Balearics to Cyprus, and create an opportunity to test whether the Mediterranean is a referential matrix (Collin-Zerba, 2018).
The conference invites comparative perspectives on these topics from antiquity to the present day. Papers may focus on francophone, anglophone, or hispanophone areas of study and draw on the fields of literature, philosophy, classics, history, geography, the arts, anthropology, ethnology, linguistics, and translation studies. The aim is to provide an updated examination of the Mediterranean and Caribbean archipelagos focused on the following possible themes :
- the archipelago between model and counter-model
- the islands as interface of complex relations (cultures, colonialisms, circulations, migrations)
- the construction and coding of plural identities through literature and the arts
- the mythopoesis and ecopoesis of the locations
- the conditions for survival of / in the island space
- the island as country (peyi; chôra)
- uses and critiques of the past
- authors of the archipelago: Cavafy, Ritsos, Césaire, Condé, Glissant, Walcott, Saint-John Perse…
- translations of archipeleity
- linguistic porosity and interculturality
- gender, sexuality, and archipelagoes
The organizers will invite a Caribbean and a Mediterranean writer to the conference in order to generate a living dialogue.
Proposals of no more than 500 words should be sent to Cécile Bertin-Elisabeth (cecile.bertin@unilim.fr) and to Franck Collin (franck.collin@univ-antilles.fr).
Deadline for proposals: April 30, 2021
Announcement of acceptance: May 15, 2021