Post-animaux
Du mode d’existence des animaux techniques
17 et 18 novembre 2022
Université de Lorraine, Nancy
Laboratoire Littératures, Imaginaire, Sociétés (LIS – E.A. 7305)
Des animaux de George Orwell (Animal Farm. A Fairy Story, 1945) aux singes de Pierre Boulle (La Planète des singes, 1963) en passant par les chiens de Simak (City, 1952, dont Jean-Michel Besnier emprunte le titre français pour son fameux Demain les posthumains, 2009), la fiction n’a pas manqué, dans l’extension du territoire de ses imaginaires, d’envisager un monde dominé par des espèces animales étrangement autres. Elle se plait, tout autant, à mettre en scène des créatures modifiées, hybridées, augmentées, altérées, mêlant aux plaisirs chimériques d’un Knopff les excès et les horreurs scientifiques d’un Moreau. Devant l’accroissement des projets de recherche, colloques, thèses consacrés à la fois au posthumain et au transhumain, ce colloque souhaite interroger ce que le sujet animal peut faire aux théories du posthumanisme : que sont / qui sont les post-animaux ?
Notre époque ayant richement commenté la « malléabilité première » de l’homme, son « absence d’essence [qui] l’ouvre à tous les possibles » (Besnier, 2009), nous souhaitons dorénavant explorer et caractériser la malléabilité animale, à partir des directions aussi bien fonctionnelles (à des fins alimentaires, par exemple) que fictionnelles que nous lui faisons prendre. Car si l’animal semble avoir partagé le régime organisationnel dont a voulu se doter le sujet humain par son élan technique, il n’a pas semble-t-il, en revanche, en-dehors de la fiction qui en fait aisément des machines à tuer (pensons aux hybrides de We3, de Grant Morrison et Frank Quitely), bénéficié des promesses qui ont accompagné cet élan : extension de la durée de vie, recul de la maladie, amélioration des conditions d’existence, etc.
Nous postulons que l’environnement technologique, dont l’intimité grandissante a fait émerger les théories consacrées au posthumain par le biais aussi bien de l’hybridité que de la mutation et, plus généralement, de la transgression, ne saurait être appréhendé qu’au regard de ses enjeux directement humains ; que devenant un mode de pensée et d’appréhension du monde, le technologique déplace l’animal lui-même vers des territoires qui lui prêtent de nouveaux contours et, parfois, empêchent de penser l’animal pour et par lui ; que l’appel au franchissement de toutes les frontières impose de questionner la possibilité même du devenir animal. Qu’il y a lieu, donc, de penser ce que nous appellerons, reprenant Simondon, le « mode d’existence des animaux techniques ».
Ainsi les monstrueux porcs usinés de Jean-Baptiste Del Amo (Règne animal, 2016) sont-ils déjà des post-animaux, comme le seraient peut-être tous les animaux élevés industriellement – un destin auquel Vincent Message offre une saisissante (et, pour d’aucuns, contestable) analogie (Défaite des maîtres et possesseurs, 2016). Car si les appareils et dispositifs technologiques font désormais « partie de l’organisme humain, au même titre que la coquille des mollusques » (Arnold Gehlen, L’Homme : sa nature et sa position dans le monde, 1940), nul doute qu’ils font également partie de l’organisme de nombre d’animaux, jusqu’à déterminer leur croissance, leur constitution autant que leur cadre d’existence : des animaux unidimensionnels, pour paraphraser Marcuse, alors même que les fantasmes d’hybridité (qui s’expriment, par exemple, dans certaines communautés dites fandom furry) invitent de plus en plus à des identités que nous pourrions qualifier de species fluid.
À ce titre, nous souhaitons investir le champ élargi de notre « zoologie des songes », selon le mot de Borges, dont les sentiers passent aussi par le Oryx and Crake de Margaret Atwood que par le récent Plasmas de Céline Minard : animaux modifiés, altérés, hypertrophiés peuplent les mondes post-apocalyptiques, fantastiques, post-exotiques, ouvrant à une lecture renouvelée du monde (pensons, entre autres, à la courte scène du cerf dans le premier épisode de la série The 100, vision qui introduit les adolescents dans leur nouvel environnement – Jason Rothenberg, 2014-2020). Animaux augmentés, aussi, de Godzilla aux dinosaures de Jurassic World, en passant par les célèbres Ninja Turtles de Kevin Eastman et Peter Laird. Animaux clonés, dont la brebis Dolly et le chien Snuppy ont été les figures de proue (Dolly devenant un objet critique privilégié de Walter John Mitchell dans What do Pictures Want ?, 2005). Animaux intégrés, encore : car si l’on a questionné l’identité super-héroïque à partir de l’intégration de la part animale, peut-être peut-on bouleverser la perspective pour se demander ce que signifie pour l’araignée sa survivance dans Spiderman, pour le chat sa présence en Catwoman. Que vaut, encore, pour les animaux, la fabrique du regard attendri qu’offre le travail plastique de Patricia Piccinini (Guillaume Baychelier, « Devenir mutant de la jeunesse dans l’œuvre de Patricia Piccinini : de l’hyperréalisme comme prodrome au posthumain », Otrante, n°45, 2019) ?
En somme, quel sens les motifs, concepts et processus habituellement questionnés dans le champ de réflexion consacré au posthumain prennent-ils au contact de l’animal ?
Enfin, si l’on a pu se plaire à interroger les modalités et les enjeux culturels et intellectuels de mondes dominés par d’autres espèces que l’homme, le monde post-animaux peut également être celui désormais privé de présence animale, qu’il s’agisse du monde post-bisons de l’ouest américain, de la disparition des fermes dans nos campagnes, ou plus généralement de ce que le langage commun appelle la sixième extinction de masse. C’est peut-être là l’une des explications du développement, depuis plusieurs décennies, d’animaux artificiels (chien robot Aibo de Sony, Tamagotchi, jeux vidéo Nintendogs) dont le rapport à l’humain ne semble plus seulement cantonné à la sphère ludique. Dominique Lestel y voit une « adaptation à [la] désertification du monde » animal (Nous sommes les autres animaux, 2019) dans la mesure où, comme le notait dès la fin des années 1970 Paul Shepard, il existe un seuil à partir duquel les êtres humains sont si nombreux que l’existence d’autres grands animaux devient impossible.
Nous nous demanderons donc ce que produit un monde privé de certains animaux – et privé avec eux d’une ouverture au langage, d’une possible « zoopoétique » dont la valeur est d’apporter « un savoir – et non pas simplement une représentation – spécifique et novateur sur le vivant, en reliant cette notion à son incarnation dans une pluralité de formes vitales » (Anne Simon, https://animots.hypotheses.org/zoopoetique). Inversement, il conviendrait de se demander ce que l’absence humaine ferait aux animaux : un exercice auquel se plient Sébastien Steyer et Marc Boulay dans Demain. Les animaux du futur, ou Camille Brunel dans Après nous, les animaux.
« Quel type d’hommes allons-nous construire ? », interrogeait Vance Packard dans The People Shapers. Dans le « brouhaha » des corps animaux, nourris comme le contemporain au grain modifié d’une « dynamique de décentrement, de débordement, de décadrage, instituant un nouvel imaginaire » (Lionel Ruffel, Brouhaha, 2016), mais également des enjeux potentiels de ce que Dominique Lestel appelle le zoo-futurisme, nous souhaitons par le prisme de nos fictions (mais pas seulement), qu’elles soient littéraires, cinématographiques, télévisuelles, vidéoludiques ou autres, nous demander quel type d’animaux nous avons construit et voulons construire à l’ère du post.
Modalités de soumission : Les propositions de communication, suivies de quelques lignes de présentation de l’auteur, sont à envoyer pour le 01 avril 2022, aux deux adresses suivantes : matthieu.freyheit@gmail.com et victor-arthur.piegay@univ-lorraine.fr
Le colloque se tiendra en présentiel ou ne se tiendra pas.