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Penser et écrire la trace : entre présence et absence (Hammamet, Tunisie)

Penser et écrire la trace : entre présence et absence (Hammamet, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Martine Jacques)

Colloque international

Penser et écrire la trace : entre présence et absence

Partenariat entre le Laboratoire LERIC (Université de Sfax), le Laboratoire CPTC EA 4178 et la Mission Recherche INSPE (Université de Bourgogne) 

Hammamet, 23-24 octobre 2025  

Ce colloque s’inscrit dans le cadre du projet de partenariat porté par le laboratoire LERIC de l’Université de Sfax ainsi que par le laboratoire CPTC et la mission recherche de l’INSPE de l’Université de Bourgogne en prolongement du colloque inaugural « Trace et lecture : mémoire, interprétation, imaginaire et création », qui s’est tenu les 26 et 27 septembre 2024 à la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon. Cette rencontre a permis d’interroger les interactions entre la trace, l’écriture et la réception, de souligner la nature protéiforme de cette notion de trace – à la fois vestige, indice, empreinte, symptôme et preuve – et de mettre en lumière des questionnements inédits portant notamment sur la matérialité des traces, la lecture des traces devenues indices par le jeu de la connaissance/reconnaissance et leur rôle dans la construction des identités de lecteurs et de créateurs . 

Le deuxième volet du projet se propose d’élargir et d’approfondir la réflexion en explorant les dimensions historiques et mémorielles, mais aussi poétiques et philosophiques de la trace. En s’appuyant sur l’analyse des différentes émergences de la trace dans l’histoire, la littérature et les arts, on privilégiera en particulier quatre principaux domaines d’étude, sans toutefois refuser des perspectives inattendues et motivées.

Axe 1 : La trace : objet historique et épistémologique

Etre à l’affût des traces, telle est la tâche des archéologues qui consiste à reconstituer à partir de traces précaires la structure d’un événement du passé, en adoptant « un paradigme de l’indice à l’œuvre »[1]. C’est aussi le fondement de la praxis des historiens et de la réflexion des épistémologues de l’histoire, dont Paul Ricoeur qui, dans une définition empruntée à Simiand, a défini la discipline historique comme « une connaissance par traces ». Cette définition pose dès le prime abord la question de la reconnaissance/survivance des traces et, partant, celle de la « représentation » puisque la trace, qu’elle soit vestige, empreinte ou indice laissé par un événement ou un phénomène passé, ne rend jamais présent ce qui est absent mais témoigne d’une présence-absence dont elle a conservé une marque. D’où le statut paradoxal de la trace qui, en faisant partie du monde muet des choses au sens large, s’attache moins à représenter qu’à présenter la non-présence de l’Absent. Ce qui corrobore la nature indirecte et souvent partielle et précaire de la trace, qui renvoie à une réalité absente toujours exposée à l’oubli,  à l’effacement et à la réinterpréation. 

Une aporie qui a troublé les philosophes depuis Platon. Car c’est par la médiation de l’altérité, sa mémoire et son écriture que les traces peuvent devenir des « objets pensants »[2], l’objet d’un acte de compréhension portant une temporalité passée. Cette idée est au cœur de la réflexion d’Arendt pour qui la signifiance de la trace ne se déploie qu’en dehors de celui qui la genère : « Pour devenir choses de ce monde…, il leur faut d’abord être vues, entendues, mises en mémoire, puis transformées, réifiées, pour ainsi dire, en objets : livres, tableaux ou statues, documents et monuments de toutes sortes… »[3].

Ce qui suscite en nous plusieurs interrogations émanant de la complexité et de l’ambiguité de la notion de « trace » : les traces doivent-elles leur existence à « l’écriture aveugle de la causalité » ou sont-elles mises en scène ? Quel passé peut-on reconstituer à partir de traces laconiques et partielles ?  Les techniques contemporaines d’analyse archéologique modifient-elles la nature et le sens des traces répérées ? L’historiographie mobilise-t-elle de nouveaux objets en tant que traces ? Lesquels et sous quelle forme ? Quels sont les effets de ces mobilisations dans l’épistémologie de la discipline ? Comment cette évolution épistémologique peut-elle être liée aux formes poétiques et littéraires de l’écriture mémorielle ? L’écriture historiographique ou créatrice ainsi que les enjeux et les formes contemporaines de la commémoration sont-ils à même de préserver ces traces mémorielles, toutes lacunaires et fragiles qu’elles soient, de la perte et de l’oubli ? Les participants pourront proposer une réflexion théorique globale ou un cas d’étude précis pour soulever ces interrogations et contribuer à la réflexion globale sur les traces. 

Axe 2 : La trace dans les littératures de l’intime 

La question de la trace est aussi spécifiquement posée dans l’autobiographie qui puise par définition dans les souvenirs en portant un regard rétrospectif sur le passé de l’écrivain, sans pour autant annihiler les traces de la poèsis. Rappelons que cette question a été au centre des réflexions de Philippe Lejeune, dans Pour l’autobiographie, qui affirme, en citant Thibaudet, le caractère fictif et romanesque de l’autobiographie : « L’autobiographie, qui paraît au premier abord le plus sincère des genres, en est peut-être le plus faux… »[4]. Elle interroge également la possibilité même de saisir le moi dans sa totalité, puisque les traces du « je », souvent fragmentaires et laconiques, rendent difficile toute tentative de reconstituer la mémoire de soi, laquelle est constamment exposée à la menace de l’oubli, même si l’amnésie devient chez certains écrivains et artistes un vecteur de la reconstruction d’une mémoire occultée. L’écriture de l’intime soulève aussi la question de la trace traumatique ou de la trace mnésique qui laisse des traces indélébiles dans la mémoire pour habiter l’imaginaire et la psyché de l’écrivain. Cette trace peut avoir une dimension spectrale et se transformer en une véritable hantise sous l’effet de son incessante revenance. Comment résister à la hantise de la trace spectrale ? Dans quelle mesure l’écriture peut-elle remédier aux défaillances de la mémoire ? Comment figurer l’oubli ? Le discours de l’affect dissimule-t-il les traces de l’intellect ? Autant de questions qui pourraient orienter les participants qui s’interrogent sur la dynamique de l’éffacement/reconstruction de la mémoire du « je » dans la littérature intime.

Axe 3 : L’imaginaire de la trace dans la littérature, les arts visuels et la musique 

« Seules les traces font rêver »[5], dit René Char. Cette affirmation atteste la dualité de la trace, qui se tient à mi-chemin entre réalité matérielle et réalité symbolique et pose la problématique de la mémoire et de l’imagination exposée par Platon en établissant une relation entre l’eikõn, (l’image, ou l’imagination) et le tupos, l’empreinte, abordée par la métaphore du bloc de cire. Fugace et énigmatique, la trace constitue un puissant ressort de la création dans la littérature et les arts. En témoigne Bonnefoy, en l’occurrence, pour qui la poésie est une quête où le poète est à l’affût des traces d’une présence perdue, une quête toujours recommencée incarnant l’essence même de la poésie qui n’est que la trace de ce qui manque. C’est aussi l’exemple de Proust qui fait de la trace olfactive, dans À la recherche du temps perdu de Proust, le catalyseur de l’« épiphanie temporelle » que déclenche le souvenir de l’odeur d’une madeleine. La notion de trace nourrit également l’imaginaire artistique dans le domaine des arts plastiques où le médium porte les traces du réel sans pour autant les figurer ainsi que le « tracé » du geste créateur où l’effacement en tant que technique fait naître paradoxalement la trace de sa propre disparition. La trace constitue aussi le « noème » de la photographie qui se définit à la fois comme une image-représentation et comme un « indice séparé », séparé spatialement et temporellement de son référent, puisque l’essence de la photographie est le « Ça-a-été », comme l’a bien developpé Barthes dans L’Obvie et l’obtus. Cela nous fait aussi réfléchir à la notion de l’ « aura », telle qu’elle est définie par Benjamin, qui arrache la trace photographique à son épaisseur référentielle et lui confère une sorte d’ubiquité. Comment l’écriture, chez certains écrivains, se transforme-t-elle en un acte archéologique révélant des traces historiques et corporelles qui résistent à l’oubli et donnent forme à l’indicible ? Comment la trace fonctionne-t-elle comme matrice créatrice structurant l’imaginaire littéraire et artistique ?  Qu’est-ce que cela dit aux récepteurs d’un rapport spécifique au temps, au monde et à la beauté au sein d’une oeuvre? Ici également sont attendues des propositions d’études monographiques, historiques ou  théoriques de la part des participants. 

 Axe 4 : Traces numériques : entre permanence et évanescence

À l’ère du numérique, la trace se démultiplie, en donnant lieu à une surabondance d’informations dont le rythme de publication est quasi frénétique, tout en étant éphémère et évanescente. Donnons à titre d’exemples les stories et les snaps qui tirent leur importance de leur fugacité et de l’effacement rapide de leur trace. De même, les traces laissées dans les méandres de la toile numérique, telles que les empreintes digitales et les traces biométriques, posent la problématique de la monétisation des données personnelles des utilisateurs, lesquelles livrées au partage, donnent lieu à une perte de contrôle rendant incertain l’effacement des traces, d’autant plus que les nouveaux outils numériques (cloud, clé USB …) permettent d’élargir infiniment le champ des traces et que toute manipulation est susceptible de laisser une trace sur le web. Ce qui nous amène à nous interroger sur les nouvelles reconfigurations de la relation entre mémoire et oubli dans le cadre des enjeux des traces numériques. Pour tenter de répondre à ces questions, les intervenants pourront mobiliser les œuvres de créateurs contemporains qui interrogent ces nouvelles configurations problématiques de la trace, ou proposer des analyses sociologiques ou politiques en lien avec une nouvelle histoire des sociétés contemporaines soumises à la numérisation. 

La diversité des questions liées à la notion de la trace, qu’il s’agisse des relations entre mémoire et oubli, ou de la question de la relation entre mémoire et imagination ou entre permanence et fugacité des traces numériques, atteste la profondeur et la complexité de cette notion protéiforme que nous pouvons interroger à travers ses multiples facettes : la trace-empreinte, la trace-indice, la trace-vestige, la trace-spectre, la trace-aura... Loin de prétendre à l’exhaustivité, ces pistes permettront d’engager une réflexion collective autour de cette notion pluridisciplinaire qui intéresse aussi bien les historiens, les philosophes, les sociologues  que les littéraires, les artistes et les spécialiste des TIC.

Indications bibliographiques

§  AUGE Marc, Les formes de l’oubli, Payot et Rivages,1998.

§  ARISTOTE, De la mémoire et de la réminiscence 449a 15.

§  BARONI, Raphael, L’Œuvre du temps : poétique de la discordance narrative, Paris, Seuil, coll. Poétique, 2009. 

§  BARTHES Roland, La Chambre claire, Paris, Gallimard, 1980.

§  BENJAMIN Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Payot et rivages, 1935.

§  BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1974.

§  DE CERTEAU Michel, L’Absent de l’histoire, Paris, Mame, 1973. 

§  DERRIDA Jacques, De la grammatologie, Paris, Editions de Minuit, 1967. 

§  DIDI-HUBERMAN Georges, L’Image survivante : Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Minuit, 2002.

§  GINZBURG Carlo, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », In Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989. 

§  KRÄMER Sybille , « Qu’est-ce donc qu’une trace, et quelle est sa fonction épistémologique ? État des lieux », in : https://doi.org/10.4000/trivium.4171 

§  LEJEUNE Philippe, Pour l’autobiographie, Paris, Seuil, 1998.

§  MAULPOIX Jean-Michel, Pour un lyrisme critique, Paris, José Corti, 2009.

§  NORA Pierre, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997.

§  PLOUVIER Paule, « Pour une poétique de la trace : reste d’un tout ou insaisissable scansion ? » in Lafont, Suzanne, Le reste, Presses universitaires de la Méditerranée, 2006, https://doi.org/10.4000/books.pulm.1595.

§  SERRES Alexandre, « Problématiques de la trace à l’heure du numérique », Sens-Dessous, 2012/1 (N° 10), pp. 84 -94.

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Comité scientifique

Hédia Abdelkéfi (Université Tunis El Manar)

Hervé Bismuth (Unievsité de Bourgogne)

Virginie Brinker (Université de Bourgogne) 

Mohamed Chagraoui (Université Tunis El Manar)

Arbi Dhifaoui (Université de Sfax)

Laurent Jenny (Université de Genève)

Mohamed Jerbi (Université de Sfax)

Martine Jacques (Université de Bourgogne)

Sylvie Laigneau-Fontaine (Université de Bourgogne)

Caroline Raulet-Marcel (Université de Bourgogne)

Abdelwahed Mokni (Univesité de Sfax)

Salem Mokni (Université de Sfax)

Bernadette Mimosa-Ruiz (Université Catholique de Toulouse)

Fathi Rekik (Université de Sfax)

Kamel Skander (Université de Sfax)   

Séverine Tailhandier-Barbero (Université de Bourgogne) 

Saadia Yahia-Khabou (Université de Sfax). 

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Responsables du colloque :

Saadia Yahia-Khabou

Martine Jacques

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Comité d’organisation :

Saadia Yahia-Khabou

Martine Jacques

Samah Hajloui

Nadia Ben Ali

Yosra Ben Taieb.

Modalités de participation :

Merci d’envoyer votre proposition (titre, résumé de 500 mots maximum, axe principal d’inscription, références bibliographiques principales) et une brève notice bio-bibliographique aux deux adresses suivantes avant le 20 juin 2025 :

saadiayahia@gmail.com 

martine.jacques@u-bourgogne.fr 

En cas d’acceptation, les participants seront notifiés au plus tard le 25 juin 2025. 

Frais de participation :

220 euros pour les participants étrangers ; 370 dinars pour les participants tunisiens (chambre double)

Les sommes indiquées couvrent un séjour de deux nuitées dans un hôtel en pension complète, les pause-cafés et les frais de publication des actes du colloque. Rappelons que les trajets sont à la charge des intervenants. Veuillez noter aussi que le paiement s'effectuera à l'avance, avant le début du colloque, par virement bancaire.


 
[1] Christoph Kümmel, « Wie weit trägt ein Indizienbeweis ? Zur archäologischen Überführung von Grabräubern  », in : Veit, Th. et al, Spuren und Botschaften. Interpretationen materieller Kultur, Münster, Waxmann, 2003, p. 135-156. Cité par Sybille Krämer, « Qu’est-ce donc qu’une trace, et quelle est sa fonction épistémologique ? État deslieux », Trivium [En ligne], 10 | 2012, mis en ligne le 30 mars 2012, consulté le 07 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/trivium/4171
[2] Romain Couderc, « Hannah Arendt et l’écriture de l’Histoire : les traces d’une mémoire à venir », Cahiers de philosophie de l’université de Caen [En ligne], 59 | 2022.
[3] H. Arendt, The Human Condition, Chicago – Londres, The University of Chicago Press, 1998, p. 95 ; trad. fr. : Condition de l’homme moderne, G. Fradier (trad.), Paris, Calman-Lévy (Agora ; 24), 1994, p. 140.
[4] Philippe Lejeune, Pour l’autobiographie, Paris, Seuil, 1998.
[5] René Char, La parole en archipel, Paris, Gallimard, 1962.