Compte rendu publié dans Acta Fabula (septembre 2022, vol. 23, n° 7) :
"À la recherche de quelque chose de plus hauts" par Mathilde Grasset.
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Il existe des lieux devant lesquels les hommes ont éprouvé depuis des millénaires peur et effroi : montagnes, océans, forêts, volcans, déserts. Inhospitaliers, hostiles, désolés, ils font songer à la mort, ils nous humilient de leur grandeur et nous menacent de leur puissance. Cependant, dès le début du XVIIIe siècle, ils commencent à être perçus comme « sublimes », dotés d’une intense et bouleversante beauté.
Cette inversion radicale du goût n’a pas seulement une importance esthétique : elle implique une nouvelle façon de forger l’individu grâce au défi lancé à la grandeur et à la domination de la nature. De cette confrontation naît un plaisir inattendu mêlé de terreur, qui, d’un côté renforce l’idée de la domination de l’homme, de
l’autre, contribue à lui faire découvrir la volupté de se perdre dans le grand tout.
Après avoir atteint leur zénith, les théories et le sentiment du sublime connaissent une éclipse au moment où le rapport de force paraît s’inverser : quand l’humanité occidentale croit avoir commencé à défaire la nature, à dévoiler ses secrets et à asservir ses énergies.
Le sublime se déplace alors toujours plus de la nature à l’Histoire et de l’Histoire à la politique. Même si le développement des technologies a rendu désormais scélérate la lutte contre une nature offensée et blessée, les immenses espaces intersidéraux semblent ouvrir de nouvelles perspectives au sublime.
Quel rapport entretenons-nous avec une nature dont des pans entiers sont aujourd’hui domestiqués ? Comment le sublime peut-il continuer à développer ce rôle qui consiste à nous sauver de la platitude intellectuelle et de la torpeur émotive nous tirant de la banalité du quotidien ? Quel est le destin de l’humanisme ?
Cet essai répond à ces questions – fascinant par ses qualités de lucidité, de rigueur et de lisibilité – à travers une cartographie documentée des territoires du sublime et une interprétation aiguë de ses métamorphoses historiques et théoriques.
Remo Bodei, professeur de philosophie à la University of California Los Angeles, à l’École Normale Supérieure et à l’Université de Pise, fut l’auteur de très nombreux ouvrages consacrés à la philosophie moderne et contemporaine dont, aux Belles Lettres, Ordo amoris, Conflits terrestres et bonheurs célestes (2015).
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Table des matières
Prologue
Première partie. Défi à la nature
Chapitre I. Développer sa propre personnalité
Loci horridi et loci amoeni
Du beau au sublime
Orgueil et effroi
Nature sublime
Donner une consistance à soi-même
Et in Arcadia
La mort et l’instinct d’autoconservation
Le miroir de notre grandeur
Chapitre II. L’obscurité derrière la haie
Le plaisir et les limites
Les « situations romantiques »
Beauté vague
La fin d’une parabole
Deuxième partie. Les lieux du sublime
Chapitre I. Montagnes
De la peur à la découverte
Mont Blanc
La fleur bleue
Chapitre II. Océans
L’élément infidèle
Il n’existe pas de retour
Chapitre III. Forêts
Ingens sylva
L’herbe et le ciel
Chapitre IV. Volcans
La neige et le feu
Sterminator Vesevo
Chapitre V. Déserts
Périls et fascination pour les déserts
Où se rencontrer soi-même
Terre d’éternité
Troisième partie. Migrations du sublime
De la nature à l’Histoire
L’élan vers le haut est-il épuisé ?
Le sublime intramondain
Espérances et frustrations
Le sublime politique moderne
Banalités sublimes
Réactifs
Plus ultra
Index