Essai
Nouvelle parution
T. W. Adorno, Notes sur la littérature (poche)

T. W. Adorno, Notes sur la littérature (poche)

Publié le par Bérenger Boulay

Theodor Wiesengrund Adorno, Notes sur la littérature. Paris: Flammarion, coll. "Champs Flammarion Sciences", mars 1999, 438 p.

[Autre édition: Flammarion, coll. "Nouv.bibl.scientifique"]

  • ISBN-10: 2080814303
  • ISBN-13: 978-2080814302
  • 14.48 €

Notice publiée sur Fabula en 1999 par Alexandre Gefen:

Les Notes sur la littérature d'Adorno, études très variées parues pour la première fois en 1984, reparaissent en poche (champs). On gagera qu'elles enrichiront notre vision d'un grand critique, souvent réduit à l'arrière-plan idéologique de ses études, et dont les réflexions sur la musique continuent par exemple d'influer notablement sur la création contemporaine.
AG

Notice de Michel Crépu (L'Express):

Par l'une des figures cardinales de l'école dite «de Francfort», unouvrage capital dans l'histoire de la réflexion sur la littérature.Adorno, pour qui «il ne saurait exister de poésie après Auschwitz», selivre à une série d'études à propos de Balzac et Proust, Valéry etBeckett. Il ne s'agit pas ici de philosopher par-dessus les oeuvres,mais au contraire d'entrer dans la connaissance de leurs «contenus devérité». C'est la forme de l'essai à son apogée.

Notice de Joël Jégouzo (Urbuz.com):
Réédition d'une série d'articles et d'essais, dontcertains ouvrirent de salutaires polémiques dans le champ de la théoriede la littérature. Ce fut le cas en particulier de l'étude de 1958 : L'essai comme forme,qui prenait pour cible le redoutable théoricien marxiste G. Lukàcs. Ala base de la conception d'Adorno, l'idée d'un hiatus entre les mots etles choses. Ce hiatus se manifeste spectaculairement entre l'oeuvred'art et le discours qui prétend en saisir la réalité. Du coup, il nes'agit plus, pour le théoricien, de chercher à comprendre l'oeuvre, maisbien plutôt son caractère incompréhensible. Le malentendu, l'erreur, lamauvaise compréhension constituent désormais l'état naturel dans lequelse trouve le critique au moment de commencer sa recherche. La méthodequ'il va employer, dès lors qu'il s'agit pour lui de saisir un termenon conceptuel qui reste caché à lui-même, ne pourra être queparadoxale et relevant d'une intention utopique. Dans cette conception,l'essai représente un défi à l'idéal de la claire conscience, de laperception distincte, tout comme à la certitude intellectuelle. Defait, la théorie de la connaissance sur laquelle s'appuie Adorno,s'élabore depuis une critique radicale des règles cartésiennes quifondent le Discours de la méthode.
La Dialectique négativequ'il construit affirme donc le primat du non-identique de l'objet. Lerapport qu'entretient le sujet avec l'objet est un rapport mimétique.L'essai en explicite la position à travers sa fonctionépistémologique : il a pour tâche d'exprimer la non-identité,c'est-à-dire de "se rapprocher de l'ici et du maintenant de l'objet",que le concept ne peut restituer. Il se trouve ainsi placé devant leparadoxe d'utiliser le concept en le retournant contre lui. C'estd'ailleurs en cela qu'il n'est pas une forme artistique, comme lecroyait Lukàcs : il est une forme de la philosophie.
Si lenon-identique mobilise la vérité de l'essai, alors sa fonction critiqueest d'obliger l'oeuvre à se rappeler sa propre non-vérité, par exemplece paraître que contient le langage dans lequel elle se déploie.L'essai adornien abolit du coup le concept traditionnel de méthode. Ildoit atteindre la chose au-delà du concept, mais ne peut y aller qu'aumoyen du concept… La question de la méthode se référera alors à cellede savoir comment s'approprier le concept. L'essai ne peut s'enremettre pour cela à une définition de ceux qu'il manipule : seulsleurs rapports réciproques peuvent les préciser. L'image qu'Adornodonne de cette situation est désormais célèbre : c'est celle del'expérience que chacun peut faire de l'apprentissage d'un vocabulairequi lui est inconnu, en pays étranger. De sorte que jusque dans samanière d'exposer ses découvertes, l'essai ne peut avancer comme s'ils'agissait de réduire peu à peu son objet. Comme la réalité, la penséeest faite de ruptures. La parataxe devient ainsi une figure privilégiéede l'essai, qui désavoue la déduction stricte au profit des chemins detraverse. Ou encore : la vérité ne peut être déduite comme une chosetoute prête. A la fin de la recherche, la forme que l'essai prend,traduit seulement le fait que le conflit entre les mots et les choses atrouvé provisoirement un langage.
Une telle conception ne pouvait laisser indemne l'oeuvre d'art. Dans un autre essai, La naïveté épique,Adorno repère les petits accidents grammaticaux qui viennent briser "leflux amorphe du mythe", dans le texte homérique. Le récit laisseremonter à sa surface des impuretés. Si bien qu'aucun récit "ne sauraitjamais avoir part à la vérité s'il ne jette un regard vers l'abîme oùsombre le langage qui voudrait s'effacer lui-même dans le nom etl'image.". L'oeuvre est immergée dans un contexte d'aveuglement. Qu'yfaire ? Sa situation dans le monde est aporétique : plus elle estcommunicable, portant ainsi en elle une certaine efficacité sociale,plus elle se dégrade. Car l'oeuvre vraie est toujours critique, doncpolitiquement inefficiente. Sa logique ne peut être qu'une logique dedécomposition. Partant, sa forme constitue quelque chose comme safaillite virtuelle. L'artiste, quant à lui, ne peut plus être considérécomme un créateur. Il est un médiateur, celui qui, par son travail,devient une sorte de "vicaire du sujet social global". Cette conceptioninstrumentale du génie artistique conduit Adorno a rejeter l'idéed'oeuvre majeure, reflet d'une hypothétique totalité. A méditer. C'estd'ailleurs ce que lui reproche J. Habermas (cet horizon spéculatif) :il faudrait aller jusqu'au bout et penser le système de l'oeuvre dansson autonomie radicale, en dehors de toute philosophie de laconscience. Ce que Niklas Luhmann fera quelques années plus tard. Maisc'est une autre histoire.--Joël Jégouzo--