Les 20 et 21 octobre 2022 - Sorbonne Nouvelle
Soumissions des résumés : 6 juin 2022
Notification d'acceptation : 1er juillet 2022
Conférence plénière :
Antonio Toral, Computational Linguistics Group, Center for Language and Cognition, Université de Groningen
Introduction
Début 2020, nous avions évoqué l’opportunité d’organiser un cycle de séminaires du TRACT consacré à la traduction automatique (TA) des textes littéraires. Depuis, cette question fait l’objet d’un nombre toujours croissant de colloques, articles et autres monographies. Ce sont probablement les « progrès » fulgurants des outils de TA mis à la disposition du grand public — en particulier DeepL et Google Translate qui utilisent les avancées de la Traduction automatique neuronale (TAN) de la dernière décennie — qui ont rendu désormais incontournable la prise en compte de ce phénomène par le milieu de la traduction littéraire.
En effet, ces outils, notamment en raison de leur capacité à traiter quasi instantanément une quantité de texte impressionnante, viennent renforcer dans l’imaginaire du public l’idée selon laquelle la traduction, le passage d’une langue à l’autre comme l’on dit communément, est « automatique », direct, manifestation d’un rapport biunivoque qui unirait deux langues entre elles. C’est revenir à une conception simpliste de la langue, vue comme un simple code, que les traducteurs se contenteraient de décoder puis ré-encoder, en suivant des règles de transformation ou algorithmes.
C’est d’ailleurs ainsi que les premières machines à traduire ont été imaginées et conçues avant d’être supplantées par la traduction statistique puis par la traduction automatique dite « neuronale ». Cependant l’échec cuisant et patent des premières tentatives de traduction automatique conduisit à la suppression totale et subite du budget accordé à ces recherches en 1966 aux États-Unis suite aux conclusions du rapport ALPAC. De plus, les imperfections encore sensibles de la TA ne s’appuyant que sur le traitement statistique d’énormes corpus parallèles semblaient ne jamais pouvoir remettre en question le rôle des traducteurs humains (encore appelés « bio-traducteurs »). Jusqu’à une date récente, seuls les traducteurs spécialisés ou pragmatiques avaient souvent recours à la traduction assistée par ordinateur ou TAO. Pourtant, avec l’avènement rapide de la TAN, même les traducteurs littéraires craignent de voir leur autonomie, leur statut d’auteur (leur “agentivité”/agency) menacés. La dimension créative du travail, revendiquée par les traducteurs depuis tant d’années, serait oubliée pour laisser place à une activité ancillaire—de correcteur ou correctrice, dans le cadre de ce qu’on appelle désormais la post-édition. L’homme au service de la machine en quelque sorte.
En effet, on voit bien quels avantages des éditeurs peu scrupuleux pourraient en tirer. Notamment s’agissant de la littérature dite de « genre », qui, de fait, s’inscrit souvent, dès l’écriture originale, dans des cadres assez « formatés » répondant à des schémas souvent répétitifs. La traduction automatique neuronale d’ouvrages de fantasy ou de romance, par exemple, permettrait un formidable gain de temps et donc d’argent qui ne manquerait pas de modifier les pratiques du monde de l’édition.
Tout se passe donc comme si, face à cette situation, les praticiens et théoriciens de la traduction littéraire, ne pouvaient plus rester attentistes. L’Observatoire de la traduction automatique mis en place en 2019 par ATLAS, l’Association pour la promotion de la traduction littéraire, en est une des illustrations concrètes en France. Il ne s’agit pas d’adopter une position défensive, mais de tenir compte du changement de paradigme dans la traduction qu’implique l’émergence de la TAN. Celle-ci, de toute façon, ne disparaîtra pas et est même susceptible, selon certains spécialistes de l’I.A., de progrès qui, à terme, pourraient supplanter les bio-traducteurs.
C’est pourquoi, au-delà des craintes suscitées par la TAN chez les professionnels de la traduction, et au-delà des critiques sur la qualité des traductions qu’elle produit, nous souhaitons nous interroger sur les déplacements que la TAN induit dans nos manières d’envisager la traduction. En d’autres termes, ce que fait la TAN au concept de traduction et, partant, à la théorie de la traduction. Comment notre expérience de la traduction, modifiée par la présence de la machine, infléchit nécessairement notre manière de réfléchir (sur) la traduction. La machine est-elle à même de saisir la singularité du style d’un auteur, de ce qu’il fait avec et à la langue ? Peut-elle trouver une stratégie capable de restituer cette transformation complexe, d’une manière ou d’une autre ? Cela nous conduit à une interrogation renouvelée sur ce que veut dire « comprendre » un texte, et plus généralement « lire » un texte, a fortiori si on considère avec G. Steiner que « comprendre c’est traduire ». Peut-on dire que la machine lit le texte pour le traduire comme le fait le bio-traducteur ? Traduire implique la mise en œuvre d’une forme extrêmement raffinée de la pensée. Or la question posée dès 1950 par Alan Turing, l’un des pères de l’intelligence artificielle (IA), n’était-elle pas « Can machines think? », c’est bien là toute la question en effet.
Comment le traducteur humain appréhende-t-il le texte source ? La lecture du texte à traduire est-elle différente de la lecture plaisir ? Par quels chemins, hésitations, retours en arrière, consultations de dictionnaires etc., le traducteur aboutit-il au texte cible ? La machine peut-elle définir son texte cible et y adapter ses stratégies traductives ? Les recherches sur les processus cognitifs à l’œuvre chez les traducteurs humains peuvent-elles jeter un éclairage utile sur ces questions ?
Notre colloque se propose de mener l’enquête selon trois axes (qui forcément se recoupent en certains points) :
— Initier les traducteurs littéraires, traductologues, enseignants-chercheurs, étudiants aux nouveaux outils issus de l’IA, TAO, TAN, les éclairer sur leur fonctionnement, le rôle de la linguistique informatique, les sciences cognitives, les neurosciences, leur histoire, les perspectives de progrès, leurs limites, etc.
— Comment la TAN se mesure-t-elle aux textes littéraires ; quels défis la littérature (en particulier la poésie), lui oppose-t-elle avec ses équivoques, ses ambiguïtés, ses significations énigmatiques, ses points d’intraduisible qui en sont souvent la signature ? Inversement, quelle part la TAN, la TAO, peuvent-elles prendre au renouvellement de la créativité littéraire ?
— La TAN effectue-t-elle un changement de paradigme pour la traduction ? En quoi l’omniprésence de la machine nous permet-elle de prendre conscience de l’automatisation de certains processus naguère effectués par des traducteurs experts ? Que devient la place du bio-traducteur: se voit-il libéré ou au contraire aliéné par la machine (qui ne peut fonctionner sans exploiter des données humaines) ? En quoi ces changements vécus par les traducteurs permettent-ils de dessiner un nouveau paradigme, incluant mais aussi excédant la dimension pragmatique de ce travail ?
Dans ce cadre on pourra s’intéresser, entre autres, aux questions suivantes :
Les nouveaux outils de TA pourraient-ils, à terme, réellement remplacer les traducteurs humains ?
Enseigner la traduction à l’université à l’ère de la TAN ?
La traductologie de corpus, la TAO peuvent-elles améliorer la qualité des traductions ou retraductions littéraires ?
Dans quelles mesures les pratiques des traducteurs pragmatiques sont-elles transférables aux traducteurs littéraires ?
La machine fait-elle du bio-traducteur un traducteur augmenté ou un traducteur diminué ? Quel rôle pour la machine, quel rôle pour l’humain ?
Comment la TAN et la TAO modifient le rapport du traducteur au texte littéraire, sa lecture du texte et donc son engagement avec le texte ?
L’interaction humain/machine en traduction littéraire : la collaboration est-elle possible, souhaitable, ou dommageable ?
Les traducteurs littéraires ne risquent-ils pas d’être fortement encouragés par les éditeurs à se transformer en réviseurs spécialisés (développement de la post-édition) ? La machine ne va-t-elle pas les réduire à une fonction ancillaire dont ils essaient de s’affranchir depuis des décennies ?
La machine ne peut-elle pas se faire l’alliée de la créativité littéraire, par le biais de l’aléa qu’elle introduit dans la traduction, ou encore, par les contraintes formelles qu’on peut lui inculquer (rimes et pieds dans la traduction de la poésie, , par exemple) ?
La littérature de genre, qui répond souvent à des formes d’écriture assez formatées (fantasy, romance, etc.) n’est-elle pas une cible idéale pour le développement de la TAN dans le domaine littéraire ?
La machine « entend-elle » la voix de l’auteur.e ? Est-elle capable de faire entendre une voix singulière dans la traduction ?
Quid du « projet » de traduction cher à Antoine Berman si l’on confie le texte à une machine ?
La stylistique de corpus permet-elle de mieux étudier et comparer les stratégies de traduction mises en œuvre par les traducteurs humains ? Est-elle pertinente pour comparer la traduction automatique et la bio-traduction ?
La réception par les lecteurs des textes littéraires diffère-t-elle selon les modalités de leur traduction ?
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Vous souhaitez contribuer ?
Les propositions de contribution en français ou en anglais devront être adressées avant le 6 juin 2022 sur le site: https://lit-trans-ai.sciencesconf.org/
(Au préalable, prière de créer un compte sur Sciences Conf).
Il est également possible d'adresser toute question à Carole Birkan-Berz carole.birkan-berz@sorbonne-nouvelle.fr et/ou Bruno Poncharal bruno.poncharal@sorbonne-nouvelle.fr
Les contributions doivent comporter :
un titre
un résumé de 300 mots
5 mots-clés
une courte bio-bibliographie
La réponse parviendra aux auteurs des propositions au 1er juillet 2022.
Une sélection de contributions sera publiée dans le 38e numéro de la revue Palimpsestes.