1Il ne s'agit pas – comme mon titre pourrait le suggérer – de faire une analyse critique du concept de la « littérature-monde » tel qu'il a été présenté par les auteurs signataires du manifeste publié en mars 20071. Si j'ai choisi le terme « littérature-monde » en relation avec « morale », c'est que je me suis proposée de parler de textes ancrés dans l'actualité politique et culturelle de notre époque mondialisée qui se voit confrontée, souvent de façon conflictuelle et violente, à de grands mouvements migratoires. Et que ces textes, en quelque sorte migratoires eux-mêmes, font appel – ouvertement ou en pointillé – à un nouvel humanisme face à un monde de plus en plus diversifié.
2« Si les explorations terrestres et marines sont terminées, celles des relations des cultures dans le monde ne le sont pas, d'où le rapport fondamental entre politique et poétique »2, souligne Édouard Glissant, poète, romancier et philosophe martiniquais, dans un entretien. Se définissant à la fois comme solitaire et solidaire, Glissant fait allusion à la condition et au travail de l'écrivain, à cette « solitude essentielle » dont parlait Maurice Blanchot, mais aussi – dans un même mouvement – à son ancrage dans ce qu'il appelle la totalité-monde avec comme objet principal de sa réflexion « le monde en devenir, le monde tel qu'il nous bouscule, le monde tel qu'il nous est obscur, le monde tel que nous voulons y entrer […] le monde comme lieu de rencontre, de choc des cultures, des humanités »3.
3Dans son Introduction à une Poétique du Divers, Glissant part du constat que le monde actuel – et en particulier l'Occident – est en train de vivre un processus mouvementé de « créolisation ». Le choix du terme « créolisation » et surtout sa connotation positive sont évidemment liés aux origines de Glissant et à son expérience d'une culture composite, la réalité créole, qu'il définit de la façon suivante : « une rencontre d'éléments culturels venus d'horizons absolument divers […] qui réellement s'imbriquent et se confondent pour donner quelque chose d'absolument imprévisible, d'absolument nouveau »4. À la différence de cette évolution lente et continue dans les pays de la Caraïbe, la créolisation moderne, cette mise en contact des cultures et des humanités du monde, entre de manière « foudroyante » dans les consciences, le monde contemporain étant caractérisé – selon l'anthropologue Marc Augé – par une surabondance spatiale, un « excès d'espace […] qui est corrélatif du rétrécissement de la planète »5 : l'unité de l'espace terrestre – dit Augé – est devenu pensable, la « totalité-terre » – dit Glissant – semble être enfin réalisée ce qui permet que « les éléments culturels les plus éloignés et les plus hétérogènes s'il se trouve puissent être mis en relation »6.
4Le chemin à prendre consistera donc à parcourir la distance qui sépare encore le « pensable » de sa « réalisation », de se libérer au cours de ce parcours des entraves rencontrées – qu'elles soient idéologiques, politiques, linguistiques ou autres – pour accéder pleinement à cette ouverture d'esprit qui nous fera non seulement accepter mais également apprécier et intégrer la diversité du monde. Car la créolisation, dans son interprétation la plus noble et telle que la conçoit Glissant, demande « une recomposition du paysage mental de ces humanités d'aujourd'hui [puisqu'elle] suppose que les éléments culturels mis en présence doivent obligatoirement être 'équivalents en valeur' »7. Or, une interpénétration culturelle très forte est, en général, ressentie comme dangereuse, voire menaçante, et provoque des réactions de rejet, à leur tour, très fortes : « les vieux démons de la pureté et de l'anti-métissage résistent et allument ces points infernaux que l'on voit brûler à la surface de la terre »8.
5Niant l'évidence que tout individu – même au sein d'une seule communauté – porte en soi plusieurs cultures et appartenances, niant aussi cette autre évidence, à savoir que les cultures ne sont jamais des totalités achevées, ces « vieux démons de la pureté » font appel à une identité culturelle collective ou individuelle qui se veut absolue, simple et substantielle9. Une identité, donc, « à racine unique et exclusive de l'autre » dans la terminologie de Glissant, à laquelle il oppose l'image – tirée de la botanique et empruntée à Deleuze et Guattari – du rhizome. Rappelons brièvement les principes caractéristiques du rhizome et de son fonctionnement, qui sont la connexion, l'hétérogénéité et la multiplicité : « […] à la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature »10 ; et encore : « Sagesse des plantes: même quand elles sont à racines, il y a toujours un dehors où elles font rhizome avec quelque chose […] »11. Le rhizome, cette « racine démultipliée, étendue en réseaux »12, est le modèle que Glissant applique aux relations entre les cultures, et il s'explique : « La notion de rhizome maintiendrait […] le fait de l'enracinement, mais récuse l'idée d'une racine totalitaire. La pensée du rhizome serait au principe de ce que j'appelle une poétique de la Relation, selon laquelle toute identité s'étend dans un rapport à l'Autre »13. Toute identité, complexe en elle-même, serait alors – idéalement – ouverte, mouvante et non-hiérarchique sans pour autant être perdue. Elle deviendrait ainsi la « racine qui s'étend à la rencontre d'autres racines »14.
6Glissant assigne à la littérature un rôle essentiel dans la réalisation d'un monde unique, égalitaire et solidaire. Et ce monde, unique parce qu'uni et non plus partagé, en d'autres mots le « Tout-monde »15, ne peut être que le lieu même d'une infinité de différences et d'identités. C'est pourquoi
[…] une des tâches les plus évidentes de la littérature, de la poésie, de l'art [est] de contribuer peu à peu à faire admettre « inconsciemment » aux humanités que l'autre n'est pas l'ennemi, que le différent ne m'érode pas, que si je change à son contact, cela ne veut pas dire que je me dilue en lui […]16.
7Sans avoir recours à un engagement politique au sens littéral du terme ou à un humanisme naïf empreint de bons sentiments, une telle littérature ne tentera rien moins que d'approcher, d'explorer et de questionner le monde tel qu'il se présente.
8C'est dans cette perspective que je voudrais proposer la lecture de deux romans qui mettent en relation le Nord et le Sud, c'est-à-dire l'Europe et l'Afrique, à travers les phénomènes de la migration, de l'errance et de l'exil: Le Ventre de l'Atlantique, de la Sénégalaise Fatou Diome, et Eldorado, du Français Laurent Gaudé. Le fait que les deux auteurs viennent – non seulement géographiquement – d'horizons divers amène à poser la question de la distance ou plutôt du choix de la distance, qui n'est pas sans déterminer la structure et la voix narratives des textes. Fatou Diome, ayant fait elle-même l'expérience de l'émigration et ayant une connaissance intime et de l'Afrique et de l'Europe, a déclaré lors de la sortie du Ventre de l'Atlantique : « J'écris entre ces deux cultures qui forment une sorte de miroir à double face, et j'essaie de regarder les deux cultures de la même manière: honnêtement, avec franchise et lucidité »17. Dans son roman aux accents autobiographiques et à la première personne, la narratrice ne se positionne ainsi totalement ni dans l'une ni dans l'autre de ces cultures mais dans un entre-deux, lieu imaginaire et utopique, qu'elle cherche à vivre et à protéger contre les défenseurs de l'identité à « racine unique et exclusive » des deux bords :
Je cherche mon pays là où on apprécie l'être additionné, sans dissocier ses multiples strates. Je cherche mon pays là où s'estompe la fragmentation identitaire. Je cherche mon pays là où les bras de l'Atlantique fusionnent pour donner l'encre mauve qui dit l'incandescence et la douceur, la brûlure d'exister et la joie de vivre. Je cherche mon territoire sur une page blanche ; un carnet, ça tient dans un sac de voyage. Alors, partout où je pose mes valises, je suis chez moi18.
9Le mauve, mélange du rouge et du bleu, pour la narratrice « le mélange de la rouge chaleur africaine et du froid bleu européen »19, devient ici le symbole du métissage culturel réussi car on n'essaiera pas de savoir si c'est le rouge ou le bleu qui fait la beauté de cette couleur. C'est juste une couleur, une couleur juste. Écrire, dans ce contexte, veut dire que l'on peut faire exister cet entre-deux, ancré à la fois partout et nulle part, au moins sur le papier. Et l'écriture mauve – comme j'aimerais l'appeler – sera alors une écriture qui rassemble en elle, dans des registres variés, les éléments les plus divers et les plus éloignés les uns des autres, les contrastes, les contraires et les contradictions, pour les couler dans un seul texte, dans un mouvement incessant de va-et-vient entre les deux continents. Ceux-ci, contrairement à la réalité politique et économique, seront devenus le temps d'une lecture des protagonistes égaux – aimés, critiqués, rêvés, remis en question. L'un comme l'autre.
10Si Fatou Diome s'adresse à la fois à l'Afrique et à l'Europe, et ceci à partir d'un vécu personnel, Laurent Gaudé, lui, s'adresse surtout à l'Europe: il retrace les chemins et les cheminements inverses d'un commandant de navire de Catane – avec comme mission d'intercepter les embarcations des clandestins – qui, un jour, décide de partir vers l'Afrique et d'un jeune Soudanais qui se met en route vers l'Europe. La distance, qui sépare l'auteur des personnages, des lieux et des événements mis en scène, est à la fois comblée par une écriture empathique et confère à ce pur travail de l'imagination une valeur plus abstraite, voire symbolique.
Je suis convaincu, a déclaré Laurent Gaudé à propos d'Eldorado, qu'un livre engagé peut changer le monde et la face de l'histoire. Je veux partager avec mes lecteurs le regard que j'ai posé sur ces hommes partis du fond de l'Afrique […]. C'est effectivement un problème politique, mais mon travail consiste à montrer que l'on peut en parler aussi de manière littéraire, humaniste. J'espère pouvoir changer un peu le regard que les lecteurs, et même les politiques, vont porter sur cette réalité20.
11Lampedusa, avec son centre de détention provisoire et son cimetière aux croix sans noms, est une de ces réalités, un lieu ou plutôt un non-lieu, signifiant réussite éphémère ou échec mortel. Tous ces immigrants sur Lampedusa, même les morts, « corps brisés par les vagues […] et accueillis de façon posthume sur la vieille terre d'Europe »21, sont les témoins d'une énergie et d'un désir irrépressibles : « L'Eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes »22. Sortir de cette vie lente, échapper à cette guerre « sans coups de feu [ni] bombardements » qu'il mène depuis plus de vingt ans, cesser d'être le gardien de la « citadelle Europe », « le mauvais œil qui traque les désespérés » ou celui qui sauve les naufragés pour les rendre ensuite aux autorités, redonner un sens à cette vie remplie d'une grande lassitude – c'est ce que souhaite de plus en plus ardemment le commandant. Se mettre dans la peau de l'Autre, des autres. Et c'est ainsi qu'il part, sans papiers, sans identité, dans sa barque orientée vers la Libye, « à contre-courant du fleuve des émigrants » pour, comme eux, « passer des frontières la nuit, aller voir comment les hommes vivent ailleurs, trouver du travail, gagner de quoi survivre […]. Il voulait que ses yeux brillent de cet éclat de volonté qu'il avait souvent lu dans le regard de ceux qu'il interceptait »23.
12Le parcours solitaire et insolite du commandant, motivé par la compassion et par une envie de vie, est un geste tout à fait individuel qui ne saurait être transposé en une moralité générale. Il n'offre aucune solution, mais il y a dans ce geste cet effort d'aller voir ailleurs, de vouloir savoir, d'être solidaire. Au niveau du texte, le parcours du commandant, raconté par un narrateur extradiégétique et se situant entre le réel et la fable, est mis en parallèle avec le parcours du jeune Soudanais: séparé l'un de l'autre par une alternance régulière des chapitres, les deux protagonistes ne se touchent presque pas. En effet, l'Européen et l'Africain ne se croiseront qu'une seule fois : sur le marché de Ghardaïa, où le jeune Soleiman approche le commandant Piracci « quasiment disparu de lui-même » – comme il est dit dans le texte – après de longues semaines d'errance. Il le prend pour une ombre de Massambalo, le dieu des émigrants, qui veille sur ceux qui quittent leur terre. Si l'ombre, par un simple signe de la tête et après une demande respectueuse, révèle son identité et accepte l'offrande, le voyage se passera bien. C'est dans cette scène silencieuse, où le commandant après quelques moments d'hésitation consent à jouer le jeu, que l'Europe et l'Afrique véritablement s'échangent : échange de regards, échange de dons. Chacun donne tout ce qu'il peut donner: Soleiman offre ce qui lui reste comme dernier souvenir de sa famille, un collier de perles vertes, le commandant, en l'acceptant, lui donne confiance et la certitude « qu'il [n'est] pas de mer que l'homme ne puisse traverser »24 et qu'il parviendra à ses fins : « Il sembla alors à Salvatore Piracci qu'il n'était parti de Sicile que pour cet instant. Sans le savoir, c'était vers cela qu'il était allé »25.
13Ce vers quoi tend Soleiman, c'est de tout tenter sans pour autant se déshumaniser au cours de cette course inhumaine: « Je me pose cette question : si je réussis à passer, qui sera l'homme de l'autre côté ? Et est-ce que je le reconnaîtrai ? »26 Dans une sorte de journal de voyage – du départ de Port-Soudan jusqu'à l'assaut de Ceuta – c'est le jeune Africain lui-même qui raconte, au travers d'une narration simultanée et sobre, son périple de six mois. Ainsi, par ce changement de l'instance narrative, Laurent Gaudé donne – avec insistance – la parole à tous ceux qui n'ont pas de voix et une histoire à tous ceux qui, à nos yeux, n'ont pas d'autre histoire que celle d'être noirs et démunis. Il fait parler Soleiman de ses adieux difficiles, des épreuves qui font vieillir, de la solitude, des passeurs ignobles, de la peur de devenir dur et aveugle, de la rage d'avoir été volé, de la honte d'être devenu voleur à son tour, des blessures de frontière, de la fatigue. Et du bonheur d'avoir réussi, à la fin du roman. Un bonheur qu'Albert Memmi résume avec une ironie amère dans son Portrait du décolonisé :
[si l'immigrant] survit à ce voyage périlleux, incroyablement précaire dans une époque où il suffit d'acheter un billet d'avion pour parcourir la moitié du globe, s'il ne s'est pas noyé, s'il n'est pas mort étouffé, gelé dans un camion […], s'il n'a pas été démasqué à la dernière minute et refoulé, ayant enfin surmonté tous les obstacles de ce jeu de l'oie avec des hommes comme jetons, il aura l'impression de s'être enfin échappé du purgatoire ; pour un peu il se jetterait face contre terre pour baiser le sol de ce qu'il croit être un nouvel Eldorado27.
14Laurent Gaudé arrête la trajectoire de son protagoniste africain aux portes de l'Europe, Fatou Diome prend en quelque sorte la relève pour dire l'après – l'immigration et l'exil – à la fois avec crudité, ironie et humour. En effet, c'est précisément autour de ce « nouvel Eldorado », illusion à laquelle Memmi fait allusion, que s'établit un dialogue entre les deux romans, et ceci sur des tons sensiblement différents. Il y a donc, en même temps, complémentarité et contraste.
15Une position d'éloignement et d'altérité pousse Laurent Gaudé à épouser par un mouvement d'identification sans faille les espoirs et les désespoirs de ses personnages, l'écriture devenant ainsi le lieu d'un engagement humaniste, de cette capacité « d'être en sympathie – au sens étymologique – avec des choses lointaines, certes, mais humaines, donc proches quand même »28. Fatou Diome, dans un mouvement inverse, s'éloigne des deux cultures dont elle est proche, elle prend pour ainsi dire ses distances. Pour sa narratrice – « être hybride [où] l'Afrique et l'Europe se demandent, perplexes, quel bout de moi leur appartient »29 – l'écriture devient le lieu d'une liberté absolue, lui permettant de porter un regard sans complaisance sur les humains d'ici et de là-bas: elle critique le pays d'accueil pour son racisme ouvert ou latent – « En Europe, mes frères, vous êtes d'abord noirs, accessoirement citoyens, définitivement étrangers, et ça, ce n'est pas écrit dans la Constitution, mais certains le lisent sur votre peau »30 ; elle blâme son pays d'origine pour son acharnement à perpétuer des traditions et des mœurs qui freinent son développement ; elle s'attaque aux récits merveilleux et mensongers de ceux qui rentrent au pays en leur opposant les véritables et humiliantes histoires des immigrants ; elle dénonce ce qu'elle appelle le syndrome post-colonial – « après la colonisation historiquement reconnue, règne maintenant une sorte de colonisation mentale […] où la France […] rime franchement avec chance »31 ; elle fustige le tourisme sexuel, ces touristes européens qui « viennent uniquement visiter des paysages de fesses noires, au lieu d'admirer le Lac rose, l'île aux oiseaux, nos greniers vides et nos bidonvilles si pittoresques […]. L'Atlantique peut laver nos plages mais non la souillure laissée par la marée touristique »32, et on pourrait multiplier les exemples. Cette écriture désinvolte, caustique et rapide est cependant savamment modulée par des passages, plus lents, de réflexion, de nostalgie et de douceur, où la narratrice évoque des souvenirs et parle des blessures de l'exil en général, et plus particulièrement des blessures de quelqu'un qui est devenu trop blanc pour l'Afrique et qui restera toujours trop noir pour l'Europe :
Enracinée partout, exilée de tout temps, je suis chez moi là où l'Afrique et l'Europe perdent leur orgueil et se contentent de s'additionner: sur une page, pleine de l'alliage qu'elles m'ont légué […]. L'écriture est la cire chaude que je coule entre les sillons creusés par les bâtisseurs de cloisons des deux bords33.
16Mais l'écriture est aussi et avant tout, pour citer Roland Barthes, « l'art de poser les questions » sans qu'on puisse lui demander « d'y répondre ou de les résoudre ». « Seule l'écriture, poursuit-il, peut poser une question et parce qu'elle porte une force, elle peut laisser cette question en suspens. Quand les questions posées sont vraies, elle dérangent »34. Les questions que posent les romans de Laurent Gaudé et de Fatou Diome – en filigrane et en évitant tout discours moralisateur – sont des questions vraies qui, dans le contexte migratoire, touchent à l'individu aussi bien qu'à la collectivité : quelle sera, dans le futur, la politique de l'Europe face aux migrants qui risquent leur vie dans l'espoir d'échapper à la pauvreté ? Quelle est la part de l'Occident dans la pauvreté des pays du Sud ? La mondialisation prendra-t-elle un jour visage humain ? Aurons-nous, un jour, compris que l'identité unique et exclusive est trop souvent meurtrière35 ? L'Occident et le Sud pourront-ils, un jour, véritablement se voir ?
17S'il est vrai, comme l'affirme Marc Augé dans son analyse de la surmodernité, que « nous vivons dans un monde que nous n'avons pas encore appris à regarder »36 et qu'il est temps que nous en fassions l'apprentissage, la littérature peut, au moins, contribuer à ce que nous regardions de plus près ce monde qui nous regarde tous, et ceci sans préjugés, sans sentimentalisme, avec « un cœur intelligent »37 et un regard panoramique qui inclura tous ceux qui semblent être – géographiquement ou culturellement – bien loin de nous. Car, « ce que les romans nous donnent est, non un nouveau savoir, mais une nouvelle capacité de communication avec des êtres différents de nous ; en ce sens, ils participent […] de la morale »38.
18C'est à cette « capacité de communication avec des êtres différents » que Glissant, avec qui j'aimerais conclure, fait appel, lui aussi: « La différence est l'amorce vive du mouvement, et non pas l'identique […]. L'harmonie des semblables est neutre et inféconde, mais la rencontre des différences, et qui n'est pas l'harmonie des contraires, s'accomplit dans et par un dépassement mutuel qui fonde l'inattendu du Tout-monde. »39
19BIBLIOGRAPHIE
20AUGÉ Marc, « Le proche et l'ailleurs ». In Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, 1992, pp. 15-56.
21BARTHES Roland, « Les choses signifient-elles quelque chose? ». In Le grain de la voix, Éditions du Seuil, 1981, pp. 15-17.
22DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
23DIOME Fatou, Le Ventre de l'Atlantique, Paris, Éditions Anne Carrière, 2003.
24DIOME Fatou, « Partir pour vivre libre ». In Africultures, 26 novembre 2003, http://www.africultrs.com/php/index.php?nav=article&no=3227 (28.7.2009)
25GAUDÉ Laurent, Eldorado, Actes Sud, 2006.
26GAUDÉ Laurent, « Des histoires et des hommes ». Interview avec Thomas Flamerion, août 2006, http://www.evene.fr/livres/actualite/laurent-gaude-interview-eldorado-soleil-scorta-43… (26.9.2009).
27GAUDÉ Laurent, « Eldorado ou la chimère qui nous fait croire ». Entretien avec Isabelle Falconnier, septembre 2006, http://www.payot.ch/fr/nosLivres/selections/payot-hebdo/meilleurs-romans-rentrée-2006 (9.7.2009)
28GLISSANT Édouard, Poétique de la Relation. Poétique III, Paris, Gallimard, 1990.
29GLISSANT Édouard, Introduction à une Poétique du Divers, Paris, Gallimard, 1996.
30GLISSANT Édouard, Une nouvelle région du monde. Esthétique I, Paris, Gallimard, 2006.
31GLISSANT Édouard, « Solitaire et solidaire ». In Michel Le Bris et Jean Rouaud (dir.): Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007, pp. 77-86.
32MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1999.
33MEMMI Albert, Portrait du décolonisé, Paris, Gallimard, 2004.
34TODOROV Tzvetan, La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.