L’hybridité linguistique et culturelle dans Sept Pierres pour la femme adultère de Vénus Khoury-Ghata
Les langues sont un trésor et véhiculent autre chose que des mots. Leur fonction ne se limite pas au contact et à la communication. Elles constituent d’une part des marqueurs fondamentaux de l’identité, elles sont structurantes, d’autre part, de nos perspectives. — Michel Serres, Atlas, Paris, Flammarion, 1996.
1Dans le cadre de ma recherche sur l’histoire et la mémoire dans la construction des héroïnes méditerranéennes, je m’intéresse à des œuvres d’écrivains issus de la rive sud de la méditerranée. Pour le présent article, je me concentrerai sur une œuvre particulière de Vénus Khoury-Ghata intitulée Sept Pierres pour la femme adultère afin de réfléchir à la naissance d’un langage hybride qui est dû à l’insertion d’une langue dans l’autre. Khoury-Ghata a acquis un nouveau code culturel et linguistique sans que l'antérieur ne soit complètement effacé. Elle a choisi « d’écrire l’arabe en français1 » ; de décrire et de relater donc une situation précise imprégnée par des croyances venues du monde arabe et de la religion musulmane. Ainsi le dit-elle : « J’ai inséré une langue dans l’autre. […] Pourtant à l’antipode l’une de l’autre2 ».
2En premier lieu, j’étudierai les arabismes qui hantent cette œuvre et qui se manifestent par les emprunts et les calques. Je soulignerai donc comment Vénus Khoury-Ghata a marié ces deux langues et je démontrerai comment ce langage hybride véhicule et construit une identité et une culture. Je mettrai en lumière, par ailleurs, le rôle de cette hybridité dans le texte et le paroxysme de la liaison intime entre ces deux langues et cette symbiose enrichissante des deux cultures.
L’hybridité linguistique : des mots voyageurs et une langue d’accueil
3Sept pierres pour la femme adultère nous permet de lire en français un récit qui se passe ailleurs, loin de la France, aux confins d’un pays situé en Orient. Cette œuvre est nourrie des sons et d’échos des voix arabes, elle est un exemple indéniable d’un métissage culturel, d’un phénomène d’interculturalité, de transculturalité et de translangues. Par ailleurs, les mots arabes émaillent le récit écrit en français. Nous assistons donc à une combinaison de deux modes d’expression qui aboutissent à la naissance d’un langage hybride.
4Tout d’abord, il convient de souligner et de relever quelques mots qui sont mis entre guillemets et qui sont traduits parfois par l’écrivaine. Voici quelques exemples : « ‘Hakim’, le sage en arabe3. » « Tu es ma ‘Okhti’ », répète-t-elle entre deux sanglots. -Tu es ma sœur », dis-tu en échos. » ; Noor qui signifie « ‘Lumière’, tu traduis avec ta manie de faire voyager les mots entre la langue maternelle et le français appris dans les livres4. » Puis, d’autres emprunts sont distingués par un caractère typographique différent qui est l’italique (avec ou sans explication de leur sens), par exemple : Chawaheds, maboula, SittMaryam, qui veut dire « la Sainte Vierge Marie », et francaoui qui veut dire, argotiquement, « français ».
5En effet, les mots arabes transcrits en italique attirent l’attention du lecteur et, comme le dit Carmen Boustani, ils « ajoutent une dimension visio-spatiale au texte5. » Ces mots sont bien insérés dans le contexte et montrent, selon Boustani, « le lien existant entre la communauté culturelle à laquelle appartient l’individu et la langue qu’il parle, lien nécessaire pour la construction de l’identité6 ».
6Signalons, de plus, la présence des emprunts qui ne sont pas mis entre guillemets ni en italique. Prenons par exemple les mots suivants qui reviennent tout au long du roman : Allah, mokhtar, fatiha, tichrine, ta’wizats, chehtar, Khouf (le nom du village), qui, lui, signifie la « peur ». On trouve aussi le mot khamsin que l’écrivaine a traduit dans le texte même : le khamsin « c’est un sable et un vent rouges comme la langue du Chaytan et qui déteignent sur tout ce qui est à leur portée7. » Certes, l’écrivaine définit certains des mots arabes dans le but d’éclairer son lecteur non arabophone. La majorité de ces mots évoqués en arabe et qui sont redondants dans l’ensemble du récit appartiennent au champ lexical de la religion musulmane, ce qui montre la grande influence de cette dernière sur la vie des habitants de ce village.
7Outre cela, l’identité des personnages s’illustre et se présente par des noms propres aux sonorités orientales. Ces noms s’intercalent dans le contexte français comme : Noor, Ali, Ahmed, Zeinab, Moha, Hassoun, Aïcha, etc. La plupart de ces noms propres connotent, en effet, l’appartenance des personnages à la religion musulmane. Tous ces termes d’origine arabe cumulent une note pittoresque dans ce pattern français et jouent un rôle efficace puisqu’ils soulignent le désir de l’écrivaine de refléter une image vraisemblable ou même authentique de la société dans laquelle vivent ces personnages.
8Par ailleurs, la prépondérance des termes orientaux dans le texte au lieu des français sont attendues comme par exemple : « madrasa » au lieu d’ « école » ou « chaytan » au lieu de « diable ». On remarque, de plus, la présence des arabismes seulement dans le discours des habitants du désert. Ainsi l’affirme Khoury-Ghata : « Dans mes romans qui se déroulent pour la plupart dans un monde arabe, les dialogues c’est de l’arabe écrit en français.8 » L’essentiel pour l’écrivaine est, en effet, de rapprocher son texte de la réalité des habitants de ce désert, d’un schéma traditionnel propre au village de Khouf.
9Tous les termes exprimés en arabe et utilisés par l’écrivaine apportent à son œuvre une couleur locale puisqu’on est dans cette société orientale, ils font allusion donc aux croyances et aux autorités de la religion musulmane mais aussi aux traditions et aux coutumes de la vie quotidienne de ce milieu. Citons quelques termes évocateurs de ce milieu : Cheikh9, Mokhtar, hijab, fatiha… D’autre part, il convient de mentionner que pour transcrire les mots arabes en français, Khoury-Ghata adopte la méthode de la translitération qui consiste à adapter l’alphabet arabe à l’alphabet latin comme « Sitt Zeinab », « chehtar », «tichrine», « litham » qui sont écrits en caractères latins. De prime abord, un lecteur connaissant la langue arabe a l’impression que l’écrivaine écrit l’arabe en français.
Des mots voyageurs porteurs d’émotions
10L’insertion de certains mots arabes tels Cheikh ou muezzin relève de l’intraduisible et de l’impossibilité de les franciser, mais ces mots arabes portent aussi une charge émotionnelle intense qui n’a pas d’équivalent en français puisqu’elle donne une vision spécifique de cette société arabo-orientale. Comme par exemple « Beyt al armala wal yatim10 » semble à l’écrivaine beaucoup plus riche en images que «La Maison de la veuve et de l’orphelin. » En fait, Khoury-Ghata affirme que « le mot français ne [lui] suffisait pas, [elle] l’écrivai[t] en arabe11. ». Et elle ajoute : « [Je] cherche le mot français doté de la même sonorité que celui qui le dit en arabe. « Bahr » pour moi contient beaucoup plus d’eau que mer, « chajara t» a plus de feuilles qu’arbre. Lune est masculin et soleil féminin12.
11Le recours aux arabismes montre, en fait, que l’écrivaine estime que seuls les mots arabes pourraient traduire l’intensité de ses émotions : « Je commençais à écrire en français, et puis mon stylo restait en l’air, comme cela, parce que le mot français ne me suffisait pas, je l’écrivais en arabe. Et mes brouillons étaient écrits dans les deux langues13. » Pour elle, « la langue arabe [est] ample, riche en images, métaphores, sentiments. Le français a rompu avec la langue opulente de Rabelais14».
12L’écrivaine franco-libanaise Carmen Boustani semble partager le point de vue de Khoury-Ghata :
Sur le plan psychanalytique, nous pouvons penser à « l’inquiétante étrangeté » de la nostalgie qui se manifeste par le retour de ce qui est connu et familier dans la langue d’accueil. Car connaître les mots qui nomment les choses dans une langue nouvelle peut ne pas suffire à assurer la maîtrise du possible éventail des significations qui varient dans les différents contextes culturels. On peut faire remarquer que dire cheese n’évoque pas la même chose que dire fromage, et pourtant les deux mots désignent la même chose. Il y a un arrière-fond sensoriel assorti d’affects spécifiques grâce auquel les mots sont appris. Cet ancrage culturel par la démarche ethnolinguistique n’est pas une réalité objective, mais plutôt une variable indépendante dans l’analyse des particularismes de la littérature francophone15.
Bref, l’écrivaine semble être à la recherche des mots qui résonnent autrement ou qui résonnent davantage. Tout se passe donc comme si elle construisait, fabriquait une nouvelle voie où elle véhicule les mots qui correspondent à ses demandes et à ses exigences et qui comblent le sens et les affects qu’elle souhaite transmettre. En fait, Khoury-Ghata estime qu’: « Il faut qu’il y ait beaucoup de senteurs dans l’écriture16. » Ainsi naît un langage hybride singulier par sa création.
L’identité linguistique de l’écrivaine dépasse, dès lors, les frontières des pays. Elle voyage d’un pays à l’autre, savoure la beauté de chaque langue et s’exprime à son gré. C’est dans ce contexte que l’écrivain Jean-Marie Prieur affirme que : « L’écriture apparaît […] comme un espace de tension et de rencontre entre des langues différentes, espace à l’intérieur duquel l’écrivain va trouver « sa langue », sa ligne propre, unique d’invention et de création17. »
Hybridité linguistique dans les calques
13Khoury-Ghata, au moyen d’un grand nombre de calques, perturbe le système linguistique français ; elle le ponctue de phrases et d’expressions calquées sur le discours arabe. Cette méthode est parfois imperceptible pour un décodeur monolingue et non arabophone.
14Notons d’abord que les calques sont mis parfois entre guillemets comme : « ‘Une marmite qui n’a pas trouvé son couvercle’, comme on dit dans le pays18. ». Ainsi, ce qui est mis entre guillemets nous montre qu’on est dans un discours socialisé. À ce sujet, l’écrivaine affirme : « l’arabe s’impose spontanément au français quand j’écris […] malgré l’impression que ces deux langues se battent dans ma tête, chacune voulant imposer sa forme à l’autre19. » Et elle ajoute que « la langue française et la langue arabe n’ont pas la même esthétique. Ce qui est beau dans l’une ne l’est pas forcément dans l’autre20. » Elle essaye donc d’enrichir la langue française davantage, de lui donner une sorte d’éclat attrayant pour la rendre encore plus belle et pour la charger d’une coloration nouvelle.
15D’autre part, les calques sont parfois transcrits en italique comme : « La mauvaise graine, c’est Amina et personne d’autre…21 ». Ces italiques soulignent donc une hétérogénéité énonciative. La voix de l’auteur est derrière celle de son personnage Amina.
16Notons aussi que Khoury-Ghata n’a pas explicité le sens des calques dans son roman et que souvent ces derniers ne sont ni mis entre guillemets ni transcrits en italique tels l’expression « de quelle argile est faite cette femme22 ». En outre, par le biais de son personnage, l’écrivaine introduit même l’alphabet arabe dans son texte : « Le français de gauche à droite, l’arabe de droite à gauche. Aleph et A sur la même ligne, ba’ et B, Kaf et K, tah et T, dal et D, jusqu’à la lettre Z.23 ». La démarche de l’écrivaine à l’intention d’un lectorat non arabophone peut donc être qualifiée de pédagogique.
17En somme, les calques et les emprunts sont, a fortiori, un choix de l’écrivaine visant à bien définir les cadres spatial, social et culturel de son œuvre mais aussi afin de brosser les portraits de ses personnages pour les rapprocher le plus possible de la réalité. Par ailleurs, ces mots se mêlent de dans une harmonie et dans une cohérence. On assiste à une oscillation, à un affranchissement des frontières et des seuils de la langue française, à un passage d’une rive à l’autre dans le texte. Khoury-Ghata, pour reprendre les propos de Carmen Boustani, « déplace [ainsi] les frontières entre les langues. Elle élargit l’espace de la langue française en plaçant les phrases amples et larges de l’arabe24. »
18De surcroît, l’écrivaine nous accompagne dans une scène où elle dépeint les enfants de Khouf tout en nous présentant également un mariage délicat de l’arabe et du français :
Les enfants de Khouf n’aiment pas l’école. Ils préfèrent chevaucher un âne, gober des œufs dans les poulaillers plutôt qu’additionner ou soustraire. Leurs jambes sont faites pour courir, leurs petites têtes ne peuvent contenir deux alphabets, alors qu’il n’y a déjà pas assez de place pour le leur. Les plus malins ont trouvé une astuce : ils arabisent les mots français. Abeille devient abaya, lampe devient lamba, table tabla, jarre jarra. Peu importe que le sens ne soit pas toujours le même, c’est au français de bouger, d’être moins rigide, de devenir plus conciliant. Tu approuves, ne traites personne d’ignorant, ne rectifie aucune erreur pour ne pas les humilier mais tu te fâches lorsqu’ils appellent le lapin: labin (« yaourt »), l’âne: aïn (œil), l’herbe: harb (« guerre »)25.
19Bref, on assiste à un décalage non seulement linguistique mais sémantique qui rend le texte humoristique et la situation d’apprentissage absurde.
20Outre cela, les lignes se parfument de l’Orient et de ses histoires. En fait, partagée entre deux mondes, l’écrivaine nous invite aux mœurs et traditions de cette société et elle évoque l’aspect de la vie simple et pauvre de ces villageois, leur attachement à leur religion mais surtout leur refus de la civilisation et de tout apport occidental. À cet égard, Carmen Boustani estime que :
Les textes francophones n’ont pas de statut propre. Leur mode d’expression est français, mais leur lieu d’écriture est ailleurs. Le recours aux emprunts et aux calques de la langue mère ouvre la voix à un domaine intertextuel et interculturel, à une confusion des langues qui relève du domaine de l’illimité : Babel n’est plus une malédiction26.
21Dans ce contexte, l’écrivain anglo-franco-américain Georges Steiner soutient que la monoculturalité et le monolinguisme n’existent pas car toute langue ou culture est nécessairement imprégnée par d’autres. D’autre part, Jean Marie Prieur, dans son travail « Des écrivains en contact des langues », parle d’un « nouage intime » aux langues qui fonde et conditionne l’activité d’écriture. C’est une relation affective marquée, consciente ou inconsciente, et qui peut être ambivalente, passionnelle, conflictuelle27. »
22L’écriture de Khoury-Ghata semble avoir, en effet, deux corps, celui qui fait allusion à une appartenance première et qui est omniprésente et celui d’un pattern français. Avec cette hybridité, qui s’avère le moteur d’écriture, nous assistons à « un nouage intime » à ces deux langues et on est toujours dans l’invention, la nouveauté et la singularité. Cette diversité permet de faire jouer le plaisir du lecteur davantage. Le français, l’arabe, le tout se mêle pour créer un effet nouveau et émerveillant.
L’hybridité culturelle
23Grosso modo, la langue française donne voix à la nostalgie qui anime Khoury-Ghata. Pour elle, cette langue revêt un pouvoir magique et lui permet l’expression du plus intime et du plus douloureux. En fait, elle entretient une relation ambivalente avec la langue arabe et la langue française mais cette dernière s’avère, pour reprendre les propos de Daniel Delas, « un lieu de rencontre plutôt que le temple d’une identité permanente28». De surcroît, jongler entre ces deux langues œuvre à l’enrichissement linguistique et la valorisation de deux identités. Un monde hybride est créé noir sur blanc au moyen de cette rencontre fructueuse de deux langues et de deux cultures. Bref, le roman de Khoury-Ghata est influencé donc par l’Orient, ainsi en témoignent les calques, les emprunts et les tournures arabes mais aussi le choix des personnages : « Noor. On m’appelle Noor. Elle l’a dit dans un souffle29 », elle habite « dans le dernier village du monde30», « un petit village en bordure du désert31 ».
24« Son litham sur le visage32 », Noor n’a pas eu la chance d’étudier puisqu’« à Khouf la madrasa n'accepte que les garçons, […] tandis que les filles restées chez elles lisent dans les intentions et fabriquent des talismans bénéfiques ou maléfiques selon l'offre et la demande […] 33». Ses préoccupations sont assez simples : « donner à manger à sa chèvre, arroser son basilic34 ».
25Coupable d’adultère et condamnée à mort, « ses fils partis et le village lui ayant tourné le dos35 », Noor, « s’alimente le moins possible36 », et « ne fait plus de feu pour chasser le froid accumulé sur sa peau37 ». Elle n’a « qu’un seul regret : celui de n’avoir jamais su pourquoi la lune rétrécit puis s’élargit au cours du même mois alors que le soleil reste le même38. »
26Face à cette héroïne naïve à la vie pauvre, pitoyable et misérable, Khoury-Ghata dresse le portrait d’une femme française qui « parle et écrit trois langues39 », qui « ne sait pas tenir correctement un balai, ni essorer d’un seul geste une serpillière40 », déçue et abandonnée par son amant, venue de Paris avec « deux jupes, deux blouses, deux livres et la photo d’un chat41 » pour enseigner aux enfants de l’école de Khouf et qui n’a qu’un seul but: sauver Noor de la lapidation. Avec ces deux personnages, l’écrivaine confronte deux mondes et deux modes de vie et deux pensées différents. Ce roman hétérogène représente, en effet, un assemblage hétéroclite. Deux langues se mêlent, deux cultures se rencontrent et deux héroïnes qui ne se ressemblent pas s’affrontent, l’une voilée l’autre montre ses cheveux et ses oreilles, l’une rompt sous le poids de la tradition et l’autre prône le droit à la liberté.
27D’autre part, si on examine de plus près le texte, on réalise que son fond révèle le portrait de cette femme écrivaine. C’est comme si cette dernière recomposait son image dans et à travers son texte. Sa dualité d’appartenance et sa dualité culturelle imprègnent son texte qui s’avère un corps hybride. De facto, dès les premiers gestes de l’écriture, elle donne naissance à un corps hybride dans la forme et dans le fond. En construisant son texte, elle nous semble révéler le premier regard qu’elle lance sur elle même (une femme biculturelle). On peut lire en filigrane qu’elle exprime ce qu’elle est, donc son identité et son appartenance, ce qu’elle éprouve, ce qu’elle pense et ce qu’elle revendique. Ainsi le déclare-t-elle : « Je pars toujours du vécu, ne serait-ce que les deux premières pages et après, la fiction vient se greffer dessus. […] Mes personnages sont donc un peu de moi-même […].42 »
28Somme toute, l’écrivaine choisit les mots arabes qui sont porteurs de sons, d’émotions et de sens intenses, parfois imagés, parfois symboliques. Ce choix a favorisé la création d’une dimension poétique et esthétique dans l’œuvre, d’une certaine musicalité tout en créant un effet mystérieux. Sa quête, c’est de traduire les émotions de cette culture et de cette société, c’est d’évoquer l’existence des traditions qui étouffent la voix des femmes, c’est de témoigner des blessures de la femme vivante dans une société patriarcale qui n’a pas eu la chance de naître libre et qui est écrasée par la mémoire collective de son pays.
29En guise de conclusion, Vénus Khoury-Ghata a choisi de sonder les mystères de la culture du monde arabe et de franchir les frontières afin d’affirmer ses convictions et de revendiquer la liberté de la femme. Fascinée par l’Occident, synonyme de liberté autant qu’elle est attachée à l’Orient, synonyme, le plus souvent, de guerre, de mort, d’insécurité et de souffrance, enracinée dans le monde arabe, dans le terroir libanais autant qu’elle est tentée par le déracinement, submergée par la culture du monde arabe à tel point qu’elle affirme qu’elle « ne [saurait] pas écrire un roman qui se passe en France, où des Français discutent ensemble43 », vivant en exil mais accompagnée des images et des voix de son pays natal. Écrivaine prolifique, Vénus Khoury-Ghata prône l’échange entre les cultures et les civilisations. C’est comme si elle était une hirondelle migratrice qui cherchait le printemps, une hirondelle d’origine orientale qui cherchait un abri et un refuge dans l’écriture. Ainsi affirme-t-elle « l’écriture mon seul refuge44 ».
30Sept Pierres pour la femme adultère est une œuvre d’une grande force lyrique et elle n’est qu’un exemple indéniable du métissage culturel, d’un dialogue transculturel qui nous offre la chance de constater avec bonheur la dimension enrichissante et la coopération et le dialogue entre les deux langues. Cette œuvre est, in fine, un message de solidarité et de révolte. C’est un appel urgent, qui frappe aux portes de l’espoir mais aussi aux portes de l’humanité afin de sauver celles qui vivent encore « les yeux baissés ».