Johann Wolfgang von Goethe et la minéralogie : une passion totale
1« Ich aber habe mich mit der Geognosie befreundet, versanlasst durch den Flötzbergbau », écrivit Goethe. On préjuge que les vocables de « Géognosie », d’« Oryctognosie », de « Minéralogie » désignent des disciplines scientifiques. Si les deux premières paraissent bien hermétiques aux yeux de nos contemporains, la troisième évoque pour chacun d’entre nous la connaissance des minéraux, ces composés chimiques généralement cristallisés qui, s’ordonnançant en compagnie d’autres de nature différente, constituent notre géosphère. Encore une voie d’égarement, car au siècle des Lumières, un savant qui se disait minéralogiste était à la fois connaisseur des roches et des terrains, ingénieur des mines et spécialiste des savoir-faire les plus subtils de la métallurgie. Ce fut le cas d’Antoine Grimoald Monnet (1734-1817) dont j’étudiai les merveilleux écrits1. Cette minéralogie était alors en quelque sorte la mère des sciences de la Terre, à une époque où le mot « géologie » n’était encore que rarement balbutié. Quant à l’oryctognosie, le substantif héberge un mot grec qui signifie « tiré de la terre, minéral » : la discipline embrasse l’ensemble des sciences de la Terre ! Géognosie, popularisé par un Werner dont nous évoquerons plus loin le rayonnement, désigne à peu près la même chose… en attendant que la géologie2, au courant du XIXe siècle, ne viennent tout doucement la supplanter.
2Lorsque j’entrepris cette enquête sur Goethe, c’était un peu par provocation… Emballé par les relations de voyages de Monnet (1734-1817) et de Montesquieu3, que j’épluchai avec avidité, il me tardait de faire la rencontre d’autres savants quelque peu méconnus de préférence – tout au moins de la communauté scientifique française – qui se seraient positionnés dans le prolongement de ces précurseurs. En même temps, j’étais conduit comme expert pour l’ICOMOS à visiter dans les détails les plus ténus, ou à revoir, les paysages miniers archétypaux des Monts Métallifères, ceux-là même que Goethe arpenta en tous sens, du côté saxon comme du côté bohémien. Cette conjoncture de circonstances ou de questionnements, jointe à mon chantier de construction d’un cours sur « le patrimoine des Sciences », m’a ainsi conduit à me piquer de curiosité à l’adresse des rapports qu’entretenait le grand poète et philosophe avec les sciences de la Terre (l’oryctognosie, la géognosie)4.
Escapade à Weimar
3Au-delà de mes voyages d’études répétés en Erzgebirge (depuis 1973), une enquête à Weimar s’imposait, car c’est là que se loge la maison de Goethe, écrin de tant de belles choses parmi lesquelles les collections d’oryctognosie. Mais aussi, un peu plus loin, la bibliothèque de la duchesse Anna Amalia.
4N’attendez pas de cette communication une recherche innovante. Les scientifiques allemands ont poussé la connaissance en ce domaine dans de substantiels raffinements5. Mon ambition se situe bien en deçà. Elle se veut apporter aux lecteurs de langue française une approche du sujet certes fragmentaire, mais dont j’espère qu’elle saura revêtir un brin d’originalité. En se nourrissant des publications de nos voisins, en s’imprégnant des paysages qu’a laissé cette frénésie des sociétés passées à extraire les Bodenschätze, en s’appuyant sur la contemplation de fragments des collections de Goethe. Il me paraît en effet d’une réelle importance de voir les pierres (comme des paysages « miniatures » !), de questionner leurs propriétés, de saisir ce que veut nous apprendre l’étiquette qui tapisse le fond de la petite cuvette en carton… taillée au format de l’échantillon !
5La toute première visite eut donc pour objet le Wohnhaus, le saint des saints [illustr. 1 et 2]. On s’y laisse happer par l’enchantement, envoûter par les décors et les amas de merveilles qui hantent les enfilades de pièces, à nouveau disposés comme du temps où l’homme de lettres l’occupait. Passé le nécessaire temps d’accoutumance, guidé par la conservatrice, le moment s’est présenté d’une première confrontation avec les deux cabinets de minéralogie6. Le premier occupe une très petite pièce, plutôt un dégagement entre le corps principal du Wohnhaus qui donne sur le Frauenplatz, et l’aile arrière plutôt dévolue à l’étude, une cour intérieure toute en longueur séparant les deux bâtiments. L’endroit n’invite guère à s’installer dans la durée, quand bien même nous serions habités par le dessein d’y étudier la minéralogie : mal éclairé, doté d’une toute petite table, coincée entre deux colonnes de meubles à tiroirs gris-verts ; des parties vitrées les coiffent, qui hébergent les échantillons trop volumineux pour se loger dans les tiroirs [illustr. 3]. L’autre lieu sacré reproduit ce même schéma, mais en plus grand, sur trois niveaux, garnis de meubles à tiroirs en plus grand nombre, rehaussés des mêmes vitrines. Il dégage en revanche un charme fou de par son environnement : voilà le Gartenhaus, le pavillon de jardin acheté tardivement (1817) par le maître des lieux, auquel on accède en traversant des décors enchantés que l’on pourrait assimiler à des successions de plans de dentelles végétales [illustr. 4]. Une fois assimilée la magie du lieu, l’esprit chagrin se questionne sur le degré d’authenticité des choses qui l’emplissent : a-t-on rajouté des meubles, ou bien sont-ils tous d’origine, en a-t-on déplacés, le rangement des échantillons a-t-il connu des transformations, quid des épisodes tumultueux de l’Histoire7 ? Le dernier avatar est une restauration de l’édifice en 1971, au plus près de sa configuration d’origine [“mit ihren weitgehend originalen Bestand”].
6Cette première confrontation admet déjà certaines déductions. De toute évidence, Goethe n’avait pas comme ambition d’épater ses visiteurs par du « clinquant » ; la place laissée aux vitrines reste réservée aux pièces – minoritaires en nombre – qu’on n’est pas parvenu à « caser » dans les tiroirs. On y rencontre certes quelques éléments décoratifs, tels ces petits tableaux de paésines de Toscane8 qui ornent un pan de mur, l’essentiel cependant des collections remplissent les milliers de petites cuvettes en carton densément serrées à l’intérieur de 450 tiroirs. Ne sommes-nous pas en prise directe avec l’archétype des collections d’étude ? Presque un laboratoire de minéralogie ! Au gré de cinquante années de collectes sur lesquelles nous reviendrons, les apports ont été classés très logiquement par « suites ». Dénombrer les échantillons tiendrait de la vanité, le catalogue (édité par Hans Prescher9) en recense 9034, cependant de nombreuses petites cuvettes contiennent plusieurs fragments, le chiffre annoncé est donc notoirement sous-évalué10.
7La conservatrice Gisela Maul nous a ouvert un certain nombre de tiroirs, que j’avais présélectionnés au préalable en m’appuyant sur le catalogue de Prescher. Nous avons ainsi pu constater l’excellence de cette collection, constituée de ce qu’on appelle des « bons échantillons ». Au gré des suites qui la composent, l’harmonie dans les proportions entre minéraux (ou associations minérales), roches et fossiles11 se trouve réalisée. L’idée d’opérer un choix parmi les multiples productions du monde minéral, de privilégier par exemple les cristaux spectaculaires, n’a jamais effleuré le collectionneur. Son approche des sciences de la Terre se veut délibérément non-discriminante, globale, syncrétique ; le résultat est un équilibre restitué entre les variations infinies de la géodiversité. Il n’en reste pas moins que nombre d’entre ces suites feraient pâlir d’envie maints collectionneurs d’aujourd’hui. Si les échantillons de prestige, de grande taille et aux magnifiques cristallisations, ceux-là même que vous admirez dans les vitrines des grands musées, ne se montrent qu’accessoirement, en revanche bien des tiroirs se révèlent aptes à captiver l’attention du spécialiste ou du curieux. Ces suites sont des catalogues des espèces minérales des différents lieux, on le doit au choix très éclectique des échantillons, à la diversité des pièces sensée refléter l’essence même du gisement dans toute sa complexité. La qualité est d’ailleurs fréquemment au rendez-vous. On peut prendre pour exemple ce merveilleux tiroir de minéraux de Sibérie que nous avons pu admirer, en 2018, dans la vitrine d’une exposition temporaire [illustr. 5]. “Ich habe wirklich recht schöne Sachen”, écrivait Goethe encore dans ses débuts, visiblement satisfait de la qualité de ses petits trésors. Atout insigne, ces suites sont l’exact miroir des mines, gisements, carrières en exploitation à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Goethe s’est livré aux sciences de la Terre avec une passion totale : “Ich habe mich diesen Wissenschaften… mit einer völligen Leidenschaft ergeben”, écrit-il à son ami Merck (11 octobre 1781). Il n’en est pas moins manifeste que la collection se présente pour lui avant toutes choses comme un outil d’accès à la connaissance ; chaque échantillon apporte un message : “… was Goethe an jedem von den Stücken gelernt hat…” a-t-on pu lire.
Les matériaux de notre recherche
8Ces matériaux, ou matières premières à l’usage du chercheur sur le thème des relations qu’entretenait Goethe et les sciences de la Terre, peuvent être groupés en cinq catégories :
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Les catalogues de la collection : on en connaît 4, le premier de 1783, le second de 1785 (par Voigt en quelque sorte son « assistant »), le troisième de 1813 (par Auguste Goethe son fils et Jean-Auguste John son secrétaire), enfin le dernier de 1849 (par Schueler, qui étudia à Freiberg et fut plus tard professeur à Iéna)
- Les Tagebücher, sorte de journal de bord au quotidien
- Les échanges épistolaires
- Les manuscrits
- Les publications12.
9Les catalogues, qui reflètent la répartition des échantillons tant dans les différentes « suites » que dans une collection dite « systématique », devaient se conformer autant que faire se peut à la classification alors en vigueur des produits du monde minéral. Le plus en vue, à la fin du siècle des Lumières, était le classement du suédois Cronstedt. A Freiberg, en Saxe, le véritable lieu de naissance de la culture minière germanique, l’immense Abraham Gottlob Werner, professeur à la Bergakademie – tout de même la première grande école des mines au Monde –, un poste qu’il occupera plus de quarante ans, s’en est inspiré pour le perfectionner. Le mode de classement de Werner, alors encore inédit, avait été communiqué à Goethe par un élève du savant professeur, Jean-Charles Voigt. Goethe l’adopta (le classement) [illustr. 6] et l’appliqua très scrupuleusement à sa collection systématique.
10A la lecture de ce tableau, un premier sujet d’étonnement surgit : il n’était alors pas de mise de faire le distinguo entre les roches (siliceuses, argileuses, calcaires, sels…) et les minéraux. Et bien que certaines roches se composent de deux, trois ou six espèces minérales distinctes13 – et pour s’en apercevoir point n’est besoin du microscope –, ne nous faudra-t-il pas attendre 1786 pour que soient différenciés les roches et les minéraux ? Il est vrai que certaines roches se révèlent monominérales (la calcaire, le sel…), d’autres, analysées au travers de l’outil « œil humain », cachent bien leur nature complexe faite d’un assemblage d’espèces ; tel est le cas des argiles composées de très petits cristaux (de l’ordre du micron, à l’époque hors de portée de l’investigation des meilleurs observateurs) de ce qu’on appelle les « minéraux des argiles14 », dont la minéralogie moderne s’est attachée à décrire toute une panoplie.
Quand, comment et pourquoi tout cela a-t-il commencé ?
11Le voyage en Suisse (été 1775) signifia sans aucun doute l’élément déclencheur de la curiosité de Goethe pour le monde minéral (nous dirions aujourd’hui « pour la géosphère »). Captivé par des affleurements ou des blocs erratiques aux formes étranges, il les croque sur son carnet. Campé sur une arête de la passe du Saint-Gothard, il contemple l’horizon côté sud, au loin l’Italie. Cette fascination quasi-mystique, il l’exprime par un dessin paysager. Mais il n’ira pas plus loin, cette première fois. Cette année-là, et l’an qui suivit, d’illustres personnages se rendent à Ilmenau, à une cinquantaine de km au sud-ouest de Weimar, une petite ville minière implantée dans le creux d’une chaîne de moyennes montagnes occupée par la forêt de Thuringe. Nous y croisons des personnages pittoresques dont nous aurons à reparler, Jean-Charles Voigt (retenez bien son nom !), le duc de Saxe-Weimar-Eisenach Charles-Auguste et sa suite, Monsieur De Trebra, alors Bergmeister (maître des mines) à Marienberg15, Goethe lui-même bien sûr, dépêché sur les lieux par son duc, ainsi qu’un jeune géomètre minier fraîchement « sorti » de l’école des mines de Freiberg, Jean-Godefroy Schreiber. C’est que le duc Charles-Auguste souhaite faire redémarrer « ses » mines d’Ilmenau… abandonnées trente-six ans auparavant !
12Goethe questionne, s’informe, circule, visite : “Ich habe traurig die alten Öfen gesehen”, s’exprime-t-il à propos des anciennes fonderies désaffectées… comme préfigurant les postures des chercheurs du XXe siècle en archéologie des mondes industriels. Mais au-delà des interrogations embrassant la cause de cette désindustrialisation, la mission faisait la place à une sorte de curiosité sur la formation de cette chaîne de montagnes, sur l’origine des concentrations métallifères qui s’y nichent. Remémorons-nous à présent cette phrase : “Ich aber habe mich mit der Geognosie befreundet, versanlasst durch den Flötzbergbau“. La science appliquée à l’ingénierie des mines, celles axées sur les minerais en couches16 – c’est cela même, le Flötzbergbau –, voilà donc la source de cette ouverture de Goethe à l’adresse de la géosphère. Une telle mission– dont nous verrons plus loin à l’aide de quels outils Goethe la conduisit – exigeait que l’investigateur arpentât le terrain, qu’il notât tout ce qui pouvait être observable au niveau des affleurements, peut-être même en scrutant les profondeurs du monde souterrain, qu’il interprétât les paysages. Goethe y prit un plaisir manifeste, les géologues de terrain en connaissent la griserie : “Ich führe mein Leben in Klüfften, Höhlen, Wäldern, in Teichen, unter Wasserfällen, bei den Unterirdischen” (Lettre à Herder). Peu d’années après dans une lettre à Frau von La Roche et à Lavater (1780), il exprime qu’il s’est donné “…mit ganzen Seele in die Mineralogie”. Voilà le générique explicitement énoncé, la science « mère de toutes les autres » dans le domaine de l’investigation de la géosphère.
13Mais la pratique du terrain ne s’improvise pas. Goethe – comme nous le détaillerons plus loin – n’avait de cesse d’interroger les hommes de l’art, tout particulièrement ces jeunes ingénieurs des mines fraîchement issus de l’école de Freiberg. Il apprit énormément à leur contact, en même temps qu‘il fut saisi d’une fringale de lectures scientifiques : “… so fang ich erst jetzt an… auch die Erfahrungen anderer zu studieren und zu nutzen“. Surtout, cette première expérience à Ilmenau allait inaugurer des décennies de voyages, ponctués de centaines de rencontres.
En visitant les cabinets de minéralogie
14Dans son apprentissage « tout au long de la vie » facilité par sa mobilité, Goethe fréquente les collections des princes et des savants. On peut en dresser une amorce de liste déjà fort éloquente, tentons l’exercice. En Suisse Horace Bénédict de Saussure, sans doute plus connu de nos contemporains pour ses ascensions ou tentatives d’ascensions du Mont-Blanc que pour sa fonction de professeur de philosophie – celle-ci incluant la géologie ! – à l’université de Genève, mais aussi Samuel Wittenbach qui initie Goethe aux roches et minéraux des Alpes ; à Weimar le grand-duc Charles Frédéric ; à Aussig, une petite ville de Bohême, le Dr Stoltz qui lui présente, parmi d’autres objets, des ossements de vertébrés fossiles ; à Göttingen le Pr Blumenbach, auprès de qui Goethe découvre – une révélation !– les pierres tombées du ciel ; à Wiesbaden l’Oberbergrat Cramer ; à Dresden le franc-maçon von Racknitz, une occasion de débattre de l’origine des basaltes ; le comte Auersperg dans son château de Hartenberg, en Bohême et juste en bordure des Monts Métallifères ; encore en Bohême le très érudit paléobotaniste – et néanmoins comte – von Sternberg ; le comte von Reden, directeur des mines de Silésie ; plus près le Pr Döbereiner à l’Université voisine d’Iéna ; à l’Université de Heidelberg Charles César von Leonhard, auteur d’un “Taschenbuch für die gesammte Mineralogie”… et de considérations sur les époques métallogénétiques, fondements d’une chronologie de la formation des concentrations métallifères.
Ses amis, ses maîtres à penser
15On sait que Goethe comptait beaucoup d’amis. Avec Christian Gottlob Voigt (le frère de Jean-Charles déjà cité, et dont nous aurons à reparler), il lia une amitié indéfectible de presque 40 ans. “Johann Wolfgang von Goethe ist wirklich ein Mann, dessen Liebe kein edles Herz zu erwerben sich schämen darf. Je näher ich ihn kennenlerne, je mehr innere Güte entdecke ich an ihm”, écrit Voigt élogieux à propos des qualités humaines de Johann Wolfgang17. Il se lia à des penseurs, des savants, Von Herder, von Humboldt, von Trebra devenu par la suite grand-maître des mines de Saxe, von Charpentier, lui-même professeur à Freiberg, le naturaliste von Knebel… Et bien sûr au duc Charles-Auguste qui le prend sous sa protection tutélaire, lui donne un poste ministériel, lui offre une maison et l’emmène à la chasse ! J.-Henri Merck était de ses amis dès le temps de jeunesse, tout comme le philosophe Frédéric Jacobi. Au rang des très nombreux correspondants du savant, on relèvera bien sûr ses amis déjà cités18, mais encore von Buch qui fut l’élève de Werner à Freiberg, le Pr Lenz de l’université d’Iéna – son correspondant “perpétuel” dès 1791 –, le philosophe Frédéric-Guillaume von Schelling, le Pr Steffens de l’Université de Halle, Georges Cuvier (autour d’un moulage de Paleotherium), Frédéric Soret de Genève (1795-1865), élève de Haüy, qui entreprit la difficile entreprise de traduire La Métamorphose des plantes, et vint aider Goethe, dans les années 1820, à classer sa collection et à étudier les propriétés cristallographiques des diamants du Brésil procurés au duc de Saxe-Weimar par Eschwege. Goethe apprit au contact des autres, et ne s’en cache pas : « Da ich einmal nichts aus Büchern lernen kann, so fang ich erst jetzt an, nachdem ich die meilenlangen Blätter unserer Gegenden umschlagen habe, auch die Erfahrungen anderer zu studieren und zu nutzen19 ». Des maîtres à penser forgèrent la posture scientifique de Goethe dans le domaine des sciences de la Terre. Au tout premier plan se positionne Abraham-Gottlob Werner20, mais par une voie indirecte : la doctrine de Werner dont Goethe s’imbibe lui a été véhiculée par son élève, Jean-Charles Voigt. Un Goethe qu’on découvre avide de rassembler les documents utiles à son éducation scientifique ; parmi les premiers figure le manuscrit, et la carte géologique, de Jean-Goderoy Schreiber, ce jeune ingénieur des mines chargé d’étudier la région d’Ilmenau.
16De grands maîtres influèrent considérablement la pensée de Goethe, insatiable lecteur de leurs œuvres fréquemment complétées d’échanges épistolaires. À commencer par Buffon : Goethe se délecte de la Théorie de la Terre (1749) et des Époques de la Nature (1778). Il y adhère totalement et ne souffre pas que quiconque puisse y voir une hypothèse ou un roman21. En 1781, il se procure les Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay de Faujas de Saint-Fond (1778). Vers 1806, il découvre l’œuvre de René-Just Haüy, sans doute le plus grand minéralogiste de tous les temps, qu’il estime au plus haut degré :“ein kluger, leise autretender, einflussreicher Mann…”. Sur un plan plus orienté vers la pratique, Gottlieb Michaël Häcker lui apprend l’art de l’essai, c’est-à-dire le dosage des métaux précieux dans les minerais ou dans les productions de la métallurgie. En 1780, Goethe découvre la traduction allemande de l’Essai d’une Minéralogie22 du Suédois Cronstedt (le même dont nous avons parlé plus haut à propos de la classification des productions minérales). En 1816, il lit encore le Nouveau système de minéralogie du baron Berzélius23, un autre savant suédois. En 1828, il se procure le manuel de minéralogie de Naumann24.
17Goethe se rend sur le terrain, qu’il arpente25, il lit, discute avec des scientifiques, participe aux mouvements philosophiques de son temps.
Construire un cabinet de minéralogie
18Collectionneur dans l’âme, pas pour le spectacle, mais dans le dessein de posséder entre ses mains les matériaux d’accès à l’univers des connaissances, Goethe use de tous les moyens disponibles pour construire et consolider son « cabinet » [illustr. 7]. À commencer par les propres récoltes sur le terrain, en partie assurées par les soins de son « assistant » Jean-Charles Vogt, régulièrement expédiées par caisses en direction du Wohnhaus. Par ailleurs Goethe ne néglige pas de faire valoir son rang et sa stature d’homme politique et de savant pour se faire offrir ce qu’il convoite ; ainsi assistons-nous à un défilé d’invités ravis de cet alibi pour se faire bien recevoir. Il pratique de même les échanges, et s’est constitué à cet effet un stock de célestines26 ramassées à Dornburg, en Hesse. Goethe pourvoit encore par ces moyens la collection de l’Université d’Iéna, la ville proche de Weimar dans laquelle il s’implique beaucoup, entre autres par l’animation d’une société savante. Mais la source sans doute la plus fertile d’approvisionnement réside dans les achats, auprès de marchands spécialisés27, de lots de pierres expédiées par caisses. Il n’est pas rare que celles-ci quelquefois arrivassent avec un contenu endommagé, ou tout simplement renversées : “doch sind die Etiketten abgefallen und alles ist durcheinander gerollt”. Reste au destinataire la mission de tenter de remettre en adéquation les étiquettes – et leurs précieuses informations – et les échantillons auxquels elles s’appliquent.
19Le lecteur nous pardonnera l’énumération fastidieuse qui suit, elle se veut juste donner une plage de lumière dans l’immense étendue des pourvoyeurs de la collection Goethe ! Des envois conditionnés par caisses aboutissent ainsi à son domicile. Von Charpentier (Pr à Freiberg) lui envoie une « suite » à minerais de cobalt-nickel et argent corné – une espèce rare – de Schneeberg. D’autres acheminements sont le fait du géographe, naturaliste et inspecteur des mines Von Humboldt, issu de l’école de Freiberg ; ou encore de Von Knebel, de Von Racknitz, du baron Von Odeleben de Freiberg, du grand-duc Charles Auguste en personne, de l’académicien suédois Berzelius – que Goethe avait lu –. Von Leonhard lui envoie des laves d’Auvergne, Von Schlotheim le pourvoit en fossiles, Von Giesecke (Pr à Dublin) lui expédie des minéraux du Groenland et de Cornouaille, l’archiduc Jean d’Autriche des minerais chromifères de Styrie. Clémentine Cuvier lui fait acheminer des fossiles de Montmartre, Eichhorn des pièces de la vallée de la Moselle et de l’Eifel, le Conseiller de Hesse-Darmstadt Klipstein des schistes alunifères28, Lerse des minéraux de Hongrie, Mayer, ancien directeur des mines du roi d’Espagne, des minerais de cuivre d’Espagne et du Chili. Son ami Merck le pourvoit en laves et en granites de Forêt-Noire et de l’Odenwald, le pasteur Wittenbach en granites et en gneiss, le Dr Lavater de Zürich en roches de Suisse. Rencontré en Italie, le peintre Tischbein lui fait livrer des portions polies détachées des ruines antiques… Au chapitre des cadeaux, ou des dons, nous retiendrions volontiers cette remarquable collection de minéraux de Russie qu’expédia, de Moscou, Justus Loder, à la demande de Frédéric Soret, élève d’Haüy et ami de Goethe. La photo de l’illustration 5 la dévoile partiellement, on y remarque des espèces métalliques caractéristiques des gisements l’Oural, comme le plomb rouge de Sibérie29, le platine ou encore la malachite. En France vers la fin du XVIIIe siècle, la mine d’argent des Challanches près d’Allemont (Dauphiné), une découverte tardive et quasi surréaliste, est dirigée par un ingénieur des mines de talent, dont nous avions déjà conté les premiers faits de terrain : Jean-Godefroy Schreiber30. D’une complexité structurale rare, difficile d’accès, le gisement des Challanches recèle des espèces minérales tout à fait peu coutumières, telles ces « ocres argentifères » si discrètes. Il ne pouvait être compris que par un homme de l’art de cette trempe31. Bien sûr Schreiber s’enquit d’expédier à Weimar un lot de ces étranges paragenèses32. Nous basant sur l’inventaire de Prescher, nous étions tentés de retrouver cette « suite d’Allemont » composée de 41 échantillons susceptible de revêtir une résonance particulière en termes de patrimoine des sciences. Il n’en subsiste hélas que très peu de choses.
20À Karlsbad où il s’est est allé séjourner à maintes reprises, Goethe avait immédiatement remarqué un marchand de minéraux nommé Müller, qui préparait en série des petites collections de pièces de sa région à vocation pédagogique, logées dans des boîtes à casiers. Séduit par le concept, Goethe souscrit très vite à ces coffrets « tout faits ». Bien des envois se démarquent par la qualité exceptionnelle de leur contenu, ou la présence de minéraux rares ou précieux. Ainsi ces échantillons d’or de Transylvanie, de l’Oural ou de la Gardette (Dauphiné). À propos d’or, nous avons noté le contenu d’une étiquette en particulier, qui commence évidemment par son numéro. Le voici, textuellement :
905. Reines Gold von der Insel Aruba bei Curacao33. Vom Prediger Bosch aus Curacao dem Gb B’’ gegeben und von diesem Sr. Excellenz von Goethe als ein schwacher Beweis seiner innigsten Verehrung angeboten.
21Et c’est ainsi que Goethe, très habilement, sut se constituer une collection de minéraux de tous les continents, un Monde en miniature, une somme d’entités représentative des gisements alors connus et – pour beaucoup – en exploitation, un reflet de la minéralogie mondiale telle qu’elle se présentait au début du XIXe siècle. Pour n’en citer que quelques-uns, lapis de Perse, béryls de Sibérie, cryolite du célèbre gisement d’Ivigtut, au Groenland, topaze du Brésil, malachite de l’Oural, cuivre du Pérou, écume de mer d’Anatolie… On le voit, les gemmes ne sont pas absentes du catalogue. Nous avons été impressionné par le tiroir des béryls de Sibérie, en provenance d’un gisement appelé Adun Tschilon, qui se projette à 500 km à l’est du lac Baïkal ; une boîte dans ce tiroir contenait six cuvettes en carton renfermant chacune environ vingt béryls ! Les grenats de Bohême, récoltés au voisinage de Meronitz, figurent à leur place ; Goethe s’interroge à leur propos : on les ramasse en effet dans les alluvions de vallées, comment ont-ils abouti en ces milieux, “in einem aufgeschwemmten Boden” ? Qui donc à l’époque aurait été à même d’expliquer où et comment ces cristaux se sont formés34 ?
22On trouvera dans « les trésors du cabinet Goethe » jusqu’aux espèces minérales du célèbre gisement du Lengenbach, dans le Binntal en Valais (Suisse), l’un des rares au monde à avoir été exploité pour la production de minéraux ; le fameux sulfure d’arsenic d’un rouge de rubis, sur un fond de dolomite saccharoïde d’un blanc de neige, en est emblématique. Et pour l’anecdote, on exposera que Goethe se fait expédier, en 1828, une réplique en plâtre d’une pépite d’or de l’Oural, par les soins d’un élève de Werner, von Engelhardt (Pr à Sverdlovsk). Les régions proches du Rhin supérieur sont bien représentées. Ainsi cette remarquable collection de minerais cobalto-argentifères de la seigneurie de Fürstenberg dans le Kinzigtal, en Forêt-Noire ; au sein de cette suite, nous avons repéré l’échantillon n° 3158 ; c’est une banale calcite. L’étiquette cependant véhicule une information pour le moins curieuse :
Unglücklicherweise zerschlug der Bergmann ein Doppelspat so ungeschickt, dass nun bei fernerer Zerlegung die Bruchstücke von rhomboidalischer Figur immer so klein bleiben35 (1784).
23Goethe à travers cette manipulation d’un mineur paraît anticiper celles d’Haüy, qui fragmenta ses rhomboèdres de calcite aux fins d’en obtenir de plus petits aux angles toujours identiques, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus perceptibles qu’au travers d’une loupe fortement grossissante. Le savant français en avait conclu que le cristal n’est qu’une répétition à l’infini de cette maille élémentaire qu’il nomma alors « molécule intégrante ».
24Les gisements de plomb-zinc de la Forêt-Noire centrale sont à leur place, comme ces plombs verts36 du gros gisement du Schauinsland. Un peu plus loin, le Palatinat, pays du mercure, est contenu tout entier dans un tiroir (une « suite » !), tout garni de bons échantillons de ce sulfure d’un rouge carmin. Il est superflu de préciser que Goethe avec obsession s’interroge sur la signification de la couleur des pierres. J’avais été frappé avant ma visite, avisant presque par hasard une liste manuscrite d’échantillons37 achetés par correspondance (comportant l’indication des prix !), par la mention de quelques minéraux d’Alsace, ainsi une Eisenblüte (aragonite coralloïde) de Markirch (Sainte-Marie-aux-Mines), un Fahlerz (tétraédrite) et un minerai de cobalt du même gisement, un « plomb blanc38 » de Lacroix en Lorraine… Mais le fournisseur de ces pièces ne força pas son talent, il s’agit, à l’exception du dernier, d’échantillons de second ordre !
Voyages
25Les Lumières inaugurèrent les grandes mobilités de savants ou d’ingénieurs : c’est en voyageant qu’on édifie pas à pas la connaissance encyclopédique. Montesquieu figure parmi les précurseurs (1728-29) à travers ses voyages aux mines de Basse-Hongrie (l’actuelle Slovaquie) ou du Harz, les dernières l’ayant particulièrement impressionné39. Le directeur des mines de Lorraine, Jean-Jacques Saur, effectua son voyage en Saxe en 1742, Guettard sillonna la France, les Pays-Bas, l’Italie, la Suisse et la Pologne dans les années 1740, Antoine-Gabriel Jars réalisa un périple à travers les mines et les fonderies d’Europe de 1757 à 1769. Antoine-Grimoald Monnet cartographia… la géologie du Grand-Est, explora les Monts Métallifères, la Belgique et le Massif Central, de 1766 à 1794. Von Born parcourut la Hongrie et la Transylvanie en 1774, l’Italien Collini en 1776 découvrit en particulier l’Eifel... La plupart de ces savants ou ingénieurs produisirent des cartes, des rapports manuscrits ou publiés, ou tout simplement des relations de voyages. C’est dans cette catégorie que se positionnent principalement les productions de Goethe, même s’il intégra dans ses publications scientifiques nombre de ses observations.
Ses accompagnateurs, au fil du temps.
26Imaginez la fébrilité de Fritz le fils de Charlotte von Stein40 (alors âgé de 11 ans) lorsqu’il accompagna Goethe à l’occasion de son deuxième voyage dans le Harz en septembre 1783 ! Le Bergmeister von Trebra se joignit à eux pour la montée du Brocken ; le duc Charles Auguste tint compagnie à Goethe pour son deuxième voyage en Suisse41(1779), mais aussi en Silésie et aux mines de sel de Wielicska (1798) ; von Knebel se joignit à lui en 1785, le suédois Berzelius – que Goethe avait lu six ans auparavant – se rendit en sa compagnie à Eger (Hongrie) en 1822 ; Reuss l’accompagna en Bohême, Cramer en Palatinat, Tischbein en Italie, Kniep et le jeune dessinateur Christophe Heinrich pour la croisière en direction de la Sicile ; son propre fils Auguste (né en 1789) l’accompagna encore, tout comme ses domestiques Sutor, Götze, Geist, Stadelmann… Ce dernier très zélé, à l’aide d’une panoplie de petits marteaux, lui taillait les échantillons de roches au format « savonnettes », s’appliquant ensuite à en calligraphier les étiquettes.
27L’un des voyages les plus retentissants, véritable bifurcation dans l’évolution du savant, a été le Harzreise im Winter, en décembre 1777. On sait que le Harz regorge de richesses minières : plomb, cuivre, argent, plus tard dans l’histoire zinc, manganèse… Les relations de son journal permettent de retracer jour après jour son itinéraire. Il s’enflamme à la découverte des trésors de la Terre, les Bodenschätze, mais aussi de toute la culture qui les emballe ; ses chevauchées en solitaire42 lui font dévoiler des pans entiers des secrets de la Terre. Comme un enfant il s’émerveille : “Nur die Freude die ich habe wie ein Kind sollten Sie im Spiegel sehn können !” (Lettre à Charlotte von Stein). “Wir sind den gantzen Tag unter freyem Himmel, hämmern und zeichnen…43” écrit-il à son vieil ami von Herder. À Claustal, il visite les mines Caroline et Dorothée44, comme l’avait fait Montesquieu presque cinquante ans avant, comme le fera près d’un demi-siècle plus tard Heinrich Heine. La neige sublime les paysages, et qu‘importent les rudes conditions de l‘hiver, le monde souterrain les efface : “Alles Winterwesen hatte überdies in jener Zeit für mich grosse Reize, und was die Bergwercke betraf, so war ja in ihren Tiefen weder Winter noch Sommer merkbar…” Sensible à la variété, à l’esthétique des minéraux qui garnissent et tapissent les filons du dedans de la Terre, Goethe n’en était pas moins attentif au contexte qui les emballe, aux techniques qui permettent aux hommes d’arracher ces richesses à la roche, mais aussi aux process industriels de la préparation des minerais, dans les usines de Claustal ou du Rammelsberg (près de Goslar), tout comme aux procédés de la métallurgie du cuivre, du plomb et de l’argent. À nouveau se révèle avec éclat le syncrétisme que Goethe manie si habilement. Loin de se cantonner dans une spécialisation étriquée, il s’efforce de percevoir tous ces aspects comme un tout indissociable : “Ich dachte mir unerlässlich von allen Dingen das Bergwesen in seinem ganzen Complex…”
28Goethe bien sûr ne pouvait faire l’économie d’aller toucher du doigt le Brocken, le point culminant du massif. Là, il se trouva aux prises avec une très belle géologie, celle du granite et de son environnement. Nous y reviendrons. Ses dessins d’affleurements montrent un scrutateur fasciné par la fracturation et l’érosion du granite, des processus qui dégagent des rochers aux formes étranges. Ces motifs quasi-géométriques, ces polyèdres de granite limités par des diaclases répétitives aux angles réglés, rhomboèdres, cubes, colonnes, Goethe les considère comme des cristaux. Un concept propre à heurter les initiés en matière de cristallographie, qui n’attribuent la propriété de former des cristaux qu’à des minéraux, jamais à des roches. Souvenons-nous cependant qu’alors, la distinction des roches et des minéraux n’était pas vraiment établie. Mais surtout, loin du cabinet parisien du cristallographe et abbé Haüy, d’éminents arpenteurs du terrain comme Horace Bénédict de Saussure ou encore Antoine-Grimoald Monnet avaient opté pour un usage sémantique adapté, élargissant ce concept à toute formation rocheuse qui répond à cette intention géométrique de la nature. Ainsi les aiguilles de Chamonix seraient-elles d’authentiques cristaux géants ! Le grand Romé-de-Lisle considérait lui-même comme cristaux les prismes basaltiques.
29Fasciné par la géométrie des roches, que déterminent stratification, plans de clivage ardoisier ou directions de fracturation, Goethe inlassablement mesure ces structures planaires à l’aide de sa boussole de géomètre minier. S’il ne cultive pas de penchant pour les mathématiques, il ne s’en révèle pas moins un des pionniers de la géologie structurale ! Car Goethe cherchait à mettre en évidence un modèle simple expliquant le débit, les formes, de l’ensemble des roches du Harz. Une entreprise sans doute vouée à l’échec au vu de la complexité de l’histoire de ces formations, qu’on sait à présent polyphasée. Du voyage incognito en Italie – sous le pseudonyme de Philippo Miller –, on se délectera du livre qui en est la relation. On relève parmi cent autres choses le descriptif des terrains que le voyageur traversa en Sicile ; une foule dense d’observations pétrographiques et sédimentologiques – qu’on nous pardonne ces désignations très contemporaines –, digne du carnet de terrain d’un géologue moderne. Il est étonnant tout de même que Goethe ait cheminé tout à côté des mines de soufre de Caltanisetta, sans qu’on lui ait signalé cette spécificité tellement unique dans l’univers des ressources minérales. Si nous nous orientons en revanche du côté des spectacles de la nature, nous retiendrons les trois ascensions du Vésuve, les 2, 6 et 19 mars 1787. Les montagnes ouvrant sur le domaine de Pluton n’avaient pas bonne connotation : “Die mitten im Paradies aufgestürmten Höllengipfel”. Goethe décrit une éruption, à laquelle il assista contre son gré, tel un spectateur piégé :
…Auf einmal erscholl der Donner, die furchtbare Ladung flog an uns vorbei, wir duckten uns unwillkürlich, als wenn uns das vor den niederstürzenden Massen gerettet hätte; die kleinern Steine klapperten schon, und wir… kamen mit der noch rieselnden Asche am Fusse des Kegels an, Hüte und Schultern genugsam eingeäschert. (6 mars 1787)
30Il produisit d’ailleurs de l’éruption du Vésuve, de mémoire, un dessin à la plume rehaussé de lavis et d’aquarelle. Nous reviendrons plus loin sur ses idées à propos du volcanisme. Sensibilisé très tôt à la géologie des basaltes, sans doute par Voigt, il s’intéresse aussi à ceux du Rhin supérieur : un tiroir entier recèle les basaltes à feldspathoïdes45 du Kaiserstuhl !
31À diverses reprises, Goethe voyagea dans les Monts Métallifères. Les localités qui l’accueillirent hébergent fièrement quelque petit monument, ou quelque plaque gravée apposée sur une façade, signifiant bien à l’adresse du touriste que le génie avait séjourné là… Dans son obsession à percevoir les choses « vues d’en haut », Goethe avait à cœur le classement, la prise en considération d’entités que nous qualifierions de métallogénétiques ; entendez par là des types de gisements qui se sont formés dans le même laps de temps, par opposition à d’autres associations, recélant d’autres métaux, plus anciennes ou plus jeunes. Il s’intéresse ainsi aux gisements d’étain et de wolfram46, deux minerais qu’il perçoit comme jumelés, visite Krupka/Graupen, ou encore Altenberg. En ce lieu, il se dit impressionné par la fameuse Pinge, monstrueux effondrement qui s’est produit en 1620, engloutissant les exploitations anciennes d’étain qui avaient trop densément troué la profondeur de la montagne. Ce cratère est pour lui un lieu didactique, un “Objekt der Erzlagerstättenlehre”. L’illustration 8 montre un échantillon de minerai d’étain massif dans sa gangue de quartz ; l’étiquette adhère au dos de l’échantillon, fixée à la colle de poisson. Non loin, toujours en Saxe, Freiberg est à la fois le premier district argentifère d’Europe, la première école des mines de nos civilisations, et bientôt peut-être le cœur d’une région classée au patrimoine de l’UNESCO [illustr. 9]. À Freiberg après avoir rendu visite à sa vieille connaissance Monsieur de Trebra47, Goethe visite une mine d’argent et l’usine d’amalgamation de Halsbrücke : on utilise alors le mercure pour extraire avec plus d’efficacité l’argent de ses minerais. À Schneeberg lors de sa première tentative d’immersion dans le milieu souterrain, il est éconduit au prétexte qu’il n’avait pas la nationalité saxonne48. En provenance de Joachimsthal (Jachymov), même si Goethe en ce lieu n’est pas descendu « au fond », les collections hébergent un minéral négligé des mineurs : de couleur noire, il ressemble à de la poix (Pech), forme des sortes de pustules, et porte le suffixe de blende, c’est-à-dire des pierres dont on ne pouvait rien tirer [illustr. 10]. Un autre échantillon d’ailleurs comporte l’étiquette “Uranglimmer”, arborant des teintes d’un jaune éclatant. Les minerais uranifères de Jachymov, ceux-là même qui déterminèrent Marie Curie à en extraire le radium, figurent à leur place dans les collections du premier XIXe siècle ! En bordure de l’Erzgebirge s’étale Karlsbad, la ville des sources. Goethe y fit douze séjours, menant grand train, rencontrant le beau monde49. Une controverse agitait déjà les esprits penseurs dans le dernier tiers du Siècle des lumières. Nous ne résistons pas à reproduire à ce sujet l’opinion d’Antoine-Grimoald Monnet – qui était aussi chimiste – à propos de Plombières (il avait constaté la quasi-absence de minéralisation de ses eaux, comment donc pourraient-elles alors posséder quelque action sur la santé des hommes ?) :
Comme le lieu des eaux minérales est presque toujours le rendez-vous des désœuvrés, des chercheurs de fortune, des demis malades qui ont toujours plus de temps qu’il ne faut, il n’est aussi aucun autre lieu du monde où l’on soit plus curieux de savoir et de connaitre les gens qui y arrivent.
32Anticlérical, imprégné des idées de Voltaire, Monnet alla jusqu’à refuser de rencontrer l’évêque de Salzburg qui précisément y prenait les eaux… Autre position que celle de Goethe ! Mais le philosophe y joignait la découverte des environs, s’adonnait à d’inlassables excursions. Le granite de cette région contient – comme tout granite – des feldspaths de l’espèce feldspath orthose, un silicoaluminate potassique. Gros de plusieurs centimètres, les cristaux d’orthose, en forme de tablettes épaisses à contour hexagonal, ont coutume de s’associer deux par deux dans leur cristallisation, en respectant des angles parfaitement prédéterminés. Ces paires de cristaux limités par des facettes qui offrent entre elles des angles rentrants sont appelées « Zwillinge » en allemand, « macles » en français. La macle de l’orthose est appelée « macle de Carlsbad »[illustr. 11]. La collection Goethe contient un tiroir tout entier de macles de Carlsbad ! Goethe retrouvait en ces lieux son attachement indéfectible pour le granite : “Vom Granit, durch die ganze Schöpfung durch, bis zu den Weibern, alles hat beigetragen, mir den Aufenthalt angenehm und interessant zu machen50.”
Une brève revue de six thèmes
1/6 - Le granite, la roche originelle
33Pour Goethe, en quête perpétuelle de comprendre les lois belles car simples qui régissent l’Univers, le granite, la roche cristallisée par excellence, la pierre parfaite, représente le fondement de tout, la masse originelle de la géosphère. Ne constitue-t-il pas la matière des montagnes les plus hautes, le Brocken pour le Harz, le Mont-Blanc pour les Alpes ? De par les « ingrédients » qui le composent – mica, quartz et feldspath – il représente la Trinité ; mais comment interpréter alors les granites à deux micas, ou à amphibole ? À Fritz (11 ans), le fils de Charlotte von Stein, il dicte, alors qu’ils étaient campés face aux affleurements du Broken51 : “der Granit ist durch eine lebendige innerlich sehr zusammengedrängte Kristallisation entstanden”. Mais qu’entend-il par cristallisation, puisque les polyèdres de granite eux-mêmes sont considérés comme cristaux ? Il n’a pas tout à fait tort dans ses considérations, bien des sondages profonds faits durant le second XXe siècle pour explorer la croûte terrestre se sont « perdus » dans des granites. Mais une démarche propre aux méthodes récentes allait sonner le glas de cette attribution, faite au granite, de « roche primitive » : les datations. Celles-ci ont amplement montré que le granite surgit plutôt ponctuellement dans l’histoire de la croûte terrestre, en différents épisodes liés à ses mouvements et à ceux de son substrat le manteau supérieur. La véritable roche primitive, c’est la péridotite qui constitue le manteau !
2/6 - Qu’y a-t-il juste au-dessus du granite ?
34Goethe recherche avec entêtement des affleurements montrant les contacts du granite, les premières formations venues se déposer à la surface de la roche cristalline primitive : la vieille croûte du nouveau système.„Ich freue mich nur dass ich finde ich sey auf dem rechten Wege mit meinen Spekulationen über die alte Kruste der neuen Welt…52” écrit-il depuis le Harz le 13 septembre 1783 à Charlotte von Stein. On relèvera toute l’importance sémantique du terme « spéculations », alors très en vogue ; laisse-t-il une place à l’interprétation, à la reconnaissance d’une dimension hypothétique des considérations du penseur ? En 1812, il redécouvre l’affleurement-clé, celui qui montre le contact entre le granite et la cornéenne – appelée alors « jaspe », Jaspis oder Hornstein –, marquant le début des dépôts d’un océan primitif qui cependant succède au temps des granites. Vite, il partage cette intime conviction avec M. de Trebra, qui lui avait fait polir une surface incluant cette fameuse bordure. Goethe a bien noté que la base de l’océan primitif se compose d’une roche dure semblable par sa cassure et sa couleur à de la corne, roche qu’on nommera « cornéenne ». La métamorphose de nos idées interviendra bien plus tard. En 1877, le géologue allemand Harry Rosenbusch, professeur à l’université de Strasbourg, initiateur de l’étude des roches en plaques minces et au microscope polarisant, démontre que la modification thermique des schistes de Steige était due à l’intrusion – tardive – du granite d’Andlau : les schistes se transforment en cornéennes. La notion de « métamorphisme de contact » venait d’éclore.
35Mais revenons aux tiroirs de la collection Goethe. Il est remarquable de noter que bien des étiquettes portent la marque de l’interrogation du chercheur. Face à la difficulté d’attribuer à l’échantillon une « étiquette » s’inscrivant dans les méandres de la classification des roches, la prudence avait conduit le gestionnaire de la collection (Goethe ou ses « assistants ») à remplacer un nom par un descriptif. Ainsi : “ N° 2927: Merkwürdiges Gestein…das ich weder zum Granit, noch zum Porphyr zu rechnen getraue, und für welches ich den namen Granulit… in Vorschlag bringe…”
3/6 - Neptunisme contre plutonisme, ou der Streit um den Basalt
36En 1756 en France, Guettard reconnaît la nature volcanique des Puys, ces cônes de cendres et de scories. Mais pas des basaltes, qui forment des sortes de lames épaisses allongées à la manière de sédiments dans les vallées. En Saxe, l’immense Abraham Gottlob Werner observe les basaltes d’Annaberg (ou d’autres lieux) : ils remplissent une sorte de lame épaisse horizontale à faces parallèles qui quelquefois même se surprend à surmonter un paysage de plateaux. Cette configuration conduit Werner à considérer les basaltes comme d’origine marine, par une sorte de cristallisation en milieu aqueux. La croûte terrestre toute entière pourrait s’expliquer au travers de processus initiés dans la mer ou dans les océans. L’école de Werner est celle du neptunisme. Le neptunisme s’oppose au plutonisme de l’Écossais Hutton53, pour qui les phénomènes de fusion dans les parties profondes se révèlent prépondérants. Mais le neptunisme faisait grincer des dents. Le premier contradicteur de Werner était… son propre élève Jean-Charles Voigt, qui observa très finement les basaltes de Thuringe mais aussi de l’Eifel. Il publia cette thèse dans Mineralogische Reisen durch das Herzogtum Sachsen-Weimar-Eisenach, (1782), aidé dans cette tâche éditoriale par Goethe. Goethe cependant n’adhérait pas à ces idées frondeuses, il restait fidèle à son mentor Werner. Le neptunisme avait de fervents adeptes en France ; Antoine-Grimoald Monnet lui était acquis, ne pouvant se résigner à une origine ignée des trapps54 de Raon l’Étape, en Lorraine. Pendant ce temps, Faujas de Saint-Fonds, observant la similitude des laves du Vivarais et de celles du Vésuve, aboutissait à une origine volcanique des premières. Et même si le neptunisme avait encore droit de cité durant un bon premier tiers du XIXe siècle, Goethe se sentait de plus en plus mal à l’aise en face de cette théorie. On lui connaît une publication posthume : Vergleichs Vorschläge, die Vulkanier und Neptunier über die Entstehung des Basalts zu vereinigen, dans laquelle il tente de concilier les deux positions.
4/6 - Gradualisme ou catastrophisme
37L’observation des phénomènes actuels à la surface de la planète est la clé de la compréhension de l’histoire géologique du Monde, il en va ainsi de l’érosion des montagnes, des sédiments qui se déposent dans les régions déprimées, des volcans, des glaciers. La face de la Terre s’est sculptée progressivement, graduellement, en usant de la conjonction de tous ces phénomènes naturels : c’est le gradualisme généralement attribué à Charles Lyell55, l’auteur des Principles of Geology (1830-33). Mais Goethe n’est-il pas l’un des premiers scrutateurs de cette « transition douce », lorsqu’il adhère (1812) à la vision de Trebra, qui expose que :
Bei der Entstehung der Gesteine u. Erzlagerstätten haben die stillern, langsamern, in einem ununterbrochenen Kreislaufe fortwirkenden Veränderungsmittel der alles durchdringenden Feuchtigkeiten eine grössere Rolle gespielt als die grossen Erschütterungen der Natur…56?
5/6 - Pierres tombées du ciel
38Pour Goethe, les météorites seraient des « condensats » de matière terrestre qui s’étaient en quelque sorte égarés [“verflüchtigt”] dans l’atmosphère. De Göttingen, Blumenbach lui adresse en septembre 1783 un petit fragment de la météorite d’Ensisheim [illustr. 12], tombée le 7 novembre 1492 (le millésime marquant le début de l’époque moderne ?) et dont il reste un morceau de 55,75 kg, alors que sa masse initiale avait été estimée à 135 kg.
6/6 – Des “imitations” de la nature
39Nous abordons ici des domaines où l’Homme, volontairement ou involontairement à travers ses activités, en arrive à produire des « artéfacts » qui se rapprochent de ce que fabrique la nature. Ainsi les embrasements qui se produisent dans d’anciennes houillères ou dans les crassiers des mines de charbon ont-ils pour effet d’en rubéfier les roches – comme on peut le voir au Kohlberg, en Alsace centrale dans le val de Villé – et y engendrent des transformations57. Goethe – qui par ailleurs publia sur la houille et visita des mines de charbon – a été fasciné par les effets de ces « pseudo volcans », se rangeant dans l’opinion de Werner. D’ailleurs à cette époque, et Buffon s’en était fait l’écho, beaucoup pensaient que le volcanisme était provoqué par les couches de charbon pyriteux des terrains houillers qui entraient naturellement en combustion.
40Ailleurs, Goethe s’interroge sur la transformation de la terre – un mélange d’argiles – dans le four du potier58. Questionnement récurrent depuis la plus haute Antiquité, certains observateurs n’ont pas hésité à parler du « miracle du potier ». Mais cela va beaucoup plus loin. La visite d’une manufacture de porcelaine met Goethe sur la voie de la fusion des schistes, qu’il pressent sans parvenir à la réaliser. Car fondre une roche alumineuse – c’est-à-dire faite essentiellement d’argiles – exige des températures bien plus élevées que pour la fusion de la silice (ce qui produit le verre) ou même celle d’un mélange d’argile et de quartz. Ces conditions ne sont pas atteintes dans les fours de la manufacture de porcelaine, même si une fusion commençante apparaît à la surface des pièces, à l’origine de ce qu’on appelle le grésage. S’il eût été jusqu’au bout de sa démarche, Goethe n’aurait-il pu faire figure de précurseur de la pétrologie expérimentale ? Cette même vivacité d’esprit l’a conduit à s’intéresser aux produits des fonderies, dont il visita maints établissements. Dès la Harzreise de 1777, il s’interroge sur la nature et la composition de ces déchets industriels si envahissants, dont l’essentiel est réuni sous le vocable de « scories ». Il pressent qu’une étude minéralogique de ces scories serait à même de livrer des informations sur les processus même de la métallurgie, une idée que consolidera quelques décennies plus tard Théodore Haupt, le véritable fondateur de l’archéologie des métaux59.
41Il nous reste à éclairer la naissance de la goethite, en 1806, attribuée par le Bergmeister Jean-Daniel Engels, de Siegen (Westphalie) et le curé Achenbach. Initialement désigné… comme Rubinglimmer du fait de ses reflets rouges, l’échantillon-type provenait d’une mine située près de Siegen. On sait à présent que ce « premier » échantillon était en réalité de la lépidocrocite ! La goethite n’en reste pas moins le minerai de fer le plus répandu au Monde !
Éléments conclusifs
42L’illustration 13 place, dans un triangle isocèle, les savants qui se préoccupent de sciences de la Terre. Certains n’auront de cesse que de pratiquer le terrain, inlassablement, en quête de paysages, d’affleurements, de leur interprétation. Et si la compréhension de l’affleurement ne peut faire l’impasse l’examen du « caillou », certains géologues se spécialisent dans l’étude, en laboratoire, de ces matériaux arrachés à la lithosphère : voilà le pôle du triangle désigné comme « l’échantillon ». Le troisième angle est occupé par la théorie. Evidemment, celle-ci peut naître de l’observation scrupuleuse du terrain et des échantillons, il n’en reste pas moins qu’une troisième catégorie de penseurs se complaît dans des postures de supputations, de spéculations, dans des tentatives de synthèse offrant quelquefois une part généreuse à l’interprétation. Ainsi Buffon, quoique maître de forge et attaché à l’étude strictement naturaliste par sa fonction auprès du Jardin du Roi, se situe-t-il assez près du pôle « théorie », ce que révèlent ses écrits. Antoine-Grimoald Monnet – qui ne nourrissait pas beaucoup d’admiration pour ces « géologues de salons », se cantonne au plus près des affleurements – qu’il nomme à juste titre « ouvertures »60, et des échantillons : il se rapproche du segment joignant les deux premiers sommets de notre triangle.
43Goethe pour sa part sait trouver une harmonie entre les différentes approches : il dessine et mesure les affleurements, s’échine à briser les roches pour ensuite les examiner de près, enfin réfléchit à englober ses nombreuses observations dans un paradigme, une sorte de système global régi par des lois universelles. Ses grands gestes, ses élans passionnels, ses pulsions de visionnaire suffiront-ils à convaincre ? Ne va-t-il pas très loin lorsqu’il affirme, à propos de la simple observation d’une suite d’échantillons, que „…eine jede Folge dieser Art nicht mit den Augen des Leibes sondern des Geistes beschaut werden müsse61” ? Ses prises de position jalonnent une croyance quasi-religieuse. Goethe se nourrit des années durant de l’érudition des spécialistes. Minéralogiste inclassable, « hors-norme », autodidacte, il part d’idées, la plupart empruntées à ceux que son cheminement le conduit à côtoyer, et là les ingénieurs élèves de Werner issus du « Gotha » des sciences de la Terre – l’école des mines de Freiberg – exercent sur lui une influence déterminante. Des idées aussi qu’il s’est forgé à partir de lectures variées, allant des descriptions strictement minéralogiques d’espèces des premiers manuels aux démarches expérimentales d’un Haüy ou aux spéculations intellectuelles d’un Buffon. À partir de là, revêche aux changements trop radicaux dans le domaine de la pensée – comment interpréter des failles, des plis ? –, Goethe se refuse à adhérer à des modes. Dans ses jeunes années de minéralogiste, il cultive une humilité toute à son honneur :
Ewr Durchlaucht werden durch das Ganze finden, dass wir über die Entstehung unserer Gebirge kein Wort erlaubt haben. Es ist dies meist die Torheit derjenigen, die ein paar Berge beschreiben, dass sie zugleich etwas zu Erschaffung der Welt mit beitragen wollen62.
44Une phrase à valeur prophétique d’une brûlante actualité, si on la projette à l’adresse de nos chercheurs du XXIe siècle ! Mais Goethe est habité par une obsession perpétuelle de comprendre, d’interpréter. Il lui tient à cœur de mettre ses « spéculations » (c’est ainsi qu’il désigne lui-même ses théories) à l’épreuve du terrain, qu’il arpente inlassablement. Pour cela il se fabrique des outils, et la collection de roches, de minéraux et de fossiles figure à ce titre au premier rang, comme référence universelle. Faisant ratisser les terrains par ses proches, il ambitionne de finaliser la carte géognosique de la Thuringe, de la Hesse, de la Saxe et même de la Bohême, avant de l’augmenter à l’Europe entière. Mais ces territoires vont se révéler aux yeux des géologues modernes trop étriqués pour livrer la collection complète des phénomènes aidant à comprendre les clés de l’évolution de la Terre.
45Goethe pas à pas échafaude SA théorie, la transforme au besoin, idéalise un monde régi par des lois, des principes simples, que seule une connaissance universelle fera comprendre63. Il précise et préconise une histoire du monde simplifiée, en quatre épisodes : l’Urgebirge est fait de granite, base de toutes choses, issu d’un processus de cristallisation au sein d’un océan primitif ; l’Übergangsgebirge se compose de tous ces terrains anciens plus ou moins redressés, plissés, schistosés, transformés – un terme qui eut beaucoup de succès même dans la géologie du massif vosgien tout au long du XIXe siècle, traduit par « terrain de transition » – ; le Flözgebirge comporte les terrains sédimentaires déposés horizontalement en couches ; enfin le Aufgeschwemmte Gebirge désigne les formations superficielles64.
Remerciements
46Frau Gisela Maul Conservatrice dans la Maison de Goethe
47Le laboratoire ILLE pour son invitation et son soutien
48La Herzogin Anna Amalia Bibliothek, Weimar
49La Fondation Johann Wolfgang von Goethe qui m’avait octroyé une bourse en 1973
50Léa Fluck-Steinbach pour m’avoir secondé dans cette mission
Illustrations
51Ill. 1 et 2 :
52Ill. 3 :
53Ill. 4 : Le Pavillon de Jardin © Pierre Fluck
54Ill. 5 : Boite de minéraux de Russie © Pierre Fluck
55Ill. 6 :
56Ill. 7 :
57Ill. 8 : Quartz à inclusions de cassitérite. © Gisela Maul
58Ill. 9 :
59Ill. 10 : Pechblende de Jachymov © Gisela Maul
60Ill. 11 : Orthose, macle de Carsbad.© Pierre Fluck
61Ill. 12 : Météorite d'Ensisheim (fragment). © Pierre Fluck
62Ill. 13 :