Commentaires de la proposition de Richard Saint-Gelais
Rhétorique, par JF Jeandillou
1Jamais dogmatique, toujours proche des textes et de leur infinie diversité, cette inquiry me convainc entièrement. Même si, au fond, les arguments avancés sont fort comparables, elle est surtout beaucoup mieux charpentée que la glose oiseuse qu’un quidam se permet, ici-même, de publier sous mon nom.
2Mais une question se pose au lecteur naïf. En fin d’article est fermement invoqué l’accord intégral avec les thèses de J.-M. Schaeffer ; suivent cependant un certain nombre de restrictions qui semblent invalider ces dernières. Alors, comment soutenir à la fois que le cadre pragmatique reste intangible et, d’autre part, que la fiction porte « récursivement » atteinte à ce seuil-là ?
3Prétérition ? Épanorthose ? Quelle subtile rhétorique.
Par Richard Saint-Gelais
4Cher Jean-François Jeandillou, Je vous remercie pour vos commentaires et suis heureux d’avoir été jugé convaincant. Pour ce qui est de la prétérition par quoi je terminerais mon propos, je dirais simplement ceci : la (non) fictionnalité se décide à hauteur de cadre pragmatique, à ne pas confondre avec le cadre paratextuel qui travaille à l’activer. Mais ce cadre paratextuel étant — ne pouvant être que — constitué de signes, son surplomb par rapport au texte qu’il sertit peut‑être remis en question, efficacement ou pas d’ailleurs et c’est au lecteur d’en juger. Cela peut notamment se faire à travers, effectivement, le texte, mais jamais sans l’intervention de la lecture ; la lecture fictionnelle étant caractérisée par une capacité à accueillir de tels fonctionnements récursifs. Mais j’avoue que ces questions délicates demandent davantage que les quelques lignes que j’y ai consacrées ; vous avez mis le doigt sur ce qui me paraît le problème majeur.
Par Cécile de Bary
5Monsieur, Votre échange avec M. Jeandillou m’incite à vous poser les questions suivantes. 1. Le cadre pragmatique du trompe-l’œil — textuel ou non — n’est-il pas celui du leurre plutôt que celui de la fiction ? 2. Vincent Colonna a proposé lors d’un colloque consacré à Perec (à Cerisy, Cahiers GP n° 1), d’étendre le concept de métalepse aux cas où la fiction « déborde » sur le cadre paratextuel (en partant de l’idée que le paratexte n’est plus du domaine du narrateur — fictif — mais de l’auteur). Pour lui, la métalepse paratextuelle est « une forme hyperbolique de “métalepse”, c’est-à-dire de transit invraisemblable de narration ». Qu’en pensez-vous ? À propos de Perec, son exemple aurait pu aussi appuyer votre démonstration. Il a d’ailleurs parlé du trompe-l’œil, pour évoquer comme vous Gijsbrecht en conclusion. Moi aussi, j’ai trouvé votre article passionnant, en particulier la critique de K. Hamburger et l’analyse du livre de Calvino. Avec mes remerciements.
Par Dominique Veaugois
6Mon commentaire arrive bien plus tard que je ne l’aurais souhaité mais j’espère que vous aurez tout de même encore l’occasion et l’envie de ma répondre. J’ai apprécié, comme à chaque fois que je lis un de vos articles, la véritable avancée que vous faites faire à la pensée de celui qui vous lit par vos questionnements rigoureux et inédits. J’apprécie tout particulièrement la définition de l’indice dans sa relation à une intentionnalité. J’aimerai vous faire part d’une réflexion brève que m’a suggéré votre texte, vous me direz, j’espère ce que vous en pensez : Parler d’un « envahissement du paratexte par la fiction » pourrait laisser croire que la fiction efface en quelque sorte la distinction entre texte et paratexte, lui enlève sa fonction (ou sa priorité) pragmatique. Au contraire, il me semble que « l’invasion » du paratexte par la fiction signifie qu’une pratique fictionnelle du paratexte est possible. Le paratexte reste le paratexte, pourtant. La distinction avec le texte n’est en rien réduite, même si le statut pragmatique du texte est dès lors problématique.
Fiction et paratexte, par Richard Saint-Gelais
7Grand merci pour vos commentaires et vos observations, auxquelles je répondrais à peu près ceci : le paratexte n’est concevable comme tel que si on lui attribue un statut à part, qui le place en surplomb du texte et lui permet, entre autres choses, de situer celui-ci dans l’espace hétérogène des discours. Par là, le paratexte est la pièce décisive d’un dispositif pragmatique, institutionnellement réglé (mais historiquement variable, même si je n’ai pas assez insisté sur la question dans l’article, mais c’est une autre... histoire), dont la « cible » est le lecteur, ou plus exactement le réglage général de la lecture du texte. Je ne nie rien de tout cela mais voudrais insister sur ce que ce statut tend à occulter: le paratexte est un espace constitué de signes; il est par le fait même exposé à des manœuvres qui pourront d’ailleurs relever de diverses stratégies: rendre problématique l’idée même de surplomb paratextuel (la revue Conséquences, il y a quelques années, a multiplié les opérations sur ce front), annexer (ou tenter d’annexer) le paratexte au discours fictionnel — ce qui produit des effets déstabilisants puisque le paratexte est justement censé commander une lecture fictivisante (au sens d’Odin), ce qu’il ne peut faire que s’il est lui-même soustrait à la fictionnalité. (En plus clair : la déclaration « ceci est un roman » ne peut bien fonctionner que si elle est tenue pour un énoncé sérieux, au sens pragmatique du terme). C’est dire que je suis tout à fait d’accord avec vous: une pratique fictionnelle du paratexte est possible, ce qui n’empêche pas le paratexte de rester le paratexte — mais le statut pragmatique du texte s’en voit du coup problématisé. Vous résumez lumineusement, je crois, le problème, ou plutôt le caractère dialectique des manœuvres sur lesquelles je me suis penché. J’ajouterai seulement que ceci nous ramène à la question de l’instabilité des cadres, dès lors qu’on reconnaît leur caractère sémiotique (et non seulement logique, comme Bertrand Russell, au début du xxe siècle, avait voulu le faire à travers sa théorie des types).