Fabula-LhT
ISSN 2100-0689

Fanzone : débats d'aujourd'hui
Fabula-LhT n° 25
Débattre d'une fiction
Fabienne Dumontet

« The last generation » : « La dernière génération » des lecteur.trice.s-devins (Harry Potter et les Reliques de la Mort, juillet 2007)

"The last generation ": "The last generation" of reader-devins (Harry Potter and the Deathly Hallows, July 2007)

1Hiver 2019 : vingt–deux ans après la publication du premier volume en anglais, le cycle « Harry Potter » domine en France le palmarès des 101 romans favoris des lecteur·rice·s du journal « Le Monde ». Cette prédilection, qui révèle la force « émotionnelle » des lectures de jeunesse, témoigne aussi d’une mémoire « générationnelle » chère à ceux·elles auprès desquel·le·s l’heptalogie fit parfois office de « refuge imaginaire » et d’entrée en lecture1. L’idée d’une « génération Potter », formée durant la publication des livres, ne s’est pas délitée avec le temps, mais consolidée par divers biais. Depuis les souvenirs de lecture recueillis pour les dates anniversaires de la série jusqu’à l’activisme de la Harry Potter Alliance2, le recul temporel a invité à prendre la mesure de cet « événement de lecture »3, chez ceux·elles qui affirment « avoir grandi avec Harry Potter »4. Comment des expériences individuelles de lecture s’inscrivent-elle dans l’histoire collective d’une « génération »? Comment et pourquoi se convainc-t-on que l’on occupe ensemble, dans l’histoire de la réception et de l’interprétation d’un univers fictionnel, une place à part ?

2C’est l’un des mouvements d’auto–structuration de cette communauté de fans qui nous intéressera, celui qui promeut l’idée d’une « génération de lecteur·rice·s » formée jusqu’à la parution du tome 7 du cycle et la place qu’occupent, dans son histoire, les débats autour du dénouement de la fiction, plus exactement le jeu de la « prédiction » littéraire sur le contenu du tome 7. Ce mot de « prédiction », venu de la divination, les fans l’empruntent à l’univers des « Harry Potter », comme bien d’autres termes encore issus du merveilleux (Seer, Aurore…), pour construire, de manière récursive, l’imaginaire critique de leur lecture. Mais, quoique ce langage commun tiré de la fiction rowlinguienne soit « un marqueur identitaire fort »5 pour les adeptes de l’heptalogie, il recouvre dans le fandom des visions diverses, une fois en circulation, « loin d’une hypothétique unicité de l’être-fan »6. C’est ce que nous proposons d’observer dans les échanges de fans sur les sites dédiés ou blogs en ligne7 et les multiples traces numériques (échanges écrits ou audios, photographies et vidéos), laissées par la « génération Potter » se figurant en train de lire, essentiellement entre la parution des tomes 6 et 7 (de 2005 à 2007).

 De la « génération Potter » à « the last generation »

Lecture générationnelle, lecture générative

3Comme le soulignait une fan en 2013 : « Tout membre du fandom HP a sûrement entendu l’expression “Géneration Harry Potter  ” circuler à plusieurs reprises. La plupart du temps, c’est noté avec enthousiasme et fierté, un mélange entre une époque et une communauté »8. L’expression désigne généralement ceux·elles qui ont été exposé·e·s à l’œuvre romanesque et cinématographique, accompagnée par le phénomène médiatique et fanique autour du cycle au rythme de ses publications, entre 1997 et 2007, jusqu’à la sortie du tome 7, prolongée jusqu’à celle du dernier film, en 2011. Les lecteur·rice·s de la classe d’âge ainsi concernée auraient pour triple caractéristique d’être né·e·s à la fin des années 1980 et au début des années 1990 (aguerri·e·s aux réseaux sociaux, dans une période de crise des idéaux structurant le monde), d’avoir tout juste dépassé le seuil de la lecture littéraire autonome et d’avoir l’âge du héros, ce qui affecterait leur prise de conscience d’eux·elles-mêmes aux époques charnières de la pré-adolescence et adolescence9.

4 Après la fin éditoriale et cinématographique de l’heptalogie, en 2011, les contours de la « génération Potter » sont vite devenus un sujet de débat parmi les fans, quand leurs communautés ont construit la mémoire de leur genèse puis absorbé une nouvelle génération de lecteurs·rice·s 10. Les revendications d’appartenance à la « génération Potter » recouvrent alors des enjeux de hiérarchisation du fandom, esquissant une « échelle de légitimité fonctionnelle » 11 : les lecteur·rice·s de la première époque jouiraient d’une autorité morale sur l’univers pottérien, comme témoins historiques du phénomène « Potter ». Pour le contester, d’autres fans s’appuient sur plusieurs arguments. De manière générale, historien·ne·s et sociologues soulignent le flou sémantique du terme « génération », combinant âge, époque et événement12. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la réception des « Harry Potter ». Tout d’abord, l’identification de la « génération Potter » à de jeunes lecteur·rice·s d’une classe d’âge précise, identique à celle du héros, est discutée13. Ensuite, les éléments transgénérationnels de l’œuvre14 ont attiré très tôt un lectorat adulte15 et certains de ces fans plus âgé·e·s s’auto-identifient aussi à cette « génération Potter » d’avant 2011. Enfin, à la marge, d’autres fans étendent la « génération Potter » à l’ensemble du fandom, toutes classes d’âge et époques confondues, même à ceux·celles qui auraient découvert l’heptalogie après 201116. La découverte des « Harry Potter » est alors revendiquée comme une transformation de soi et du monde par participation à l’œuvre, même pour qui n’aurait pas grandi durant la production du cycle au rythme de leur attente, comme si le vécu de la « génération Potter » historique acquerrait un statut paradigmatique pour aborder cette oeuvre17. Comment justifier cette extension ? Elle repose sur la polysémie d’une expression qui désigne à la fois un groupe d’individus et son processus de production, sa dimension « générative », donc. « [“Harry Potter”] m’a formé·e » (« It shaped me »), écrit un·e fan à la fin du cycle, le 21 juillet 2007, sur le forum de « Mugglenet ». Et des milliers de témoignages des lecteur·rice·s d’alors s’affiliant à la « génération Potter » revendiquent une co-existence avec l’œuvre et une « communauté d’empreinte »18.

5Entre 1997 et 2007, Harry Potter est à la fois un personnage et une œuvre en croissance : le personnage vieillit dans la diégèse, la densité de son personnage augmente à mesure qu’elle produit des données sur lui et enfin sa notoriété s’étend en même temps que son monde, soit par transmédiation (cycle cinématographique), soit par « effectuation »19, lorsque le fandom ou le marketing en importe des éléments dans la vie réelle (cosplays, matchs de Quidditch, etc) : «  les enfants  […] n’ont pas suivi les livres que parce que c’était d’extraordinaires œuvres littéraires, mais aussi parce qu’ils étaient intégrés dans notre société et notre enfance »20. On en vient ainsi à parler de « génération » comme classe d’âge par participation synchronique des lecteur·rice·s et du personnage à un même événement. Mais, puisque cet événement est une actualisation réitérée et progressive de chacun·e, le sens d’« engendrement » s’y superpose. Comme le souligne une fan dans un article sur le site « Hypable » : «  Il y a un groupe spécifique de gens qui a grandi avec les livres. Je ne veux pas dire en lisant les livres, je veux dire en grandissant pendant que les livres grandissaient » 21. Anne Besson a montré combien ce processus d’attachement aux œuvres est favorisé par sa publication en cycle. En exposant son public à l’attente du volume à venir sur une durée assez longue qui couvre une partie de sa propre vie, le cycle engage en miroir le temps de son histoire et celui de sa réception, inspirant de ce fait aux lecteur·trice·s « une proximité vécue »22 avec les années qui s’écoulent pour les personnages dans la fiction. Dans le cas des « Harry Potter », le merveilleux, la trame du roman d’initiation et la durée du récit ont permis une superposition entre « génératif » et « générationnel ». Alors que d’autres cycles à succès, comme ceux de Tolkien, mobilisaient un temps historique long, les sept tomes correspondent à autant d’années scolaires scandant la croissance des personnages – ce que l’adaptation cinématographique a renforcé, par des incarnations dans des enfants et adolescent·e·s acteur·trice·s en croissance.

6Dans la fiction, la question de la durée comme création continue de soi par le monde – la trame du roman initiatique – et du monde par soi – la thématique de la magie comme puissance créatrice du futur23 - est donc mise en intrigue grâce à la question générationnelle – une promotion d’écolier·ère·s affronte, sept ans durant, les hantises résurgentes de la génération précédente. Comme le rappelle Paul Ricoeur (après Alfred Shutz), c’est ce sentiment d’une communauté de durée permettant de partager l’expérience du monde, et pas seulement une coexistence temporelle, qui crée le « règne des contemporains »24 - sur laquelle se fonde le « royaume des fans » (fandom).

« The last generation » : la lecture en suspens(e)

7Que se passe-t-il quand cette communauté risque de se défaire, à l’approche du dénouement ? Il faut alors entendre l’appel à « faire génération » que lancent certain·e·s des lecteurs·rice·s, comme la créatrice anglophone du blog « book7 », qui écrit dans l’attente du tome 7 :

 C’est le moment d’apprécier la position unique que nous occupons : la dernière génération des lecteurs de Harry Potter à pouvoir anticiper les événements de Harry Potter et les Reliques de la Mort, alors qu’ils s’écrivent ! 25

8Les « événements » évoqués s’écrivent à la fois dans la fiction et dans le monde réel : non pas qu’Harry Potter se matérialise par métalepse, mais le tome 7, oui. Quoique… L’agentivité indéterminée de l’écriture (« as they are beeing written ») couple son sens premier (l’écriture romanesque) à son sens métaphorique (l’écriture comme figure de la fatalité déterminant l’action humaine). Cela crée une hésitation sur le « monde de référence » depuis lequel cet énoncé est tenu pour vrai : est-ce depuis la fiction – la fan, immergée dans la diégèse du roman, parlerait du point de vue des personnages – ou depuis le monde « réel », et elle parlerait aussi du point de vue de la réception ? Mais alors le passif dans cette expression courante en anglais (« as being written ») est pris entre deux feux, celui du « tout est déjà écrit » irrévocable ou bien du processus d’écriture en cours d’élaboration. Le pont créé ici pour penser la situation du lecteur en homologie avec celle des personnages à ce stade de l’intrigue peut aisément se lire comme le résultat des « expériences fictives du temps »26 que procure la lecture des intrigues fictionnelles, dans l’approche ricoeurdienne. Mis en intrigue grâce aux formes extraites du récit fictionnel, le temps de la réception du cycle est refiguré par cette fan en une narration historique : d’où l’appel à former une conscience « générationnelle ». La position des fans devient « unique », et leur génération, « dernière ». Certes, ils·elles sont immergé·e·s dans le « fun » de la situation, qui leur sert d’évasion ludique et de prolongement fictionnel27, délectation entretenue par le « plaisir de l’élaboration du discours, de même qu[e le] caractère provisoire de ce discours toujours susceptible d’être relancé par de nouvelles suppositions »28 et qui trouve à s’étaler entre les « hiatus »29ou « blancs »30 éditoriaux de la narration cyclique 31. Mais ils se projettent aussi sur l’axe chronologique de leur propre intrigue historique. Leurs déclarations se teintent alors souvent d’une nostalgie proleptique de leur action présente :

Les gens continueront à lire « Harry Potter » pendant des générations, mais nous sommes les rares veinards à pouvoir dire : « On y était ». […] et, avec toutes ces questions encore sans réponse, nous nous souviendrons certainement de nos débats sur la façon dont doit se terminer cette grande aventure dans le septième et dernier tome du cycle des « Harry Potter »32.

9L’intrigue de la « dernière génération » des « lucky few » est la suivante : la discordance à l’origine du suspense suscité par l’intrigue fictionnelle (discordance entre ce que le·a lecteur·rice sait à ce stade et ce que le récit se montre réticent à lui dire)33 devient l’enjeu d’une quête du·de la lecteur·rice sur ce qui s’écrit, avant que la sortie du tome 7 n’apporte un dénouement. On se souvient peut-être que, dans Temps et récit, Ricoeur narrativise lui-même le problème philosophique du temps et de sa résolution via les fictions et l’histoire, en le présentant sous forme d’une intrigue, dont la poétique des œuvres est le nœud et leur lecture, le dénouement : « si le problème de la refiguration du temps par le récit se noue dans le récit, il n’y trouve pas son dénouement » (p. 328). L’intrigue par laquelle le fandom se structure en génération se déroule précisément à ce niveau-là : sur le rôle de la lecture comme dénouement. Comme le souligne Raphaël Baroni dans son analyse de Temps et récit34, la fin est cruciale en effet, dans ce modèle issu de la poétique aristotélicienne, car, puisque la durée lecturale est en elle-même non-configurée, « complexe et subjective », c’est du dénouement comme « congruence finale »35que naît la puissance de refiguration par les histoires. Le dénouement à venir de la fiction est-il l’aboutissement d’un plan de Rowling, une fin potentielle « pas-encore-là » mais en attente d’actualisation, ou bien de la nouveauté peut-elle surgir dans le processus même d’écriture ? Les données, à ce stade, sont contradictoires. En témoigne la relation entre J. K. Rowling et son lectorat, oscillant entre révérence et concurrence, comme le souligne Anne Besson36. A de nombreuses reprises, l’auteure affirme sa maîtrise sur le déroulement de l’heptalogie qu’elle aurait anticipé dès ses prémisses, en 199737. Mais à d’autres moments, elle souligne la contingence de certains de ses choix narratifs et fait même état de modifications de dernière minute sur des points cruciaux38. Ces bifurcations non seulement incitent les fans à produire des scénarii alternatifs, mais aussi à faire pression pour que J. K. Rowling s’en inspire39, faisant basculer l’œuvre sous le paradigme de l’inachèvement40 et la faisant passer d’un « stade opéral » de la fiction, « marqué par la prégnance de l’auteur et de l’œuvre qui lui est explicitement associée, de même que par la clôture de la fiction », comme le souligne Richard Saint-Gelais, à un « stade médiatique » : « propension marquée à l’expansion des mondes fictifs, mobilisation successive ou même conjointe de plusieurs médias, anonymat (ou « anonymisation » progressive des figures inscrites) »41, en lien avec la montée de la culture participative des fans et la qualification de leurs productions comme créations42. A l’approche du dénouement, la légitimité de J. K. Rowling à exercer son pouvoir d’auteure sur le cycle est donc saisi dans une de ces « contradictions herméneutiques »43 que repère la sociologie pragmatique de la critique (dans la lignée des travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot44), lorsque les personnes débattent sur les régimes de croyance fondant l’autorité des personnes à agir : en l’occurrence, les croyances qui permettront ou non aux fans de reconnaître dans le tome 7 de J. K. Rowling une fin convenable de l’œuvre. Dans ces moments de critique et de justification, des acceptions différentes du bien commun sont mobilisées pour trancher sur la justesse et/ou la justice des objets ou actions, comme dans des « épreuves ». Ces logiques de justification sont modélisées par la sociologie de la critique sous forme de sept « cités » idéologiques, nées d’autant de visions d’un « principe supérieur commun » : l’inspiration (la cité « inspirée »), l’engendrement des générations et la tradition (la cité « domestique »), l’efficacité méthodique (la cité « industrielle ») la préeminence du collectif  (la cité « civique »), le lien et la mise en réseau (la cité « par projets »)... C’est ainsi qu’ un.e fan francophone exprime la perplexité de son débat intérieur sur la valeur à attribuer au futur dénouement de « Harry Potter » : « je serai très décue si « l’histoire selon JKR » (on croirait que je parle d’un évangile !) s’arêtait là, si Rogue était simplement méchant » (nous soulignons)45. La grandeur de la fin varie, en fonction de la logique qui permet de l’apprécier. « Selon » marque la frontière entre deux mondes, qui modélisent différemment le prix accordé à l’imagination rowlinguienne : celui où son dénouement est parole d’évangile (« la Bonne Nouvelle »), celui où il est une hypothèse versionnante (un « si », qui n’est pas forcément le bon) comme une histoire projetée parmi d’autres. Que la haute valeur d’« évangile » du futur tome 7 repose sur l’inspiration de l’auteure (citée inspirée) ou du respect traditionnel des lecteur·rices devant les écrits du·de la  « grand·e écrivain·e » (citée domestique), elle est critiquée par le·a fan (« on croirait que ») – potentiellement parce qu’en conflit avec le projet qu’il·elle a formé sur le personnage de Rogue  (citée par projets). Pour justifier leurs hypothèses sur le tome 7, les fans vont ainsi devoir expliciter leurs principes d’un dénouement adéquat à leurs yeux.

10Leur situation devient donc critique à plus d’un titre. Ce sont bien des critiques amateur·e·s, appliqué·e·s à cerner les possibles scénarii du tome 7 et trancher entre eux. Mais ce sont aussi des interprètes en crise : le cadre dans lequel leurs spéculations sont tenues pour justes est lui-même incertain. On les verra donc en débattre entre eux·elles dans l’attente du dénouement (notre partie 2) puis à son moment-même (notre partie 3).

Prédire la fiction, entre divination, raison et suspicion :  figures, dynamiques et formes de l’anticipation lecturale

Figures de la prédiction en débat

11De violents conflits éclatent périodiquement à cause des prédictions, comme en 2005 sur le site « Mugglenet », un épisode rappelé en préface du livre Harry Potter should have died, publié en 2009 :  

En 2005, un des auteurs [Emerson Spartz, co-fondateur du site « Mugglenet »] a quasiment provoqué une rébellion dans le fandom. Il a déclaré que les fans qui voyaient toujours Hermione comme la future petite amie de Harry après leur lecture du tome 5 déliraient complètement. Il avait raison, mais sa boîte mèl a débordé de menaces de mort (nous soulignons)46.  

12Une faction du « royaume des fans » s’insurge contre l’une de ses éminences, qui réduit ses prédictions aux effets d’une imagination hors contrôle : dans ce micro-récit, les enjeux de la hiérarchisation implicite au sein du fandom génèrent une dispute si violente que toute justification devient inaudible47. Elle va se déployer avec d’autant plus de nécessité à d’autres moments, certes polémiques, mais argumentés. Une désescalade des « délirants » aux « voyants » permet de passer de l’affront à la critique. Car on débat souvent, au sein des « divination studies » faniques 48 : ainsi s’intitule le sous-forum de « Mugglenet » consacré à la « spéculation et discussion sur le septième et ultime tome de Harry Potter »49. La « divination » est en effet la référence dominante du fandom pour qualifier son travail de prédiction sur le tome 7. Tirée de l’univers magique pottérien, elle intéresse à double titre les fans, comme objet et outil de leur prédictions du dénouement. L’élément principal est l’absconse « prophétie de l’Elu » proférée par Sybille Trelawney et révélée aux lecteur·rice·s dans le tome 5. De son accomplissement dépend le sort de Harry, lié à celui de Voldemort, et le dénouement du cycle. Dans la situation des fans formulant leurs prédictions, la prophétie annonçant le dénouement est aussi obscure par son énoncé que par son énonciation, à la fois moquée ou crainte et souhaitée par les personnages. Illustrant les pouvoirs ambigus de l’anticipation, la prophétie présente un futur des personnages à la fois prédéterminé et ductile. Elle prend donc une dimension refigurative pour les Potterfans, confrontés à une situation où il faut décider de quelle instance leur propre prédiction et, in fine, l’énoncé littéraire va tirer sa valeur de réalité.  

13Car, même si les « prédictions » ont partie liée avec les fans fictions, l’imagination qui les engendre ne peut être évaluée selon les mêmes critères. Dans les débats, les fans discutent et testent les convergences possibles entre leurs propres hypothèses et le dénouement– alors que dans les fansfictions, « on peut inventer des histoires sans qu'elles collent avec le sujet vraiment » (« tit papillon », le 16 février 2005, nous soulignons). De cette particularité découle que la valeur des prédictions peut dépendre à chaque fois d’au moins deux logiques diverses. Si la prédiction doit dire un dénouement futur, et non en proposer un alternatif (comme les fansfictions), cela la place dans une position ancillaire vis-à-vis de la fiction-source et de l’auteure (cité domestique).  Mais, pour prédire dès à présent le futur, on ne peut se contenter d’inférer depuis les données disponibles, car l’événement peut aussi créer du nouveau. Comment anticiper cette dimension ? C’est toute l’évaluation croisée de la prédiction depuis l’intuition (citée inspirée) et la méthode (citée industrielle) qui se met en place.  On observera quatre cas où les fans en tiennent compte pour qualifier leur action prédictive, en mobilisant la divination comme imaginaire critique via les personnages de le·a « Seer », de d« l’Aurore », e « l’arithmancien·ne » et « du de·la mentor ». Dans le débat intersubjectif, ils·elles se réfèrent à ces personnages du monde pottérien pour confronter leurs logiques et forger des équivalences.

14La créatrice du blog « Book7 », qui se présente par jeu comme une prophétesse du cycle rowlingien, Seer Cassandra Vablatsk, pour tenter de « deviner le synopsis du livre 7 »50, mise sur un dosage entre science et imagination pour faire ses prédictions : « quand on essaie de « pénétrer les mystères cachés de l’avenir », on doit se souvenir que la divination est « le plus délicat de tous les arts magiques » et n’est pas une science exacte. Mais ce paradigme est susceptible de devenir un contre-modèle, comme l’est en partie Sybille Trelawney dans la fiction : la croyance en ses transes ou prédictions faites au débotté varie en effet selon les personnages. Et dans les livres, le statut ambigu de sa « prophétie de l’Elu » n’est qu’un exemple du discrédit plus général de sa spécialité, la divination51. C’est pourquoi, chez les lecteur·rice·s, au moment où les prédictions connaissent leur pic, le.a fan « Quinmanyar » utilise ironiquement son nom sur le forum du site francophone « La Gazette du Sorcier » (le 27 février 2007) : « c’est le fil de la divination ici, lol, y a tout plein de voyants qui ont tout plein de “convictions” appelez Trelawney à l’aide huhuhu» (nous soulignons). La « conviction » recouvre ici les affirmations de subjectivité, le pathos et la théâtralité des fans. Ils·elles miment les effets de l’inspiration divinatoire, au détriment de l’argumentation, parfois réduite à une portion congrue lorsque leurs prédictions prennent la forme d’une liste ou d’un inventaire assertif (comme le fait Trelawney sur l’année scolaire à venir, au début de son cours de divination), scandés par un « je vois » introductif, dans le cas des francophones52.

15Reprenant à son compte le type de critiques adressées à la divination par Hermione dans les romans, « Whiterwings » tente de son côté une clarification pour requalifier « la prédiction » en « prévision », en l’assimilant entièrement à une méthode de divination indicielle (« forecasting »), et non plus à la divination interprétative (« divining »), dans une analyse publiée sur « The Leaky Cauldron »53. A Poudlard, ces deux pratiques correspondraient à l’arithmancie, à laquelle Hermione assiste dans le tome 3 (ch. 14) et au cours de divination de Trewlaney. Extrapolant une adéquation entre la rationnalité érudite d’Hermione et la valeur scientifique de l’arithmancie (la divination supposant, au contraire, le don inné d’une « aura »), le·a fan semble s’identifier à ce personnage dans son essai, manifestant d’abord une érudition sans faille sur l’arithmancie au cours des âges, puis une prodigalité prédictive sur le tome 7, inspirée de cette « science ».

16L’enquête lecturale qui amplifie ainsi des items internes ou externes à la fiction (une allusion dans le récit, une tradition occulte) s’expose cependant au contre-modèle critique qu’est pour certain·e·s fans l’Aurore Alastair Maugrey, « voyant » suspicieux, enquêteur et traqueur de monstres, spécialiste de la surveillance et de l’inquisition. S’il n’est pas devin comme Trelawney, il est néanmoins, comme elle, doté d’un œil sorcier. L’« Œil intérieur » de la première percevrait l’avenir, au-delà du présent ; l’« Œil de verre magique » du second voit au-delà des apparences (y compris sous la Cape d’Invisibilité). Son caractère soupçonneux, n’échappe pas au regard aigu des fans, comme « o0-Nymphadore-0o », qui l’utilise pour commenter la profusion des théories prédictives :  

Moi je ne vois pas en quoi ces théories peuvent déranger car même si elles sont plausibles les trois quarts vont se révèler fausses… Seulement j’ai l’impression que certains attendent trop de J.K et se mettent à voir des mystères là ou il n’y en a pas. J’ai parfois l’impression d’entendre Maugrey lorsque je lis certaines théories, cela dit ce n’est pas une critique mais j’ai peur que certains soit déçus… (nous soulignons)

17En effet, quand ils doivent défendre et développer leurs prédictions sur les forums, les fans mobilisent des pans entiers de ce qu’ils appellent leurs « théories » de l’univers pottérien, pointées par Anne Besson comme des variantes de la « critique policière »54. Comme pratique transfictionnelle, Richard Saint-Gelais montre que la validité de ces discours, aux yeux de leurs auteurs, dépend du point de vue interne porté à la fois sur l’univers fictionnel et sur le discours critique lui-même.  De la vient que, dans sa critique, o0-Nymphadore-0o distingue la plausibilité de ces théories de leur véracité. Les fans-Maugrey sont immergés dans la cohérence interne de leur raisonnement comme dans une fiction, pour avoir expliqué la fiction elle-même comme un monde plausible, mobilisant ainsi la croyance critique selon laquelle la logique construit des mondes immersifs. La plausibilité, construite par un point de vue extérieur sur la fiction conceptualisée comme un ensemble de règles logiques, devient véracité depuis cette « posture d’immersion fictionnelle »55 dans le discours critique. Aux yeux de « o0-Nymphadore-0o », cela les soustrait abusivement de leur subordination à l’auteure, qu’elle décrit, depuis les valeurs de la cité domestique, comme l’instance établissant la juste mesure du discours critique : ils « attendent trop de J.K ».

18Un autre modèle de la « prédiction » divinatoire propose un compromis entre les cités  industrielle, inspirée et domestique, dans les figures d’apprenti et de mentor en magie, par un transfert du mot « prédiction » depuis les sphères éducatives jusque dans le fandom. Cela caractérise la démarche « didactique » entreprise par des membres de la rédaction du « Leaky Cauldron », qui publient en janvier 2007 un volume méthodologique préparatoire à la lecture du tome 7, incluant un « guide de la prédiction » introductif intitulé : « Divination made easier. A few guidelines to making predictions for Book 7 ». Les conseils de sa rédactrice, masterante en littérature anglaise sur l’œuvre de Tolkien56, auprès des fans pour faire leurs « prédictions » sur le tome 7 (extraire ses indices d’un corpus identifié, les contextualiser philologiquement, par exemple en tenant compte du genre de l’œuvre), sont inspirés des modèles psycholinguistiques et en psychologie cognitive sur la lecture. Depuis cette perspective, les théories des fans-prophètes, fans-arithmanciens et fans-Aurore sont critiquées comme des activités spéculatives, certes plaisantes, mais non susceptibles d’actualisation future dans le dénouement de l’œuvre, faute de satisfaire l’exigence d’une argumentation auto-contrôlée par les fans via des critères philologiques. Cela restaure « un régime classique de la création littéraire et de la propriété intellectuelle »57 prônant une relation entre l’auteure de fiction et les lecteurs qui, pour compétitive qu’elle soit, n’est pas concurrentielle. La rédactrice du guide endosse le rôle de mentor canalisant la pulsion de spéculation (« a normal human impulse ») des lecteurs « sur le chemin le plus productif possible » (« the most productive avenue ») et vers la « sagesse » (« wisdom »), dans une scénographie énonciative éminemment professorale.

19Dans ce guide introductif, la fiction-source suppose un engagement du.de la lecteur.trice sur le sien propre, effort spirituel nécessaire pour soutenir une entrée en littératie présentée comme une initiation à l’altérité, en acceptant de suivre à la fois un.e fan-mentor, les choix de l’auteure et son propre libre-arbitre58.  La place introductive de ce guide, le récit qu’il propose de la réception des tomes 1 à 6 au sein du fandom, sa typologie et sa didactique des prédictions, assise sur une anthropologie de l’imagination et sur une philosophie de l’identité narrative (rapportée à une mise en cohérence des sujets via leur interprétation des fictions) : tout cela manifeste un effort de convergence méthodique pour contenir les façons de prédire grâce à des conseils « prudentiels ». Mais cette convergence est remise en cause par le décalage que crée une autre modélisation de la quête prédictive, dans un essai du même volume (« A fan’s journey »59), rejouant dans une tonalité héroï-comique celle engagée par Potter et ses compagnons dans la fiction. Le rôle du guide-mentor du.de la fan cherchant la juste anticipation du tome 7 y est, cette fois-là, collectivement endossé par la communauté fanique du « Leaky Cauldron » : c’est la culture participative et coopérative du fandom, son génie collectif (un compromis entre cités inspirée et civique), qui sont alors célébrés comme des instances adjuvantes et régulatrices face aux désarrois individuels du.de la lecteur.trice, sur le modèle coopératif des Maraudeurs et des compagnons de Harry, faisant de cette expérience même le facteur essentiel de la recherche du vrai.

Débat intersubjectif, débat intrasubjectif

20Mais, dans la « pluralité de logiques, parfois contradictoires »60 mobilisées pour justifier les prédictions, ce n’est pas seulement le fandom qui se module en communautés, ni ces communautés (ici, éditoriales) en divers modes de participation. Les personnes elles-mêmes font l’expérience d’un débat intrasubjectif sur « l’enchevêtrement des édifices de lecture »61 en eux·elles . Révélée par la controverse collective, cette expérience d’un état dissocié de soi devant la fiction en est en même temps le fondement62.

21Cela se perçoit dans certaines des justifications animant la « bonne vieille discussion sur les théories » (« good old fashion theory discussion »)63 engagée par les fans sur les forums, dans le débat sur la vraisemblance et la plausibilité des prédictions64, que certain·e·s mènent en narratologues mais aussi en rhétoricien·ne·s amateur·e·s. Emporter la conviction des autres en pensant adopter méthodiquement « un point de vue objectif aussi souvent [qu’on le peut] » (« Murdin », 05 mars 2006, nous soulignons) n’y est pas une mince affaire 65. Par exemple, dans la section du site francophone « La Gazette du sorcier », réservée aux anticipations sur le tome 7 entre 2005 et 200766, on trouve nombre de théories qui, aux yeux des fans, satisfont à tous les critères d’elocutio, dispositio et inventio. Ces suites d’inférences recherchées se nourrissent de la mémoire encyclopédique du potterverse, facilitée par l’hypertextualité numérique et, en retour, développent l’érudition qui les nourrit, en suscitant, chez leurs interlocuteurs, des relectures minutieuses de l’œuvre sous un angle nouveau67. Celle de « Statealchemist », écrite juste après la sortie du tome 6 en France, est de ce type, soutenant brillamment que Snape (Rogue, en français) restera fidèle à Voldemort dans le tome 7. Cependant, un·e fan relève la réversibilité de ses arguments, qui pourraient servir, en fait, la position adverse de celle défendue. « Statealchemist » se justifie ainsi :

juste parce que j'en ai ras le dos que Rogue change de camp. Mais pour le reste, j'ai jamais dit que ma position été fondé : c'est ma thèse qui est justifié. Et ma thèse montre tout le contraire de ce que je pense (je sais, c'est très con) » (nous soulignons).

22On voit ici qu’une « prédiction » est discordante par conflit, soit entre les mondes évalués (selon que l’on croit ou non à la fiction), soit entre les mondes pour les évaluer (construits comme des fictions auxquelles on croit ou non, selon sa position dans le débat). La « situation » d’un·e interprète de fiction naît de la combinaison de ses deux « positions », ou « postures d’immersion », vis-à-vis de ces deux types de mondes. La situation de « Statealchemist » dépend ici des ressorts de sa critique : « j'en ai ras le dos que Rogue change de camp ». Dans une première possibilité, la contradiction se répartirait entre un point de vue externe à la fiction (sa « thèse ») et un point de vue interne (sa « position », sa pensée, qui attribuerait une référentialité à Rogue). Dans une seconde possibilité, à partir d’un point de vue externe sur « Harry Potter », « Statealchemist » peine à composer une prédiction « juste », parce qu’il·elle est partagé·e entre deux logiques d’évaluations contradictoires : alors que son mode d’argumentation privilégié (dialectique et philologique) renvoie aux principes « méthodiques » et « domestiques » de l’interprétation, la vision personnelle de la psychologie des personnages ou de la poétique d’une intrigue qu’il exprime ici entraîne son refus de la conclusion qui en découle (Rogue va trahir Voldemort), ce qui sabote cette même obéissance à l’intentionnalité auctoriale. L’ambiguïté d’usage du nom propre « Rogue » (référentiel ou pas ?) articule ces deux possibilités : le point de vue interne déconnecte en effet temporairement le monde fictionnel d’une intentionnalité auctoriale.

Des objets frontières

23Malgré ces perplexités, ou à cause d’elles, à l’approche du dénouement de l’heptalogie, entre 2005 et 2007,  les formats de prédictions traduisent peu à peu un impératif : récapituler. On retiendra trois déclinaisons : les concentrations thématiques ( « topics » dédiés dans les forums, rubriques sur les sites de fans articles de blog et de presse en ligne), les concentrations temporelles (par exemple, les concours de prédictions68, lancés à la fois par les sites de fans et les éditeurs, sur le modèle marketing du lancement des jeux-vidéo) et enfin l’autonomisation spatiale : la publication sous forme de livre69 résumant les prédictions des fans sur le tome 7. Parmi eux ,The Great Snape Debate70, repose sur une matérialisation de l’examen contradictoire : la première moitié du volume accuse Severus Snape, tandis que la seconde, qu’il faut lire en retournant le livre et en commençant par l’autre extrémité, l’innocente (« they are two sides in every story », annonce l’accroche de couverture). « Flip the book over and you flip the argument », résume l’un de ses lecteurs, qui l’a utilisé comme une sorte de « Profil d’une œuvre » des six tomes du cycle, pour être fin prêt à la lecture du septième71. En complément, des autocollants au choix permettent de matérialiser son jugement : « Trust Snape »/ « Snape is a very bad man »72.  

24Certaines de ces matérialisations deviennent ainsi à la fois des supports et des produits réels du récit que les fans se font de leur propre histoire, « le sens produit [par leurs discussions sur l’œuvre étant ainsi] pleinement intégré dans la vie des lecteurs »73. Elles ont pour point commun de figurer les logiques interprétatives travaillant le fandom et de les inscrire dans le même temps historique. Par exemple, à la sortie en poche du tome 2, en 1999, une « capsule témoin »74, dans laquelle de jeunes fans rassemblent leurs pronostics sur le dénouement du cycle est enterrée à la gare de King’s Cross (lieu éminemment pottérien). En sa qualité « d’échantillon », l’objet concilie la singularité des prédictions individuelles avec l’affirmation d’une unité du lectorat, valorisant le collectif. Ou encore, des « cahiers de prédictions » à remplir par le.a lecteur.trice sont commercialisés à partir de 2002 entre les tomes 4 et 575. Accompagnant la lecture individuelle, ces « cahiers secrets » restent eux-aussi liés aux débats du collectif fanique, puisqu’ils incluent en conclusion des hypothèses avancées par des éditrices elles-mêmes, fans de J. K. Rowling76. Ils assurent un passage entre l’« immersion solitaire » et intériorisée, attachée à la lecture, et la socialisation des débats prédictifs. Dans ces deux exemples, l’enfouissement et le secret inscrivent narrativement cette proposition d’un objet commun au sein du fandom dans la « cohérence discordante » temporelle qui la subsume : celle qui relie le collectif des lecteur·rice·s à l’auteure, la virtualité de leurs anticipations face à sa promesse d’actualisation de l’intrigue.

25Un troisième exemple d’objet montre à quel point cette « cohérence discordante » est problématique  : c’est une marionnette77, utilisée dans la vidéo amateure d’un ventriloque postée sur You Tube en 2007, qui raconte une fausse révélation du tome 7. Nommée « Willy Mischief », elle aurait trouvé par hasard les épreuves du tome 7 un mois avant sa publication officielle78. Willy explique à son manipulateur le dénouement de ce (pseudo-)roman et en lit des passages burlesques : il devient alors évident qu’il s’agit de prédictions et d’une fanfiction comique. Ce sketch parodique joue avec et sur un code fictionnel de « Harry Potter »79, celui du « méfait » (« mischief »), la magie de la formule « Mischief managed » (« Méfait accompli ») effaçant toute écriture compromettante sur la carte du Maraudeur à Poudlard. Tout ensemble y sont moqués les extravagances de fansfictions issues des prédictions, la dramaturgie des « spoiler » et les pseudo-versions pirates du tome 7 alors en circulation, donc l’origine énonciative brouillée des « fake » et des rumeurs. La marionnette « figure »80 pleinement ce quiproquo. Le trouble visuel sur l’origine de la parole dans le sketch 81 redouble un trouble cognitif, puisque le faux dénouement du tome 7 devient vérité dans l’univers de croyance qu’exprime cette poupée animée. Et le rire fait ici éprouver au·à la fan ces contradictions.

26Un élément de la fiction (le « méfait/mischief »), personnifié, est donc remis en intrigue par les fans pour narrativiser leur rapport-même à l’œuvre et ainsi « apprécier » leur propre situation dans la temporalité de cette réception. Mischief rejoint Trewlauney et Maugrey dans l’imaginaire critique travaillé par les fans pour penser les pouvoirs de leur propre imagination sur le déroulement du futur. Du point de vue herméneutique, cette allégorisation de la fiction82dans le discours critique (et non pas par lui), constitutive de bien des « communautés interprétatives » au-delà des fandoms83, n’est pas tautologique mais applicative : des dimensions du texte sont appliquées par le·a lecteur·rice dans son vécu et son action.En effet, souligne Ricoeur, la singularité de l’ « application », dans l’herméneutique de la fiction84, est de ne pas en être l’étape ultime (après la compréhension et l’explication), mais un phénomène transversal : dès sa perception, dès sa lecture, l’œuvre fictionnelle transforme le sujet. Dès lors, l’application, née dans l’expérience esthétique qu’est l’acte de lecture, remplit ses rôles pragmatique, communicationnel et éthique en transformant les schèmes-même de cette action lecturale, ce dont témoigne la poétique « refigurée » du discours critique. Cette créativité critique concourt, évidemment, à la mise en intrigue historique de la « génération » de lecteurs. Mais ces scénarisations de la réception, nous l’avons vu, sont plus ou moins totalisantes, à visées plus ou moins normatives, y compris dans leur énonciation, depuis la discussion dans les forums jusqu’au manuel prédictif, en passant par l’essai. Elles connaissent bien des moments d’« ironie non déconstructionniste, [de] disponibilité à l’humour, détournement passionnel, hypnose suspendue, jeu introduit dans la signification et dans la figuration du collectif »85, comme le souligne Helène Merlin dans ses travaux sur la constitution de communautés autour des textes littéraires, autant de moments où « le partage littéraire souhaitable ensorcelle, mais en introduisant du jeu, d’où l’esprit critique, comme un possible parmi d’autres »86. Les accords précaires sur cet imaginaire critique « autochtone », forgé dans la lecture de l’œuvre lors de la collectivisation des interprétations prédictives, toujours relancés, engendrent ainsi une diversité de participations faniques à cette « génération », par la multiplicité des éthè87 discursifs, arguments et objets prédictifs, et non une opération totalisante de « refiguration » collective par la mise en intrigue de tous et de soi. Comment, en ce cas, clôre le débat ?

Débattre à l’épreuve de la fiction : les lectures éloquentes

Un dénouement invisible ?

27Le 21 juillet 2007, le tome 7 est mis en vente. Sa lecture promet d’être un double dénouement pour des millions de fans, à la fois comme découverte d’un contenu et comme moment de cette découverte dans l’histoire de leur lecture. Seulement, le partage de cette expérience décisive rencontre une difficulté fondamentale. La stratégie de synchronisation éditoriale (mise en vente mondiale du tome 7 le 21 juillet à minuit) et cross-média (coïncidence entre cette publication estivale et la sortie du cinquième film du cycle) de la publication du tome 7, qui vise à en massifier et intensifier l’accueil, amplifie le paradoxe au cœur de cette réception. Les files d’attente d’adeptes déguisés, les performances de fans devant les librairies : toute cette importation dans la vie réelle des signes de la fiction est bien visible dans l’espace public. En revanche, le complément symétrique à cette importation de la « fiction chez moi »88, comme l’écrit Anne Besson, c’est-à-dire l’exportation de soi dans le monde imaginaire, a lieu par le biais moins spectaculaire qui soit a priori : la lecture. Elle n’entre pas directement dans le champ de l’observable, mais seulement par ses supports ou traces (le texte, la mise en récit du souvenir de lecture)89 et correspond à l’invisibilité « de nos opérations mentales les plus intimes »90. Ce faisant, elle trouve une place insaisissable au sein de la culture de la convergence chez les fans, où se multiplient les dispositifs d’interactivité. Certes, les forums, les concours de prédictions et les fan fictions publiées, intègrent la lecture dans ce processus interactif et communautaire, mais cela ne résorbe pas le « saut qualitatif entre deux activités (lire/écrire) », comme le fait remarquer Anne Besson. C’est pourquoi la lecture du tome 7 va intégrer divers dispositifs de communication et de socialisation, informés par le collectif et l’informant en retour, comme autant de médiations créées vers l’œuvre où « les moyens mêmes qu’on se donne pour saisir l’objet – le disque, le chant, la danse, la pratique collective…- font partie des effets qu’il peut produire »91. De ce fait, le cycle des « Harry Potter » s’inscrit dans une histoire de la lecture dont les travaux pionniers de Roger Chartier ont montré la variété des éléments matériaux et sociaux, allant bien au-delà d’une activité silencieuse et solitaire, « concour[ant] à ébranler ce que David Henkin a appelé “la puissante et persistante image d’un lecteur privé” et la thèse, souvent connexe, que l’histoire de la lecture dans l’Occident moderne correspond à une croissance progressive de sa privatisation »92.  

Lectures éloquentes

28La lecture silencieuse, plus rapide et fluide que celle à voix haute, s’adapte particulièrement bien à la longueur du tome 7. Mais face à la multiplicité des hypothèses en jeu et des lecteurs, la lecture collective et celle à haute voix93 trouvent leur utilité. Certes, nombre de situations de lecture restent individuelles et silencieuses, mais certains.es fans lisent en public, dans une indifférence visible à leur environnement. Un type de scène si répandue qu’elle a frappé les contemporains, comme l’écrivain et critique britannique Norman Lebrecht : « Dans les trains, dans les aéroports, dans les parcs et sur les plages, partout où on allait, tout le monde semblait lire Harry Potter »94. Ces images et descriptions de lecture individuelle dans les lieux publics mobilisent le « folklore de l’immersion »95, basé sur le paradigme du « transport »96 , physique et mental (« on trains, in airport lounges, in parks and on beaches »), figurant ainsi l’adhésion des lecteur·rice·s au monde fictionnel par leur indifférence à l’environnement. Elles jouent aussi sur la catégorie de la « littérature de gare » (« d’aéroport », dans sa version contemporaine), celle qui offre aux lecteur.trice.s l’évasion avant ou entre le voyage réel. Il ne faut cependant pas confondre cette pratique silencieuse en public d’avec la lecture silencieuse collective dont jouissent les fans pour partager leur expérience. Le soir même ou le lendemain de la sortie du tome 7, de nombreux groupes de fans, au premier chef les chroniqueurs amateurs des émissions radiodiffusées Mugglecast (du site « Mugglenet ») et La Radio Indépendante à Transmission Magique (RITM, du site « La Gazette du sorcier »), se réunissent dans leurs chambres d’hôtel ou chez eux pour lire en commun le tome 7, avant de délivrer leurs toutes premières impressions dans un épisode spécial de leurs émissions97. Le groupe des Mugglecasters diffuse même en temps réel sur le site Mugglenet une vidéo d’eux-mêmes en train de lire des heures durant, invitant son public à les « espionner » (« spy in »), mais sans le son, pour éviter les « spoilers »98. Tous ces dispositifs photographiques et vidéos amateurs confèrent une éloquence à l’acte de lire. Cette éloquence repose sur un double décodage : l’ensemble des fans déchiffre l’image des autres en train de lire le tome 7. Chacune de ces productions visuelles met en forme « l’apparence de la lecture » (« the look of reading ») dont Garret Stewart a montré qu’elle constituait un sous-genre du portrait, en art 99. L’évocation des visages, des corps mais aussi de leur environnement, par « l’épanchement spatial de la concentration privée »100, figure ainsi l’invisible de cette action, en sollicitant chez le·a spectateur·rice/lecteurrice son « identification somatique avec une expérience privée »101.Le pouvoir évocateur des corps lisant reposerait ainsi sur un redoublement de la « cognition incarnée », modèle qui sert lui-même à décrire le processus de la lecture dans les théories contemporaines inspirées par les sciences cognitives de deuxième génération102.

29Il n’y donc a rien ici de métaphorique dans la définition physique que Raphaël Baroni donne de la force de l’intrigue, « conversion de l’énergie potentielle de l’histoire en l’énergie cinétique de la lecture, cette dernière étant conçue comme un processus qui fait passer l’histoire d’un état virtuel à un état actuel »103. L’engagement corporel est visible dans les réactions filmées puis commentées des Mugglecasters : « Laura : “Ça m’a rendue un peu triste [de lire la mort de Dobby]. En fait, je crois que j’étais assise là-bas, par terre. Je faisais “Nooon”, un peu comme si je…” Andrew : “Tu te balançais d’avant en arrière”» 104.Cela illustre à la fois leur implication dans la diégèse et la validation ou annulation de leurs propres scénarii prédictifs : larmes, sursauts, cris d’indignation (contre un personnage mais aussi contre l’auteure), colère ou encore regards d’ironie jeté au camarade seront ensuite glosés par eux·elles comme une dramaturgie de la lecture, source de suspense. C’est tout l’ironie, par exemple, que savoure l’un des Mugglecasters devant la lecture du dénouement par un camarade à ses côtés. Les péripéties de cette lecture sont créées par une combinaison entre la fin à double détente de la fiction dans le livre (Harry semble y mourir, mais, réanimé, vaincra Voldemort) et la discordance entre les idiorythmes de lecture des deux amis, permettant de jouer avec les effets du « spoiler » :

- Eric, tu as été un peu « spoilé » ! Eric savait qu’Harry allait vivre. Ce qui s’est passé, c’est que j’avais déjà lu le livre. Et alors il me disait, dans la rue : “Oh, voilà ce qui va arriver“. Ça, c’était aujourd’hui et j’essayais de lui dire que..

- Parce que tu savais déjà…

- Oh, oui, je savais déjà, par ce que je l’ai lu hier soir ! Et ce que j’essayais de lui dire, c’était que c’était une question de perspective (« prospective »). Et alors quand il est arrivé à la partie où Harry meurt, vous auriez dû voir le regard qu’il m’a lancé… Il se disait : « Bon Dieu ! On m’a dit qu’il allait vivre, mais il vient juste de mourir ! Oui !!! c’est moi le vainqueur ! » (nous soulignons).105

30« Oui !! c’est moi le vainqueur ! ». Le dénouement du combat entre les personnages (Harry et Voldemort) est donc, parallèlement, celui du débat entre les lecteurs.trices - et en eux.elles. Tous les possibles discutés par les fans sont mis à l’épreuve du dénouement publié. Espionner les lecteur·rice·s, ce serait alors assister au dénouement de leurs prédictions, comme au verdict public d’un procès-spectacle, infirmant ou confirmant la justesse du travail anticipatoire : « le plaisir de lire le livre sera aussi de savoir si nos théorie était juste » (albusjoe13, 27 janvier 2007).

Dénouements

31Mais les événements de lecture ne disent pas cette binarité, ou pas seulement. Les prédictions ne se résolvent pas avec ni dans le dénouement, parce que les versions possibles qu’elles portent vont perdurer, mais profondément requalifiées à ce dernier stade du débat. Leur validité est en question, mais surtout le cadre qui permettrait d’en attester. On a vu en effet combien le·la lecteur·rice concourt à actualiser l’énergie potentielle de l’intrigue par l’exercice de sa propre puissance ou capacité (pour rester dans le vocabulaire aristotélicien de l’action)106, y compris corporellement, par la cognition incarnée. Une telle participation lecturale au potentiel107 peut aboutir à questionner la légitimité du dénouement en présence et créer une véritable « épreuve de réalité »108.  

32Si des lecteur·rice·s réamorcent leurs potterthéories, même après la parution du tome 7, c’est parce que l’« intrigue » du cycle, une fois advenue, est remplacée par l’exploration du « monde » imaginaire qui l’englobe et qui reste, lui, potentiellement, à actualiser par l’auteur comme par les fans – ce dispositif poétique permet un compromis entre les cités domestique et civique. Il en va de même du monde de l’interprétation, qui élargit encore ce dispositif… En 2018, un article publié par le directeur de publication du « Leaky Cauldron », intitulé « Théories Harry Potter, la confusion »109, classera les théories « prédictives » survivantes en trois genres : les « déductions » détaillant le fonctionnement du monde imaginaire (comme l’usage du retourneur de temps) et les théories du « headcanon » (le « canon » propre à chaque fan), encore validables car ni confirmées ni infirmées par le tome 7. Si ces deux types de théories supposent la complétude du monde fictionnel à actualiser, le troisième postule celle du monde critique, attaché au statut de « classique » que le cycle acquiert onze ans après sa fin : y sont en effet regroupées les théories requalifiées en « analyses littéraires », dont la cohérence et la productivité herméneutique justifient la pérennité.

33Pour d’autres fans, plus radicalement et dès juillet 2007, cette sorte d’ « arrangement » est intolérable : ils·elles font un « refus de fin »après leur lecture du tome 7110, comme le montre, sur le forum dédié du site Mugglenet, le premier commentaire d’une « grande fan » (« avid fan ») adepte des « théories débridées » (« wild theories ») de ses camarades,quelques heures après la sortie du tome 7 :

[J. K. Rowling] aurait pu en faire tellement de choses ! Elle aurait pu prendre tellement de chemins, de théories et de virages sophistiqués dans ce dernier ajout au grand cycle, que j’ai envie de lui jeter sa copie à la tête pour exiger qu’elle s’y remette, parce que c’est raté. L’histoire est tellement boiteuse et impossible que c’en est sidérant. On croirait lire une fanfiction médiocrement écrite et mal ficelée. A tout moment, je m’attends à voir surgir quelqu’un qui dise : « PSST ! voilà le bon exemplaire, celui-là, c’était juste une blague ! » (nous soulignons) 111

34Aucun énoncé auctorial ne peut actualiser tous les futurs possibles prédits par les fans (« SO many pathways, theorys, spinny-go-roundabouts that she could have taken »), qui ont fini par générer les contours de cet imaginaire potentiel, sillonné en même temps que dilaté. Pour cette fan, cette fin « impossible » et incohérente dans l’intrigue fictionnelle l’est d’abord dans l’intrigue lectoriale qu’elle raconte. Le cycle des « Harry Potter » est alors inachevé à ses yeux, non par incomplète actualisation d’une fiction potentielle, mais par incapacité de son auteure, récusée en tant que porte-parole de l’imaginaire pottérien. La nouvelle puissance imaginative établie comme légitimement créatrice est ici celle de la fan révoltée, qui « exige » une fin authentique au nom de sa communauté, dans une micro-intrigue qui la pose comme une actrice frontalière entre les cités civique et inspirée.

35D’autres lecteur·rice·s, enfin, font l’expérience d’un type de fin « possible impossible », telle qu’annoncée par ce·tte fan en janvier 2007 : « même si un jour une théorie est confirmée ca doit être une surprise simplement de voir que c’est vrai » (nous soulignons). Cela implique cette fois de poser le dénouement dans le tome 7 comme une actualisation légitime, réelle. Mais alors, par contre-coup, le « possible » prédit par les fans change de nature à leurs yeux : d’un élément de logique modale il devient, rétrospectivement, leur « intuition »112 d’un événement créatif, et donc leur participation imaginative à son surgissement. Le·a fan est surpris·e par ce texte qui « en rajoute », qui « prend encore plus qu’on s’y attend » sur fond d’une pratique prédictive collective donnant le « cadre […] attentif, entraîné, dont [cette surprise] a besoin pour surgir »113 ; mais il·elle est aussi surpris·e par sa propre capacité à avoir imaginé cet événement, dorénavant devenu pleinementpossible. Cette revalorisation rétrospective et intrasubjective de la prédiction grâce à la perception de l’événement advenu, que l’on trouve diversement expliquée dans les approches phénoménologique, bergsonienne ou énactive de l’acte lectural, aboutit à un dénouement différent de cette intrigue. Cette dernière mise à l’épreuve des prédictions offre à la réalité de la lecture sa « magie », compromis de valeurs entre les cités domestique, inspirée et industrielle. Elle signe « la paix précaire » du « combat » entre monde du texte et monde du lecteur, que Ricoeur voyait dans la fusion de leurs horizons lors de la « lecture vive »114 : c’est en effet par une dynamique semblable que se concluent les aventures du jeune Harry dans la fiction, la « magie du réel », des sentiments et des actions humaines, du monde domestique et générationnel le sauvant, et non celle des sorciers ni de leurs prophéties115.

Conclusion

36Après le 21 juillet 2007, les forums comme ceux de Mugglenet, où les fans ont pleuré et célébré la triple fin de la fiction116, de leurs prédictions117 et d’une période de leur propre vie118, continueront pourtant de recueillir « quelque chose d’une vie vécue, des plaisirs partagés, des rires joyeux et des pleurs empathiques »119 car les commentaires, fansfictions, théories, et même appels à l’action politique à partir de « Harry Potter »120 ne tariront pas. Un aspect de la « génération Potter », comme « dernière génération de devins » est constitué, dans la fragilité narrative entre « dernière » et « génération » : d’un côté la mise en intrigue historique (la place de cette génération dans l’histoire culturelle), de l’autre l’expérience de surgissement « génératif » par la lecture, dont nous avons suivi la socialisation grâce à des médiations, qui en sont à la fois les moyens et les produits. Le vocabulaire critique indigène (allégorisation par et dans le commentaire) et l’éloquence des lectures (allégorisation par et dans le corps) en font partie. C’est pourquoi, même si le concept de « génération Potter » est aussi à usage de mythe identitaire individuel et collectif dans l’histoire de la « culture participative » des fans121 (leurs débats postérieurs pour « en être » ou pas le montrent),  les modes de participation à son imaginaire peuvent en être diversement éprouvés : par l’administration de la preuve dans le débat critique que produit le fandom et les évaluations qui en résultent, mais aussi par la réflexivité éprouvante de la pratique lecturale sur les fans, suscitant chez eux·elles surprise, joie, révolte, perplexité.  

37Partager cette durée dans ses manières et ses idiorythmes, lui donner forme en quelque chose qui soit de la lecture et entre dans « le champ de la visibilité humaine »122 est une des créations de cette génération. On pourrait ici transposer la formule de l’anthropologue Frédéric Keck (« comment les fœtus sont devenus visibles ») sur l’étude que Luc Boltanski a consacré au débat sur l’avortement123, et donc aux « problèmes généraux posés par l’engendrement – et pas seulement celui des enfants »124, en la déclinant en « comment les prédictions deviennent visibles ». Le développement bien connu des technologies numériques et celui de la culture de la participation déployée dans ses usages, en donnant une visibilité aux produits de ce travail interprétatif officieux des lecteur·rice·s, largement assimilé au domaine de l’intime ou du privé (qu’on pense à la « parafictionnalisation » étudiée par Richard Saint-Gelais ou au gossip traité par Henry Jenkins), fait surgir dans le monde social des entités interrogeant la frontière entre spéculation, imagination et création, et demandant à y être insérées par des processus de justification – y compris juridiques (qu’on pense aux débats sur les licences et droits d’auteur). La notion de « génération » dit aussi cela, ce moment commun intensément lié à la création d’un espace de visibilité sociale sur ce qu’engendre en soi la participation à la fiction, dans la « boîte noire »125 de la lecture.

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