Mettre un terme
« Bien penser à la Fin,
penser avant tout à la Fin. »
Léonard de Vinci
1 En définitive, il faudrait bel et bien se rendre à l’évidence de ses détracteurs les plus résolus et aveugles : la littérature française contemporaine n’est pas seulement en crise. La littérature française est morte. Donnant raison à ses pires cassandres qui auraient vu juste, elle aurait ainsi fini par succomber et décéder sans prévenir un peu après les années 80, ne résistant pas véritablement à l’air du Temps et à la faillite des idéologies et de ses idéologues, ne pouvant faire face à l’effondrement des avant-gardes et des arrière-gardes, ne parvenant à écrire que son acte de décès avec ce qui pouvait lui rester de souffle quand tout avait été soufflé, rasé, anéanti… De fait, le contemporain romanesque aurait immanquablement touché à sa fin, n’existerait plus, aurait lâchement rendu l’âme à l’aube du nouveau millénaire qui sonnerait comme son crépuscule et ses funérailles célébrées dans une indifférence générale et une joie contenue. Mais, paradoxalement, dire que la littérature française est enfin morte ne revient cependant pas à dire qu’elle a disparu et qu’elle n’existe plus pour autant. Contrairement à ce que ses diverses Pythies ont cru voir, on ne dit pas aussi facilement adieu à la littérature ou alors on ne cesse de le faire, indéfiniment, jusqu’à ce qu’elle finisse de finir en quelque sorte, jusqu’à ce qu’on finisse par admettre que Littérature n’est pas le synonyme de littérature1. Car on aurait tort de croire qu’il suffit de mourir pour ne plus vivre, que lorsque les organes meurent la vie meurt à son tour et qu’en littérature, la Fin est un terme en soi. Parce que rien ne finit avec lui, il se passe toujours quelque chose après l’Achèvement. En effet, un moment littéraire inouï semble s’ouvrir, celui de l’après-vivre portant avec lui la Puissance de ce qui survit après la mort, quand le monde est devenu à lui-même son propre fantôme, quand de tout ce qui peut encore s’écrire tout est devenu spectral, comme si la littérature était condamnée à présent à être morte vive, à côtoyer et tutoyer ses spectres jusqu’à la Fin des Temps.
2De fait, ce sont ce paradoxe et cette contradiction du fantômal inhérents à la littérature française immédiate auxquels décide de s’affronter avec courage et brio Lionel Ruffel dans son premier essai, Le Dénouement paru ces jours-ci chez Verdier dans la collection « Chaoïd » qu’il co-dirige avec François Théron et David Ruffel2. S’originant dans une réflexion sur l’œuvre d’Antoine Volodine auquel l’essayiste a précédemment consacré une thèse, cet essai se propose effectivement d’examiner l’ensemble de ces questions sous le terme de « dénouement », terme même du terme impossible, de ce retard que toute conclusion prend sur elle-même, de ce temps opératif qui existe entre la fin et la Fin définitive. Ainsi, est-il précisé d’emblée dès l’introduction intitulée « Le Complexe de Dondog » du nom du personnage de Volodine sur lequel il fonde sa réflexion prudemment inductive, quand le siècle dernier s’achève, ne s’ouvre pas une simple et anodine Fin de Siècle mais commence avec lui la fin d’un monde, celui du marxisme rendu à son spectre communiste, communisme qui s’est écroulé suite à une double chute, celle du mur de Berlin et celle des Statues à Moscou, où le dénouement s’installe comme la fin d’un dévouement communiste. À l’image de Dondog, l’homme qui reste est le personnage qui demeure après la Fin et entre par-là même dans un moment de mutation où, conjointement, sont proclamées trois fins : celle de l’histoire, des idéologies et de la modernité (voir p. 11). Pour Lionel Ruffel, Dondog s’impose comme un personnage conceptuel digne de Zarathoustra dans la mesure où il est à la fois la métaphore et la métonymie d’une humanité qui doit survivre après toutes ces morts et se résoudre, depuis lui-même, à écrire ces mêmes morts.
3Partant, le projet de l’essai s’énonce sans ambages puisque, comme il est suggéré, il s’agira de rendre compte dans « ce contexte de profond désarroi, face à l’écroulement, des œuvres [qui] se sont écrites, des œuvres [qui] ont pensé ce qu’il était le plus difficile de penser : la transformation des paradigmes historiques, esthétiques et politiques. » (p. 13) S’agissant de questionner et de rendre compte de ce qui surgit selon toute apparence comme l’aporie de la survie à l’achèvement du marxisme, la réflexion s’organise autour de la notion dramaturgique de « dénouement » que l’auteur définit comme « un temps de résolution qui clôt une pièce [et qui] après la péripétie et le point culminant, […] tente de lever les contradictions et de défaire les fils de l’intrigue. » (p. 11), notion qu’il étend et entend comme une véritable étape historique à part entière, à la fois politique et littéraire, ce qui l’autorise à procéder à un examen du contemporain en le divisant en trois moments que sont « La chute des statues : la fin de l’histoire » (pp. 17-39), « Le roman et la fin supposée des idéologies » (pp. 43-76) et « Le minimal, le maximal ou le deuil du moderne » (pp. 79-104). Ainsi, de Pierre Guyotat à Valère Novarina en passant de manière plus inattendue par Jean Echenoz, Pascal Quignard ou Eric Chevillard, Le Dénouement s’attache-t-il, non sans risques mais toujours avec force, à identifier et dégager un ensemble de textes propres à dessiner l’identité de cette époque ébranlée, à savoir ces romans qui cherchent à s’écrire après la fin et une fin en particulier, celle de l’Histoire révolutionnaire et qui ont le courage d’affronter ce défi et cette contradiction de parvenir à survivre à toute disparition, de revenir depuis cette Fin sans pour autant se réduire à la problématique de la postmodernité à laquelle Le dénouement oppose une véritable alternative conceptuelle. Car, en effet, quand tout a sombré, comment continuer à écrire ? Comment écrire après ? Telle est la question d’une époque, de notre époque, nous dit Lionel Ruffel.
4Quand le dénouement s’ouvre, c’est toujours plus ou moins le début de la Fin car la littérature ne cesse jamais de commencer par la fin, de ne débuter qu’au crépuscule, de ne se faire qu’aux Lendemains3. Ecrire revient ainsi toujours à endurer l’expérience irréversible d’un commencement qui n’a rien d’une genèse mais qui ne peut débuter qu’après toute conclusion car l’acte d’écriture revient à désirer mettre un terme, à savoir finir et nommer dans le même temps. Et ce temps qui s’ouvre après la fermeture est celui du dénouement, suggère Lionel Ruffel, un temps qui comprend « deux termes conjoints, fin et début » (p. 10). Loin de s’installer dans une supposée logique univoque de la fin, le dénouement serait, au contraire, la notion propice à l’articulation paradoxale et dynamique de cette époque puisque, continue-t-il, « ni début ni fin, limité et transitoire […], il déploie une temporalité complexe, tout à la fois tourné vers le passé qu’il transforme et le futur qu’il autorise. » (p. 11) Partant, le dénouement s’élève ici à un rang de problématisation inédite, celui de concept critique à part entière et, en particulier, de puissance dialectique qui permet d’articuler ce qui était à ce qui suit, de proposer une charnière à ce qui était sorti de ses gonds : le communisme et le marxisme.
5Parce qu’en effet, il pose et suppose dans un spectacle un temps entre la fin et la Fin, ce concept de l’après quitte le strict champ du lexique théâtral pour venir rendre compte ici de manière très éclairante de la dramaturgie tragique qui succède au marxisme et à la double chute lapidaire et statuaire, pour venir donner voix et vie à ce passage du régime esthétique des Arts dont il se propose d’être une étape (voir p. 12). Véritable entre-deux et oscillation, la logique dialectique du dénouement autorise ainsi à saisir au mieux ce tournant de l’année 1990, de l’Allemagne neuf zéro comme disait Godard, que Lionel Ruffel tente d’abord d’apercevoir dans les propos des philosophes qui ont entrepris de dire dans cet effondrement ce qui s’achevait alors pour eux et pour les autres. Si bien que l’essentiel de la première partie se consacre à ces philosophes qui, d’Alain Badiou à Jean-Luc Nancy en s’arrêtant sur les rôles majeurs tenus par Jacques Derrida et Jacques Rancière, se sont attachés peu après cet ébranlement politique de la faillite communiste à en dégager les traits essentiels, à en démêler et dénouer, pourrait-on dire, l’écheveau intellectuel et pathétique car le dénouement est toujours une élucidation, un moment de résolution de crise, où tout peut être mis à nu : peu ou prou, le dénouement apparaît toujours comme un dénuement, pourrait-on dire.
6Brillants panorama intellectuel et tableau historique qui dépassent toujours le simple état des lieux pour se hisser jusqu’à l’interrogation, la réflexion menée par Lionel Ruffel met au jour la prégnance dans ces années d’ « une pensée du deuil et de la mort » (p. 25) qui suit cette supposée fin de l’Histoire, retrouvant ici l’idée de Didi-Huberman4 selon laquelle, même si l’Histoire se veut toujours l’élucidation sans reste du Passé, lorsque cette dernière s’achève, et a fortiori lorsqu’elle touche à son terme, il demeure un reste et un reliquat qui doivent se dialectiser à un nouveau commencement de l’histoire : commencement qui ne peut toutefois s’exprimer, pour Lionel Ruffel, par un ton messianique mais, contre toute attente, par « un ton apocalyptique » (p. 26)5. Et, en l’occurrence, ce qui reste, ce sont des fils défaits, dénoués au sens propre, des textes troués, à la trame effilochés qui ne sont plus porteurs de cet instant inouï de l’histoire offert par le communisme qu’était non la communauté sociale mais la conjonction avec la société car « La conjonction désigne avant tout une époque historique dont la promesse s’achève sur la chute des statues. » (pp. 29-30) La puissance crépusculaire de la philosophie d’alors éclaire le concept de dénouement comme une défaisance, un acte par lequel le monde ne peut que prendre conscience de sa confiscation comme le disait déjà Heidegger mais une confiscation dont il faut faire l’histoire, une confiscation particulièrement et paradoxalement historique qui signe cette fois la mort d’une époque et une époque de la mort ou, comme l’auteur le précise encore, « une tentative de « mise à mort du mort » qui s’appuyait sur un événement totalement objectivable, la fin d’un siècle » (p. 38). Ainsi le dénouement est-il salutaire en ce qu’il réclame, en dépit de la fin d’une histoire, de ne pas oublier l’Histoire et de commencer à en constituer le possible héritage pour aller vers la Fin ou, en tout cas, un peu plus loin.
7Et aller un peu plus loin, c’est, en l’occurrence, continuer à écrire. Car, loin d’éloigner d’un dessein de problématisation littéraire d’une génération d’écrivains que l’auteur s’est assigné, ce tableau liminaire intellectuel et philosophique en constitue paradoxalement l’acte premier et majeur, la scène d’exposition indispensable qui dévoile un théâtre d’écriture sans lequel les acteurs – les auteurs – des années 90 ne peuvent connaître leurs rôles non plus que le réciter. De fait, la puissance de la thèse défendue ici consiste précisément à proposer un panoptique du champ de création de l’époque comme une nouvelle histoire littéraire en prenant acte de ce que la philosophie n’est pas, dans cette époque des spectres, le dibbouk sinon le lémure de la littérature, à savoir son fantôme inexpiable et impossible à racheter mais une discipline indisciplinée de la démocratie des signes où tout s’égalise et signifie sans hiérarchisation, où parler de l’une, c’est déjà vivre en l’autre. Si bien qu’à terme, comme un coup de théâtre, la réussite de l’ouvrage tient à ce qu’il parvient par un trait politique et une tournure philosophique à dégager l’identité littéraire d’une époque, pensée hors des seuls critères narratifs qui, paradoxalement, n’apparaissent en retour que plus évidents, éclairant les finalités et autres fins du dénouement lui-même.
8Les tréteaux sont posés. Le second acte peut alors s’ouvrir et commencer, à nouveau, ici sur une fin, une disparition, un anéantissement dont la scène ne sera plus cette fois celle des discours philosophiques mais des différentes figures narratives et romanesques du dénouement qui en portent l’empreinte et qui peuplent notamment le roman français des années 90 dans la mesure où, comme Lionel Ruffel l’affirme et le démontre tout au long du deuxième moment de sa réflexion, « la pensée du dénouement a fortement marqué certaines œuvres contemporaines. » (p. 44) Comment écrire (après) cet échec du marxisme ? Partant, de Valère Novarina à Pierre Guyotat en passant par Antoine Volodine, un nouvel examen de l’époque prend place qui entend à présent dégager les enjeux de cette littérature et de ces œuvres qui « problématisent, de manière fort différente mais toujours perceptible, leur rapport à la fin, à l’histoire et aux enjeux de la modernité. » (p. 45) A ce titre, le concept de dénouement se conceptualise encore un peu plus dans la mesure où, retrouvant la littérature dont il était sorti, il ne regagne pas exactement sa place, revenant hanter la littérature pour la charger d’une histoire et d’une politique qui, loin de réduire le dit dénouement à un simple épisode narratif parmi d’autres, l’installent à lui seul comme une dramaturgie non théâtrale mais romanesque, comme un récit à part entière et une posture esthétique identifiable en tant que telle. Comment ainsi le roman résiste à cette épreuve de la fin ?
9Aussi, et sans surprise, la littérature du dénouement se présente-t-elle comme celle du Dernier homme, de celui qui reste à la fin de l’humanité, quand il n’y a plus de révolution mais quand tout est révolu à défaut d’être résolu si bien que les romans en question déploient un instant paradoxal, celui d’un retournement dramaturgique par lequel la Fin est le début de tout. Valse dialectique, la narration s’ouvre dès lors sur sa conclusion même puisque le personnage mis en scène touche à la fin de ses jours, ce qu’analyse Lionel Ruffel à travers les œuvres d’Olivier Rolin qui proposent « l’idée de « genèse finale », de « posture terminale initiale » symptomatiques du dénouement. » (p. 49) Et, parce qu’en vérité, l’incipit y apparaît toujours comme un explicit et parce que les exemples choisis ont la force du paradigme, les romans du dénouement s’affirment comme les romans d’un récit qui tente de survivre à lui-même et à la promesse de son irréversible disparition, disparition par laquelle le dénouement incarne une désincarnation qui ne se contente pas d’une simple thématisation. En effet, lorsque Lionel Ruffel évoque et convoque l’horizon spectral au sujet des romans d’Antoine Volodine, lorsqu’il expose que « Les fantômes y abondent […] où le narrateur est généralement mort lorsqu’il prend la parole, flottant dans un espace singulier, le Bardo, qui confère à son œuvre une part de son originalité. » (p. 49), il s’agit pour lui de définir le dénouement non plus uniquement comme une puissance actantielle de ce qui n’agit plus mais comme un point d’énonciation de ce qui se fait entendre sans pour autant s’incarner, la puissance désormais d’un spectre vocal. Où le dénouement est une question de voix, de dévoiement : « L’état du narrateur, ou de tout autre tenant de la parole, est un état limite, proche du délire, proche du néant. Le roman s’écrit comme le dernier geste du locuteur avant qu’il ne s’écroule dans la folie ou la mort. Le dénouement relève donc d’une situation élocutoire limite. » (p. 63) Aby Warburg avait bien raison : l’Art est une histoire de fantômes pour grandes personnes.
10De surcroît, spectre du marxisme, un tel dénouement énonciatif s’originant dans le politique ne manque pas en vérité de dessiner une nouvelle cartographie de l’espace littéraire dans la mesure où il implique une triade littéraire inédite : la conscience de l’histoire, le maximalisme romanesque et l’internationalisme. Les romans du dénouement s’attachent, en effet, à donner de l’histoire finissante du 20e siècle la conscience de sa survie, chaque personnage en portant le poids, du reflux du marxisme à l’afflux de l’amertume, ce qui transparaît avec force chez Guyotat car « Le 20e siècle s’y lit toujours comme le temps où le roman reçoit l’histoire ; entendons la possibilité-responsabilité de dire l’histoire. » (p. 56). À quoi vient s’enchaîner un nouveau paradoxe qui a pour nom le maximalisme romanesque dans le sens où, n’impliquant pas obligatoirement contre toute attente un épuisement ou une extinction, les romans du dénouement entreprennent dans leur récit de l’histoire « la fabulation la plus intense » (p. 64). Il s’agit d’un faire-monde de l’écriture après le monde lui-même, tendance à l’excès et à la démesure héritée du Révolutionnaire que Lionel Ruffel précise de la sorte : « Ecrire un roman suppose donc de faire un monde. » (p. 62) Survivre au marxisme revient à dépasser ce marxisme par le maximalisme, comme s’il s’agissait d’écrire un roman marximaliste pourrait-on dire, un faire-monde spectral mais un monde entendu au sens large du terme en ce qu’il s’agit pour l’écrivain du dénouement de pratiquer, comme survie de l’internationale communiste, l’internationalisme, c’est-à-dire le français comme langue étrangère, où la culture nationale abdique face à un désir d’égalité avec les autres cultures si bien que « S’extraire d’une culture nationale précise et écrire la mémoire collective du XXe siècle sont presque synonymes. » (p. 75). Les fins du dénouement romanesque consistent, on l’aura compris, à aboutir, coûte que coûte, à cette écriture de la survivance à la conjonction, cette écriture qu’avec brio Lionel Ruffel nomme contre « la conjuration » (voir pp. 89-92) et, à l’aune de laquelle, il entend conjointement mesurer dans le troisième et dernier moment de son analyse les délicates notions de maximalisme convoquée plus haut mais aussi de minimalisme, entendues toutes deux comme deuil du moderne.
11S’amorce là le plus subtil effort de cet essai, lorsqu’il s’agit, effectivement, pour Lionel Ruffel d’envisager comment des œuvres en apparence aussi éloignées de Volodine ou Guyotat que celles de Jean-Philippe Toussaint, Jean Echenoz, Eric Chevillard, Christian Gailly ou Marie Redonnet encore, se trouvent être tributaires chacune des chutes du Mur et des Statues. Qu’il s’agisse, de fait, de Faire l’amour, Mourir m’enrhume ou de Je m’en vais, l’ensemble des récits porte avec lui une idée de survie à la fin et à la disparition, une logique du dénouement héritées d’un deuil d’une modernité à laquelle il s’agit encore ici de survivre le temps qui reste après la fin de tout comme pour la conjurer car « si la fin est omniprésente, c’est pour mieux y résister. » (p. 97) Survivance qui est l’ultime tour de force du Dénouement, là où, en l’occurrence, ce n’est pas le moindre mérite et paradoxe de l’énergie de cette réflexion de lire des œuvres supposées hantées par la littérature et ses jeux formels au regard d’une inscription politique, en actualisant ce qui, en elles, ne peut demeurer indemne de l’actualité. Le temps du dénouement sait s’imposer comme le temps opératif mais surtout opérationnel.
12En définitive, véritable indicatif du présent, Le Dénouement de Lionel Ruffel sait être l’essai critique indispensable à la saisie et à la compréhension de la littérature contemporaine actuelle, venant compléter et relancer les questionnements de ces deux autres ouvrages-clefs et sommes que sont Le Roman français au tournant du 21e siècle de Bruno Blanckeman, Marc Dambre et Aline Mura-Brunel6 et La Littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations de Dominique Viart et Bruno Vercier7. Cependant, sans avoir la vocation exhaustive et encyclopédique de ces deux précédents ouvrages, la réflexion de Lionel Ruffel sait néanmoins trouver elle aussi l’ampleur de la conceptualisation, celle qui montre que la littérature n’a pas seulement la capacité de penser mais surtout qu’elle en est capable, qu’elle ne sort jamais intacte du monde qu’elle dit et dans lequel elle s’inscrit. Qu’en vérité, il ne saurait être question de poursuivre le mythe de la Tabula rasa, que même touchant à la fin de l’histoire du marxisme, on doit recommencer à partir d’elle, porter ses restes, se laisser poursuivre par son fantôme. La métamorphose littéraire dont Lionel Ruffel nous rend ici les témoins privilégiés est celle d’un dénouement qui doit s’entendre comme une après-histoire, « fin de l’histoire » qui est encore une étape de l’histoire, qui fait encore partie de l’histoire et qui n’en est, semble-t-il, à regarder du côté de Chevillard, qu’à sa préhistoire8. Une préhistoire qui est aussi celle de Lionel Ruffel lui-même tant la richesse des pistes qu’il propose vaut pour lui comme autant de perspectives prospectives, comme un véritable programme d’action pour les années à venir qui est loin de mettre un terme.
13Si bien qu’enfin, par un ultime paradoxe, si ce brillant essai rejoue à l’échelle de son auteur sa propre logique dialectique et si, à en croire Georges Didi-Huberman, les choses de l’Art commencent toujours au rebours des choses de la vie, alors force est de reconnaître que l’heureux dénouement que rencontre ici Lionel Ruffel constitue pour lui un début plus que prometteur.