La lettre entre réel et fiction
1Paru en 1998, ce recueil d'études réunies par Jürgen Siess a d'abord été conçu pour l'analyse du roman épistolaire de Choderlos de Laclos, alors inscrit au programme des agrégations de lettres. Si le prétexte institutionnel vaut habituellement argument commercial, il a surtout été l'occasion d'offrir ici un même terrain d'enquête à une dizaine de spécialistes des formes épistolaires. En témoigne la charpente du volume, qu'on peut considérer aujourd'hui comme l'une des meilleures références théoriques sur l'épistolaire.
2Une première partie offre des perspectives théoriques générales ; la seconde aborde " la lettre au XVIIIe siècle " – les trois derniers articles étant entièrement consacrés aux Liaisons dangereuses : Georges-Elia Sarfati s'intéresse à " la mise en intrigue ", dans une étude linguistique des Lettres II et IV ; Violaine Géraud aux "Discours rapportés et stratégies épistolaires " ; Michèle Bokobza Kahan au "Discours de la folie " dans la dernière lettre de Mme de Tourvel". Mais ces trois contributions offrent, à l'instar des autres articles, d'utiles considérations générales sur la polyphonie épistolaire ; ils viennent mettre en quelque sorte à l'épreuve du texte les propositions théoriques formulées dans les articles les plus généraux du recueil, en s'attachant surtout à la description de " stratégies épistolaires " qui peuvent être repérées dans d'autres romans épistolaires – ou dans des correspondances authentiques.
3Les différents rédacteurs ont visiblement eu à coeur d'élaborer des outils d'analyse et un cadre méthodologique, d'ouvrir des perspectives socioculturelles sur les pratiques épistolaires au XVIIIe siècle. Jürgen Siess met l'accent sur la vocation pluridisciplinaire du recueil, dès les premiers mots de son introduction : " L'exploration d'un roman épistolaire polyphonique aussi complexe que les Liaisons dangereuses semble favoriser la rencontre entre spécialistes du texte littéraire et linguistes ". Cette pluridisciplinarité a un objectif premier : offrir sur les formes épistolaires autre chose que ce qui a déjà été proposé (c'est-à-dire une histoire et une poétique du roman épistolaire et l'étude d'oeuvres particulières pour la lettre fictive ; l'étude des lettres réelles d'écrivain, de la correspondance vue comme formation littéraire, de l'épistolarité à travers les siècles, de lettres d'inconnus) ; en d'autres termes : une " théorie de la lettre ", susceptible de " conceptualiser cet objet mouvant et protéiforme qu'est la correspondance ".
4Jürgen Siess propose pour sa part, si ce n'est une " théorie de la lettre ", du moins des " modèles et des concepts opératoires ". Ces modèles sont offerts par la linguistique, notamment la pragmatique, " dans la mesure où elle s'attache à l'analyse du discours conçu comme langage en acte et en situation ". La pragmatique permet en effet d'étudier l'interlocution et l'interaction des partenaires au sein d'un échange – l'échange épistolaire n'étant qu'un mode singulier, soumis à des normes langagières et culturelles spécifiques.
5Si la lettre est une forme qui offre une très grande liberté au rédacteur, elle obéit cependant à des codes généraux liés aux pratiques d'une époque et d'un milieu donnés — d'où l'intérêt d'un développement sur la pratique de la lettre au XVIIIe. Parce qu'elle présente cependant des constantes, il est possible d'en établir un modèle minimal. Et les libertés prises par rapport à ce modèle, qui n'est pas seulement idéal (la lettre a pu être historiquement un genre extrêmement codifié), permettent de définir des types de lettres, notamment en fonction de l'effet qu'elles visent à produire sur le destinataire direct et/ou indirect – en quoi elle apparaît comme un objet privilégié pour la pragmatique ou l'analyse rhétorique.
6Les deux premiers articles du recueil peuvent se lire comme une tentative d'élaboration d'un tel modèle rhétorique ou pragmatique de la lettre : Catherine Kerbrat-Orecchioni définit " L'interaction épistolaire ", Jean-Michel Adam distingue " Les genres du discours épistolaire " en invitant à passer " de la rhétorique à l'analyse pragmatique des pratiques discursives ". Ils posent des bases indispensables à toute analyse de l'épistolaire. Ces articles permettent d'identifier de manière plus rigoureuse les différents moments d'une lettre et de s'interroger sur le sens que peut prendre, le cas échéant, l'absence de certaines étapes canoniques de la lettre.
7L'article de Catherine Kerbrat-Orecchioni permet de clarifier la notion d'interaction dans le cadre épistolaire. Mais il offre surtout des éléments d'analyse de ces deux séquences majeures d'une lettre : l'ouverture et la clôture, moments les plus caractéristiques de la forme épistolaire. Catherine Kerbrat-Orecchioni relève de manière méthodique les différences entre la communication épistolaire et la communication face à face. Parmi ces différences se trouve en particulier la notion d'interaction qu'elle définit ainsi : " tout au long de l'échange communicatif, les différents participants exercent les uns sur les autres un réseau d'influences mutuelles – parler, c'est échanger, et c'est changer en échangeant ". Cette notion d'interaction ne lui semble pas applicable à la communication épistolaire car " sans doute la lettre est-elle rédigée en fonction de l'image que le scripteur se fait de son destinataire ; mais celui-ci ne peut en aucune manière intervenir directement dans le travail scriptural – tout au plus le scripteur peut-il simuler de telles interventions " (ex. : tu penseras que j'exagère). De ce fait elle situe sa comparaison à deux niveaux : au niveau de la lettre isolée, avant tout monologale, qu'elle compare à la conversation du point de vue des stratégies d'ouverture et de clôture, et au niveau de l'échange de lettres, qu'elle compare à la conversation quant à son organisation séquentielle.
8Jürgen Siess signale en introduction que " d'autres conceptions de l'épistolaire conçoivent néanmoins l'interactioncomme l'influence réciproque qu'exercent l'un sur l'autre le locuteur et l'allocutaire à l'intérieur même du discours épistolaire, indépendamment de la réponse du correspondant ". C'est cette conception de l'interaction épistolaire qu'il nous semble préférable de retenir dans la mesure où elle permet de définir des degrés, des types d'interaction – qui permettent entre autre de caractériser les différences, au sein par exemple des Lettres persanes, entre les lettres échangées entre correspondants appartenant au sérail et Usbek, et les autres lettres échangées à l'intérieur d'une société d'amis ayant un penchant pour la philosophie. La description de l'ouverture et de la clôture des lettres que livre C. Kerbrat-Orecchioni est cependant ici précieuse : elle donne la liste des éléments qui peuvent constituer ces séquences, qui permettent donc de définir la spécificité de la relation entre scripteur et destinataire.
9Le modèle d'organisation interne de la lettre qu'offre Jean-Michel Adam permet de donner le " canevas " de toute lettre. La distance qui peut être prise par rapport à ce modèle prend un sens particulier, notamment dans les lettres fictives où se mêlent aux enjeux du pseudo-scripteur ceux de l'auteur. La lettre est en effet un discours qui s'organise avant tout selon des règles rhétoriques ou pragmatiques. Ces particularités sont étroitement liées à la situation communicationnelle dans laquelle s'inscrit la lettre. Le modèle interne du texte épistolaire décline cinq séquences. Celles-ci font écho à la disposition en cinq parties prônée par la rhétorique classique. Ces séquences sont conçues comme interactionnelles dans la mesure où il existe une interaction spécifique à la lettre entre le destinateur et le destinataire. Mais ce découpage est en réalité un modèle très ouvert qui, en fonction des objectifs que se donne le scripteur, admet nombre de variantes. Comme le rappelle J.-M. Adam, l'élaboration d'un modèle de la lettre n'est pas un geste nouveau ; la tradition médiévale distingue cinq parties calquées sur l'art oratoire : salutatio, captatiobenevolentiae, narratio, petitio, conclusio ; la tradition classique ne distingue plus que trois grands ensembles : la prise de contact avec le destinataire (exorde), la présentation et le développement de l'objet du discours, l'interruption finale (conclusio). Jean-Michel Adam définit pour sa part deux grands types de séquences : les séquences phatiques d'ouverture ou de clôture et les séquences transactionnelles qui constituent le corps du texte. Ces séquences transactionnelles sont au nombre de trois : l'exorde, le corps du texte et la péroraison. La séquence d'ouverture est composée de termes d'adresse et d'indications de lieu et de temps. La séquence de clôture contient une clausule et une signature. L'exorde et la péroraison sont des " zones discursives de transition (introduction-préparation et conclusion-chute) " : elles constituent en définitive l'introduction et la conclusion du corps de la lettre qui a une composition fort libre : y alternent descriptions, narrations, explications…
10La typologie des genres épistolaires proposée peut laisser plus sceptique : J.-M. Adam parle en effet d'un type de discours qui se diversifie en un certain nombre de genres du discours : lettre ouverte, lettre publicitaire, lettre privée…, eux-mêmes divisés en sous-genres. Il fournit alors une taxinomie : lettre intime, socialement distanciée, ouverte et fictive. Celle-ci est valable dans une première approche, mais, comme le signale Jean-Michel Adam lui-même, il faut insister sur le " caractère fondamentalement graduel des différences entre ces genres : les frontières génériques sont, par définition, des zones où nombre de textes appartiennent tendantiellement à plusieurs catégories ".
11L'article de Dominique Maingueneau, " Scénographie épistolaire et débat public ", offre des outils d'analyse qui permettent d'appréhender de manière plus systématique le type d'utilisation qui est faite de la lettre, en s'intéressant à trois éléments de base. Dominique Maingueneau recourt aux notions de scène et de scénographie, qui lui sont propres, pour différencier la lettre comme genre de discours et la scénographie de la lettre privée, qui peut être mobilisée par des discours qui relèvent d'autres genres (du débat public par exemple ou, c'est nous qui l'ajoutons, de la dissertation philosophique…). Il distingue ainsi trois scènes :
12– " La scène englobante est celle qui correspond au type de discours, à son statut pragmatique ", où " type de discours " est entendu au sens d'un statut des partenaires et d'un ancrage spatio-temporel général. On parle par exemple de scène religieuse, administrative, littéraire…
13– La scène générique qui " implique un contexte spécifique : des rôles, des circonstances (en particulier un mode d'inscription [plus précis] dans l'espace et le temps), un support matériel, un mode de circulation, une finalité, etc. "
14– La scénographie. Pour expliquer cette notion, Dominique Maingueneau prend l'exemple des Provinciales de Pascal. D'un point de vue générique, ce sont des libelles et la scène englobante est celle du discours religieux polémique. Mais ces libelles se présentent comme des " lettres ". L'auteur est l'énonciateur auquel s'ajoute une figure de co-énonciateur ou, dit de manière simpliste, l'auteur s'adresse au lecteur en faisant croire que c'est un autre qui s'adresse à un destinataire précis. Il se passe exactement la même chose dans le roman épistolaire : on parle de double énonciation, comme au théâtre. Ne pourrait-on d'ailleurs s'en tenir à l'idée que l'épistolaire constitue un mode d'énonciation spécifique, c'est-à-dire un type, au sens où le définit Gérard Genette dans son Introduction à l'architexte ?. Le mode est narratif, mais il est spécifié par l'existence d'une interaction qui s'établit entre un scripteur et un destinataire et, le cas échéant, entre l'auteur et le lecteur. C'est pourquoi la lettre est une structure qui peut accueillir divers genres : le libelle, comme dans l'exemple de Dominique Maingueneau, mais aussi l'apologue par exemple, dans les lettres XI à XIV des Lettres persanes.
15Les distinctions proposées par Dominique Maingueneau permettent dans une première approche de rendre compte du statut des deux éléments qui constituent la formule du " roman épistolaire ". Il s'agit, du point de vue de la scène générique, d'un roman et, du point de vue de la scénographie qui permet de constituer la situation narrative du récit, il se présente comme une série de lettres. La définition d'un pacte de lecture spécifique à une telle forme n'en devient que plus nécessaire. Ce pacte de lecture est avant tout défini par le paratexte.
16Et c'est justement sur le statut ambigu de ce paratexte que s'interroge Jan Herman dans un article intitulé " Revenez, mon cher vicomte, revenez… : le roman par lettres et les enjeux de l'incipit " Situé dans la deuxième partie du recueil, cet article se penche plus précisément sur les formes épistolaires du XVIIIe. Jan Herman souligne que la pratique littéraire de la lettre de ce siècle ne permet pas de donner une définition stricte de l'incipit et de ses limites. En effet, dans le récit par lettres, " l'ailleurs où le texte a déjà commencé n'est pas le non-texte ". C'est l'occasion de s'interroger sur les limites entre texte et hors-texte. On pourrait avancer que le péritexte implique l'entrée en texte, c'est-à-dire a une fonction codifiante, tandis que l'incipit constitue l'entrée en fiction, qu'il a donc une fonction dramatique. Mais force est de remarquer que dans le roman épistolaire, notamment dans les Liaisons dangereuses, mais aussi dans les Lettres persanes, l'incipit peut cumuler la fonction codifiante et la fonction dramatique. C'est précisément dans le cadre d'un incipit énigmatique que cette double fonction intervient : l'incipit pose l'énigme en même temps qu'il détermine la structure du récit (en particulier le nombre de voix qui vont intervenir, les différents fils du récit).
17Outre la définition d'un modèle pragmatique de la lettre, d'un contrat de lecture du genre littéraire épistolaire, d'une entrée en fiction et en texte spécifique au roman épistolaire du XVIIIe siècle, le recueil réuni par J. Siess donne des pistes pour une analyse de deux autres éléments essentiels à l'étude de la lettre : l'image que donne de soi le scripteur et l'image qu'il donne de son destinataire.
18C'est en s'attachant à ces deux aspects que l'on peut définir des stratégies épistolaires dans les Liaisons. Stratégies liées à la dimension interactive : agir sur le destinataire, c'est en effet lui donner une " image calculée de soi " et lui faire jouer un certain rôle (qui peut être entièrement passif). Une étude pointue de l'utilisation des appellatifs et des pronoms personnels est à la base d'une telle analyse.
19Ces stratégies épistolaires mettent enfin en évidence ce à quoi Ruth Amossy s'intéresse dans son article " La lettre d'amour, du réel au fictionnel ". Reprenant les notions d'interaction et de scénographie, elle met en effet l'accent sur " le dispositif énonciatif de la lettre d'amour, en insistant sur la construction discursive d'une image du locuteur (l'ethos) et de l'allocutaire ", s'intéressant à la lettre d'amour réelle puis fictionnelle. C'est la construction de ces images qui est au centre des stratégies épistolaires. Ruth Amossy s'intéresse, pour la lettre fictionnelle, à l'idée de l'élaboration d'un pacte de lecture, reprenant la démarche des études de narratologie sur l'autobiographie menée par Philippe Lejeune. Elle souligne par ailleurs que les réflexions sur la nature monodique ou polyphonique d'un roman épistolaire doivent faire intervenir la narratologie, dans la mesure où elles posent des questions sur les instances de la narration (qui parle ?), les points de vue (qui voit ?) et les narrataires (à qui le narrateur s'adresse-t-il ?). La lettre fictionnelle complexifie le modèle de représentations du locuteur et de l'allocutaire car ces instances se démultiplient (et se croisent).
20Françoise Voisin Atlani mène une analyse complémentaire de celle de Ruth Amossy. Elle part d'un double constat : la linguistique s'attache à l'étude des formes régulières du langage dans une perspective essentiellement orale et n'intègre donc pas le Texte littéraire, objet principal, en revanche, de l'étude littéraire. Cette dernière doit rendre raison "d'une langue "textile" qui se nourrit de la parole orale quotidienne mais s'en distingue néanmoins à plus d'un titre". La question posée est alors de savoir comment établir une relation entre la linguistique et le Texte littéraire. Il s'agit pour cela de considérer le Texte littéraire comme "une subjectivité inscrite dans la langue", inscription qui peut constituer une perversion, le Texte présentant souvent l'envers du fonctionnement énonciatif établi par la linguistique. Appliqué à l'étude de la lettre, cette démarche amène d'abord à différencier dialogue écrit et dialogue oral. Fondant son analyse sur celles d'E. Benveniste, Françoise Voisin Atlani définit la lettre comme la forme énonciative écrite la plus proche de l'énonciation parlée, où deux correspondants doivent pouvoir co-référer. Or, le temps de l'écriture et le temps de la lecture sont différents. Pour permettre la co-référence, marquée implicitement dans le face à face, la lettre doit donc se faire explicite : elle se situe par rapport à un calendrier ; elle s'adresse aussi explicitement à un autre qu'elle identifie et elle identifie son scripteur. Un lien formel s'établit donc dans la lettre entre une subjectivité et une situation. Enfin, comme dans le dialogue parlé, un implicite de "connivence" peut être créé. Finalement Françoise Voisin Atlani, bien que sa démarche diffère de celle de Ruth Amossy, insiste comme elle sur la construction d'une image du je dans la lettre, mais elle insiste sur le rôle de (ou des) lecteur(s) dans cette construction. Elle montre alors que Marguerite Duras, dans Aurélia Steiner, déconstruit ce modèle : le je ne peut plus se définir comme sujet grâce à l'interrelation.
21Les jeux avec les représentations sont d'un autre ordre au XVIIIe que dans l'oeuvre de Marguerite duras et, pour leur approche, la perspective simplement pragmatique permet d'aboutir à des conclusions efficaces.
22Dans la continuité des écrits théoriques, essentiellement de ceux de C. Kerbrat-Orecchioni, Ruth Amossy et Jean-Michel Adam, Jürgen Siess étudie donc la lettre d'amour réelle au XVIIIe siècle dans une perspective interactionnelle. Il donne une définition générale de l'interaction épistolaire qui se constitue dans le discours écrit : elle est différée dans le temps et l'espace et elle est "monogérée", l'épistolier mettant en place une action qui implique à la fois le locuteur et l'allocutaire. Il affirme ensuite que les correspondances fictionnelles agissent sur l'imaginaire du lecteur, tandis que la correspondance réelle vise à amener à agir le destinataire. Il faudrait nuancer une telle affirmation et parler de ces fonctions particulières comme de fonctions dominantes, mais non exclusives : dans les lettres fictionnelles, notamment dans le cadre du roman épistolaire, l'épistolier, en tant que personnage, oriente l'action par le pouvoir de suggestion de la lettre.
23Avant d'entrer au coeur de son propos : la définition du but, de la situation et du cadre normatif de la lettre, il fait quelques rappels théoriques sur la disposition de l'énonciation. Parmi ces rappels, apparaît encore une fois au premier plan l'analyse des pronoms personnels qui situent les partenaires de la correspondance dans une interaction. Jürgen Siess renvoie alors au livre d'Anna Jaubert, La lecture pragmatique, livre auquel J. Siess, et également, à notre avis, la plupart des rédacteurs du recueil doivent beaucoup.
24Les trois catégories que définit J. Siess sont empruntées à l'analyse conversationnelle et à la psychologie sociale. Elles peuvent être brièvement définies ainsi :
25– La situation est le cadre spatio-temporel de l'interaction et les participants, rattachés à des catégories sociales, des rôles…
26– Le but consiste en ce que les correspondants tentent de faire. Il faut encore distinguer deux buts : un but global qui comporte une suite de situation (d'interaction) et un but ponctuel qui se compose d'une suite de moments que l'on peut analyser en termes d'actes de langage (on s'intéresse alors à la valeur illocutoire et perlocutoire de la lettre).
27– Le cadre normatif est celui des contraintes sociales (règles de politesse…) et des régularités linguistiques. Cette idée renvoie aux analyses de C. Kerbrat-Orecchioni et de J-M Adam dans leur tentative de définir un modèle épistolaire.
28L'intégration de ces trois éléments prend des formes variées. Pour analyser la particularité d'une lettre, il faut donc en définir des moments, où ces trois "fonctions" de la lettre se manifestent de manière différente. Jürgen Siess reprend donc les analyses de J-M Adam, en donnant de la souplesse au schéma séquentiel que ce dernier proposait et applique cette démarche à l'étude d'une lettre de Mme du Châtelet.
29Ce recueil d'articles donne donc à la fois des principes théoriques et des outils opératoires pour l'analyse des textes épistolaires ; il donne aussi de quoi interroger la frontière " entre réel et fiction " que les pratiques épistolaires ne cessent de traverser – dans un sens comme dans l'autre.