Le Critique & l’Écrivain : frères ennemis ?
« Si le xixe siècle est le moment du sacre de l’écrivain, il est aussi celui de l’affirmation du critique comme censeur et pourvoyeur de reconnaissance littéraire, deux figures faussement antagonistes qui forment des “rivaux mimétiques”1. »
1Dans le sillage du concept de critique‑écrivain construit par Tzvetan Todorov dans Critique de la critique. Un roman d’apprentissage en 1984, Elina Absalyamova, Laurence van Nuijs et Valérie Stiénon éditent les actes d’un colloque qui s’est déroulé du 11 au 13 juin 2014, au Palais des Académies de Bruxelles, sous le titre : « Figures du critique‑écrivain : formes et pratiques du discours méta‑littéraire ». L’apport de ces actes à la recherche en littérature consiste dans la réévaluation précise du rapport entre critique et littérature, de l’exclusion vers l’inclusion, à tout le moins vers l’articulation. On y retrouve, ou découvre, à titre subsidiaire, mais non moins savoureux, un pan de discours dans lequel l’écrivain parle du critique, le critique de l’écrivain et le critique de lui‑même. Ainsi Balzac règle‑t‑il le compte de Sainte‑Beuve, figure tutélaire de la critique au xixe siècle, de la façon suivante :
La muse de M. Sainte‑Beuve est de la nature des chauves‑souris et non de celle des aigles. Elle aime les ténèbres et le clair‑obscur ; rendons‑lui justice, elle laisse le clair et cherche l’obscur : la lumière offense ses yeux. Sa phrase molle et lâche, impuissante et couarde, côtoie les sujets, se glisse le long des idées, elle en a peur, elle tourne dans l’ombre comme un chacal ; elle entre dans les cimetières2.
2Dans cette citation, l’aigle rabaisse la chauve‑souris dont la syntaxe est mise à mort par ses défauts. Mais le lecteur se rend également compte qu’il existe une beauté — toute romantique — de la critique de Sainte‑Beuve, du ténébrisme goyesque au clair‑obscur du Caravage pour la peinture, sans oublier le chacal exotique et le cimetière à la fois gothique et fantastique. Au xixe siècle, la lumière n’a plus la part belle pour discréditer l’ombre.
3Sur la frontière entre art et savoir, le geste intellectuel du colloque et de ses actes remet en cause la frontière socialement acceptée en littérature entre le critique et l’écrivain, même lorsqu’il s’agit d’une seule et même personne, qui se dédouble. Cette frontière est aussi fracture qui dépend des amitiés, des inimitiés, et il convient de la remettre en question pour comprendre les relations entre les agents du champ littéraire et penser ensemble deux parties complémentaires de ce discours.
4La méthode générale est présentée de la façon suivante : « questionner, au‑delà et en‑deçà des discours et des représentations, les processus d’attribution des valeurs, d’assignation des identités, de définition des fonctions et de création des postures3. » Il s’agit, de façon globale, d’études de cas ou de monographies. C’est précisément la question des valeurs — car le critique se définit d’abord comme celui capable de séparer le bon grain de l’ivraie en littérature — qui invite à rendre compte de cet ouvrage, non pas en suivant les quatre axes proposés, à savoir « Modèles et contre‑modèles du critique‑écrivain », « Institution de la critique », « Poétique du métadiscours » et « Critique et création », mais en recourant à la catégorie rhétorique de l’épidictique, c’est‑à‑dire à l’éloge et au blâme. En effet, l’axiologie permet d’interroger l’articulation entre critique et écrivain à l’aune d’un discours, tantôt positif et tantôt négatif, dont les objets sont notamment les modèles et contre‑modèles de l’écrivain, son institution centrale ou périphérique, sans oublier les procédés de son écriture.
Les Tirs croisés du blâme
5Le discours critique, non sans lien avec la connotation du terme, est d’abord un discours perçu comme négatif et les exemples, en effet, ne manquent pas : le critique critique l’écrivain ; l’écrivain critique en retour le critique ; les critiques se critiquent entre eux. Les différentes contributions de l’ouvrage réussissent, notamment par le truchement de la contextualisation, à ordonner ce vertige.
Sainte‑Beuve & Gustave Planche : figures de première plan
6Dans « Repentirs et ressentiments de Sainte‑Beuve », Jean‑Pierre Bertrand met l’accent sur l’illégitimité de la critique aux yeux mêmes du critique. En effet, le point de départ de l’œuvre de Sainte‑Beuve est l’échec en littérature, mais le chercheur démontre la littérarité de cette nouvelle œuvre dont les formes sont notamment le tableau et le portrait ou encore Les Causeries du lundi.
7Anthony Glinoer délaisse Sainte‑Beuve pour ressusciter une figure critique qui compte au xixe siècle, celle de Gustave Planche. Il en propose une mythographie, c’est‑à‑dire l’analyse de la construction d’un ethos médiatique par rapport aux textes dont il est l’auteur, mais aussi et surtout par rapport à ceux dont il est l’objet. Personnalité polémique par son exigence critique qui place la vérité au‑dessus des amitiés — notamment romantiques —, Planche critique est l’objet de nombreux textes négatifs. Le chercheur s’intéresse principalement à la dernière partie de sa vie, de son retour d’Italie en 1844 à sa mort à quarante‑neuf ans en 1857. Le curseur se déplace alors du discours critique vers le discours sur un critique ; la nécrologie de Planche en cristallise les enjeux dans la mesure où le blâme en est exclu et que l’éloge en semble, dans le cas présent, difficile à prononcer.
La Critique : un mot féminin
8Dans « Femme, critique, écrivain : de quelques profils hybrides au xixe siècle », Laetitia Hanin propose d’envisager le problème à l’aune des études de genre. En effet, la féminité, considérée comme une forme de minorité, exacerbe la question de la légitimité. Quatre études de cas viennent étayer le propos : Daniel Stern, Thérèse Bentzon, George Sand et Amélie Bosquet. Comme Sand, Stern recourt au procédé du pseudonyme et les quatre critiques prennent un point de départ stéréotypé, celui de la faiblesse de la lecture féminine, avant de retourner ce préjugé misogyne au moyen d’une ironie pleine de finesse.
9Dans « Sainte ou prostituée : la critique jugée par les écrivains au xixe siècle », Brigitte Diaz met l’accent sur les textes dans lesquels les écrivains, notamment Balzac et Barbey d’Aurévilly, s’en prennent à leurs critiques. Leurs arguments sont la confusion entre critique et publicité dans le cas des puff ou encore les allégeances véritables ou supposées d’un critique à une politique, une esthétique ou encore une économique. Considérant la critique comme une nouvelle épistémè, c’est‑à‑dire une (re)configuration des savoirs littéraires, le chercheur la replace dans une dialectique qui va du meilleur au pire : « L’opposition manichéenne entre une critique noble qui remplirait son office de maïeutique du génie et une critique prostituée qui vivrait sur le génie comme son parasite naturel traverse tout le siècle4 ». Balzac en donne une illustration dans La Muse du département, à travers le personnage de Lousteau. Il existe donc, de façon réversible, une critique qui mérite l’éloge et une autre qui mérite le blâme, ce qui indique l’accentuation de l’éloignement entre critique et écrivain. La distinction de Sand entre l’écrivain inventeur et l’écrivain appréciateur sera sans lendemain. L’éloquence épidictique cède alors, non sans problème, la place à l’éloquence judiciaire et l’institution critique est désormais perçue comme un nouveau tribunal digne de l’Inquisition. L’endossement de la fonction de juge par le critique est accompagné par deux dialectiques placées sous le sceau de la violence : agresseur versus agressé, innocent versus coupable.
10Dans « Barbey d’Aurevilly, “chouan des lettres” », Pierre Glaudes étudie un cas particulier de critique véhément. On remarque que l’objet de cet article est également un écrivain. La posture de chouan est explicitée de la façon suivante :
Pour défendre cette conception de la critique à la fois large et impérieuse, Barbey adopte une position qu’il affectionne, celle du chouan des lettres, le dernier de son espèce, vaincu sans doute par le nombre, mais continuant envers et contre tout de protester au nom de valeurs dont il persiste à proclamer l’actualité. Sa sévérité à l’égard de la critique contemporaine est en effet à la mesure de sa déconvenue devant le dévoiement d’une entreprise intellectuelle qui, à l’aube du xixe siècle, se sait encore capable de grands desseins. C’est en historien de la critique qu’il dénigre les productions de son temps et qu’il cherche des références, sinon des modèles : ceux qu’il trouve en France, on n’en sera guère surpris, appartiennent au passé ; ceux qu’il emprunte au présent viennent de l’étranger5.
Stylèmes critiques : saillies, contradictions, palinodies, subversions
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11En ce qui concerne le passé, il s’agit de Rivarol, et pour l’étranger, de Madame de Staël dont J.‑P. Bertrand indique qu’elle institue la littérature comme Sainte‑Beuve la critique. Barbey d’Aurevilly fonde sa critique sur ses convictions, notamment la religion chrétienne et une conception aristocratique de la valeur personnelle envisagée comme charisme. Le chouan des lettres se caractérise par :
un style de pensée urticant, qui prend à rebours les préjugés communément admis et prétend révéler ce que cachent les autres critiques. Tous les moyens sont bons pour faire jaillir une étincelle spirituelle dans des esprits que la presse moderne maintient dans l’illusoire sécurité des fausses évidences6.
12On y trouve des traits comme celui qui fait de Zola le « Michel‑Ange de la crotte ».
13De façon radicale, la critique devient un discours dont la négativité occupe un statut essentiel chez Blanchot. Dans « Comment taire le commentaire : autour de Maurice Blanchot », titre qui mime le style de Maurice Blanchot, c’est‑à‑dire le fond et la forme de son geste critique, Anca Calin et Alain Milon partent de l’emploi du mot critique dans le champ de la philosophie pour déterminer la posture de Blanchot, sa façon d’occuper une place, celle de critique en l’occurrence. Cet exercice apparaît alors essentiellement négatif, se définissant moins par ce qu’il est que par ce qu’il n’est pas. Le dernier mot revient à la définition du critique par Blanchot lui‑même :
cet homme bizarrement spécialisé dans la lecture et qui, pourtant, ne sait lire qu’en écrivant, n’écrit que sur ce qu’il lit et doit en même temps donner l’impression, écrivant, lisant, qu’il ne fait rien, rien que laisser parler la profondeur de l’œuvre7.
14Le rapport problématique de Ponge au principe de (non‑)contradiction invite à l’étudier à la suite de Blanchot. Laurent Demoulin, dans « Francis Ponge et le refus du principe de non‑contradiction », rappelle la distinction entre le moment lyrique du poème et le moment critique du proême. L’écrivain se commente lui‑même de façon contradictoire, d’abord dans le fond, parler des hommes et/ou des choses et de l’un pour l’autre, puis sur la forme : facilité ou difficulté du sujet. Le chercheur propose de résoudre la contradiction en voyant dans les palinodies du discours critique une variante de l’épanorthose du texte poétique qui procède par corrections.
15Dans « Péguy critique des institutions ou l’écrivain contre la presse et l’université », Charles Coustille montre que la critique est à la fois un exercice de destruction et de construction. Considérant Péguy non plus comme un écrivain mais comme un critique, le chercheur commence par développer l’éthique de celui dont la devise journalistique est : « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste8 ». Engagé en faveur de Dreyfus, Péguy oppose la critique au dilettantisme et le devoir au plaisir. Socialiste utopique, il s’oppose au journal bourgeois compromis notamment par la publicité. Son centre de gravité est le suivant : « écrire l’événement pour en faire éclater la force de modification de la réalité9 », à la manière de Michelet. En conséquence, il s’oppose à la manière dont le journaliste écrit l’événement présent et l’historien l’événement passé. Le chercheur termine en rappelant que la situation est un genre péguyste avant de devenir sartrien.
Les Guirlandes de l’éloge
16La critique n’est pas que blâme : elle peut aussi être louange, mais elle n’en est alors que plus suspecte.
Sainte‑Beuve : figure fondamentale & fondatrice
17Dans « La “Poésie dans la critique” », José‑Luis Diaz étudie l’émergence de la figure du critique‑écrivain à partir de 1830, soit concomitamment au romantisme, s’accordant avec la concurrence lexicale soulignée par J.‑P. Bertrand entre inventeur et créateur. Approfondissant une scénographie auctoriale particulière, à savoir celle de la critique des créateurs, également appelée critique d’artiste, le chercheur démontre que Sainte‑Beuve est celui qui poétise, c’est‑à‑dire littérarise, la critique.
18Dans « Sainte‑Beuve poète dans le Tableau de 1828 », Dominique Coppée propose une monographie sur le Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle. Il s’intéresse plus précisément au cas de Ronsard, objet d’une querelle entre Classiques et Romantiques. Préférant ces derniers, il se place entre son objet et Hugo pour asseoir sa position et fonde sa préférence sur une volonté de retrouver la liberté de langage du xvie siècle et de renoncer à la périphrase classique.
Louange & édition du critique & de la critique
19La voie est alors ouverte à Jean‑François Domenget, pour étudier « Montherlant critique et écrivain dans Aux fontaines du désir ». S’intéressant, de façon monographique, à un texte en particulier, le chercheur y analyse l’alliance entre la critique littéraire et le souvenir de voyage. Le pan critique se conçoit comme un hommage à un seul homme : « Barrès commence son rôle d’outre‑tombe » et « Barrès s’éloigne ». Montherlant propose une conception sympathique de la critique qui oppose celui qui en est l’auteur à tout parasitisme et à tout opportunisme.
20Il en va de même pour Denis Saint‑Amand qui, dans « Critique de la critique et filiation. Fénéon par Paulhan », s’intéresse au portrait positif que le second fait du premier. En effet, dans le numéro 23 de Confluences publié en 1943, celui qui apparaît comme l’éminence grise des lettres entre les deux guerres publie un articule intitulé : « FF ou la critique ». Ce texte, repris en 1948 pour introduire ses œuvres dans la collection Gallimard, présente, de façon laudative, Fénéon comme un découvreur artistique et un défenseur des courants minoritaires. Il est le premier à comprendre l’importance des Illuminations de Rimbaud et ce n’est pas là son seul palmarès. Auteur d’un unique ouvrage intitulé Les Impressionnistes en 1886, il sera l’exécuteur testamentaire de Georges Seurat.
21Dans « Le critique‑écrivain dans la collection “Les Jugements” d’Albert Lévesque : émergence d’un nouvel acteur au sein d’un genre en effervescence », Stéphanie Bernier s’intéresse aux éditions Albert Lévesque parce que ce sont les premières à consacrer une collection exclusivement à la critique littéraire, « Les Jugements », à partir de 1929. C’est d’ailleurs la collection la plus importante de cette maison d’édition par le nombre d’ouvrages publiés. Le texte de lancement est le suivant :
Nous confessons qu’en « baptisant » cette série nous avons fait un emprunt à Henri Massis. Puisse‑t‑on dire encore qu’on ne prête qu’aux riches… car nous voulons que cette collection, où viendront s’aligner les critiques d’art, les critiques littéraires et les essais scientifiques, constitue véritablement un tribunal impartial sans sévérité, juste, mais suffisamment indulgent, où nos meilleurs écrivains pèseront à leur mérite, les œuvres du pays10.
Par‑delà l’éloge & le blâme
Lisibilité de la critique
22La lecture du discours critique à l’aune de l’éloquence délibérative fonctionne de moins en moins au fil du temps. La raison en est sans doute l’affaiblissement de l’institution littéraire et de sa volonté de dominer la critique. Succédant à la littérature, la notion d’écriture permet de circuler entre littérature et critique de façon plus fluide et apaisée, même si les enjeux du passé peuvent ressurgir.
23Ainsi, dans « L’Évolution de la posture théoricienne dans le post‑structuralisme. L’exemple de Julia Kristeva, 1965‑1982 », Juliette Drigny s’intéresse à la posture de Julia Kristeva de son arrivée à Paris en 1965 à la fin de la revue Tel Quel en 1982. Replaçant le post‑structuralisme entre le structuralisme et le postmodernisme, sans éluder la difficulté de lecture des textes, le chercheur s’efforce de préciser les enjeux de la posture de sémanalyste par rapport notamment à celle de Barthes, entre bourreau de la littérature et intellectuel médiatique. Cette analyse détaille également les procédés d’écriture du texte de Julia Kristeva.
La Critique à l’âge de l’autofiction
24Yan Hamel étudie quant à lui « Le Cas Doubrovsky ». Trouvant d’un côté une œuvre critique importante, notamment Corneille et la dialectique du héros (1963), Pourquoi la nouvelle critique : critique et objectivité (1966), La Place de la Madeleine : écriture et fantasme chez Proust (1974), Parcours critique (1980) et Autobiographies : de Corneille à Sartre (2006), de l’autre Le Jour S (1963), La Dispersion (1969) Fils (1977), Un Amour de soi (1982), Le Livre brisé (1989) et L’Après‑vivre (1994), le chercheur tente d’articuler ces deux aspects d’une œuvre qui dilue, voire dissout, la frontière entre littérature et critique. Pour ce faire, il recourt au concept dont Doubrovsky est l’inventeur et dont la tension créatrice est la suivante : « une micro‑histoire — des échanges complexes entre, d’une part, écriture et carrière de critique et, d’autre part, écriture et carrière d’écrivain11 ». Dans « “Tresser le fil” : chassé‑croisé de la critique et du roman chez Philippe Forest », Sophie Jaussi s’intéresse à celui qui est à la fois le premier historien littéraire de la revue Tel Quel et l’auteur de l’Enfant éternel, publié en 1997. Le passage de la critique à la littérature semble conditionné par la perte d’un enfant, mais le chercheur ajoute, à cette raison biographique, une raison intellectuelle qui consiste à chercher dans les positions critiques la matrice de l’œuvre littéraire. Une preuve exotique en est notamment l’intérêt pour la forme japonaise du watakushi shôsetsu ou « roman du Je ».
25Parallèlement, Tonia Raus, dans « Georges Perec ou la méthode pratique de la critique », montre comment l’activité critique précède et accompagne, chez Georges Perec, la création littéraire, ce que montre notamment la coïncidence entre le roman Les Choses et la conférence intitulée « Pouvoirs et limites du romancier français contemporain ». Enfin, Jacques Dubois, dans « Pierre Bayard et la critique interventionniste », s’intéresse à la manière dont l’objet éponyme intervient sur le texte littéraire en le réécrivant lorsqu’il le juge raté ou en proposant d’autres coupables possibles pour certains romans policiers. Son œuvre critique se développe donc dans des essais dont les titres sont à chaque fois programmatiques et ironiques. Le plus connu est Comment parler des livres que l’on a pas lus ? en 2007, mais il convient de ne pas négliger Et si les œuvres changeaient d’auteur ? en 2010 ou encore Il existe d’autres mondes en 2013.
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26Le xixe siècle apparaît bien comme le siècle de la critique, et le xxe celui de la métacritique. Il est sans doute encore trop tôt pour faire autre chose que suggérer les propositions critiques du xxie. Le parcours proposé commence par le blâme, procédé le plus évident et le plus récurrent, mais non pas le plus simple à analyser. En outre, il faudrait sans doute parler, comme on le fait pour l’éloge, de blâme paradoxal, c’est‑à‑dire d’un blâme qui est une révérence masquée et sans doute involontaire, car l’écrivain aurait sans doute voulu être caressé par la main du critique qui le griffe. L’éloquence épidictique permet de comprendre les rapports entre critique et écrivain, entre critique et littérature. Les autres éloquences ne sont pas dénuées de pertinence, et l’éloquence judiciaire est convoquée lorsque le critique se fait juge et condamne, sans appel, l’écrivain. L’éloquence délibérative, pourtant la plus pertinente, est absente du discours, et c’est sans doute une nouvelle éloquence critique qu’il convient de forger en la faisant coïncider avec une esthétique qui dit le beau et/ou le laid, la qualité et/ou le défaut, la réussite et/ou l’échec. Le titre du colloque, puis de ses actes, repose sur trois termes particulièrement problématiques. Le premier est celui de figure qui « peut s’entendre au triple sens identitaire, postural et rhétorique et couple “critique‑écrivain” se retourner à maintes reprises en “écrivain‑critique”12 ». Mais l’intérêt principal du titre réside dans le nom composé réversible « critique‑écrivain ». Le trait d’union a vocation à (ré)unir le critique et l’écrivain, frères ennemis jusqu’au sein de la même personne. Mais le trait d’union sépare plus qu’il ne rapproche, marquant un irréductible hiatus. C’est la raison pour laquelle il a paru plus prudent ici de mettre en miroir l’écrivain et le critique en les coordonnant ; la barre oblique aurait également pu indiquer leurs rapports spéculaires. Mais le titre du compte rendu vise à ouvrir un dialogue entre deux fonctions littéraires, au‑delà des noms d’oiseaux que l’écrivain donne au critique qui ne le flatte pas : « “eunuque” chez Théophile Gautier, les “mouchards” qui n’ont pas pu devenir soldats chez Gustave Flaubert, les “gardiens de cimetière” chez Jean‑Paul Sartre ou encore les “maquereaux” de Pierre Assouline13 ». Il ne reste plus, en manière de mise en abyme, qu’à attendre la réaction des auteurs à cette note de lecture, exercice lui aussi critique !