L’enseigne métaphorique
1L’avant-propos signé par le directeur du volume, Sylvain Dournel, déploie les enjeux liés à la métaphore au sein de la littérature contemporaine. La métaphore est d’abord saisie dans une rapide perspective diachronique et transgénérique, de Marot aux surréalistes, des Essais de Montaigne à la chanson à texte. Elle est un « marqueur fort de l’entrée en territoire poétique » et matrice d’une pluralité de représentations. Mais, victime de son succès, elle peut se figer en lieu commun et devenir une « affaire encombrante, un dossier gênant, à bannir autant que faire se peut ». Sylvain Dournel en donne quelques exemples dans la production romanesque (Annie Ernaux) ou poétique (Jean-Marie Gleize). L’ambition du volume n’est pas de réhabiliter la métaphore mais, à partir de contributions très diverses, de réfléchir à son statut esthétique, cognitif, et à ses supports lexico-syntaxiques.
2La table des matières illustre bien l’éclectisme des pistes d’investigation, jusqu’à donner l’impression d’un fourre-tout un peu gênant. Mais après tout, le livre peut se lire aussi comme un bazar où, telle la cliente avide du XIXe siècle flânant dans les Grands Magasins, le lecteur trouvera à dénicher l’article qui lui sied. Envie d’une denrée pédagogique consistante mais pas indigeste ? On se tournera volontiers vers Céline Escolan, qui propose des pistes de renouvellement du travail sur la métaphore, en soulignant le rôle injonctif de la métaphore dans les textes argumentatifs. Besoin d’éclaircissements théoriques ? Allons au rayon bachelardien avec les textes de François Ide et Armel Mazeron pour saisir la quintessence de l’image poétique. Mais aussitôt retour à l’espace grand frais, pour cueillir le fruit des réflexions de poètes (Jean-Louis Giovannoni, Jean-Claude Pinson). Hasard ? L’étagère latérale propose une passionnante discographie qui analyse « La métaphore du disque en chanson », accompagnée d’une gourmande étiquette (« L’inspiration de la spirale, une cristallisation de l’air »). On s’enroule voluptueusement dans les sillons de Stéphane Hirschi, qui, à partir d’une réalité matérielle et technologique (les techniques d’enregistrement par Edison), analyse avec finesse la chanson Dansez sur moi de Claude Nougaro ou Microsillons d’Alain Chamfort. Si le besoin d’exotisme se fait sentir, on peut s’approvisionner au rayon « Déménager le réel », avec les contributions de Jessica Wilker, Jérôme Hennebert et François Berquin qui nous font goûter tour à tour l’œuvre de Durs Grünbein, Lorand Gaspar et Pascal Quignard. On peut également passer à la douane de la métaphore le plus français de nos écrivains, Philippe Delerm, comme le montre Marc Bonhomme. Le stylisticien, à partir du célèbre La Première gorgée de bière jusqu’au récent La Vie en relief (2021), détaille « la transfiguration métaphorique des réalités ordinaires ». À vrai dire, le chaland est tellement séduit qu’il n’a qu’une hâte : déguster un doigt de Porto que Marc Bonhomme nous sert sur un plateau, en étudiant « l’univers stéréotypé, géographique et culturel » de son pays d’origine. Nous goûtons avec lui la manifestation cognitive de l’expérience métaphorique et la mise en avant de ses effets affectifs.
3Si l’on va au fond de la boutique métaphorique, on trouvera des spécimens moins connus explorés par Sylvie Vignes, Laurent Déom, Jérémie Majorel, Jean-Pierre Zubiate ou Vincent Vivès. On se laissera aussi tenter par les « analogies hérissées d’Éric Chevillard, », patiemment démêlées par Maxime Decout. L’universitaire propose une analyse ébouriffante du travail de sape mené par Chevillard, contre toute assignation de sens (heuristique, poétique) à laquelle serait astreinte la métaphore.
4Enfin, en tête de gondole, l’œuvre de Jean Echenoz, puisque pas moins de quatre études lui sont consacrées, au point de délaisser un court instant le trope de la métaphore pour celui du néologisme : c’est le rayon « Echenozeries ». On y retrouve Bruno Blanckeman, spécialiste de l’œuvre échenozienne, renouvelant encore une fois son approche de l’œuvre. Si Chevillard démolit la métaphore, Echenoz, lui, cultive « son inconvenance ou bien sa disconvenance ». Blanckeman présente les liens entre métaphore et comique, en utilisant une palette de nuances, de l’effet cocasse à l’humour noir. Bérangère Morichau-Airaud offre elle aussi un étal de choix, en disséquant les processus d’anthropomorphisation ou d’animalisation, posant in fine la question de la déshumanisation de l’être. Cette critique ontologique se trouve également dans l’approche de Florence Leca Mercier, quoique de manière bien différente. Nous sommes en effet dans le bac des DVD cartoonesques, où l’auteure nous donne à picorer toutes les animations burlesques contenues dans l’œuvre échenozienne. Le cinéma, encore et toujours, se retrouve enfin sous la plume de Jean-Luc Martinet, qui analyse l’écriture scénaristique non seulement dans Ravel d’Echenoz mais aussi dans Cinéma de Tanguy Viel et Ni toi ni moi de Camille Laurens.
5On le voit, le magasin et vaste et les produits variés. En réalité, c’est un magasin qui relève davantage du luxe culturel (comme en témoigne l’abondant catalogue bibliographique) que du supermarché de consommation. Au Bonheur des Dames métaphorique(s).