Français inclusif : modalités et effets du genre neutre en littérature française
Avertissement : cette recension est rédigée au genre neutre. Chaque première occurrence est explicitée par une note de bas de page.
1Si le « genre neutre » en français est bien cette troisième catégorie de flexion grammaticale permettant de classer des mots ne pouvant se classer exclusivement en genre masculin ou en genre féminin1, par exemple iel (p. 161), grisé·e·s (p. 113), défrichaires (p. 262), un petit nombre d’œuvres parues depuis 20142 offre déjà la possibilité d’en étudier les modalités et les effets en littérature. Parmi ces œuvres, le recueil de nouvelles Présents suspendus. Fiction spéculative pour la résistance du Collectif Archipel présente un appareil formel relatif au genre neutre assez diversifié pour être représentatif.
2L’ouvrage déploie des thèses écoféministes3 dans divers récits de résistance à l’anthropocène4 et au patriarcat, que ce soit sous forme d’appel à la création littéraire5, d’utopies collectives et intimistes6, de manifestation7, d’occupation8, de transmission de savoirs et de pratiques9 ou encore de sabotage10. Le recueil rejoint ainsi les récits de fiction comme Il faudra faire avec nous de Lê Agary11 (2022) ou Bâtir aussi des Ateliers de l’Antémonde12 (2018) et de non-fiction comme On ne dissout pas un soulèvement. Quarante voix pour les Soulèvements de la Terre13 (2023) appelant à une radicalisation des luttes de ce courant politique dont l’essai Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm (2020) est emblématique par son retentissement international14.
Modalités du neutre : la reprise d’une norme ternaire
3Le recueil présente un traitement spécifique du lexique et de la grammaire par sa transformation de la flexion de genre binaire en français (masculin/féminin) en flexion ternaire (masculin/féminin/neutre) : ami/amie/amix (p. 250), chacun/chacune/chacan (p. 236), agacés/agacées/agacæs (p. 66). Les mots de genre neutre sont des marqueurs linguistiques d’une modalisation, laquelle s’exprime par un positionnement des autaires15 à l’égard de leur énoncé et de leurs destinataires16. À l’égard de leur énoncé, les autaires s’écartent sciemment de la norme binaire de genre en français (masculin/féminin) pour reprendre une norme ternaire déjà présente dans les usages17 au moment de la publication du livre (2022). Cette norme peut relever d’une « variation diaéthique18 » ou variation en rapport avec une conscience de genre, d’identité, d’égalité et de performativité de la langue : « On est touz interdépendanz », Voilà comment l’écrirait Mu. (Vivement que tu rentres et que tu puisses les rencontrer ces petiz jeunes !) » (p. 175).
4À l’égard de leurs destinataires, les autaires rendent concevable le fait d’exprimer une voie de l’expérience humaine transcendant les bicatégorisations grammaticale et sociale masculin/féminin et homme/femme, ainsi que la polarisation qui peut en découler : « Nous sommes issuz des identités non-binaires, non-alignées et non-linéaires, des espaces où l’on pratique le vivre ensemble respectueux et l’expérimentation » (p. 11). Parti-pris esthétique, le choix du genre neutre est aussi une glottopolitique qui revendique un monde référentiel en rupture avec les normes sociales dominantes.
Deux systèmes : binaire et non binaire
5Cette modélisation d’une flexion ternaire s’opère grâce à des marqueurs morphologiques relevant de deux types de formation du genre neutre, une formation que nous pouvons qualifier de « binaire » quand elle réunit ou fusionne la flexion binaire masculin/féminin, par exemple accueilli·e·s, iels, rempli·e·s, transformé·e·s (p. 83) et une formation que nous pouvons qualifier de « non binaire », quand elle a recours à des morphèmes autres que masculins et féminins, par exemple -æ, -z, -an, -x, dans « À la fois rassérénæ et soucieuz, Alex reprit une inspiration » (p. 229) et dans « Chacan était perdux dans ses pensées » (p. 252).
Anomalies
6La seule coprésence de deux systèmes (binaire et non binaire) est l’illustration la plus manifeste d’une démarche qui se veut systémique mais qui présente un certain nombre d’anomalies. Premièrement, le genre neutre est présent dans toutes les nouvelles à l’exception d’une seule : « Des miner(ai)s qui ne font pas le(ur) poids », laquelle applique un traitement du genre standard en privilégiant le masculin générique. Cette exception est peut-être due au fait que l’auteur présumé19 est le seul à se présenter comme habitant une région d’Afrique subsaharienne francophone et swahiliphone : « Depuis sa région minière du Katanga, Alexandre Mulongo Finkelstein observe les bouleversements du monde contemporain » (p. 261). Or, le swahili, langue de famille bantoue à seize classes nominales se distinguant par des préfixes, n’a pas de genre masculin/féminin : le mot mgeni veut dire aussi bien « visiteur » que « visiteuse20 ».
7L’une des hypothèses envisageables qui expliquerait cette exception à la règle de l’usage du genre neutre dans le recueil serait que, l’auteur ayant le swahili comme langue maternelle, celui-ci n’ait pas éprouvé le besoin d’exprimer une conscience de genre, d’identité, d’égalité et de performativité de la langue (variation diaéthique) par des moyens morphosyntaxiques dans cette langue seconde qu’est le français, puisque sa propre langue ne présente pas de dissymétrie entre les genres grammaticaux pour l’expression des groupes de genre mixte et des personnes d’identité de genre non conforme à la norme binaire.
8La seconde hypothèse serait que l’auteur n’ait pas éprouvé un sentiment de légitimité linguistique à modifier une langue seconde, et que l’éditaire21 ait respecté ce « sentiment de la langue22 ».
9Les autres anomalies dans la démarche systémique des autaires sont : entre le masculin et le neutre dans l’expression de l’invariabilité, par exemple rejeté vs échappæ dans « Nous mettons en scène tout ce qui nous relie, tout ce que nous avons rejeté et laissé derrière nous. » (p. 245) vs « Si tu avais eu la moindre réaction de malaise, tu aurais échappæ au rituel. » (p. 245) ; entre le masculin et le neutre pour les mots partageant une même fonction grammaticale, par exemple la fonction attributive : nombreux vs poussé·e·s dans « nous sommes dans une grande joie de vous rejoindre pour conjurer ce chemin où des milliers d’autres ont été poussé·e·s, nous voyons ainsi que nous sommes immenses, nombreux » (p. 65) ; ou encore abandon ou conservation des morphogrammes lexicaux dans la formation du neutre, par exemple idiox vs flottantx dans « Je me sens totalement idiox. » (p. 64) vs « Toujours flottantx, Alex sortit de la chambre » (p. 226).
À la recherche d’un langage neuf
10Cette exploration des deux systèmes possibles, binaire et non binaire, relève d’une pensée épilinguistique qui n’a pas encore répondu à la question relative à l’iconicité du signe, laquelle pourrait se formuler ainsi : « un signifié non binaire doit-il être associé à un signifiant non binaire ? ». Faisant écho au titre de l’ouvrage, cette question reste suspendue, notamment parce que ce nouveau traitement du genre grammatical en français nous paraît en émergence au début du XXIe siècle, si nous tenons compte de la diversité et du développement de notre corpus23. Par conséquent, les sujets parlants qui l’emploient ne peuvent prévoir l’ensemble des combinatoires prévues par le système de la langue. Ils ne peuvent que réaliser ou réitérer des actes discrets, intuitifs et réflexifs, qui tentent d’appliquer des régularités déjà observables dans d’autres textes, mais non encore stabilisées.
11Si le style est l’« adéquation de ce que l’on veut exprimer et de la manière dont on l’exprime24 », alors l’utilisation du genre neutre inscrit cette œuvre dans une conception de la littérature comme pratique subversive de la langue en rupture avec les canons, les stéréotypes et les normes, pour en dénoncer les effets de raccourcis et de disparition des réalités relatives à l’expression et à l’identité de genre, en prenant pour matière non seulement le discours, mais la langue elle-même :
À l’opposé [d’un type de littérature dite « classique » ou « de masse »], on trouve un mode d’énonciation distant, critique, ironique ou parodique, qui, par divers procédés, dénonce l’usure du stéréotype, son caractère simpliste ou mensonger, et cherche à fonder un langage neuf, étranger à toute stéréotypie25.
12Dans Présents suspendus, la dénonciation de ce que le langage fait au monde passe par celui de l’intelligence artificielle (IA), que lu lectaire26 ne remarque pas :
À quel moment se rend-on compte que les commentaires précédents ont été générés par une « intelligence artificielle » ? À quel moment se dit-on que notre propre commentaire humain, trop humain, offre une réelle valeur ajoutée à la quantité de non-sens accumulé pour faire semblant ? (p. 57).
13L’intégration de passages générés par IA – effectivement indécelables à la lecture – a une valeur démonstrative qui mérite d’être explicitée. Si nous ne faisons aucune différence entre un discours produit par une machine et un discours produit par une créature humaine, alors l’essentiel réside peut-être dans le fait de garder en mémoire que l’application ou la non application automatique de consignes linguistiques (au même titre que la présence ou l’absence d’une catégorie de personnes dans des statistiques) a une conséquence directe et concrète sur les corps, les familles, la santé mentale, les opportunités sociales, les parcours professionnels, etc.
Tout ce qui n’est pas écrit n’existe pas. Donc tout ce qui n’est pas lu n’est pas là. C’est la logique de l’IA, qui n’admet que ce qu’elle a déjà lu. (p. 57).
14C’est peut-être le sens de l’opposition entre la « réelle valeur ajoutée » (par l’humanité) et « la quantité de non-sens accumulé » (par l’IA) (p. 57) : l’humanité ne se distingue de l’IA que par son expérience de l’impact des signes sur les vies. Cet intérêt pour la conscience de ce que le langage fait à l’humanité se retrouve dans les derniers développements de la linguistique énactive, notamment chez Didier Bottineau, qui considère le langage comme « energeia et activité […] phénoménologiquement constituante de la réalité en tant qu’expérience vécue relative à l’activité incarnée et sociale propre à l’espèce humaine27 ».
Effets du neutre
15Cette rupture avec le binarisme des normes grammaticales et sociales fait écho à des démarches linguistiques similaires chez les écoféministes, notamment dans le champ de l’histoire des sciences et de l’environnement :
I also addressed the related problem of the depiction of nature as female, and its conflation with women, by advocating the removal of gendered terminology from the description of nature and the substitution of the gender-neutral term “partner.” This led me to articulate an ethic of partnership with nature in which nature was no longer symbolized as mother, virgin, or witch but instead as an active partner with humanity28.
16Les expressions de genre non conformes à la norme binariste ou masculiniste se retrouvent dès 1874 dans les Souvenirs d’Herculine Abel Barbin29 par le soulignement des accords au féminin, chez Monique Wittig30 par le féminin universel (1969), chez Louky Bersianik31 qui appelle à la création d’un neutre en 1976, ou encore chez Anne F. Garréta32 par une stratégie d’évitement de l’expression du genre (1986). Elle trouvera un second souffle dans les années 2010 avec les traductions françaises d’écrivans américans33 tels que Ken Liu34 ou Rivers Solomon35 qui utilisent un genre neutre en anglais.
Double saillance linguistique
17Le mot de genre neutre active un processus cognitif dans le traitement de l’information que les autres mots n’activent pas. D’abord, comme tout néologisme, il suscite obligatoirement un commentaire épinlinguistique chez lu lectaire – autant sur le signifié que sur le signifiant – ne serait-ce que pour pouvoir être décodé et permettre de continuer la lecture :
Certains mots sont intrinsèquement saillants de par leur manque d’autonomie référentielle et de l’habitude qu’ils entraînent chez l’interlocuteur à faire particulièrement attention aux conditions de leur énonciation36.
18Par ailleurs, le mot de genre neutre nous paraît bénéficier d’une double saillance linguistique, physique et cognitive, en attirant l’attention dul37 lectaire par deux moyens : sa forme inconnue ou rare qui isole le mot et le fait émerger sur le fond des autres mots sur le plan de la perception (saillance physique), mais aussi son caractère disruptif, qui enfreint la norme grammaticale et oblige lu lectaire à lui réserver un traitement particulier dans le traitement de l’information (saillance cognitive) :
[…] les facteurs que sont la rupture dans une continuité, l’infraction d’une règle implicite, l’exploitation d’une norme et la structuration du message pour la mise en avant d’un élément, nous semblent particulièrement intéressants en tant que facteurs génériques de saillance38.
Double questionnement
19Les mots fléchis au genre neutre activent un double questionnement chez lu lectaire, le premier sur le monde référentiel qui est représenté, le second sur ses propres croyances, notamment lorsque le neutre est employé non pour représenter un groupe de personnages mais un seul personnage (dans les nouvelles « Interférence artificière » et « Aucun retour possible »). En effet, le questionnement que peut soulever un mot tel que « celleux » dans « En Europe de l’Ouest, beaucoup de celleux qui croisèrent leurs chemins créèrent leurs propres tribus » (p. 195) nous semble monodrome et extrinsèque, tourné vers les intentions des autaires et les sujets que sont la convention linguistique, l’esthétique, la politique inclusive (dire « celleux » à la place de « celles et ceux », eux-mêmes remplaçant « ceux »). Alors que dans un énoncé comme « J’étais l’an d’entre auz, l’an de ces ingéniaires qui travaillent à ce programme d’IA. » (p. 78), le questionnement activé par l’énoncé est amphidrome (à la fois spéculatif et introspectif) et porte sur davantage de plans : non seulement l’intention et les choix esthétiques des autaires, mais aussi les questions relatives à l’identité de genre. Plus précisément, lorsque les mots représentant un seul personnage sont fléchis au neutre, ils ne concernent plus seulement un choix stylistique (« Quelle est la meilleure convention possible pour exprimer un groupe de personnages de plusieurs genres ? »), ils concernent également un monde référentiel non conforme à la norme de genre (« Quels sont le sexe et le genre du personnage genré au neutre et que signifie, dans la réalité, n’être ni masculin ni féminin ou être les deux à la fois ? »).
Actes perlocutoires
20Cette influence sur lu lectaire confronte cial39-ci à un système idéologique autre que le patriarcat, l’hétéronormativité, la binarité des sexes, des genres et des orientations sexuelles. Elle l’oblige à concevoir et à se confronter à l’identité de genre, la violence symbolique, une glottopolitique inclusive40. En tant que force psychologique agissante sur le lectorat, cette influence du langage peut être interprétée en linguistique pragmatique comme un acte de langage à valeur perlocutoire :
Si l’on considère la notion d’acte illocutionnaire, il faut aussi considérer les conséquences, les effets que de tels actes ont sur les actions, les pensées ou les croyances, etc. des auditeurs. Par exemple, si je soutiens un argument je peux persuader, ou convaince mon interlocuteur […] si je lui fournis une information je peux […] l’éclairer, l’édifier, l’inspirer, lui faire prendre conscience. Les expressions notées en italique ci-dessus désignent des actes perlocutionnaires41.
21L’influence du genre neutre sur lu réceptaire42 du message déploie une série d’actes perlocutoires conscients ou inconscients : faire découvrir et peut-être faire comprendre ce qu’est l’identité de genre, pousser à se questionner, faire douter, émouvoir, contribuer à l’élaboration d’une identité, provoquer l’adoption d’une nouvelle idéologie ou, au contraire, son rejet.
Corporéité du signe
22Nous entendons « corporéité du signe » comme l’entendent Francis Édeline et Jean-Marie Klinkenberg, à la suite d’Algirdas Julien Greimas, c’est-à-dire comme l’inscription du signe dans un ensemble de stimuli qui émanent du monde sensible, à l’intérieur même duquel le sujet parlant vit et perçoit ces stimuli :
La sémiose43, loin d’être un phénomène sans lien avec le corps, tire son origine de celui-ci. Ce premier aspect de la corporéité du sens peut être qualifié de cognitif : le signe émerge de l’expérience, et ne saurait être étudié qu’à travers les interactions qu’il a avec son contexte (au sens large du terme, incluant l’expérience du monde et d’autrui, de sorte que la corporéité dont il s’agit est une corporéité non point solipsiste mais sociale)44.
23Cette expérience corporelle de laquelle émergent le sens et le signe (« anasémiose ») est rendue, sur un plan littéraire, à travers le questionnement identitaire dul narrataire45 de la nouvelle « Aucun retour possible » (p. 206-257), Alex : « Qui étais-je dans cet univers qui courait en moi et qui pourtant m’avait toujours échappé ? » (p. 241). Çæ46 narrataire souffre d’être næ47 « mâle, blanc, européen et bourgeois » (p. 218), ayant « la figure de l’oppresseur » (p. 219) et finit par s’apaiser au cours de la nouvelle en participant à tisser un réseau de communautés libertaires. Son identité de genre commence par être exprimée par le genre masculin – « Je me regardai là, recroquevillé près du feu » (p. 207), « je fus submergé d’une vague de mélancolie (p. 210), « j’étais né intelligent » (p. 218), puis son identité de genre est exprimée par le genre neutre dans les passages où lu narrataire devient un personnage délocuté – « À la fois rassérénæ et soucieuz, Alex reprit une inspiration » (p. 229) – pour enfin être exprimée par le genre neutre quel que soit le mode d’énonciation – « Je me sentais […] emplix de curiosité. Et puis, quelle douceur… J’en suis encore tout48 impregnæ. » (p. 245). L’expérience d’Alex lu49 transforme en tant que personnage et sujet parlant, et amène cial-ci à élaborer des signes de genre neutre en remplacement de signes de genre masculin. Cette évolution du genre grammatical du personnage peut être corrélée à son évolution psychique.
24À l’échelle du recueil, ce mouvement de l’expérience vers le signe opère un mouvement inverse de retour du signe sur le monde (« catasémiose ») :
Mais si le signe émerge de l’expérience, il oriente également l’action ; produit par le contact avec le monde, le sens débouche aussi sur un tel contact : sur des actions portant sur le monde. Ce processus, correspondant de l’anasémiose, peut recevoir le nom de catasémiose50.
25Cette catasémiose est constatée à l’échelle du recueil par les autaires als51-mêmes, qui annoncent dès l’avant-propos ou « Avant-goût » leur objectif de voir le signe créer de la réalité – « Il est temps d’une séance collective d’introspection pour que nos récits se réalisent. » (p. 13) – et qui reconnaissent dans l’épilogue ou « Après-coup » leur propre transformation opérée par l’écriture : « les individuz prenant part à l’action s’en trouvent transformæs : il y a un avant et un après, un état préalable et un état consécutif à l’acte » (p. 260).
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26Le parti-pris esthétique de Présents suspendus. Fictions spéculatives pour la résistance consistant à étendre le système flexionnel binaire du français en système ternaire témoigne d’une attitude réflexive des autaires cherchant à accorder leur écoféminisme et leur expression littéraire. En tant que marqueur de modalité, le genre neutre crée une « désautomatisation du langage52 » qui suscite un double questionnement sur le monde référentiel représenté et sur les propres croyances dul lectaire. Les hésitations entre une morphologie neutre binaire et une morphologie neutre non binaire génèrent une multiplicité de formes et de régularités pouvant être perçues soit comme des failles de la démarche, soit comme son exploration. Par leur forme inconnue et leur caractère disruptif avec la norme, les mots de genre neutre bénéficient d’une double saillance, physique et cognitive, ce qui a pour conséquence d’avoir une action psychologique sur lu lectaire, permettant, dès lors, de considérer leur emploi comme un acte de langage perlocutoire. Le style créé par les mots de genre neutre témoigne d’un double mouvement témoin de la corporéité du signe et de l’influence du signe sur la réalité. Le genre neutre et ses multiples potentialités sémantiques contribuent à faire de l’oeuvre une lecture littéraire. Si ses mots de genre neutre sont repris en masse et perdent leur caractère idiomatique, propre aux usages ayant lieu dans la sphère écoféministe, Présents suspendus devrait néanmoins pouvoir conserver son statut de document historique pouvant informer les générations futures sur les rôles du langage et de la littérature dans la construction intersubjective de l’identité.