Parcours littéraires
1Cet ouvrage est ambitieux. L’auteur se propose en effet de mener une réflexion sur les notions d’ambivalence de la science historique, de littérature, de littérature et langue françaises, d’histoire de la littérature. « Comment par exemple, nous demande t-il, fixer les origines de la littérature française à une époque où la France n’existe pas ? ». Comment comprendre les valeurs véhiculées dans les œuvres sans les replacer dans un contexte historique, au sein d’une évolution artistique et littéraire ? « La littérature a en effet ceci de particulier qu’elle se souvient constamment de son passé. Impossible d’écrire un texte littéraire sans écrire en même temps sur la littérature : toute œuvre porte en elle l’histoire de son genre, des thèmes qu’elle aborde, des grands auteurs qui l’ont précédée ou côtoyée. » Comment, enfin, accepter une histoire littéraire univoque ?
2Il ne s’agit pas cependant ici de théorie littéraire. L’amorce de ces réflexions vise à justifier la structure du manuel. Celle-ci est fondée sur l’exposition systématique du contexte historique, artistique, politique et normatif lié à une période. Le statut de la littérature et son évolution sont ensuite analysés. Enfin, de façon plus détaillée, sont évoqués les auteurs, genres et œuvres marquants – ou jugés tels par l’histoire littéraire – de ladite période.
3L’ouvrage se décompose en cinq parties historiques : le Moyen Âge, la Renaissance, l’âge baroque, le Classicisme et les Lumières.
4Si le Moyen Âge, tel qu’il est défini historiquement, débute avec la chute de l’Empire romain d’Occident (476) et s’achève par celle de l’Empire romain d’Orient (1453), le Moyen Âge littéraire embrasse quant à lui une période allant du XIème au XIVème s.
5L’auteur retient quelques faits socio-historiques importants pour la compréhension de la littérature médiévale, tels la prépondérance de la religion catholique, le monachisme, l’héritage de la langue latine. D’un point de vue artistique, il évoque l’art roman en architecture, peinture et sculpture et l’avènement du gothique. Il s’intéresse au processus d’unification de la langue française – cette dernière s’imposant réellement au XVIIème s., sous l’influence du centralisme politique. La féodalité et ses idéaux, la Guerre de Cent ans sont autant de traits fondamentaux au Moyen Âge, présentés dans cette brève évocation historique.
6L’ouvrage souligne ensuite l’importance des premiers textes rédigés en français dont l’Histoire garde trace. Les serments de Strasbourg, conclus en 842, mettent fin au partage des territoires impériaux selon la règle de primogéniture et permettront la lente constitution de l’unité territoriale du futur royaume de France et du Saint Empire romain germanique. Le cantilène de sainte Eulalie (881) est quant à lui considéré comme le premier texte littéraire rédigé en français. Les textes hagiographiques prennent également une place de premier plan dans la constitution de cette balbutiante littérature française.
7L’auteur s’interroge, dans un second chapitre, sur la littérature, la notion d’auteur et d’œuvre à cette période. Il rappelle que « la littérature du Moyen Âge telle que nous en portent témoignage les manuscrits conservés est une littérature vagabonde. Les textes ne sont que la transcription d’une littérature profondément orale, d’une littérature spectacle, d’un art complet qui n’était pas destiné, avant le XIIIème siècle, à la lecture, mais à la récitation et au chant publics ». De même, la notion d’individu et, par conséquent d’auteur, ne peut s’appliquer à l’époque médiévale.
8Enfin sont abordés de façon plus approfondie, selon la structure même de l’ouvrage, les genres et traits caractéristiques de l’art littéraire. Le genre épique apparaît comme la plus vive expression de l’idéal féodal et de l’élan chevaleresque. Le roman courtois, qui naît au XIIème s., est jugé « plus réaliste que l’épopée ». Il traduit le souci de raffinement d’une aristocratie de cour. Le genre lyrique, quant à lui, s’épanouit dans les milieux aristocratiques du XIIème s. D’abord composées en langue d’oc par les troubadours, ces poésies courtoises trouvent leur place dans le Nord, en langue d’oïl, sous l’appellation de trouvères. La fin’amor provençale fait l’objet d’un sous-chapitre. Ce dernier éclaire le lecteur sur les codifications sociales qui sous-tendent les rapports amoureux décrits dans ces poésies.
9La chanson de geste demeure le genre le plus marquant de cette période. Dans le contexte des Croisades, elle exprime d’abord l’idéal épique (XIIème s.), en narrant des exploits antérieurs de héros tels Charlemagne. L’auteur choisit, pour illustrer ce genre, de commenter la Chanson de Roland.
10Le roman est également l’objet d’une étude approfondie. L’auteur s’interroge sur le terme-même de « roman » et revient notamment sur Tristan et Yseut – demeuré « l’un des mythes les plus vivants de notre culture » – , et le Roman de la Rose.
11Au seuil d’une nouvelle ère, entre le XIVème et le XVème s., l’artiste acquiert le statut d’individu. Des genres littéraires, tels la farce ou la nouvelle, apparaissent, qui préfigurent la Renaissance.
12Longtemps, l’époque médiévale n’a été jugée par les historiens que comme une « longue nuit » précédant le renouveau de la Renaissance et la redécouverte de l’Antiquité. On sait toutefois que les évolutions historiques ne sont guère linéaires.
13De grandes transformations sont cependant remarquables à la Renaissance. L’invention de l’imprimerie permet « à la fois une multiplication, une divulgation et une démocratisation […] des savoirs ». En matière d’arts, on redécouvre les proportions du style romain.
14L’humanisme, élaboré entre 1460 et 1560 environ, voue un intérêt aux « lettres antiques profanes, humaines, par opposition aux textes sacrés ». Une « curiosité encyclopédique » et l’idéal d’un savoir universel se font jour. Ces valeurs influencent la peinture, qui se veut plus réaliste et accorde alors une place prépondérante à « l’idéal néoplatonicien de grandeur humaine ». Enfin, l’intérêt pour la langue vulgaire et la découverte de l’Amérique, en 1492, sont autant d’expressions de ces changements profonds. L’intellectuel de le Renaissance prend conscience de la dualité de sa culture. D’une part, il porte l’héritage antique, d’autre part, il perçoit les richesses d’un monde nouveau, marqué par de grandes découvertes.
15La littérature de cette période est le reflet de ces valeurs nouvelles. On constate la survivance de genres médiévaux comme le roman. À titre d’exemple, l’œuvre de François Rabelais emprunte à la parodie médiévale, tout en révélant un ton nouveau, mêlant culture savante et balourdise populaire. Considéré comme l’un des plus grands humanistes, Rabelais fait montre d’une invention verbale immense. Il multiplie les « calembours et les jeux de mots ». Mais surtout, son œuvre traduit une « foi immense en la nature de l’homme ». « Foncièrement positive, l’image de l’homme que donne Rabelais en est une de l’homme qui rit, qui boit, qui jouit de la vie, âme et corps. »
16Le genre lyrique connaît des transformations notables. L’ouvrage met en avant les auteurs dits de La Pléiade (terme inventé en 1556 par Pierre de Ronsard pour qualifier les sept principaux poètes du groupe). Ronsard (1524-1565) et Joachim du Bellay (1522-1560), marqués par une « connaissance profonde de la tradition gréco-latine », entendent promouvoir la langue française dans toute sa puissance poétique. « Le processus de création d’une langue poétique française est [ …] d’abord un processus d’enrichissement de la langue. Les poètes de la Pléiade empruntent un vocabulaire nouveau au dialecte lyonnais, aux métiers, aux différentes strates sociales, mais surtout […] [créent des] mots nouveaux, en greffant des mots français existant sur un radical emprunté au latin ». La doctrine de la Pléiade est fondée sur le principe de l’imitation. « La poésie est un métier vénérable, un métier qui s’apprend et qui correspond à un certain nombre de règles, à des codes, à des canons dont il faut s’imprégner ».
17Du Bellay publie le manifeste Défense et illustration de la langue française en 1549, tandis que Ronsard produit une œuvre variée, où « les chansons et les madrigaux côtoient les hymnes philosophiques ». Son célèbre recueil Les Amours, paru en 1552, chante « une passion idéalisée pour un être incomparable » nommé Cassandre. Les thèmes de la mort, de la nature-refuge et de la mythologie antique y sont fondamentaux. Pour K. Peeters, Ronsard exercera une influence non négligeable sur la poésie classique, par ses références antiques mais aussi d’un point de vue formel (sonnet, régularité du vers).
18Quant à la Renaissance dans son ensemble, elle annonce l’époque baroque, qui utilisera ses nouveaux acquis « en les détournant vers une plus grande variété et une plus grande expressivité ».
19La notion historique de Baroque a été introduite au XVIIIème s. pour définir les beaux-arts du XVI au XVIIème s. On distingue le prébaroque, avant 1630, et le plein baroque, entre 1630 et 1665. Les thèmes d’inconstance, de guerre, d’atrocité sont développés, au même titre que l’ostentation, la métamorphose ou la distorsion du décor. La mort apparaît comme inséparable de la vie. L’art baroque se caractérise par une grande variété et une recherche de théâtralité. En France, le château de Vaux-le-Vicomte – construit par l’infortuné Nicolas Fouquet, dont on connaît la rivalité avec Louis XIV et la triste fin – symbolise à merveille l’art baroque. Le jardin devient un « théâtre gigantesque de fêtes publiques ». La peinture et la sculpture sont marquées par les notions de mouvement, de surcharge et de recherche d’expressivité nouvelle. Philosophiquement, on note un regain d’intérêt pour la doctrine épicurienne. D’un point de vue politique, l’État centralisé, dont Richelieu jette les bases, émerge.
20Pour K. Peeters, il est alors, en littérature, difficile de classer les auteurs selon « un genre bien précis ». « Les écrivains se font philosophes, poètes, moralistes, hommes politiques, historiens tout à la fois. »
21Michel de Montaigne (1533-1592), avec ses Essais, illustre la naissance d’un genre nouveau, d’une littérature du réel ouvrant sur une « analyse du moi », livrant une réflexion « profonde » appuyée sur la lecture et l’observation du monde.
22L’époque voit aussi l’essor de la poésie. François de Malherbe (1555-1528) se veut « poète technicien », obsédé par l’harmonie des strophes. Selon Peeters, sa poésie est « d’une rare perfection formelle ».
23Parmi ses opposants, Mathurin Régnier (1573-1613) demeure aujourd’hui connu pour ses Satires. Il raille « les minuties et l’absence d’imagination » du technicien qu’est Malherbe et tire notamment son inspiration d’Horace.
24Le Classicisme naît, en France, autour de 1630. Le préclassicisme coïncide avec l’apogée du baroque et « ce n’est […] que pendant une période relativement brève, de 1660 à 1685 environ, que le grand Classicisme sera tout puissant en France ». Les principes de rigueur, de clarté, régularité de la forme s’imposent. L’extravagance baroque dans les arts laisse place à un souci d’unité de ton et de style, d’exaltation de la magnificence, « reflet de la hiérarchie politico-sociale ». L’histoire occupe une place prépondérante en peinture, par la représentation des scènes bibliques et mythologiques. Dans le domaine politique, la révolte de la haute noblesse, lors de la Fronde (1648-1653), n’empêche par le renforcement de l’absolutisme royal. Le développement d’une véritable société de cour parachève ce dernier et permet au roi Louis XIV d’exercer un plus grand contrôle sur la noblesse. Les salons sont un lieu de vie mondaine mais aussi « de rayonnement culturel, de promotion des écrivains […], qui y rencontrent des protecteurs favorisant l’essor des genres propres de la littérature mondaine (poésie de salon, romans, lettres) ». Ils illustrent le développement de la culture précieuse, marquée par l’idéal de l’honnête homme, l’art de vivre et recevoir.
25La profusion romanesque marque l’époque classique. Paul Scarron (1610-1660) est l’auteur d’anti-romans burlesques, tels Le Virgile travesti, parodie de L’Énéide (1649-1659).
26Le souci de simplicité de l’intrigue, de vraisemblance est très net. « Le récit à la troisième personne gagne du terrain et renouvelle l’esthétique de la nouvelle par l’introduction de diverses formes : les mémoires, les lettres et récits de voyage. » Mme de La Fayette (1634-1693) trouve une place de marque dans ce chapitre consacré au roman. Son grand œuvre, La Princesse de Clèves, apparaît à K. Peeters comme l’un des plus grands romans classiques et un « chef d’œuvre de la préciosité ».
27L’auteur consacre également une partie aux mondains et moralistes. Mme de Sévigné (1626-1696), Jean de La Bruyère (1645-1696), le cardinal de Retz (1613-1673) sont autant d’observateurs de la comédie humaine. La Bruyère manie l’art de la rhétorique et fait preuve d’un savoureux sens du détail, dans ses Caractères (1688).
28Les « religieux » sont également présentés, avec Bossuet (1627-1704) et Pascal (1623-1662).
29De même, l’auteur glorifie le « grand siècle du théâtre » en consacrant de nombreuses pages à Pierre Corneille (1606-1684), Jean Racine (1639-1699) et Molière (1622-1673).
30L’œuvre de Jean de la Fontaine (1621-1695) fait l’objet d’un chapitre.
31Au cœur du Classicisme, croît la crise de la conscience européenne – d’ailleurs décrite par Paul Hazard dans un ouvrage éponyme – marquée par le renforcement de l’hétérodoxie religieuse, le progrès des sciences et du modèle de réflexion expérimentale, l’affranchissement religieux de la philosophie. Pierre Bayle (1647-1707) est emblématique de cette nouvelle conscience. Dans son Dictionnaire historique et critique (1697), il « compare les sources, questionne, annote, explique, essaie d’interpréter pour trouver le plus grand degré possible de certitude historique ». Autant de modes de pensée qui ouvrent la voie aux Lumières.
32Mouvement « complexe » qui débute vers 1685 et s’achève à la fin du XVIIIème s., courant de pensée « caractérisé par un effort pour comprendre le monde ‘à la seule lumière naturelle de le Raison’ (Descartes) », les Lumières voient une fondamentale remise en cause des institutions politiques et sociales et des abus de la religion. Brille alors une « magnifique confiance ‘en les progrès de l’esprit humain’ (Condorcet) ».
33Dans les arts, le rococo domine et « développe les tendances baroques présentes à l’époque classique ». Ce style « se veut l’expression du goût du jour », de « l’allure de la noblesse, plus libre de faire montre de ses fastes ». La Régence – après la mort de Louis XIV – et les règnes successifs de Louis XV et Louis XVI témoignent du déclin progressif de l’absolutisme, jusqu’à la Révolution de 1789. Dans les cafés, où se rencontrent les gentilshommes cultivés, des discussions nouvelles se font entendre. « La littérature devient au XVIIIème siècle une arme de combat pour le développement d’une conscience bourgeoise. » C’est alors que « le roman, genre moderne, s’impose définitivement », teinté de merveilleux oriental, et, dans la seconde moitié du XIIIème s., de sentimentalisme, notamment avec l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse (1761). Alain-René Lesage (1668-1747) donne, dans ses romans, « une revue satirique du monde », tandis que Marivaux (1688-1763) offre une « analyse minutieuse du cœur humain ». Bien évidemment, K. Peeters fait ici la part belle à Denis Diderot (1713-1784), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Voltaire (1694-1778) et Montesquieu (1689-1755). Romanesque, politique, philosophique, historique, l’œuvre des philosophes des Lumières est monumentale. On se félicitera de la sous-partie consacrée à L’Encyclopédie mais on regrettera que De l’Esprit des Lois (1747) de Montesquieu ne fasse par l’objet d’une présentation plus fouillée. Cependant, les Lumières, dans toute leur diversité, sont ici appréhendées avec une grande perspicacité.
34Résumer le foisonnement de l’époque classique, l’histoire de la Renaissance ou la culture médiévale en quelques paragraphes est évidemment réducteur. Les liens entre valeurs culturelles et valeurs exaltées en littérature sont parfois très subtils. Certes, il existe une corrélation entre les Croisades, l’idéal épique et la littérature héroïque. En revanche, il est plus malaisé d’expliquer historiquement l’apparition, à la fin du XIIème s., du roman courtois, plus tourné vers le féerique et le raffinement aristocratique.
35Nous ne pouvons cependant reprocher à l’auteur de ne faire qu’une ébauche du contexte historico-culturel. Rappelons-le : l’ouvrage est avant tout un manuel, qui ne peut donc prétendre à l’exhaustivité.
36Reconnaissons lui deux réels mérites : l’extrême clarté du propos et la présence, à chaque chapitre, d’une bibliographie fort intéressante. Enfin, notons qu’il s’agit d’un panorama riche de la littérature française – dont nous n’avons fait ici que retracer les grandes lignes – et d’une réelle invitation à la lecture des classiques.