Soi-même comme témoin
1Ce recueil d'articles rassemble des travaux du séminaire sur les « Écritures de soi » dirigé par Carole Dornier à l'Université de Caen Basse‑Normandie, et notamment certaines des communications présentées aux journées d'études « Écriture de soi et témoignage » des 3 et 4 mars 2000.
2La réflexion menée par les chercheurs réunis à l'occasion de ce volume de la revue Elseneur se veut dans la continuité de travaux aussi fondamentaux que ceux de Paul Ricoeur, de Renaud Dulong ou d'Annette Wieviorka : y sont étudiées les différentes modalités de la représentation littéraire de l'identité personnelle et des événements historiques dont on se fait le témoin, ainsi que Carole Dornier le précise dans son introduction. Le rapport au temps, les multiples strates de la mémoire et les modes d'esthétisation du souvenir sont envisagés en fonction de trois questions essentielles : le paradoxe propre au littéraire dû au va‑et‑vient « entre la banalisation créée par les modèles, les lieux communs et les stéréotypes, et l'innovation esthétique qui affirme la singularité d'une expérience et d'un regard », par conséquent, entre exemplarité et subversion (p. 10) ; l'imbrication des modèles hérités des récits fictionnels, participant à l'histoire de la subjectivité et les modèles de représentation traditionnels de l'intériorité ou de l'histoire, imbrication doublée des formes contemporaines de transgression des frontières entre le fictionnel et le non‑fictionnel ; enfin la prétention véritative des récits de soi et des témoignages, souvent disqualifiée par la partialité du jugement et l'effort rhétorique déployé pour emporter l'adhésion du lecteur.
3Croisant ces différentes questions, Carole Dornier résume ainsi ce qui pourrait constituer le dénominateur commun au plus grand nombre des analyses rassemblées dans le recueil :
[…] la subjectivité et la mise en forme narrative et stylistique, qui paraissent s'opposer au témoignage, participent pleinement au témoignage, en tant qu'il est transmission d'une expérience vécue, que l'on tente de faire partager affectivement à un destinataire. C'est pourquoi les différentes formes d'écriture à partir d'une même expérience mettent en évidence la nécessité de recourir à des procédés, qui assurent cet impact affectif et impliquent une adresse du témoignage. Si l'écriture privée épuise sa visée dans la communication avec un destinataire particulier, et devient document par un effet de lecture oblique, le récit littéraire témoigne, même à travers la fiction, lorsqu'il entend s'adresser à tout destinataire.
4Ce n'est pas l'effacement des traces de subjectivité qui garantit nécessairement la valeur testimoniale d'un texte et le témoignage est « étroitement associé à l'écriture de soi, parce qu'il retient d'autant plus notre attention qu'il exprime un point de vue et un pâtir humain. C'est dans sa dimension subjective que la mémoire du témoignage offre un sens partagé. » (p. 12‑13).
5Faute de pouvoir présenter exhaustivement chacun des articles, nous ne suivrons pas l'ordre de présentation du recueil, organisé en trois parties (« L'identité narrative et ses modèles » ; « Le récit de vie et l'Histoire » ; « Écriture du témoignage et mémoire subjective »). Il paraît plus intéressant de souligner le fait que certains articles permettent de reconstituer un panorama global de l'ensemble des récits de soi et des témoignages historiques, depuis la forme traditionnelle des Mémoires jusqu'aux innovations de la littérature contemporaine.
6Nadine Kuperty‑Tsur, auteur d'une étude sur les Mémoires au xvie siècle, Se dire à la Renaissance (Vrin, 1997), propose, dans un article intitulé « Rhétorique des témoignages protestants autour de la Saint‑Barthélemy », une réflexion autour des divergences dans les témoignages des catholiques et des protestants au sujet des massacres de 1572. L'examen du degré de fiabilité de ce type d'écrits est envisagé en fonction des types d'argumentation mis en oeuvre (dans la lignée des analyses menées dans Écriture de soi et argumentation, Presses universitaires de Caen, 2000). La stratégie des catholiques est celle de la déresponsabilisation : Marguerite de Valois, par exemple, a assisté à la Saint‑Barthélemy au Louvre, mais elle affirme n'avoir pas été informée, puisque, catholique mariée à Henri de Navarre, elle paraissait suspecte aux deux camps. Elle sape ainsi elle‑même la valeur de son témoignage. Les protestants, subissant les attaques et contraints de fuir ou de se cacher, n'ont des événements qu'un point de vue restreint. Ils ne peuvent expliquer en son ensemble les circonstances du drame.
7L'élément le plus frappant de ces récits est que, malgré les évolutions de l'historiographie depuis la Renaissance (refus du recours à la Providence, usage des témoignages, respect de l'authenticité, style sobre…), les protestants prétendent donner un sens à l'histoire ; ils voient dans les massacres le signe de la volonté divine. La conception de l'histoire qui sous‑tend ces textes se caractérise par une ambivalence continuelle :
en exigeant une notation scrupuleuse des faits, elle s'aligne sur les nouveaux impératifs de l'historiographie humaniste. Mais le conditionnement idéologique rend l'interprétation des faits problématique, puisque ce qui fait la matière même de l'histoire, c'est la volonté de Dieu. L'historiographie protestante s'écrit pour déchiffrer les desseins divins et, par analogie, les récits de vie exposent les événements de l'existence individuelle pour y comprendre le rôle assigné par Dieu à l'élu. (p. 167).
8Comment peut‑on alors se fier à ce genre où domine l'intention polémique et le désir de rationaliser une histoire souvent traumatisante, et cela d'autant plus que, comme le rappelle N. Kuperty‑Tsur, les mémorialistes à la Renaissance écrivent « après un naufrage social, du type de la disgrâce, de l'exil ou de la condamnation » ? L'exercice de témoignage se présente ainsi comme un véritable cercle d'auto‑légitimation :
Du récit de son passé, auquel il donne valeur de témoignage en faisant le serment de vérité, il tire une nouvelle autorité, celle d'auteur (auctor) cette fois, autorité grâce à laquelle il parviendra à convaincre le lecteur de la véracité de l'image qu'il élabore de lui-même dans son texte. L'autorité de l'auteur, issue de ses fonctions historiques, vient renforcer celle de l'image historique et polémique de lui‑même, qu'il cherche à imposer par l'écriture, grâce à un judicieux montage de témoignages. (p 172).
9N. Kuperty‑Tsur analyse pour finir ce travail que le mémorialiste pratique sur son ethos à partir du cas précis des Mémoires de Madame Duplessis‑Mornay.
10À cette analyse des Mémoires du xvie siècle se rattachent d'autres études de récits de mémorialistes, comme l'article de Suzanne Guellouz, « Deux versions d'un même incident : le 21 août 1651 au Parlement », qu'il est intéressant de mettre en relation avec l'étude de N. Kuperty‑Tsur, parce que son auteur y constate aussi la relativité des témoignages, mais pour les raisons exactement inverses de celles que nous venons d'évoquer. L'incident de l'altercation entre Retz et La Rochefoucauld a été rapporté dans de très nombreux Mémoires. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, tous disent la même chose ; et S. Guellouz d'en conclure que ces textes n'ont donc pas d'intérêt référentiel ou historique ! L'intérêt d'une confrontation entre les différentes versions de l'incident tient bien plutôt à la manière qu'a chaque mémorialiste de rendre compte des faits, par ailleurs parfaitement établis. Les textes de Retz et de La Rochefoucauld sont alors minutieusement comparés :
[…] nous avons là deux types d'écriture de l'Histoire : la primauté donnée à l'espace‑mouvement découle d'une remémoration visuelle, alors que l'importance accordée par Retz à la parole‑temps relève d'une remémoration auditive. […] Pour La Rochefoucauld, l'Histoire est un spectacle qu'il regarde et donne à voir et où se meuvent des personnages qui s'agitent sous les lois capricieuses de la Fortune ; pour Retz, elle est un drame bruyant où les individus, les chefs, personnages agissants, dont il entend faire partie, émergent de la masse. Pour lui, l'homme est un acteur important que le mémorialiste écoute et laisse parler. (p. 196).
11Dans : « Récit autobiographique et récit historique dans Sa vie à ses enfants d'Agrippa d'Aubigné », Philippe de Lajarte montre que « si l'auteur de Sa vie n'est pas en son siècle le seul mémorialiste à se doubler d'un historien, il est le seul a avoir établi, entre le texte de ses Mémoires et celui de son oeuvre historiographique, par un système de renvois permanents du premier au second, des relations d'étroite interdépendance. » (p. 87). Le texte d'Agrippa d'Aubigné repose sur la tentative d'accorder deux paradigmes, le premier, mythique, qui fait de lui un Élu divin et le second, objectif, qui le situe à l'intérieur de l'histoire de son temps. Pour cela, le mémorialiste entend « élaborer autour de la figure du moi un récit "objectif", un récit véridique qui s'alimente au même fonds et se construit du même matériau que L'Histoire universelle, et conférer à ce récit dépourvu d'autonomie substantielle — le sujet qui en est le centre n'en étant qu'artificiellement détachable de la sphère d'action collective dont il n'est que l'un des participants — la cohérence interne sans laquelle il ne serait plus un récit. » (p. 92‑93). Le sujet dessiné par les Mémoires tend ainsi à ne faire qu'un avec l'identité collective de L'Histoire universelle.
12Enfin, les rapports entre autobiographie et roman sont étudiés par Chantal Liaroutzos dans « Le Page disgracié : du modèle héroïque à l'autobiographie littéraire » et par Marie‑Gabrielle Lallemand dans « L'intériorité du personnage dans la prose fictionnelle de la première moitié du xviie siècle ».
13Deux articles, « Singularité et exemplarité dans l'écriture autobiographique » de Gérard Lahouatti et « Madame Roland : écriture et liberté » de Claire Gaspard, se situent dans une période de transition, celle du xviiie siècle où émergent des modèles de récit de soi reposant sur le dévoilement d'une intimité. G. Lahouatti brosse un large tableau des mutations qui ont conduit jusqu'à ce type de récit où se combinent, de manière conflictuelle, deux impératifs, celui de la singularité et celui de l'exemplarité.
14Pourtant, il n'y a pas simple substitution d'un modèle par un autre comme le montre la très riche étude de Brigitte Diaz sur les trente premières années du xixe siècle : « "L'histoire en personne" Mémoires et autobiographie dans la première partie du xixe siècle ». Cette période a, en effet, connu un très large renouveau du genre des Mémoires, dont Pierre Nora a rendu compte dans un article essentiel, « Les Mémoires d'État ». On hésite entre deux formes : les Mémoires « historiques » ou les Mémoires « biographiques », et les différences se précisent peu à peu, dans les définitions, plus que dans les pratiques dont les frontières restent encore floues. Les Mémoires sont, en effet, contaminés « par le récit de soi égocentré, rejoignant ainsi le territoire un peu flou de ce qu'Yves Coirault proposait naguère de regrouper sous le terme accueillant d'égographie. » (p. 127. Yves Coirault, « Autobiographie et mémoires », Revue d'histoire littéraire de la France, n° 6, novembre‑décembre 1975, p. 950). Il s'agit alors pour B. Diaz de montrer que les « écritures du moi forment un champ plus unitaire qu'il n'y paraît ». Elle évoque de manière extrêmement intéressante la « fièvre des mémoires » qui a touché l'époque et prend pour exemple Stendhal, qui recense les collections de Mémoires pour les journaux anglais.
La profusion de témoignages issus de tous les horizons sociaux, ou presque, est une conséquence directe de la démocratisation de la société d'une part, et de la crise de la mémoire nationale d'autre part. […] Il n'est plus besoin d'avoir une généalogie, un nom, pour raconter sa vie sur la scène publique, car, comme l'écrit Georges Sand en préambule à son Histoire de ma vie : « Qu'est‑ce qu'un nom dans notre monde révolutionné et révolutionnaire ? » (p. 130. Georges Sand, Histoire de ma vie, in Œuvres autobiographiques, Paris, Gallimard, 1970, t. II, p. 140, coll. « Pléiade »).
15Les Mémoires tendent vers l'histoire anecdotique, se rapprochant ainsi de l'autobiographie et du goût pour les détails de la vie intime. Enfin, le « style brut, réputé "non littéraire", que les mémorialistes posent comme gage de leur authenticité, est aussi celui que certains autobiographes du xixe siècle vont revendiquer, pour les mêmes raisons, en l'opposant aux mensonges supposés d'une écriture trop romanesque. » (p. 133). Cependant, d'une manière générale, l'introspection reste incongrue à cette époque et les mémorialistes doivent justifier une telle pratique : dans leurs déclarations d'intention, ils semblent témoigner d'un souci de l'historicité du moi qui exclurait tout souci de soi, de sa singularité. B. Diaz montre qu'en réalité, il y a bien, à l'époque, une résurgence du moi dans les Mémoires et donne des exemples des nombreux passages qui s'opèrent entre le genre de l'écriture historique et le genre de l'écriture personnelle, comme les Mémoires d'outre‑tombe où se lit « un désir — de plus en plus vivace au cours du siècle — de penser la complémentarité entre historicité et singularité du moi. » (p. 139). B. Diaz termine alors sur le déclin du genre « Mémoires » au profit de l'autobiographie qu'elle évoque en prenant Stendhal pour exemple.
16Avec l'article de Laure Himy, « Du Journal de Chine à Fibrilles : la constitution du témoignage », nous abordons la question des marques propres au témoignage au xxe siècle. Journal de Chine est écrit lors d'un séjour en Chine en 1955. Il ne sera publié qu'à titre posthume. Pourtant, on en trouve plusieurs commentaires dans Fibrilles, le troisième tome de La Règle du jeu,publié en 1966. L. Himy décrit les traits stylistiques des notes prises par Leiris lors de son voyage : d'une manière générale, la Chine reste une réalité totalement extérieure au « moi ». L'une des formes que peut prendre la recherche d'authenticité est de gommer toute trace d'énonciation, ainsi que toute dimension temporelle effective, dans l'illusion de « coller » directement à la chose. Le style est alors volontiers télégraphique, marqué essentiellement par l'ellipse (voir p. 226). Le but de Leiris est de faire croire à une présentation, et non à une représentation. Le texte se présente alors comme un inventaire d'observations : « Mais voilà, une fois rentré, Leiris ne peut utiliser ses notes ; elles ne lui parlent plus. Pour lui, elles ne sont donc le reflet ni du voyage qu'il a fait, ni de la Chine qu'il a vue ; elles ne rendent pas compte de leur référent, la trace ne joue pas son rôle de signe. » (p. 228). En effet, en effaçant la présence du « je », Leiris a aussi effacé la présence d'une parole.
17L. Himy pose alors parfaitement le paradoxe qui sous‑tend tout témoignage : « Le témoignage n'a […] jamais la neutralité qu'on veut bien lui prêter. Pas seulement parce qu'être objectif est humainement une gageure, mais surtout parce que le témoignage a nécessairement un but, qui est celui de convaincre de la véracité d'un fait ou de la plausibilité d'une opinion. Il réintroduit donc là où l'on voudrait l'écarter une dimension intersubjective nette entre témoignant et auditeur ; il fait véritablement de la parole témoignante un acte de langage qui implique le témoin et l'auditeur, qui force l'auditeur à accorder du crédit au témoin, crédit qui se mesurera à l'aune de la valeur de vérité accordée aux propos et donc à leur référent. » (p. 229). Comment peut‑on dépasser la notation factuelle sans basculer dans la fiction ? C'est avec Fibrilles que Leiris trouve une forme d'écriture à la fois engagée et non personnelle. Il se produit une sorte d'assimilation entre l'extériorité du pays visité et le « je » au moyen de ce point de liaison que représente le corps du témoin. L. Himy étudie alors les moments où se marque le « pâtir humain » ressenti au contact de la Chine. S'appuyant sur les analyses de Renaud Dulong, elle montre que le « témoignage ne porte pas sur une réalité historique, mais sur une émotion. » (p. 239).
18Cette enquête sur les formes de récits de soi peut se clore sur le passionnant article de Bruno Blanckeman : « Identités narratives du sujet, au présent : récits autofictionnels / récits transpersonnels ». Il y est question de la renarrativisation de l'écriture en cours depuis le milieu des années 80 sous ces deux formes des récits autofictionnels et des récits transpersonnels — récits transpersonnels que B. Blanckeman définit comme des textes qui « tentent d'appréhender l'être en l'autre, démettent toute position d'individualité accomplie, dissolvent l'identité dans des liens de généalogie familiale ou littéraire partiellement oubliés, donc partiellement réinventés. » (p. 74). C'est l’œuvre de Guibert, plutôt que celle de Doubrovsky, qui sert d'exemple pour les textes autofictionnels : elle participe d'un « souci de soi » que Foucault théorise à l'époque comme « une attention méticuleuse aux détails de la vie quotidienne, aux mouvements de l'esprit » (M. Foucault, Dits et écrits (1954‑1988), Daniel Defert et François Ewald (dir.), Paris, Gallimard, 1994, t. IV, p. 794). « Le souci de soi conduit […] à se définir à côté des références psychologiques ou morales normatives, à se poser en jouant, par désaxation légère, avec les modes d'être culturellement imposés. » (p. 75). La vie est saisie à son état brut, dans une sorte de « pur situationnisme » :
L'individu Guibert s'expose au travers des circonstances qu'il choisit de raconter, sans les enchâsser dans un quelconque discours analytique ou commentatif : seule la dynamique narrative organise en situation, c'est‑à‑dire en nécessité élémentaire de récit, une suite de circonstances empiriques ; seule la logique narrative combine entre elles ces situations, à la lettre les configure, les subordonnant à une nécessité finale de récit. (p. 76).
Le sujet Guibert s'autoconstitue narrativement dans cette tension exotérique qui le projette à même les faits relatés, le modifie, l'actualise de livre en livre, entrechoquant différentes perspectives, mais les assemblant, si disparates soient‑elles, sous une voix commune interne à la narration. Il n'est pas d'individualité donnée, extérieure à l'écriture et qui se transposerait tutélairement en elle : il est un individu, dont chaque récit construit l'individualité en lui apportant une pièce supplémentaire, modifiant l'édifice en fonction d'une certaine expérience vécue qui exige de se relater pour s'accomplir. (p. 77).
19Impossible de citer ici toutes les analyses de B. Blanckeman sur les textes de Guibert ; on ne peut que vivement conseiller de se reporter directement à son article.
20Passons au néologisme, « transpersonnel », proposé par B. Blanckeman pour désigner les récits publiés depuis le milieu des années 80, par des écrivains comme Jean Rouaud, Pierre Michon ou Annie Ernaux, mais surtout Pierre Bergounioux que B. Blanckeman prend ici pour exemple.
Il s'agit moins, pour Bergounioux, de répercuter les effets d'une intersubjectivité agissant à l'horizon des relations humaines que d'une transpersonnalité définissant, à la verticale du temps, par stratification générationnelle, des constantes d'identité. […] De récit en récit, Pierre Bergounioux reconstitue, dans le tissu de la narration, la trame des liens familiaux défaits. En écrivant à partir des différentes figures ancestrales, il tente de retrouver quelque empreinte première échappée à la connaissance, de mettre à jour une homologie de tempérament dont dépendrait, comme d'une assise souterraine, sa propre individualité. L'identité individuelle, pour se construire, organise ainsi sa propre déconstruction, se décompose en réseaux de lignage dissociés. (p. 79).
21Les analyses de B. Blanckeman tentent à montrer que « si les formes littéraires nouvelles du récit de soi visent à construire une identité individuelle, elles refusent toute logique d'édification et mettent en trouble autant qu'en ordre, en doute autant qu'en forme, le sujet qu'elles composent, le surexposant dans le cas du récit d'autofiction, l'investissant souterrainement dans celui du récit transpersonnel. Si ces mêmes formes témoignent par ailleurs d'une confiance retrouvée, ou préservée, en l'acte narratif, en ses capacités de médiation et de fondation, elles refusent toute plénitude d'écriture, toute bonne conscience de récit, toute marque d'autobiographiquement correct. » (p. 81).
22Précisons, pour finir que Bruno Blanckeman étudie un autre type de récit dans « Patrick Modiano : la fiction en litige », illustrant à nouveau la fécondité des analyses menées dans ce numéro d'Elseneur sur les différents types de récits de soi et les rapports qui peuvent se nouer entre mémoire, fictions et témoignages.