Quand y a-t-il essai ?
1Attardons-nous immédiatement sur le titre de ce recueil collectif qui publie les actes du colloque international du même nom qui s’est tenu à Poitiers du 12 au 14 novembre 2015 : Le quatrième genre : l’essai. Nous aurions pu imaginer, et même attendre, un titre inversé, mettant le terme d’essai en tête de propos pour le définir, par le biais du signe de ponctuation, comme étant le quatrième genre. Il se serait alors agi de déterminer les caractéristiques propres à l’essai en tant que genre. Le choix qui a été fait s’énonce davantage comme un programme, comme l’affirme d’emblée le directeur de la publication, Patrick Née, dans son introduction : l’ouvrage s’affiche en effet comme une « réclame ou réclamation » (p. 1) pour un genre trop souvent laissé pour compte, sous prétexte notamment de son caractère mixte, voire inclassable : « l’essai, écrit encore P. Née, qui par nature paraît si hybride, et qui existerait davantage par soustraction que par affirmation, n’aurait plus lieu d’être subsumé sous une notion de “genre” perdue d’avance » (p. 11). Tout se passe en effet comme si l’essai ne pouvait être saisi que par la négative — par tout ce qu’il n’est pas ou seulement partiellement, se refusant à toute catégorisation. Les contributeurs de cet ouvrage ne semblent pas vouloir se contenter d’une telle approche : sans pour autant la nier, ils s’efforcent d’appréhender les textes étudiés dans leur dynamique propre. Dès lors, définir le quatrième genre comme l’ensemble des œuvres que recouvre le terme d’« essai », c’est de fait reconnaître à ce dernier un rôle à jouer positivement dans le champ littéraire et intellectuel. La question qui se pose, comme le démontre Irène Langlet dans son article d’ouverture intitulé « Essai et théorie de l’essai », est moins de savoir ce qu’est un essai que quand il y a essai… Quel est le contrat que le lecteur passe avec l’auteur ? Quelles sont notamment ses attentes ? Quelle place vient remplir ce genre par nature hybride et, par là même, si difficile à définir ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre ce recueil, avec pour ambition de prolonger et — peut-être — de renouveler les recherches sur ce genre. Le plan de l’ouvrage et l’articulation des contributions entre elles en témoignent. P. Née prend ainsi soin de nous décrire le parcours dans lequel nous sommes invités à entrer, tout en rappelant au terme de ce dernier qu’il n’est qu’un parmi d’autres, résultant d’un choix assumé et par là même intéressant à prendre en considération.
L’essai, héritage culturel ?
2Attelons-nous-y sans plus tarder : les études proposées sont regroupées en trois parties ; la première, intitulée « Essai et cultures nationales » peut être qualifiée de « généalogique » et « culturelle » au sens où l’enjeu est de saisir les conditions d’émergence et d’affirmation de l’essai, non seulement dans la France de Montaigne et l’Angleterre de Bacon qui inaugurent la tradition et sur lesquels revient David Sedley, mais aussi et surtout dans d’autres sphères culturelles européennes où ce quatrième genre apparaît bien souvent comme étranger et donc potentiellement disruptif, en particulier l’Allemagne, la Russie ou l’Espagne. Ce faisant, les différents auteurs de ces contributions très riches nous permettent de comprendre la pertinence de la question du moment comme du lieu de l’essai, confirmant l’une de ses caractéristiques, à savoir sa forte inscription dans le temps présent. En tentant de revenir sur le déploiement de l’essai germanophone, Matthias Zach insiste ainsi sur les deux voies que suivent les auteurs de langue allemande : en effet, soit ils mettent l’accent sur la tradition, le genre participant alors de la construction de l’unité culturelle allemande, soit ils explorent pleinement la dimension disruptive de l’essai, quitte à flirter avec l’utopie. Amelia Gamoneda montre quant à elle à quel point l’essai espagnol est impacté par la période franquiste au cours de laquelle la parole essayistique s’est peu déployée ; dès lors, l’essai moderne se révèle particulièrement attentif à ses propres conditions d’écriture, comme à la tradition dans laquelle il cherche à s’inscrire, tradition qu’il s’agit moins de redécouvrir que de formaliser. Enfin, pour conclure cette première section, l’essai russe est étudié à travers deux œuvres précises : Les livres de reflets d’Innokentij Annenskij, auxquels s’intéresse Elina Absalyamova, et Le prolongement du point d’Andreï Baldine, finement relu par Françoise Lesourd. Ces contributions permettent de souligner à leur tour les voies par lesquelles le modèle de l’essai, étranger par nature, et par-là même potentiellement subversif, entre dans la culture russe, et ce notamment dans le contexte politique singulier de l’Union soviétique. Moments et lieux de l’essai : les contextes politiques et culturels de son émergence sont partie prenante du genre.
L’essai, héritier de la critique ?
3Les quatre contributions qui forment la seconde partie du recueil, sobrement intitulée « Critique littéraire, critique d’art » interrogent quant à elle plus spécifiquement la dimension critique du genre, notamment quand il prend l’art pour sujet. Les traits caractéristiques proposés par Jean-Marcel Paquette dans son article « Prolégomènes à une théorie de l’essai1 » servent ici de points de repères dans l’exploration d’essais emblématiques et aussi différents les uns que les autres que les chroniques de Stendhal qu’il publie dans la presse anglaise ou le rapport ministériel sur la poésie en France depuis 1867 de Catulle Mendès, rapport dont le statut d’essai apparaît a priori problématique. Rappelons à notre tour pour mémoire ces marques du genre définis par J.‑M. Paquette : le recours à un « je » métaphorique, une rythmicité, une réflexion sur un corpus culturel. Le dialogue de l’écriture avec l’actualité du sujet de l’essai se révèle autant créatif que générateur de tensions. Ainsi Pierre Loubier en peut-il venir, à propos du texte de Catulle Mendès, à définir le style dans l’essai « comme attitude éthique davantage que comme somme de stylèmes » (p. 211). Mais ce qui nous frappe également dans cette approche, c’est l’attention portée aux conditions d’émergence de l’écriture essayistique qui, loin d’aller de soi, se présente comme une conquête de légitimité : c’est aussi bien le cas pour les auteurs de romans qui s’empare de la critique du genre au xviiie siècle, comme le montre Antonia Zagamè dans son article « Idées sur le roman. Genèse d’un essai critique au tournant des Lumières », que pour Stendhal auquel le détour par l’Angleterre est essentiel. Comme le résume Marie Parmentier à propos des chroniques de ce dernier, « on voit que la singularité de cette parole essayiste, habituellement conçue comme un trait définitoire du genre, n’est ni un cadeau des Dieux, ni la pure émanation d’une psyché singulière : elle prend forme et se stabilise grâce à la rencontre atypique de modèles littéraires et de supports spécifiques » (p. 195). Sans doute n’est-ce pas un hasard si la critique d’art, qui implique une part de jugement, et donc de subjectivité, soit l’espace où cette dimension de l’essai se déploie et se donne à lire le mieux, d’où la pertinence de cette seconde section. De ce point de vue l’étude que propose Pierre Loubier du rapport rédigé par Catulle Mendès est particulièrement intéressant : derrière la volonté d’objectivité se dessine l’affirmation d’une subjectivité, mise autant au service d’un goût personnel que d’une représentation de ce que doit être le Poète. « Disons simplement, écrit l’auteur de l’article, qu’une autre scène est certainement derrière la scène de l’agon argumentatif ou polémique de l’histoire-essai » (p. 209). Il serait intéressant de s’interroger sur ce qui, dans l’hypothèse de cette « autre scène », fait écho à l’« arrière-pays » dont Yves Bonnefoy s’efforce de tracer les contours dans son essai éponyme : P. Née insiste notamment sur l’importance de la réflexion sur l’art, indissociable de la mise en perspective de soi. « La culture ici mobilisée est entièrement mise au service non d’un Que sais-je ? informatif […] mais d’un Qui suis-je ? qui, à l’exemple fondateur de Montaigne, excède largement la dimension autobiographique pour toucher à l’humaine condition, dans son rapport fondamental au sens même de son existence, hic et nunc » (p. 220). C’est ainsi dans la critique que le mouvement réflexif s’initie, donnant à l’essai toute son épaisseur.
L’essai, à la rencontre du sujet et de l’objet
4Ce qui apparaît également en filigrane dans ce rapport étroit de l’essai à la critique, c’est aussi ce qui fait l’objet de la troisième et dernière grande partie de cet ouvrage collectif, à savoir le paradoxe qui fonde à bien des égards la démarche de l’essayiste : cette tension permanente que l’écriture tente d’exprimer entre regard sur le monde et quête de soi. Entre ouverture à autrui et repli au plus profond de l’intériorité. Telle serait l’origine de ce que Pierre Glaudes nomme la nécessaire « allure conversationnelle » de l’essai. Car s’il y a tension, elle est à l’origine même de la fécondité du genre, de la libération de la parole, de la construction du propos. Elle implique notamment la recherche d’une voie de dépassement, qui peut d’ailleurs passer par le déplacement, que celui-ci prenne la forme d’une réécriture dans un nouveau contexte comme c’est le cas dans l’œuvre d’Ismaïl Kadaré étudiée par Ariane Eisen, ou qu’il relève d’une expérience physiologique telle que la prise de substances hallucinogènes comme la pratique Michaux et dont Marie-Annick Gervais-Zaninger nous rend ici compte. En d’autres termes, l’essai constitue un espace d’exploration qui suppose le va-et-vient entre le sujet de l’auteur et son objet d’écriture, ancré dans le temps présent. « L’art de saisir la nouveauté in statu nascendi définit ainsi l’art de l’essayiste » (p. 251) rappelle Pierre Glaudes dans son article « Essai, chronique, nouveauté » : il y insiste notamment sur la parenté générique entre la chronique telle qu’elle est notamment pratiquée au XIXe siècle, l’essai mais aussi la nouvelle dont la narrativité se retrouve à bien des égards dans les deux genres précédents. Une telle plasticité, loin d’être une pure question de forme, est intimement liée à l’objet même qu’il s’agit de traiter comme le montre de manière très convaincante l’étude d’Éric Bordas sur quatre essais portant sur l’homosexualité publiés au cours du XXe siècle et dont les choix stylistiques sont autant révélateurs de la posture de l’auteur que d’une représentation de l’homosexualité dans un contexte donné.
De l’essai comme espace d’exploration et d’inventivité
5Au terme de ce premier parcours de l’ouvrage, il nous semble que la richesse des contributions proposées, dans la mesure notamment où elles multiplient les axes d’approche, qu’ils soient temporels, culturels, ou thématiques, nous invite maintenant à les croiser, seul moyen peut-être de tenter de saisir, non ce qu’est un essai, mais ce à quoi il tend, ce qu’il permet à chaque auteur de dire, à chaque lecteur d’interroger et/ou de trouver. En quoi, en somme, il remplit son rôle de quatrième genre. Tel est le second parcours dans ce recueil que nous aimerions vous proposer ici.
6Nous partirons, sans grande surprise sans doute, de la dimension duale de l’essai telle que nous l’avons soulignée plus haut. Celle-ci se retrouve à plusieurs niveaux : outre la tension propre au genre générée notamment par la rencontre de l’intime — celui du « je » de l’essayiste — et du collectif — celui du sujet à la fois culturel et actuel de l’ouvrage comme le rappelle Antonia Zagamé dans son article consacré à la naissance de l’essai critique sur les romans au siècle des Lumières, évoquons également la tension — quasi-originelle — entre une volonté d’action — là encore dans le temps présent — et de contemplation – par une prise de recul permise, précisément, par l’écriture ; tel est le nœud qui rapproche et distingue tout à la fois les Essais de Montaigne de ceux de Bacon d’après David Sedley. Pierre Glaudes, quant à lui, nous rappelle les nécessaires variations auxquelles est soumis ce type de texte, tant elles sont constitutives de ce genre par définition protéiforme qui « ne cesse de se réinventer en une configuration nouvelle au gré de ses métamorphoses, et […] n’existe qu’à travers ses tensions : entre récit et commentaire, fiction et réalité, parole singulière et discours social, expérience personnelle et idées générales, intérêt pour le circonstanciel et permanence du sens moral, etc. » (p. 257).
7Toujours en mouvement, jamais clos sur lui-même, par essence incomplet : tel est de fait le second trait que les différentes contributions de ce recueil confirment et donnent à voir. Or cette dimension labile de l’essai est profondément liée à son inscription dans le temps présent de l’écriture et de l’écrivain. L’essai parle de quelque chose : transitif, il a une vocation cognitive et aléthique. Mais cette quête de sens ne va pas sans subjectivité : non seulement la démarche ainsi initiée est « structurellement réflexive », comme le note Patrick Née, mais elle peut s’accompagner d’une vision plus ou moins militante, notamment sur le plan esthétique, comme le souligne le même auteur, cette fois dans son étude sur Yves Bonnefoy. Quant à Marie-Annick Gervais‑Zaninger, qui s’intéresse à la quête de soi telle que l’a menée cet autre grand poète qu’est Henri Michaux, elle souligne combien « à la pluralité des systèmes d’explication convoqués avec une distance variable correspond le caractère problématique de ces écrits, qui imposent au lecteur de modifier sans cesse sa position, entre résistance et adhésion. » (p. 318)
8De ce mouvement perpétuel, de cette incessante métamorphose, de ce remaniement inéluctable découle un troisième trait définitoire de l’essai : la liberté, comprise bien souvent d’ailleurs comme transgression. De ce point de vue, les contributions réunies dans la première partie du recueil offre d’intéressants éléments de réflexion. En s’interrogeant sur la réception et la production de l’essai en Allemagne, Matthias Zach note que ce dernier est perçu comme un phénomène transnational et par-là même suspect. La liberté intellectuelle qu’il permet étant à la fois d’ordre méthodologique et politique, il se voit attribuer un potentiel critique et transgressif qui fascine autant qu’il inquiète. De même se fait-il en Russie le support d’une pensée non-conformiste, d’un refus du système, refus qui passe notamment par l’inscription dans le texte de l’essai d’une part de subjectivité, voire d’irrationalité, d’après les analyses d’Elina Absalyamova. Sans doute s’agit-il de cette « marche libre et non contrainte » qu’évoque également A. Zagamé, ou encore de cette « posture d’irresponsabilité » que reconnaît Marie Parmentier dans les critiques de Stendhal. La dimension politique du genre s’affirme donc clairement : dès lors que s’énonce dans l’essai une part de liberté — même si elle n’appartient qu’à l’auteur — c’est une possibilité de rupture, d’arrachement au modèle, quel qu’il soit, qui se formule ; Éric Bordas ne dit pas autre chose quand il écrit à propos de l’essai de Marc Oraison intitulé La Question homosexuelle que « une certaine dose de violence intellectuelle lui semble nécessaire pour prendre sa place dans le raisonnement public — et c’est en cela qu’il y a, ici, une forme de politique du style » (p. 289).
9Cette quête de liberté s’accompagne le plus souvent d’une recherche de la nouveauté, d’une expérience à vivre comme le prouvent les essais qu’Henri Michaux consacre aux explorations de sa propre psyché. Ses œuvres, constate M.‑A. Gervais Zaninger, participent bien de ce « désir de frayer de nouvelles voies [qui] est explicitement formulé à de nombreuses reprises ; désir récurrent chez l’essayiste, rappelle-t-elle, — on le sait avec Jean Starobinski — qui vise un “renouvellement des perspectives, ou du moins de l’énoncé des principes fondamentaux à partir desquels une pensée neuve sera possible” » (p. 303)2. Il s’agit, pour Pierre Glaudes, dans la chronique comme dans l’essai, de « [tirer] toujours leur substance des événements présents, passés ou futurs se trouvant dans l’actualité, qui leur offre la possibilité de rompre avec les automatismes de la pensée, pour interroger d’un œil nouveau, dans un langage lui-même rénové, « sans science et sans art » dirait Montaigne [Essais, III, 2], les représentations collectives et les mentalités » (p. 248). Pour nous en convaincre définitivement, revenons, à la suite d’É. Bordas, à l’étymologie du mot même : pour lui, les quatre textes sur l’homosexualité qui font l’objet de son analyse partagent ce trait qu’ils « essayent au sens le plus actif du verbe, réunion de agere et exigere, de pousser devant eux, dans le monde extratextuel de la société française et de leur temps, des idées intempestives, originales » (p. 277).
10Un tel désir de liberté, d’affranchissement, de nouveauté se traduit également dans l’essai par un autre de ses traits caractéristiques : l’inachèvement. Plusieurs contributions explorent le rapport à l’espace — celui du texte comme celui du réel — qui s’élabore dans l’écriture de l’essai. Par définition, par opposition précisément aux genres traditionnels de la littérature, ce dernier est toujours infini, jamais clos, à la manière des Essais de Montaigne qui ne cesse de s’enrichir des fameux allongeails. Le modèle de l’escalier à double hélice que D. Sedley place au centre de l’écriture des essais de Bacon est à cet égard riche de signification, fonctionnant comme une métaphore même du genre qui tourne autour d’un point fixe – le sujet qu’il tente de cerner — sans jamais achever sa quête. Ce mouvement infini n’est pas sans lien avec le refus de toute assertivité qui caractère également l’essai d’après F. Lesourd dans son étude du Prolongement du point d’Andreï Baldine, ou même sa tendance à la narrativité soulignée par P. Glaudes. Ainsi pour M.‑A. Gervais-Zaninger, l’essai se nourrit d’une « [méfiance] envers toute prétention à la maîtrise, envers toute forme de clôture ou d’achèvement » (p. 295) ; l’enjeu est bien d’écrire sur ce qui échappe. Telle serait l’explication de la souplesse fondamentale de l’essai. En contrepoint de cette lecture, notons l’analyse que P. Loubier fait du rapport de Catulle Mendès sur la littérature de son temps : l’auteur semble en effet s’y efforcer de cartographier la production poétique du XIXe siècle, de baliser, de classer. Cela nous paraît confirmer que la tentative de cerner un sujet dans le cadre de l’essai ne va pas sans un rapport tendu, voire paradoxal, à l’espace, et par-là même fécond.
11La fécondité : autre trait caractéristique de ce quatrième genre décidément riche et complexe. Sinon la fécondité, du moins la « germination » : le terme est employé par Ariane Eisen pour décrire le travail de reprise et de transformation d’Ismaïl Kadaré dans son texte Eschyle ou le grand perdant, paru en 1995, et qui succède à une première version de 1988, intitulée Eschyle ou l’éternel perdant. De même P. Née reprend-il le terme dans sa conclusion de l’ouvrage, en se plaçant sous l’autorité de Victor Segalen qui dit préférer les idées de génie qui parsèment un essai et sont autant de « germes précieux » qui seraient étouffés dans un traité ; et le directeur de publication d’en conclure : « “Idées de génie” comme autant de “germes” : sans doute tient-on là la formule la plus condensée du principe idéal de l’essai » (p. 324). Ce dernier en effet, nous l’avons déjà suggéré, est toujours susceptible de s’enrichir, d’être repris et amplifié, de se développer en de nouvelles branches. S’y développe une pensée par métaphores, les images appelant les images, en un déploiement qui peut, là encore, s’étendre à l’infini. Le renoncement à toute certitude, la « suspension du jugement » évoquée par A. Zagamé et que l’essai, contrairement au traité par exemple, autorise, nous semble relever du même processus : il s’agit de proposer de nouvelles hypothèses ; il s’agit, au fond, et c’est là le dernier point sur lequel nous insisterons, de tenter de voir le monde autrement, de porter un regard différent sur ce dernier. C’est ainsi que le définit F. Lesourd. P. Glaudes, quant à lui, insiste sur la fonction d’éveil que peut exercer l’essai, par la recherche de l’inédit, de l’étonnement, de la variété.
12Nous ne saurions clore ce compte-rendu, toutefois, sans souligner les limites de l’exercice auquel nous venons de nous livrer : la richesse des contributions présentées ici n’a pu qu’être effleurée, de même que la complexité des liens qui se tissent de l’une à l’autre, dont nous n’avons pu que tirer quelques fils. À cette réserve s’en ajoute cependant une autre : celle d’être inévitablement tombée dans l’écueil contre lequel I. Langlet, dans son article introductif sur les paradoxes d’une théorie de l’essai, s’efforce précisément de nous prévenir. En tentant en effet à notre tour de dégager des différentes analyses d’œuvres et d’auteur proposées dans ce recueil, quelques traits communs et caractéristiques de l’essai comme genre, nous contribuons à nourrir l’« hypothèse épistémologique » d’un « esprit » de l’essai qu’il s’agirait de définir, aux dépens de la singularité même de chaque démarche essayistique. Car au cœur de cette dernière, c’est l’écriture qui demeure centrale : quand y a-t-il essai ? Quand l’écriture du texte est-elle reçue par le lecteur comme cet « essai » de dire quelque chose de soi et du monde ? La réflexion sur l’essai comme genre nous semble ainsi appeler une réflexion sur sa réception dans le champ littéraire, et plus généralement, culturel.