Acta fabula
ISSN 2115-8037

2018
Novembre 2018 (volume 19, numéro 10)
titre article
Maxime Cartron

“Mais l’Abeille ne veut qu’un peu de belles fleurs” : éditer Auvray

Jean Auvray, Œuvres poétiques complètes, éd. Sandra Cureau, Paris : Hermann, coll. « Bibliothèque des Littératures classiques », 2018, 1056 p., EAN 9782705695156.

Des anthologies aux œuvres complètes

1Ce fort volume, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université Paris‑Sorbonne, vient combler un manque, puisqu’il procure enfin une édition critique des œuvres poétiques complètes1 d’un auteur que l’on peut considérer à bon droit, en première instance, comme une reconquête des anthologies de poésie baroque : Jean Auvray. C’est d’ailleurs sur ces mots que s’ouvre la préface :

En 1961 paraissait l’Anthologie de la poésie baroque française de Jean Rousset, accompagnant un grand mouvement de redécouverte d’une production poétique encore très largement méconnue du grand public : en deux petits volumes parus chez Armand Colin, tout un chacun pouvait facilement accéder à un large éventail de pièces et d’auteurs inconnus. Parmi les poètes ainsi révélés, certains ont, depuis, fait l’objet d’études et d’éditions critiques ; d’autres sont restés dans l’ombre. Jean Auvray, dont on situe la naissance vers 1580, figure parmi ces « inconnus » (p. 7).

2Et l’éditrice cite en note, en suivant l’ordre alphabétique, plusieurs poètes ayant connu depuis une édition intégrale, comme Chassignet, Colletet, Durand, Hopil, La Ceppède ou encore Motin. La valeur incitative de l’anthologie de J. Rousset aurait ainsi conduit non seulement à ces entreprises visant à réunir les œuvres complètes d’auteurs méconnus, mais aussi, le fait est notable, à la canonisation toute paradoxale d’Auvray :

Très bien représenté dans la plupart des anthologies parues depuis, au point de servir parfois d’exemple dans les manuels scolaires d’aujourd’hui pour illustrer l’esthétique et le style « baroques », son nom est désormais familier. Jugé “mineur” il n’y a pas si longtemps encore, il semble être ainsi devenu en l’espace de quelques décennies une sorte de “classique” paradoxal : “classique”, car il est lu, cité et commenté en classe ; paradoxal, dans la mesure où personne ne paraît savoir précisément quel auteur ni quel homme il fut, ni même ce qu’il a effectivement écrit ou publié (ibid).

3En somme, les anthologies de poésie baroque ont simultanément révélé et masqué la production d’Auvray, en n’en donnant « qu’un aperçu peut‑être trompeur, sous forme de morceaux de bravoure » (p. 46). Dès lors, S. Cureau se donne pour mission de restituer les spécificités et les diverses facettes d’un « auteur insaisissable » (p. 7) : le but de cette édition est de pousser à lire véritablement Auvray, et non plus exclusivement à travers le filtre baroque.

Histoire éditoriale, histoire par l’édition

4Ce qui frappe en premier lieu, c’est la complexité du dossier génétique instruit par S. Cureau :

Qui était donc véritablement Jean Auvray ? Une question qui paraît simple, mais qui se révèle être une question à tiroirs. Elle n’est pas simple car surgit aussitôt une difficulté, commune à toute recherche sur les poètes mineurs de son temps : le manque d’archives, de traces autres qu’imprimées. Le cas « Auvray » illustre la difficulté particulière que posent des œuvres dont l’attribution demeure incertaine et qui parurent pendant cette période charnière du début du dix‑septième siècle, une époque, certes riche du point de vue éditorial, mais d’une variété déconcertante (p. 8).

5En l’absence de sources autres que les imprimés, s’impose une histoire éditoriale, qui conduit à une histoire par l’édition, via ce qui s’apparente à une véritable enquête policière : « collecter ensemble, annoter et présenter l’ensemble de son œuvre poétique, exige de se replonger dans les incertitudes, d’écarter les mauvaises pistes, de corriger les erreurs de transcription, de tâcher en un mot de combler une lacune. C’est ce que s’efforce de réaliser la présente édition » (ibid).

6En premier lieu, il s’agissait de distinguer trois Jean Auvray, actifs en ce début de xviie siècle. La confusion fréquemment commise entre ces auteurs explique d’ailleurs pour partie, selon S. Cureau, la méconnaissance à l’endroit de celui des trois qui l’occupe. Une fois cette distinction établie, il devient possible d’entrevoir une identité d’auteur, dont l’un des traits caractéristiques est la quasi absence de participation aux recueils collectifs, hormis pour quelques pièces publiées dans « le troisième livre du Labyrinthe d’Amour ou suite des Muses folastres, Recherchée des plus beaux esprits de ce temps, paru à Rouen, chez Claude le Vilain en 1610 » (p. 23). En fait, si au début de sa carrière Auvray semble suivre ce canal de publication, hégémonique à l’époque, et dans bien des cas garant du succès, ou en tout cas d’une certaine reconnaissance, on s’aperçoit assez vite que « contrairement à de nombreux autres minores ou même des auteurs plus connus de la période, Jean Auvray n’a que peu contribué à des recueils collectifs. La plupart des textes que nous lui connaissons ont paru sous son nom » (p. 45). Ce fait n’est pas anodin, surtout si on le met en relation avec une autre particularité, celle de poèmes « rarement figés dans un “état” par l’impression », qui « sont le fruit d’une composition en permanente évolution, d’une manière d’écrire et de réécrire, en ce temps où l’imprimé n’a pas encore réellement remplacé le manuscrit, mais l’a, pour ainsi dire, “accompagné” » (p. 48). En somme, très tôt Auvray se désintéresserait du succès au sens commercial du terme, puisqu’il n’aurait « fait imprimer ses poèmes » que « pour en faciliter la divulgation, lorsqu’il n’était pas en mesure d’en réaliser autant de copies manuscrites que nécessaires. Les aspects symboliques attachés à notre représentation du livre imprimé, qui par son achèvement permettrait d’accéder à la consécration littéraire, paraissent n’avoir joué pour lui qu’un rôle secondaire » (p. 48).

7De ces observations, se dégage la figure d’un poète singulier, basé à Rouen, l’analyse des imprimés, publiés notamment chez David Ferrand, permettant d’établir son profil, et même son ethos d’auteur :

D’autres occupations, extra‑littéraires, excuseraient […] le laisser‑aller certain qui caractérise l’agencement désordonné de ses recueils, les nombreuses coquilles d’impression qui apparaissent au fil des textes… Tout semble indiquer qu’il n’avait effectivement porté que peu d’attention aux épreuves de son livre. Cette attitude, un mélange de désinvolture et de distinction, nous paraît faire de cet obscur poète rouennais, maître chirurgien de son état, un curieux spécimen d’amateur éclairé. Et sa collaboration avec David Ferrand, imprimeur connu mais peu soigneux, concourt à placer son œuvre sous le signe d’une désinvolture délibérément assumée (p. 42).

8À partir de là, il devient envisageable de réfléchir plus avant à la destinée et à la carrière d’Auvray, l’un des grands mérites de la préface de S. Cureau étant de nous faire entrer dans la fabrique de son édition, en balisant le parcours et les avancées critiques, via une forme de relecture du chemin de recherche parcouru.

Trajectoires d’un poète : situer Auvray

9Le premier élément d’importance offrant la possibilité de situer rigoureusement Auvray est sa participation aux concours du Puy de la Conception de la Vierge : au milieu des incertitudes, « une chose paraît cependant bien établie, et c’est son œuvre qui l’indique : c’est d’abord un poète du Puy » (p. 11). Ce « lieu privilégié de l’expression d’une identité communautaire ancienne, que fédérait la survivance du culte rendu à la Sainte Vierge, avec ses rituels et son protocole inscrit dans les statuts de la confrérie » est en effet aussi « le lieu où sont distingués les talents poétiques individuels » (p. 18). L’intérêt de ce concours, qu’Auvray remporta, est de conférer au vainqueur un titre de « noblesse culturelle » fondé sur une « sociabilité distinctive », comme le montre S. Cureau, empruntant ces deux expressions à Isabelle Lucciani2 (p. 18). En partant de cet ancrage dans la vie culturelle rouennaise, S. Cureau propose une interprétation des raisons poussant Jean Auvray, maître chirurgien de son état, à entrer en poésie : « l’écriture constitue plutôt pour lui […] un “loisir” et une source de distinction » (p. 42).

10S’efforçant de rassembler la production diversifiée d’Auvray en une unité, S. Cureau en vient par ailleurs à faire du Puy la matrice de l’œuvre et l’explication du statut singulier de ce poète : « un “amateur” certes, mais étranger aux milieux mondains, un poète composant des louanges à la Vierge aussi bien que des folâtreries, et qui incarne donc en quelque sorte l’esprit même de la “Fête aux Normands”, ce Puy, qui s’offrait “à tous venants” » (p. 25). L’histoire d’Auvray est bien celle d’un « auteur au profil sociologique assez atypique. Issu d’un milieu social qui a produit peu d’écrivains, apparemment roturier, sans relations dans le monde des lettres, il est engagé dans un parcours assez représentatif des possibilités offertes aux jeunes Normands désireux d’une carrière littéraire » (p. 24).

11Mais Auvray ne se cantonne pas à la poésie palinodique, et se sert de l’écriture pour s’engager inconditionnellement dans la polémique religieuse :

S’il demeure farouchement catholique, anti‑protestant, favorable aux Jésuites, il aspire dans le même temps à une concorde nationale perdue. Il se révèle fidèle au roi (ou au dépositaire de l’autorité royale), hostile à toutes les dissensions politiques, à toutes les dissidences. Il représente […] une frange singulière du parti dévot, restée loyale, fidèle au roi par principe, mais anti‑protestante à l’extrême. Il appelle de ses vœux la paix et le rassemblement qu’incarne pour lui la (déjà) mythique figure d’Henri de Bourbon devenu Henri IV, tout en vouant aux gémonies les représentants de l’hérésie protestante. Et tous ses poèmes politiques empruntent cette voie (p. 37).

12Se pose alors la question de la cohérence de l’œuvre. En effet, si « ses démarches confirment […] son appartenance indéfectible à la frange la plus militante du parti catholique et interdisent de considérer qu’il put être tenté par le libertinage ou la libre‑pensée, comme certains auteurs ont pu le conjecturer, sur la foi de quelque épigramme un peu libre qu’il aurait composée » (p. 33‑34), que faire de ses poèmes satyriques, souvent d’une extrême violence ? Comment comprendre cette disjonction apparente entre une « poétique catholique de l’essai » (p. 50) et un ethos évoquant souvent de manière très crue le corps et la sexualité ? Que penser en somme de cette opposition apparente du Banquet des Muses (1623), de la virulence de son inspiration, à la poétique dévotionnelle de la Pourmenade de l’âme dévote en Calvaire, pourtant parue un an avant, en 1622 ? En d’autres termes, Jean Auvray aurait‑il mené de front plusieurs combats ou bien, comme dans le cas de Motin, qui présente de ce point de vue des similitudes avec l’écrivain rouennais, y aurait‑il coexistence, dans sa production, entre différents scenarii auctoriaux ?

Lire Auvray : propositions herméneutiques

13S. Cureau propose une lecture d’ensemble expliquant cette dichotomie. En premier lieu, Auvray développe une poétique de la fureur : ce n’est pas un hasard si « Pesle‑mesle selon que la fureur me poingt » est l’épigraphe choisie par l’éditrice, qui place l’ensemble de l’œuvre sous le signe de la colère. Par‑delà les différentes inspirations d’Auvray, on discerne en effet une persona d’auteur « dont le style parfois rugueux et violent exprime plus souvent un caractère entier, teinté d’une belliqueuse intolérance, qu’une nature bienveillante et conciliante » (p. 38). Quel que soit le genre investi, la poésie d’Auvray est toujours violente, que l’on pense par exemple aux descriptions de la Passion du Christ, qui relèvent clairement du théâtre de la cruauté.

14Par conséquent, on comprend qu’il n’y a pas contradiction entre cette unité de ton régissant l’écriture et la polygraphie d’Auvray, véritable principe pour lui, qui passe « avec aisance d’un genre à l’autre, de l’attitude contemplative imposée par le douloureux spectacle de la Passion, qui se rejoue sans cesse dans ses œuvres, à l’engagement le plus ardent contre les séditions protestantes » (p. 43). Il convient donc de ne pas projeter de représentations anachroniques sur un auteur complexe : il est logique que ses œuvres soient « d’une grande variété, à l’image de la production poétique de l’époque », qu’elles « couvrent la plupart des genres poétiques alors en vogue : pièces satyriques, épigrammes licencieuses, souvent violemment misogynes, odes et sonnets amoureux ou antérotiques, sonnets sur la Passion, poèmes de pénitence et de dévotion » (p. 48), puisque ce qui intéresse Auvray, ce n’est pas tant la création d’une œuvre homogène que l’expérience de « l’essai poétique » (p. 48), véritable « dynamique » qui confère toute son originalité à l’œuvre, dans la mesure où elle explique sa « tentation du retournement » et son « goût pour les formes mixtes et les croisements génériques » (p. 50). Ce principe consistant en la modification constante des textes et en l’expérimentation de nouveaux dispositifs d’écriture est fondamental, puisqu’il explique les nombreux remplois et récritures auxquels se livre Auvray, et qu’il va jusqu’à fournir le cadre éditorial.

Éditer

15En effet, c’est uniquement selon ces principes d’appréhension de l’œuvre que la présente édition a pu voir le jour, ce qui démontre la cohérence du projet de S. Cureau, fondé sur une conception pleinement littéraire de l’écriture d’Auvray, appelée à se refléter dans l’organisation du volume. Pour « rendre compte du caractère mouvant et dynamique d’une poétique en perpétuel devenir », l’éditrice a décidé de « restituer tous les textes du sieur Auvray, sans opérer de choix ou de sélection, et dans l’ordre chronologique de leur parution » (p. 53). Si ce parti pris a l’avantage de mettre en avant la « dynamique génétique de ses essais » (p. 54), il n’est pas sans poser quelques difficultés : « en suivant cette règle, nous renonçons de fait à présenter les pièces dans l’ordre de leur composition, certaines pièces de jeunesse n’ayant été publiées que fort tardivement » (ibid). Il est donc possible « d’entrevoir les processus de réécriture, d’amendements, de repentirs ou d’amplification » (p. 55), mais ce serait au prix de « doublons ». A notre avis, cette décision fait pleinement sens, et répond parfaitement à l’objectif initial de l’édition : saisir un auteur insaisissable. D’autre part, peut‑on vraiment considérer qu’il y a doublon quand un texte change de forme et de place, puisque le contexte d’énonciation et le cotexte en modifient le sens ? N’est‑ce pas là l’un des plus grands intérêts d’Auvray que celui de cette véritable stratification poétique ? S. Cureau évoque l’hypothèse d’une édition numérique, qui permettrait de mieux rendre compte du « caractère évolutif, presque vivant, d’une écriture non figée par l’encre et le plomb », qui « disparaît sitôt qu’on essaie de l’enfermer dans les deux dimensions de la page A4 » (n. 98, p. 55). Et en effet, peut‑être que « les liens hypertextes en lieu et place des renvois, les affichages simultanés des différentes versions d’un même texte » (ibid) seraient plus appropriés, en ce qu’ils se feraient plus efficacement le miroir de l’écriture kaléidoscopique d’Auvray.

16Reste qu’en l’état, l’outil mis à disposition des lecteurs est impeccable. La bibliographie, riche et documentée, permet de suivre à la trace Auvray à partir de la collation complète des imprimés, puis des entrées suivantes, qui brossent un portrait très complet de l’auteur et le resituent avec profit dans son temps :

Héritages / Contexte historique, culturel et politique / Le livre et l’édition au début du xviisiècle (en particulier à Rouen) / Aspects de la littérature du début du xviie siècle / Écrire en vers au début du xviie siècle / La poésie d’inspiration chrétienne fin xvie‑début xviie siècles / La satire / La tragi‑comédie aux xvie et xviie  siècles / Sur Jean Auvray

17Une remarque cependant : pourquoi ne pas consacrer une entrée à part entière aux anthologies, qui apparaissent dans l’une ou l’autre section, et dont le rôle dans la redécouverte d’Auvray a été capital, comme le relève l’éditrice ?

18Les notes de commentaire, placées à la fin de l’ouvrage, sont érudites, précises, jamais interventionnistes. Elles placent Auvray aux confluents d’une véritable histoire culturelle : mythologie, religion, médecine et politique, en particulier, sont convoquées, à travers des références aux textes‑sources, qu’ils soient bibliques ou d’Apulée, tandis que Kantorowicz voisine avec Du Laurens. Tous ces éléments essentiels à la compréhension de l’œuvre concourent surtout à former l’image d’une poète probablement autodidacte mais fort de solides références culturelles.

19Dans la même veine, l’index, d’une rare précision, va jusqu’à donner la qualité de chacun des personnages nommés, telle cette « Alix » (p. 1027), « prostituée » intervenant à trois reprises dans le volume, ou encore cet « auteur d’ouvrages de médecin » du nom d’« Acron » (ibid.). Le confort de lecture n’en est que renforcé, et ce n’est pas sans admiration que l’on songe aux efforts considérables consentis pour présenter au lecteur un volume aussi accessible.

20Le glossaire, quant à lui, offre la possibilité de comprendre non seulement des lexies inconnues du lecteur (« Poulain », c’est‑à‑dire « chancre, maladie honteuse » par exemple), mais aussi et surtout des termes fondamentaux, comme « image », d’abord défini à partir de Furetière, puis caractérisé chez Auvray, qui l’emploie « le plus souvent comme synonyme de “symbole” ou d’“emblème” » (p. 1013). S. Cureau ouvre ainsi la voie à d’autres études sur l’esthétique d’Auvray, pour ce qui touche aux questions de perception et de représentation notamment.

21En définitive, cette édition critique constitue à la fois une somme et un point de départ, une matrice sur laquelle les chercheurs pourront désormais compter et de laquelle il faudra partir au moment d’envisager d’autres travaux, quels qu’ils soient, sur Auvray. L’éditrice, dans sa modestie, invite d’ailleurs à la poursuite des recherches afin d’améliorer l’état d’un texte victime de la double négligence de l’auteur et de l’imprimeur‑libraire : « si les coquilles les plus frappantes ont pu être corrigées, il s’en trouve d’autres, encore nombreuses, qui n’ont pu l’être, en dépit de nos efforts. La compréhension du texte s’en trouve malheureusement altérée et nous ne pouvons, en ces endroits problématiques, que reconnaître nos limites, qu’un commentateur avisé ou qu’un éditeur érudit sera peut‑être à même de dépasser » (p. 57). Mais cette modestie n’empêche pas — tout au contraire — S. Cureau de réparer des erreurs factuelles, en n’hésitant pas à contredire ses prédécesseurs : « nous ne savons pas d’où Paul Lacroix, puis Enea Balmas tiennent qu’une “bonne partie des poésies d’Auvray, que nous retrouverons plus tard dans Le Banquet des Muses, avaient été accueillies, dès 1607, dans un recueil collectif, Le Parnasse des plus excellents poètes de ce temps (Paris, Guillemot éd.)” […] Mais l’exemplaire du Parnasse… que nous avons consulté (ex. Bibl. Ars. Cote 8o BL 9912 (1‑2)) n’en contient aucune » (n. 37, p. 23‑24). Pour autant, sa probité lui interdit de prétendre apporter une résolution à tous les problèmes, c’est pourquoi elle signale systématiquement les zones d’ombres persistantes : « nos recherches ne nous ont malheureusement pas permis de localiser d’exemplaire de cette première édition de L’Innocence descouverte. Son existence ne nous est connue que par le témoignage des bibliographes qui l’ont décrite avec précision, comme Goujet, auquel nous empruntons ce commentaire » (n. 33, p. 22). Le dossier est donc loin d’être clos. Malgré tout, si « la mort de Jean Auvray est et restera sans doute, comme sa vie toute entière, une énigme » (p. 45), cette édition soulève avec bonheur une bonne partie du mystère épais qui l’enveloppait.