Discours & pouvoir littéraires des figures féminines historiques
1L’ouvrage collectif s’attachant à l’étude des Figures féminines de l’histoire occidentale dans la littérature française, dirigé par Mercè Boixareu et coédité par Esther Juan-Oliva et Angela M. Romera Pintor, s’inscrit dans le prolongement des réflexions développées ces dernières années par, entre autres, Nicole Pellegrin1, Martine Reid2, Georges Duby et Michelle Perrot3. Michelle Perrot signe d’ailleurs la préface de l’ouvrage, rappelant que le fil conducteur de cette riche étude amène à envisager les représentations historiques des grandes figures féminines hors « de la frontière souvent ténue entre le roman et l’histoire » (p. 10), en interrogeant leurs statuts, qu’elles y soient cantonnées à des rôles secondaires ou qu’au contraire elles y soient vectrices d’une émancipation féministe. La présentation faite par M. Boixareu prend soin de situer avec précision les visées de l’ouvrage : en s’inscrivant dans « une Histoire générale des représentations des femmes » (p. 16), cette réflexion entend réunir des études portant sur des femmes renvoyant non seulement à des référents réels, mais aussi à une construction poétique (p. 15). L’ouvrage rassemble trente-et-un chapitres qui, après des « Repères historiques », sont regroupés en deux parties : « Genres, auteurs » et « Femmes de pouvoir, combattantes, intellectuelles et artistes ».
Va-et-vient entre histoire & littérature
2Dès l’introduction de Daniel-Henri Pageaux, la spécificité de l’ouvrage se déploie : poser la question des figures féminines historiques revient à interroger ce qu’on entend par histoire et à accepter de restituer leur place aux grandes absentes : les femmes. Or, dès qu’on se penche sur les représentations des femmes, c’est finalement une « histoire “parallèle” » qui se dessine, celle qui est passée par un processus de littérarisation et qui a vu émerger quelques noms issus « du processus civilisationnel » (p. 26).
3Le point fort de cette réflexion collective est indubitablement de mettre en lumière les constructions genrées qui ont présidé à l’appropriation de figures féminines historiques par la littérature au cours des siècles. En prenant soin de resituer systématiquement le propos tant dans les sciences historiques que dans l’histoire littéraire, l’ouvrage présente une intéressante mise en relation entre les personnages féminins qui ont marqué l’histoire, les réappropriations artistiques qui en ont été faites, ainsi que les genres et les mouvements littéraires dans lesquels ces femmes célèbres sont (ré)apparues. Sont ainsi interrogés des genres littéraires parfois délaissés par la critique : le roman populaire et le roman historique côtoient la canso occitane et le théâtre dramatique. Cette dimension est particulièrement riche, car elle amène à appréhender de manière claire la construction sociale des sexes et les rapports de pouvoir tels qu’ils se sont développés non seulement dans l’espace social mais aussi en littérature.
4Sortir les femmes de l’ombre dans laquelle les sociétés patriarcales les ont maintenues revient donc aussi à les envisager certes en tant qu’objets de la littérature, mais aussi en tant que sujets écrivants. À l’instar de Christine de Pisan, de George Sand ou encore de Mme de Staël, les écrivaines se sont attachées à être actrices à part entière d’une histoire qui les passait pourtant sous silence ; elles ont, par leurs écrits, contribué à bousculer les constructions sociales des sexes et à renouveler les pensées quant à la place des femmes dans la vie quotidienne et dans la littérature. C’est cette même réflexion sociale qui a amené la littérature à explorer et à réinterroger les figures de « femmes puissantes4 », à l’image des trois Marguerite5, de Jeanne d’Arc et de Charlotte Corday. L’accession des femmes aux rôles-clefs fascine les auteur.e.s : sont-elles des monstres mus par la cupidité et la soif de pouvoir ? des femmes fatales ? ou, au contraire, des êtres se sacrifiant sur l’autel d’une cause ?
Parcours diachroniques : les figures féminines dans les siècles
5Dans « La Figure féminine entre dimension légendaire et représentation littéraire », Daniel-Henri Pageaux prolonge la présentation de l’ouvrage en posant la question des personnages féminins et de leur passage par la littérature. Soulignant le double écueil de leur reprise stéréotypique et de leur réécriture à tonalité comique, il soulève plusieurs enjeux inhérents à l’investissement de ses femmes par la littérature avec, en premier lieu, la fictionnalisation qui accompagne ces femmes à dimension exemplaire. À celle-ci s’ajoutent d’une part l’individuation des personnages féminins hyperbolisés pour les faire entrer en adéquation avec l’image léguée par l’histoire, et d’autre part la représentation qui met en tension le stéréotype et le personnage réel. Enfin, D.‑H. Pageaux souligne l’obstacle que constitue la mise en récit de ces personnages face à une documentation qui nécessite de s’attacher non seulement aux personnages, mais aussi à la langue et aux contextes. Notons que cette étude pourrait aisément être élargie à d’autres aires géolingustiques qui amèneraient, dans la visée développée par Christine Planté, à « penser les contrastes et les passages d’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre, et par là-même de mieux éclairer les singularités de chacun6 ».
6Les deux parties suivantes, qui composent les trois quarts de l’ouvrage, proposent deux parcours diachroniques envisageant la circulation des figures féminines depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Peut-être aurait-il été plus efficace de s’en tenir à un parcours unique afin d’éviter des répétitions qui gênent parfois le développement de cette mise en perspective historique. De plus, le choix de proposer des contributions assez courtes (de dix à quinze pages en moyenne) laisse parfois le lecteur un peu sur sa faim, d’autant que ce sont fréquemment les mêmes figures qui sont évoquées. Cette double redondance interroge, car dans la visée panoramique revendiquée par les auteur.e.s du volume, saisir l’apparition et l’évolution de ces figures littéraires de manière plus systématique aurait sans doute été préférable.
7La partie « Repères historiques » conduit le lecteur, en quatre contributions, du Moyen Âge au xxe siècle. Cristina Segura Graiño rappelle qu’il serait profondément erroné d’envisager les femmes au Moyen Âge comme une seule réalité sociohistorique et littéraire. Si elles sont certes moins nombreuses que les hommes à avoir fait et marqué l’Histoire, de nombreuses figures se sont maintenues jusqu’à nos jours, à l’instar de Baudonivie, Dhuoda, Marie de France, Héloïse, Marguerite Porete et Christine de Pisan ; personnages dont elle s’attache à retracer le parcours de femmes de lettres. Dans « Regards sur les femmes de l’Ancien Régime (xvie-xviiie siècles) : femmes influentes, femmes de pouvoir », María Victoria López-Cordón Cortezo nuance la place des femmes tant au niveau social que littéraire. Si les femmes ont, dans la pratique, vu leur importance croître au sein des cellules familiales, que ce soit dans les classes les plus pauvres ou dans les familles régnantes, elles n’en sont pas moins demeurées un enjeu idéologique. Cette période marque malgré tout pour les femmes une émancipation, notamment économique et éducative, dont nombre d’entre elles ont pu bénéficier.
8Puis, avec « ce long xixe (1789-1914) : revendications sociales des féministes » d’Ana Clara Guerrero, l’ouvrage aborde la question des réformes républicaines et leurs répercussions au niveau du droit. Les femmes ont certes pris une part active à la Révolution française de 1789, mais cela ne les empêche pas de perdre en partie les acquis révolutionnaires : l’idéal d’une société égalitaire reculant face à l’accès à la citoyenneté, comme le montre le peu d’écho qu’eurent Hubertine Auclert, Léon Richer ou encore Maria Deraismes dans les débats républicains. De même l’éducation et le travail des femmes restent soumis à un paradoxe fondamental car, si la voie vers l’émancipation est ouverte, la société du xixe siècle cantonne toujours les femmes à la sphère privée. Pila Díaz Sánchez nous amène vers « le xxe, un siècle de guerres et la consolidation de la femme moderne ». Marquée par des avancées fortes quant à l’obtention de leurs droits – en Occident tout du moins –, cette période souligne à quel point la place des femmes dans une société reste soumise au climat social. Avec le travail des femmes dû au départ des hommes pour le front durant la Grande Guerre, on assiste à une volonté de plus en plus marquée de conserver les emplois occupés par des femmes et de les faire accéder à une vie professionnelle. C’est aussi ce siècle qui voit apparaître la première génération de femmes universitaires. L’entre-deux-guerres se caractérise par une période d’optimisme où les femmes se font une place dans les avant-gardes artistiques et accèdent à une législation bien plus égalitaire (divorce, etc.). Avec la guerre froide, on assiste certes à une stagnation, mais la cause des femmes se rapproche des autres luttes sociales pour l’égalité. Finalement, bien que le xxe siècle s’achève en demi-teinte, il voit s’installer de nouveaux modèles qui soulignent encore « la brèche entre les pays développés et le tiers-monde » (p. 75).
9Cette partie offre au lectorat un parcours tout à fait balisé et clair quant à la place des femmes sur la scène publique, tant politique qu’artistique. Cependant, la rareté relative des femmes – bien que la valeur d’auteures telles qu’Olympe de Gouges, George Sand et Christine de Pisan ne puisse être statistiquement pensée – reste à explorer. En effet, la production éditoriale a été longtemps dominée par les hommes et les personnages étaient bien plus volontiers masculins ; ainsi, les figures féminines et les auteures ont, de haute lutte, conquis un droit à l’égalité sur des terrains dont elles étaient initialement exclues.
10La première partie « Genres, auteurs » – qui représente sans doute davantage une deuxième partie – questionne les « genres qui puisent dans l’Histoire la matière de leurs œuvres » (p. 17). Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point les figures féminines sont mises en scène dans leurs rapports avec l’exercice du pouvoir : cette thématique est ici développée sans être pourtant explicitement revendiquée comme axe de réflexion.
11Le chapitre « Les Dames chantées par les troubadours » de Meritxell Simó s’attache aux représentations de la dame dans la canso. La littérature médiévale occitane ne peint pas des portraits subjectifs et personnels des femmes, qui n’y ont guère d’identité et de présence corporelle, mais leur accorde plutôt une visibilité due à la prise en charge d’une « identité historique précise et [d’]un rôle actif dans la relation amoureuse » (p. 82). Isabel de Riquer développe une réflexion quant à la construction d’une galerie de portraits féminins dans le fameux Testament de Villon. De Flora à Écho en passant par Thaïs et la pucelle d’Orléans, toutes se trouvent ainsi placées dans une réelle proximité avec le lectorat contemporain qui devine, parmi elles, les représentations de la culture de l’époque. Dans « Muses et mythes du xvie siècle », Caridad Martínez interroge la place des femmes dans la littérature, qu’elles soient auteures ou objets de poésie. S’attachant aux « trois Marguerite » ainsi qu’à Diane de Poitiers, elle montre la visibilité et l’impact qu’elles ont eus sur le champ littéraire du temps en marquant l’esprit de leurs contemporains, à l’instar de Jodelle ou Ronsard. María Pilar Suárez analyse la construction de figures féminines exemplaires dans le théâtre du xvie siècle ; et plus spécialement celles de Blanche de Castille, de Cléopâtre, des Juives (personnage multiple), de Roxelane et de Marie-Stuart. Sans que l’ensemble des pièces puisse être rattaché aux mystères médiévaux, elles ont en commun de mettre en scène des reines aux prises avec le pouvoir, tantôt modèles d’abnégation, tantôt fatales séductrices ou victimes de leurs statuts.
12Le lectorat retrouve Cléopâtre et Sophonisbe aux côtés de Roxane, Bérénice, Zénobie et Agrippine, dans le chapitre « Héroïnes tragiques du xviie siècle : un paradoxe ? » de Tiphaine Karsenti qui en analyse les traits convergents. Destinées à se sacrifier, elles apparaissent plus fortes que les hommes (p. 139) et donnent à voir une grande réflexivité du théâtre qui, à leur image, apparaît éloquent et séduisant, transmettant message et passion à ses spectateurs. Christian Zonza montre comment l’intérêt pour la nouvelle historique du xviie siècle, notamment dans la seconde partie du siècle, tend à développer la place des femmes en tant qu’héroïnes exerçant le pouvoir. Les écrivaines tout comme les écrivains investissent ces figures littéraires, les construisant comme des femmes belles, fortes et suscitant l’admiration et l’amour des hommes. Posant également la question du travestissement, cette réflexion montre le brouillage générique qui amène à mêler histoire, roman et mémoire (p. 162) autour de ces grandes figures féminines. Irene Aguilá-Solana expose dans son chapitre « La Tragédie du xviiie siècle : du théâtre de la cruauté au patriotisme fatal » les points de convergence entre les figures féminines exerçant le pouvoir et celles y jouant un rôle secondaire. Dans cette période de revalorisation de la tragédie, les figures féminines accèdent au rang de mythes nationaux, participant ainsi à une réflexion tant sur le théâtre lui-même que sur l’exercice du pouvoir.
13Dans « Les Femmes de la Révolution », Béatrice Didier s’intéresse aux figures féminines tragiques qui, à l’instar de Charlotte Corday ou d’Olympe de Gouges, ont fait par la suite l’objet d’images contradictoires (p. 179), selon l’époque qui les a vues resurgir dans les arts. Àngels Santa, dans son chapitre « Le Roman au xixe siècle : les infidélités à l’histoire », montre en quoi l’évolution du genre romanesque apparaît intimement liée à l’histoire, qui est elle aussi une forme de (re)création. Ainsi, Hugo, Stendhal, Balzac, Dumas ou encore Lamartine se sont essayé au roman historique qui, puisant sa matière dans l’histoire, bâtit des fresques où les héroïnes de fiction se voient investies par un imaginaire genré. Odile Krakovitch s’attache aux « Femmes de pouvoir dans le théâtre romantique », à partir de l’analyse de pièces dans lesquelles les femmes ont un accès direct au pouvoir. Le drame romantique aura ainsi renforcé la naturalité des sexes, en mettant en scène des reines qui, en situation de pouvoir, « ne pouvaient qu’entraîner la mort et le malheur » (p. 212). Dans « Salammbô, l’illusion du mythe rêvé », Antonio Álvarez de la Rosa débute lui aussi sur l’agencement historique qui permet à l’écrivain de s’appuyer sur des faits réels pour bâtir une fiction. La mythique prêtresse, superbe et inaccessible, donna naissance à de nombreux avatars dans l’œuvre de Flaubert, que ce soit Mme Bovary ou Jeanne de Tourbey. Laurence Boudart, dans « Les Femmes et le discours scolaire français (1850-1950) », analyse non seulement le choix des personnages féminins présents dans les manuels, mais aussi les discours qui les y construisent, entre 1850 et 1950. On retrouve parmi elles Jeanne d’Arc, Mme de Staël ou encore Mlle de Scudéry, comme autant de figures ayant marqué leur temps. Néanmoins, les discours se font plus négatifs que pour leurs homologues masculins, renforçant ainsi la hiérarchisation hommes / femmes à l’œuvre dans la société.
14Carme Figuerola analyse quant à elle les liens entre « Femmes, guerre et Révolution : représentation de l’engagement éthique et esthétique au xxe siècle », qui ont amené à déplacer « les rôles sociaux affectés à chacun des genres » (p. 236). Les femmes de lettres, bien qu’elles diffèrent parfois dans leurs positions, se retrouvent dans leur volonté de contribuer activement à l’histoire. Dans une seconde contribution intitulée « Multiples visages de la féminité : le roman grand public (xxe-xxie siècles), Àngels Santa traite à son tour du roman historique, en cela qu’il emprunte sa matière à l’histoire sans toutefois faire toujours preuve d’une grande méticulosité quant à ses sources. Ce sont des personnalités mythiques qui prennent corps dans des œuvres, souvent sérielles, s’éloignant ainsi d’une certaine fidélité à l’histoire ; à l’image d’Héloïse ou d’Aliénor d’Aquitaine, qui apparaissent fréquemment sous un jour de femmes fatales. Ce sont aussi à des réécritures que s’intéresse Aurélie Adler dans « Une liberté à conquérir : féminin pluriel dans le roman contemporain ». Revisitant des figures célèbres ou découvrant des femmes oubliées, les œuvres des xxe et xxie siècles apparaissent marquées par les études de genre et mettent « à distance les injonctions normatives dominantes » (p. 276). Mais c’est surtout la fascination que ces femmes suscitent qui retient l’intérêt, tant ces figures se voient investies par les discours sur les femmes. Cette partie soulève une question qui avait déjà été posée par Christine Planté : la place des femmes en littérature est-elle annexe ou point de départ ?
15Ces réflexions diachroniques ne doivent pas occulter un double écart qu’il aurait sans doute été intéressant de soulever : celui de la présence des auteures dans la culture vécue alors qu’elles demeurent dans une forte invisibilité dans l’histoire littéraire, et celui de la vive inspiration des femmes de pouvoir bien qu’elles soient somme toute assez rares dans l’histoire.
Femmes & pouvoir : pour un rapport construit
16La partie suivante traite, souvent sous forme de portraits individuels, des « femmes de pouvoir, combattantes, intellectuelles et artistes ». Cela pose en soi question, car l’accession des femmes au pouvoir (à la renommée artistique ou au pouvoir royal), a déjà fait l’objet de maintes contributions précédentes. En effet, les figures féminines historiques ayant alimenté la littérature sont majoritairement des femmes dont les parcours les ont amenées à sortir de la condition féminine – de fait construite comme subalterne.
17Antonio Dóminguez Leiva ouvre cette réflexion avec « La “messalinité” décadente dans le roman antique de la fin-de-siècle ». Si Messaline reste peu connue, elle n’en incarne pas moins la fusion « scandaleuse de l’impératrice et de la putain » (p. 282). C’est d’ailleurs le succès du peplum érotique qui offre une visibilité à Messaline dans l’imaginaire collectif, figure saturée jusqu’à l’exténuation. Mercè Boixareu analyse d’autres figures particulièrement marquées par les stéréotypes, celles d’« Inès de Castro et ses rivales : Constance de Castille et Blanche de Navarre ». Déchirées entre piété filiale et amour de mère, entre contraintes politiques et choix personnels, elles incarnent des univers où la raison d’état a primé sur toute autre considération, faisant des femmes les éternelles victimes de mondes phallocentrés.
18María Pilar Suárez développe dans sa seconde contribution une réflexion portant sur Jeanne d’Arc. Émergeant à partir du xve siècle, cette figure est construite par ses contemporains, notamment Christine de Pisan, qui la font osciller entre figure messianique et personnage guerrier prenant corps dans la bataille d’Orléans. C’est au siècle suivant, sous la pression de la montée du nationalisme, que les réécritures de Jeanne tendent vers la tragédie, dans laquelle elle apparaît « étrangère aux intrigues » (p. 319). Julie Deramond poursuit la réflexion sur la Pucelle d’Orléans avec « Jeanne d’Arc, une héroïne littéraire du xviie au xixe siècle ». Inspirant les grands noms de la littérature française, que ce soit Voltaire, Dumas, Musset ou encore Péguy, elle se voit construite selon des critères politiques et idéologiques, tour à tour « amazone enthousiaste, bonne chrétienne, patriote convaincue ou héroïne du peuple » (p. 321). C’est toujours Jeanne qui intéresse Ángela Magdalena Romera Pintor, cette fois dans le théâtre du xxe siècle en France : l’intérêt pour cette figure historique se renforce aux xxe et xxie siècles, où le mythe de la Pucelle s’enrichit encore, investissant également le genre romanesque. Là aussi, l’écriture du personnage demeure polymorphe, se mettant tantôt au service du nationalisme, tantôt à celui de l’idéal républicain.
19María Soledad Arredondo traite de la « Réception et image de Marguerite de Navarre (1492-1549) : Mécène, écrivaine et figure ». Régulièrement évoquée par les études de genre, cette figure souligne l’idéalisation qu’a connue le personnage historique. En effet, elle en vient à échapper aux stéréotypes qui frappent généralement les femmes pour s’élever au rang de personnage engagé, tant pour son statut d’écrivaine que pour son rôle de femme de pouvoir. Éliane Viennot s’intéresse quant à elle à Marguerite de Valois, en la faisant dialoguer avec son double, la figure de la Reine Margot. Si la première fait d’abord l’objet d’un relatif silence avant d’être saisie par « la gloire… et la haine des femmes fortes » (p. 368) tout en devenant une figure digne d’être étudiée et enseignée, la Reine Margot demeure quant à elle dépréciée et malmenée par des écrivains hostiles ou peu scrupuleux. Nous retrouvons une pareille bipartition des figures féminines dans la réflexion de Christian Zonza (« Les Visages d’Élisabeth ière : “Les protestants en faisaient un ange, les catholiques un diable” »). Particulièrement ambiguë, la reine apparaît dans les tragédies et les fictions historiques à la fois comme figure de la passion amoureuse et comme « reine entachée par le crime » (p. 379). Elle irrigue ainsi les analyses de la psyché humaine dont le classicisme, notamment, a été friand, de même que les autofictions à la première personne du xixe siècle.
20Brigitte Leguen traite de « George Sand, personne et personnage », figure devenue un point de repère pour le monde littéraire et pour les questions liées à la condition féminine. C’est notamment son Histoire de ma vie qui éclairera le propos de l’écrivaine, bien que les réécritures – nombreuses – du personnage n’échappent pas aux stéréotypes qui accompagnent la personne. Dans son second chapitre, « Femmes-artistes de l’époque romantique », Béatrice Didier analyse la manière dont les femmes du romantisme échappent à l’image aliénante (p. 403) qui prétend les maintenir sous l’unique rôle de compagne de l’artiste. À l’instar de George Sand, de Constance Charpentier ou de Malibran, ces artistes échappent aux classifications genrées en accédant à la postérité qui, dès lors, les place hors d’atteinte des stéréotypes et des clichés. Enfin, André Bénit s’intéresse à « Charlotte de Belgique, impératrice et régente du Mexique (1864-1866) : un personnage romanesque » qui, après avoir cumulé les titres et les succès, connaîtra une chute brutale. Alimentant les imaginaires romanesques, son parcours interroge toujours – les artistes cherchant à saisir une femme en dissonance avec son temps (p. 422).
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21Voici un ouvrage qui trouve incontestablement sa place dans les réflexions portant sur la place des figures féminines dans l’histoire occidentale. Il vient apporter un éclairage nécessaire aux représentations littéraires des femmes de l’Histoire – domaine peu étudié jusqu’ici. L’index nominum proposé par l’ouvrage est un outil précieux pour « sortir les femmes “des silences de l’Histoire” et montrer leur rôle dans le devenir historique » (p. 13). Il aurait été toutefois judicieux de proposer une bibliographie générale qui aurait permis de situer l’ouvrage dans le panorama des études de genre et ainsi de placer la réflexion dans une perspective plus large. En tout cas le lectorat, averti comme profane, trouvera là une réflexion riche et intéressante sur la circulation des figures historiques féminines, qu’elles aient été reines, meurtrières ou auteures.