Mémoire(s) de l’indicible : quand littérature et cinéma brisent les silences de l’Histoire
Mémoire/mémoire(s) : entre grandeur & décadence
1Longtemps discréditée par les historiens, « rejet[ée] du côté d’une irrationalité confuse et disparate, […] une sorte de stade primaire, qui doit être dépassé dans l’ordre symbolique de l’écriture historiographique1 », la mémoire fait, depuis les années 19702, l’objet de recherches transdisciplinaires toujours plus nombreuses. En France, c’est notamment dans le sillage des travaux de Pierre Nora sur les lieux de mémoire3 que les recherches se multiplient. Dans cet immense ouvrage en trois volumes, Nora et ses collaborateurs dressent l’inventaire des lieux, physiques ou symboliques, au sein desquels l’histoire de France s’est matérialisée (fêtes, emblèmes, monuments, commémorations ou encore archives, musées, etc.). Deux décennies plus tard, Paul Ricœur interroge les phénomènes mnémoniques à l’aune de la phénoménologie husserlienne et ce à partir de deux questions centrales : « de quoi fait‑on mémoire et de qui ces mémoires sont4 ? ». Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli5, le philosophe mène une enquête tripartite qui mêle mémoire, épistémologie des sciences historiques et méditation sur l'oubli. Un temps l’apanage de l’histoire et de la philosophie, les questions mémorielles investissent désormais plus largement le champ des sciences humaines et sociales6. Dans l’espace anglophone, elles rejoignent les études culturelles. L’ouvrage dirigé par Susannah Radstone et Bill Schwartz, Memory : Histories, Theories, and Debates7, reprend l’histoire, les différentes théories et les limites de la mémoire en tant que champ d’investigation scientifique. En Allemagne, Astrid Erll interroge, dans Kollektives Gedächtnis und Erinnerungskulturen : Eine Einführung8, les dimensions socioculturelles de la mémoire à l’aune d’une recherche interdisciplinaire qui mêle sociologie, sciences politiques, anthropologie, psychologie, ainsi que les arts et les médias. En France, pour ce qui concerne la littérature, Claude Burgelin note un lien de causalité entre les tragédies qui ponctuèrent le vingtième siècle et la multiplication des œuvres testimoniales9. Ces écrits historiques et mémoriaux ont suscité l’intérêt des chercheurs et engendré un grand nombre de travaux. Certains se focalisent sur des événements particuliers comme par exemple Vivre et écrire la mémoire de la Shoah : littérature et psychanalyse (2002)10 dans lequel Charlotte Wardi et Pérel Wilgowicz réfléchissent sur les répercussions des exterminations chez les descendants des victimes selon une double perspective littéraire et psychanalytique ou Le Partage des mémoires. La guerre d’Algérie en littérature, au cinéma et sur le web11 de Djemaa Maazouzi, qui s’intéresse à la mémoire de la guerre d’Algérie à partir de perspectives plurielles, tant du point de vue des agents de cette mémoire que des médiums qui permirent son émergence. D’autres ouvrages se consacrent au rapport qu’entretient la mémoire avec les différentes pratiques artistiques. On peut citer, à titre d’exemples, Mémoires, traces et archives en création dans les arts de la scène12, recueil dirigé par Delphine Lemonnier‑Texier, Sophie Proust, et Sophie Lucet ou Les Mémoires de la violence. Littérature, peinture, photographie, cinéma13où Michel Gironde et al. interrogent « les modes de revenance des horreurs du xxe siècle par les arts ». Ailleurs, ce sont les sources de la mémoire qui intéressent la critique, comme dans Frontières & mémoires, arts & archives14et « Témoigner en littérature15 », dossier dirigé par Charlotte Lacoste et Frédéric Détue dans la revue Europe. En littérature comparée, La Mémoire des villes, ouvrage dirigé par Yves Clavaron et Bernard Dieterlé, prend pour point de départ les villes, ces « hauts lieux de la mémoire16. »Comme nous le montre ce bref survol, c’est donc dans un paysage éditorial particulièrement riche et foisonnant que s’inscrit la parution de Constructions comparées de la mémoire. Littérature et cinéma post‑traumatiques des années 1980 à nos jours, volume collectif qui réunit les actes du congrès international intitulé Après les dictatures, après les traumatismes historiques. Constructions comparées de la mémoire, qui s’est tenu à l’École normal supérieure de Lyon les 5 et 6 novembre 2015. Comme le précisent Isabelle Bleton (ENS Lyon) et Florence Godeau (Jean Moulin-Lyon 3), ce congrès avait pour objet d’interroger la manière dont la littérature et le cinéma participent, à travers la mise en fiction, de la reconstruction de mémoires traumatiques occultées ou rejetées en marge de l’histoire officielle.
Mémoire(s), histoire(s), oubli(s) : trouver les mots pour dire les maux
2En amont, il convient de distinguer, aux côtés d’Antoine Compagnon, deux types de mémoire de la littérature : « au sens subjectif, il s’agit de la mémoire dont la littérature est l’agent, donc de ce dont elle se souvient ; […] au sens objectif, il s’agit de la mémoire dont la littérature fait l’objet, donc de ce qui se souvient d’elle17. » C’est de cette mémoire au sens subjectif qu’il s’agit dans Constructions comparées de la mémoire. Littérature et cinéma post‑traumatiques des années 1980 à nos jours, et, plus précisément, de ce que nous pourrions appeler une mémoire de l’indicible, une mémoire travaillée par les silences, les non‑dits, et les « oublis » de l’Histoire. Les essais du présent volume « confirme[nt] une conception commune de la mémoire, comme acte de recréation du passé depuis le présent18 » (p. 17). Réminiscences d’un passé traumatique qui se heurtent à « la difficulté, voire l’impossibilité, de construire à partir d’un point de vue individuel un discours et une mémoire divergeant de la version officielle des faits » (p. 74), réalités génocidaires, massacres et actes de torture dont l’atrocité peine à être retranscrite au moyen du langage. Quelles sont alors les stratégies développées par les écrivains et cinéastes pour pallier les limites du langage ? Qu’apportent littérature et cinéma au récit de l’Histoire ? Quelles influences ont les pratiques artistiques sur la société ? C’est à ces multiples interrogations que les auteur‧e‧s des essais contenus dans ce volume tentent de répondre en interrogeant la capacité de l’art à combler les vides d’une histoire qui ne se livre qu’à demi‑mot.
3Fruit de la rencontre entre spécialistes d’horizons variés, le volume propose des « regards croisés sur les mémoires des dictatures argentine et brésilienne, de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie » (p. 7). L’ouvrage s’inscrit dans le cadre de travaux pluridisciplinaires menés par le réseau de recherches « Mémoires et sociétés » qui rassemblent des chercheurs de l’université de Lyon (ENS de Lyon, Lyon 2, Lyon 3), de l’université de São Paulo et de l’université de San Martín de Buenos Aires. Le livre est divisé en quatre parties de longueur inégale. Les deux premières parties, assez longues, sont organisées par aire géographique19 (Argentine et Brésil). Les deux parties suivantes sont organisées par champ disciplinaire avec une troisième partie qui regroupe littérature francophone et comparée, et une quatrième et dernière partie consacrée au cinéma. Si l’hétérogénéité qui caractérise le volume a très certainement pu constituer un défi éditorial, on doit saluer le formidable travail de synthèse opéré par les éditrices. Bien que, malgré un titre prometteur, toutes les communications ne soient pas strictement comparatistes20, la reprise d’ensemble proposée en introduction permet de pallier les manques et les déséquilibres en mettant au jour « un certain nombre de constantes et de problématiques communes qui traversent les différentes aires, et de mettre l’accent sur les interactions et les transferts culturels entre l’Amérique latine et l’Europe » (p. 5). Les réflexions placées en ouverture sont de portée générale. Elizabeth Jelin, sociologue argentine, interroge l’impact social des politiques et des élaborations mémorielles, ainsi que la manière dont celles‑ci informent l’espace collectif. L’un des points forts de la discussion est l’analyse iconographique sur laquelle s’appuie l’auteure et qui met au jour les stratégies mémorielles développées par les artistes à l’ère contemporaine, stratégies qui, grâce au pouvoir du numérique21, impactent, peut‑être plus directement encore, le tissu social. L’entretien de Jean‑Louis Jeannelle avec Catherine Coquio, professeur en littérature comparée à l’université de Paris VII‑Denis Diderot, pose les bases théoriques indispensables à une véritable réflexion sur la mémoire, arrière‑plan critique qui aurait d’ailleurs gagné à être plus saillant dans certains essais22. Tout en articulant une herméneutique de la mémoire et une « anthropologie historique de la vérité » (p. 52), Catherine Coquio interroge les notions de « culture de la mémoire » et de « vérité » et invite à problématiser les concepts de mémoire ou de génocide dont elle se méfie. Elle insiste sur sa démarche comparatiste et l’importance de ne pas transposer trop rapidement des outils conceptuels à l’ensemble de nos sociétés :
[C]e qui se joue en Europe n’est absolument pas la même chose que ce qui se joue en Amérique latine dans le rapport à la mémoire. Un vocabulaire passe d’une aire à une autre et aujourd’hui s’institutionnalise à l’échelle mondiale, mais en réalité ce qui se joue à l’intérieur de ces évolutions sociales et de ces vocabulaires politiques nécessitent à chaque fois une batterie d’instruments critiques particulier qu’il faudra ensuite mettre à l’épreuve de la singularité des autres travaux sur d’autres champs. La mise en relation est absolument nécessaire mais la circulation trop précoce, trop rapide ou approximative de concept, je m’en méfie énormément. (p. 56)
4La première partie, consacrée aux constructions de la mémoire en Argentine, met au jour les différentes étapes de l’élaboration d’une mémoire littéraire de la dictature. Une parole multidimensionnelle, de victimes directes (ex‑séquestrées, ex‑prisonnières—ou indirectes (enfants de disparus), fonde l’émergence d’une contre‑mémoire qui se confronte à la mémoire officielle afin de pallier l’oubli et les silences imposés par l’Histoire. On y aborde les concepts d’hybridation générique23, de mémoire collective et polyphonique24, de traumatisme25, de post-mémoire26, et de lieu de mémoire27. Les contributions qui composent cette première partie interrogent la capacité de la fiction à rendre compte de l’indicible et les considérations éthiques qui accompagnent nécessairement tout processus de mémorialisation. L’entretien de Fabienne Dumontet avec la romancière franco-argentine Laura Alcoba, qui clôt ce premier volet, enrichit les perspectives critiques en mettant en lumière les problématiques de traduction et de réception littéraire auxquels peuvent être confrontés les auteur‧e‧s de littérature mémorielle.
5La seconde partie, consacrée aux constructions de la mémoire au Brésil, insiste sur la prégnance du motif de l’oubli28 (esquecimento) dans l’imaginaire d’un pays qui a enduré de nombreuses situations d’oppression (génocide colonial, esclavage, Estado Novo, dictature militaire, etc.). L’amnésie qui mine l’histoire officielle est métaphorisée au plan littéraire par le motif de la maladie d’Alzheimer29 récurrent dans la littérature brésilienne. En rejetant dans les marges des pans entiers de l’histoire nationale, la mémoire officielle a miné le tissu social. L’amnésie qui a été imposée au peuple par l’État creuse les abîmes d’une société déchirée par les souvenirs occultés. Si l’oubli volontaire est certes salvateur, au sens où il est « créateur, régénérateur […], synonyme de vie saine, sans ressentiment, sans dyspepsie30. », l’oubli involontaire est destructeur, car il prive ceux qui en sont victimes des souvenirs qui ont forgé leur identité. La pertinence de la métaphore alzheimerienne prend alors tout son sens. La barbarie de régimes gouvernementaux fondés sur la violence a plongé la population dans l’horreur et les traumatismes sont tels qu’ils semblent ne pouvoir s’exprimer qu’au moyen du détour, qu’il soit métaphorique ou intertextuel. À cet égard, l’imaginaire kafkaïen31, les motifs du procès et de l’enquête inaboutie, apparaissent salutaires, dans la mesure où ils permettent, eux aussi, ce pas de côté nécessaire à l’expression de l’indicible. Les artistes brésiliens présentés dans ce volume interrogent les effets de la violence d’État sur la parole et les conséquences de l’oubli forcé sur l’identité nationale brésilienne. À travers leurs œuvres, ils défendent la capacité de l’art à combler les vides laissés par une mémoire officielle lacunaire et revendiquent le droit de se souvenir d’un passé douloureux en vue d’amorcer le processus de guérison sociétale.
6La troisième partie, intitulée « littérature francophone et comparée », est, selon nous, la plus décevante. Non par la qualité des essais qui la composent, mais par sa trop grande hétérogénéité et du fait d’un titre trompeur. Il y manque un fil directeur qui conférerait son unité à l’ensemble. Et, une fois encore, la « promesse comparatiste » n’est pas véritablement tenue. Si Annick Louis évoque certes les parallèles entre Lenta Biografiá de Sergio Chejfec et W de Georges Perrec, l’essentiel de son analyse s’articule autour du roman argentin. Ce déséquilibre entre les deux œuvres ne permet pas de faire émerger pleinement la dimension comparatiste. Les thématiques abordées dans cette troisième partie — la littérature dite « concentrationnaire », la circulation des œuvres entre l’Europe et l’Amérique latine, la mémoire de la guerre d’Algérie, et les notions de traumatisme familiale et d’hérédité —, sont néanmoins intéressantes et permettent d’élargir la discussion des constructions mémorielles à l’Afrique et à l’histoire coloniale. On appréciera particulièrement le survol de la littérature algérienne francophone, proposé par Désirée Schyns, qui offre aux lecteurs une vision d’ensemble de l’évolution de la mémoire de la guerre d’Algérie à travers l’histoire et se clôt par une jolie métaphore filée, inspirée de la très belle image d’Assia Djebar, « d’une écharde dans la gorge, [image qui] exprime à merveille cette présence paradoxale et obsédant de la guerre dans la fiction algérien francophone : ce passé‑là n’est pas passé, il engendre toujours une douleur, il écorche : en même temps il veut sortir à l’air libre, il veut affleurer à la parole, et pourtant il étouffe, il infléchit ou éraille la voix » (p. 231).
7La quatrième partie, consacrée au cinéma, mêle fiction et documentaire. Les contributions analysent la manière dont le cinéma s’empare de l’absence et des silences autour des « dictatures et [d]es violences de masse du xxe siècle » (p. 15). Tandis que la littérature matérialise les « fantômes du passé […] par le biais de la parole » (p. 191), le cinéma cherche à traduire visuellement le manque et l’indicible. Sylvie Rollet parle, à cet égard, d’une « écriture filmique différante », stratégie du détour qui consiste non pas en la représentation « d’évenements historiques refoulés », en Grèce, en Chine, en Turquie ou au Chili, mais dans la mise en lumière de « leur négation et [de] l’effacement de toutes leurs traces » (p. 243). Ce détour peut s’exprimer par l’intermédiaire de la mise en abyme qui transforme les horreurs en spectacle à l’image du « bouclier de Persée [qui] dévie notre propre regard du face‑à‑face avec le monstrueux » (p. 249). L’analyse filmique proposée par Rollet est enrichie d’images tirées des films qui permettent aux lecteurs de saisir pleinement les stratégies esthétiques employées par les cinéastes. La diversité du corpus offre par ailleurs des lignes de fuite riches de sens quant au rapport qu’entretiennent mémoire, cinéma, et engagement. Cette question de l’engagement, qui traverse l’ensemble du volume, amène Laurence Mullaly à se demander si le cinéma peut « réparer les vivants » (p. 278) et à interroger, aux côtés d’Albertina Carri, la politisation de la mémoire et la violence symbolique qui accompagne nécessairement sa normalisation.
La mémoire comme « vocation » de l’artiste
8Constructions comparées de la mémoire. Littérature et cinéma post‑traumatiques des années 1980 à nos jours confirme l’extraordinaire fécondité des questions mémorielles lorsque littérature et cinéma s’en emparent. Pour Patrick Modiano, prix Nobel de littérature en 2014, la mémoire ne serait d’ailleurs rien de moins que « la vocation du romancier32 ». Dans le sillage de l’écrivain, et à la lumière de notre lecture de l’ouvrage, il est possible d’affirmer que l’art est toujours, quelque part, l’expression d’une mémoire — fut‑elle individuelle ou collective33, communicative ou culturelle34. Et si le rapport au passé n’est certes pas de même nature pour les artistes que pour les historiens, « intrinsèquement lié à la pratique de l’historien, y compris l’historien du temps présent, il est en revanche pour l’écrivain l’objet d’un choix et donc significatif35 », il est toujours porteur de sens. Pour les artistes qui font l’objet de ce volume, l’excavation du passé apparaît comme une étape nécessaire à la reconstruction de communautés meurtries par des situations de violence extrême. À travers leurs œuvres, ils participent de l’élaboration d’une « contre‑mémoire », d’une « mémoire‑critique » qui s’oppose à la mémoire officielle et est, en ce sens, foncièrement libératrice, dans la mesure où « littérature et cinéma permettent de penser [l]es processus [de la mémoire], de produire une prise de conscience, voire une réaction dans le champ social et dans le champ juridique » (p. 7). Dans cette optique, l’art apparaît indissociable de la notion d’engagement. Cette relation d’étroite proximité se reflète dans la fiction par le truchement des sources mémorielles qui nourrissent les œuvres (archives, témoignages, etc.).
9Les témoignages et les archives investissent l’espace de la fiction et brouillent les frontières génériques « entre roman et témoignage, entre document et fiction, entre biographie et fiction » (p. 19). Émergent de l’acte créateur des œuvres hybrides, au carrefour des genres, qui explorent les limites du langage, visuel ou littéraire, et repoussent les frontières symboliques qui séparent la fiction de la réalité. L’un des points forts de Constructions comparées de la mémoire. Littérature et cinéma post‑traumatiques des années 1980 à nos jours est d’avoir su mettre en lumière le pouvoir de la littérature et du cinéma à agir sur le monde : « [F]ace à l’horreur, littérature et cinéma ont le pouvoir de se confronter à l’impossibilité fondamentale de témoigner, peuvent combler un manque, pallier l’absence de récit et d’images, et reconstruire un récit des événements, des dictatures et des traumatismes historiques » (p. 18), sans jamais négliger les considérations esthétiques. Dans l’ensemble, l’ouvrage pourra s’avérer utile aux spécialistes et aux non‑spécialistes qui s’intéressent aux questions mémorielles qui sont liées aux évènements traumatiques. Notons que le thème de la mémoire est aujourd’hui l’un des plus féconds de la recherche en sciences humaines et sociales. Loin de se restreindre aux limites des mondes académique et artistique, l’intérêt croissant pour les questions mémorielles a d’ailleurs fait de la mémoire un véritable phénomène de société :
Remembering and forgetting are major themes in contemporary literature and art. Memory enjoys practically top billing in daily and weekly newspapers. It has become a controversial topic in politics and the public sphere (in the context of phrases such as ‘national tradition, ‘Holocaust memory’, or truth and reconciliation’). And memory even occupies us in our free time, in the form of a thriving heritage industry36.
10Si la popularité croissante de la mémoire invite certes à se méfier, aux côtés de Catherine Coquio, de ce terme désormais galvaudé, « une espèce de protoplasme désignant des choses extrêmement différentes. Il y a à la fois des tourments privés, des luttes de reconnaissance collective, mais aussi un marché culturel foisonnant. » (p. 50), il ne fait aucun doute que les questions mémorielles demeurent fécondes au plan de la recherche. La disparition des derniers témoins directs des horreurs du vingtième siècle et la nécessité de réécrire l’Histoire du point de vue de ceux qu’elle avait laissés dans les marges ont, en quelque sorte, fait de la mémoire le « mal » de notre siècle. Silences, non‑dits et souvenirs douloureux sont ces « fantômes du passé » qu’il convient d’affronter au présent afin d’élaborer ensemble l’avenir.