Trouble dans le genre grammatical : exprimer des identités non-binaires en français
1Comment parler de soi en français, une langue qui s’appuie sur l’opposition binaire entre le masculin et le féminin, lorsque l’on est une personne non-binaire, c’est-à-dire que l’on ne se reconnait pas dans les deux pôles du genre, homme et femme ? Cet ouvrage, coordonné par Vinay Swamy et Louisa Mackenzie, présente des recherches menées par plusieurs chercheureuses sur le sujet : nous employons ce néologisme, « chercheureuses », mélange du masculin chercheur et du féminin chercheuse pour rendre compte de la présence d’hommes et de femmes (cisgenres et transgenres) mais aussi de personnes non-binaires parmi les contributeurices de l’ouvrage. Celui-ci s’intéresse à ce qui est présenté comme un moment particulier dans l’histoire du français : même si des personnes ayant une identité de genre non conforme au schéma binariste homme/femme ont toujours existé, on assiste aujourd’hui à un processus d’affirmation identitaire de personnes trans et non-binaires, qui implique des créations langagières permettant de nommer leurs expériences hors de la binarité de genre. En anglais, langue dont seuls les pronoms de la troisième personne — he et she — sont genrés, le pronom they, qui permettait déjà de parler d’une personne dont le genre était inconnu, est aujourd’hui de plus en plus utilisé pour désigner des personnes non-binaires. Ces nouveaux emplois forment d’ailleurs le point de départ de la réflexion des auteurices de l’ouvrage : lorsque des étudiant·es, apprenant le français aux Etats-Unis, leur ont demandé « Comment dit-on they en français ? » (p. 1), l’épineuse question de la non-binarité linguistique s’est imposée aux équipes pédagogiques. En français, la tâche s’annonce d’une autre ampleur qu’en anglais : en effet, le genre grammatical masculin ou féminin s’applique non seulement aux pronoms (il et elle), mais aussi à tous les noms, adjectifs, déterminants et participes utilisés pour parler d’une personne. Les propositions de transformations touchant à la langue en français étant en partie inspirées par celles du monde anglophone, cet ouvrage se propose d’analyser les enjeux linguistiques, culturels et politiques relatifs aux revendications identitaires des personnes non-binaires francophones, dans leurs liens avec les propositions états-uniennes. Travaillant aux États-Unis, Swamy et Mackenzie avaient déjà coordonné la publication de « Legitimazing “iel” ? », un numéro spécial paru en ligne chez H-France Salon (2019) : avec Devenir non-binaire en français contemporain, ce champ est désormais accessible à un lectorat francophone.
2Outre un avant-propos rédigé par Karine Espinera et l’introduction proposée par Swamy et Mackenzie, l’ouvrage se compose de huit contributions mettant en avant des approches très variées : les articles de Bolter, Baril, Swamy et Mackenzie s’appuient principalement sur l’analyse de discours et de productions culturelles, l’article de Candea et Brown déploie un protocole expérimental en sociophonétique, tandis que les contributions de Provitola et de O’Laughlin s’appuient sur une démarche auto-ethnographique. L’ouvrage se clôt par un entretien avec Alpheratz, linguiste travaillant sur le français inclusif et le genre neutre.
3Si l’écriture inclusive fait déjà l’objet de nombreuses analyses1, la question des enjeux linguistiques de la non-binarité de genre est encore peu étudiée. L’originalité de cet ouvrage tient à sa prise en compte, au premier plan, du vécu linguistique des personnes trans et non-binaires. Les articles s’intéressent alors aussi bien à ces vécus dans la vie quotidienne et militante (Bolter), dans la recherche (Baril) et l’enseignement (Provitola), qu’aux productions vocales et leurs perceptions par autrui (Candea & Brown) mais aussi aux vécus des personnes trans ou non-binaires anglophones apprenant le français ou d’autres langues genrées (Provitola et O’Laughlin).
« Le neutre est un genre vécu » (p. 6)
4Dès l’introduction, Swamy et Mackenzie inscrivent leur ouvrage en opposition à celui d’Éric Marty (2021), qui développe l’idée que le gender serait une invention américaine intraduisible en français. Contre cette approche très conceptuelle du neutre, Karine Espinera rappelle dans l’avant-propos que « le vécu non-binaire a aussi une histoire qui dépasse l’émergence des terminologies » (p. xvi) et Swamy & Mackenzie explicitent leur démarche : « nous nous intéresserons ici aux identités vécues des personnes qui se disent non-binaires en français : pour nous, le neutre est un genre vécu » (p. 6). L’ouvrage laisse en effet la part belle à des démarches scientifiques qui s’appuient sur l’expérience, l’intime, afin de rendre compte de leur portée analytique : c’est notamment le cas des deux articles s’appuyant sur une auto-ethnographie (Provitola et O’Laughlin) mais aussi de l’entretien mené avec Alpheratz.
5Pour les auteurices, le neutre comme genre vécu est d’abord synonyme de difficultés et de souffrances. En effet, la langue française étant fondamentalement genrée et soumettant les francophones à un « diktat binaire du genre », selon la formule de Véronique Perry (2017, p. 31), comment dire une identité qui échappe aux règles grammaticales régissant l’usage courant de la langue ? « J’avais l’impression de vivre ma vie comme une série de compromis linguistiques » (p. 92) : c’est ainsi que Blase Provitola, homme états-unien transgenre, décrit son expérience au début de sa transition. Il raconte les stratégies qu’il a dû mettre en place pour parler de lui en français, à un moment où il ne souhaitait pas forcément révéler publiquement son identité transgenre mais ne voulait plus parler de lui en utilisant le féminin : dire, par exemple, « je viens des États-Unis » au lieu de « je suis Américain / Américaine », une formulation genrée qui le situerait immédiatement sur le spectre du genre aux yeux des autres. Ces compromis linguistiques ont leurs limites, tant le genre grammatical est omniprésent en français, mais les nouvelles formes neutres, comme les néologismes que nous utilisons dans cette note de lecture (auteurices, contributeurices…) ainsi que les propositions de pronoms neutres comme iel, al ou encore ul en français, suscitent parfois des réactions très violentes : O’Laughlin analyse l’infantilisation et la déshumanisation qu’iel a subies, aussi bien dans la rue que de la part de proches. Louisa Mackenzie évoque également la rigidité du discours médical sur le genre en citant une médecin dans le documentaire Arte N’être ni fille ni garçon (Lohr et al, 2016, 15:21-15h45), qui explique que les personnes non-binaires n’existent pas car « dans la langue française c’est masculin féminin, et il faut se nommer à un moment donné ». Cet argument est particulièrement intéressant car il montre comment la structure grammaticale de la langue française peut être utilisée pour dénier toute existence aux personnes non-binaires. On retrouve d’ailleurs cette opposition dans l’excellente analyse proposée par Louisa Mackenzie de la confrontation entre Cerquiglini, linguiste opposé à l’entrée du pronom neutre iel dans le dictionnaire Le Robert, et Alpheratz, linguiste souhaitant s’exprimer au neutre : à Cerquiglini qui explique que, pour l’instant, il n’y a pas de neutre en français, Alpheratz répond que « cela existe, vous m’entendez depuis tout à l’heure, cela existe, j’existe, je suis là [...] et je ne suis pas seul·e » (p. 179). Aux limites structurelles de la langue s’oppose le vécu des personnes transgenres et non-binaires et leurs tentatives d’exister aussi dans cette langue. Mais ces tentatives ne sont pas seulement synonymes de difficultés. O’Laughlin partage aussi la joie très intense que procure le choix de ses propres pronoms : « J’ai trouvé que le fait de choisir mes pronoms et de les cultiver constitue une importante technique d’affirmation de genre. [...] les pronoms servent de rappel du potentiel de perturber la langue. Le langage peut même être euphorique. » (p. 110). D’après O’Laughlin, le choix du neutre pour parler de soi devient alors fondamentalement un acte de résistance face aux normes de genre et de la langue.
Le neutre en français : un enjeu pour la didactique du français langue étrangère
6À l’origine de ce projet d’ouvrage, une question posée par les étudiant·e·s apprenant le français à l’Université Vassar College, aux États-Unis, dès l’année 2015 : « Comment dit-on they en français ? » (p. 1). Les enseignant·es de français ont alors dû affronter une question épineuse : comment parler de personnes non-binaires en français, et surtout que peut-on enseigner aux anglophones apprenant le français, parmi la multitude de possibilités (iel ? al ? ul ? ol ? tous ces pronoms neutres étant attestés par Alpheratz dans sa Grammaire du français inclusif, 2018) ? Une grande partie des contributeurices ayant été confrontée à ces questions, de nombreuses pistes de réflexion émergent dans l’ouvrage, notamment la question de la légitimité d’enseignant·e·s anglophones à aborder ces transformations très récentes, toujours mouvantes, de la langue française avec leurs élèves. À la lecture des différents articles, il ressort qu’enseigner une langue vivante, c’est aussi enseigner aux apprenant·e·s à faire leurs propres choix langagiers, de façon consciente. Dans son article « “Faut-il choisir ?” : non-binarité et transidentité dans les cours de langue française », Provitola insiste particulièrement sur l’absence de ressources à disposition des enseignant·e·s de français à travers le monde, pour aborder les questions de langage inclusif et neutre, mais aussi pour accompagner les personnes transgenres et non-binaires dans l’apprentissage d’une langue genrée et binaire comme le français. Cet article représente un apport fondamental au champ de la didactique du français langue étrangère : Provitola y propose de nombreuses pistes pour adopter une pédagogie plus sensible aux questions de genre et luttant contre la transphobie, notamment des stratégies pour aborder la question des pronoms en classe tout en respectant l’intimité des étudiant·e·s. Selon lui, il s’agit de « trouver l’équilibre entre l’inclusivité et la protection de la vie privée » (p. 79), afin de ne pas risquer de forcer le coming out d’une personne qui ne l’aurait pas souhaité. Il propose également une analyse des peurs rencontrées par ses collègues concernant ces transformations pédagogiques, et répond aux objections de façon convaincante, bien que fondées sur sa seule expérience d’apprenant et d’enseignant : d’autres recherches sont désormais nécessaires pour mettre en application ces pistes pédagogiques et en analyser les effets.
7Dans son article, « Réflexions transnationales sur la corporéité des pronoms non-binaires », O’Laughlin propose un concept intéressant pour repenser la place des pratiques langagières non-binaires : l’« hospitalité de genre » (p. 117). Iel note que les débats sont toujours formulés aujourd’hui selon le désir d’« inclure » les personnes transgenres et non-binaires, alors qu’accueillir un·e invité·e devrait être fondé sur la réciprocité et la mutualité. Or, « l’hospitalité ou l’accueil véritable devrait remettre en question la structure qui continue, dès le début, d’imprégner certaines personnes du pouvoir d’offrir l’hospitalité » (p. 119), autrement dit, les personnes transgenres ou non-binaires ne devraient pas avoir le sentiment d’être incluses grâce à des accommodements spécifiques, et les personnes cisgenres ne devraient pas être les seules à pouvoir accueillir les autres dans leur cocon linguistique. Cette proposition rejoint l’analyse de Baril qui, reprenant les théories critiques du handicap, montre qu’au contraire d’une « logique d'accommodement » (p. 51) s’appuyant sur des ajustements individuels, il serait préférable de favoriser une « logique d’accessibilité universelle » (p. 51), qui ne requerrait pas d’ajustements particuliers. Mais cet idéal de la modification de la « structure » oppressive de la langue apparait parfois comme une utopie : comme le souligne Swamy, les changements systémiques comme ceux proposés par Alpheratz ou par l’auteur du blog La Vie en Queer (p. 206), doivent affronter le terrain des considérations culturelles et politiques.
L’écriture inclusive VS le neutre : deux stratégies opposées ou alliées ?
8Quelles stratégies linguistiques sont alors adoptées, notamment par les personnes concernées et dans les milieux militants ? Deux contributions offrent une analyse intéressante des discours dans des milieux sensibles aux questions de genre : les associations LGBTQ+ (Bolter) et les congrès de recherche féministe (Baril). Bolter montre ainsi qu’une association LGBTQ+, ActUp Paris, utilise le féminin générique (c’est-à-dire l’emploi du féminin pour désigner des groupes composés d’hommes et de femmes) dans son discours officiel (en 2018), ce qu’elle analyse comme une réaffirmation de l’opposition binaire féminin/masculin, peu propice à l’accueil de personnes ayant une identité de genre non normée. Baril constate le même emploi du féminin générique dans la communication du CIRFF (Congrès International des Recherches Féministes dans la Francophonie) en 2015, justifié ainsi sur la FAQ du site : « Le genre féminin inclut pour nous le masculin » (p. 61). Le chercheur critique ce renversement de perspective qui ne lui parait pas efficace, et montre que cette justification écarte les personnes ayant une identité de genre non normée, puisque l’existence de ces personnes n’est jamais mentionnée. De même, Swamy critique la perspective historique bigenrée proposée par la chercheuse Eliane Viennot, qui a contribué à populariser l’écriture inclusive. Or, des stratégies autres que le féminin générique ou l’écriture inclusive binaire permettent de rendre compte de l’existence de personnes non-binaires ou transgenres, comme les points médians (écrivain·e) ou les néologismes neutres (auteurices, iel). Mais comment les personnes non-binaires se les approprient-elles ? Bolter apporte un éclairage très intéressant sur cette question, en montrant que les personnes non-binaires utilisent ces outils très différemment, notamment en fonction des contextes de communication, de leurs parcours personnels et de leurs relations avec leurs proches : « ces différentes stratégies, pour parcellaire que soit la sélection d’entretiens, montrent une richesse et une créativité personnelle dans les choix effectués, et pointent une réalité plus complexe que le simple choix d’un pronom unique » (p. 39). Cette conclusion rejoint celle de Candea & Brown, dans leur article sur la perception des voix des personnes non-binaires : à partir d’entretiens, elles montrent que certaines personnes non-binaires utilisent leur voix comme ressource sémiotique pour performer leur genre, alors que d’autres ne se soucient pas de modifier leur voix pour la rendre moins genrée. Elles concluent : « il est important de se rappeler que ce n’est pas parce que les humains ont la capacité de produire une voix que les personnes non-binaires vont obligatoirement choisir de produire une voix peu genrée » (p. 145). Ces résultats rappellent l’importance de prendre en compte la créativité personnelle et les multiples possibilités de présentation de soi : on ne peut pas réduire les manifestations de la non-binarité au choix d’un pronom neutre. Swamy appelle enfin à plus de nuance dans l’opposition entre écriture inclusive (binaire, en ce qu’elle vise à mettre davantage en valeur les référents féminins) et le langage neutre (non-binaire) : « plutôt que d’opposer écriture inclusive et subjectivités non-binaires au sein de la langue française, je vois ces deux entreprises comme les manifestations d’une volonté de résistance au cispatriarcat » (p. 194), la langue française dite standarde invisibilisant à la fois les référents féminins et non-binaires.
La non-binarité : une colonisation idéologique venue des États-Unis ?
9L’originalité de cet ouvrage tient à son ancrage très fort en Amérique du Nord, puisque la grande majorité des contributeurices travaille aux États-Unis ou au Canada. Cet ancrage offre une perspective intéressante pour explorer la question de l’influence idéologique des États-Unis sur la France, influence souvent avancée comme argument pour contester la pré-existence de personnes transgenres et non-binaires en France. Les contributions de Swamy et de Mackenzie explorent les discours conservateurs en France, et notamment la place de l’anglais « gender » dans cette diabolisation des études de genre, renvoyant au mythe de la disparition de la langue et de la culture françaises sous l’influence des États-Unis. Dans leur enquête sur la perception des voix, Candea & Brown notent néanmoins une différence intéressante entre les participant·e·s des États-Unis et de France : les personnes vivant aux États-Unis ont davantage tendance à utiliser une stratégie non-binaire pour évaluer les voix entendues, c’est-à-dire à évaluer les voix comme féminines, masculines ou neutres, en utilisant toutes les possibilités offertes par l’échelle d’évaluation. Au contraire, chez les personnes vivant en France, la tendance à adopter une stratégie binaire, c’est-à-dire à n’utiliser que les zones faisant référence aux femmes et aux hommes, sur l’échelle, est légèrement plus haute que chez les personnes vivant aux États-Unis. Même si ces résultats demandent à être vérifiés sur des échantillons plus grands, les autrices constatent qu’ils pourraient indiquer une déconstruction plus avancée du cadre binaire du genre aux États-Unis qu’en France, qui pourrait être liée à la plus forte exposition à la culture non-binaire dans les médias états-uniens. Cette question de l’influence états-unienne sur la France interpelle notamment Mackenzie, dans le cadre de l’enseignement du français langue étrangère : « Comment puis-je, en tant qu’anglophone enseignant le français aux États-Unis, aborder les questions francophones non-binaires d’une manière respectueuse et fructueuse qui ne sera pas perçue comme une imposition culturellement insensible, voire comme une colonisation ? » (p. 157) Dans les différentes contributions, cette question de l’influence idéologique soulève des enjeux de traduction et de dialogue interculturel : Baril rappelle que les premières traductions françaises de termes désignant des personnes non-binaires datent seulement de 2016, et évoque les difficultés qu’il avait rencontrées cette année-là pour rédiger un article en français sur ces questions. Il montre que les termes anglais se sont beaucoup diffusés en France, et ont été adoptés par de nombreuses personnes. Il ne s’agit donc pas seulement de traduire, mais de s’approprier et de faire preuve de créativité : Mackenzie montre d’ailleurs que plus une communauté est officielle (par exemple le réseau social Facebook France), plus elle sera attachée à trouver des équivalents français aux termes anglais, alors même que de nombreuses personnes non-binaires utilisent des termes anglais, comme « genderfluid » pour se désigner elles-mêmes. Mackenzie développe alors l’idée d’un « devenir-traduit », une traduction toujours en train de se faire, dans la mesure où « les individus et groupes francophones non-conformes de genre sont engagés dans une relation créative, transformatrice et consciente avec l’anglais » (p. 175) Cet espace créatif pourrait alors être analysé comme une espèce d’interlangue, où français et anglais se côtoient et s’enrichissent mutuellement. Les exemples des enjeux de traduction sont nombreux dans l’ouvrage : Swamy propose notamment une analyse comparée de planches de bande-dessinées de Labelle sur la non-binarité, rédigées en français et en anglais, et montrant que les enjeux dans les deux langues sont finalement très différents. Enfin, Provitola apporte un éclairage nouveau et surprenant sur la différence entre l’anglais (non marqué) et le français (genré et binaire) : en tant que personne transgenre, il constate avec étonnement qu’il se sent finalement parfois plus à l’aise en français qu’en anglais, dans la mesure où « le français présente de nombreuses occasions à la fois d’être correctement genré et de [s’]auto-genrer » (p. 93).
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10Comme le conclut Swamy, « au bout du compte, c’est l’usage qui a raison » (p. 215). Les contributions de cet ouvrage adoptent ainsi fondamentalement une perspective de (socio)linguistes, analysant à la fois la multiplicité des usages et la valeur prescriptive de nombreux discours sur la langue. Il est intéressant de constater qu’un tel ouvrage sur les francophones non-binaires vienne d’Amérique du Nord : Swamy l’explique en soulignant la prégnance des idéologies linguistiques en France, et notamment le rôle joué par la langue française dans l’établissement de l’identité de la République française. Il déclare notamment avoir contacté des militant·e·s transgenres et non-binaires, afin d’échanger sur leurs stratégies langagières, mais avoir obtenu plusieurs fois la même réponse. N’étant pas linguistes, ces personnes ne se sentaient pas compétentes pour aborder ces questions. Swamy conclut :
J’ai précautionneusement interprété ceci comme la possible indication que, pour certains individus, même au sein de la communauté trans et non-binaire, pointer les limites de la langue française dans le contexte républicain est tellement intimidant que, à défaut de changements institutionnels, ils pourraient avoir besoin du poids d’une autorité « professionnelle » (celle des linguistes) pour accomplir une tâche aussi monumentale. (p. 191)
11L’ouvrage comporte alors de nombreux appels à se saisir de ces problématiques, pour la recherche francophone, à la fois dans le cadre de la didactique du français langue étrangère et du français langue première (Provitola, O’Laughlin, Mackenzie, Swamy), au sujet des liens entre la France et les États-Unis (Mackenzie), et concernant l’intégration des féministes transgenres aux féminismes francophones (Baril).