"Déplacement, déchirure et témoignage. À propos de trois auteurs au sortir de la Seconde Guerre mondiale"
1Ce livre est issu d’une thèse en littérature comparée. Mais surtout, ce livre est personnel. D’abord, il s’ouvre par un aveu. Eva Raynal s’y présente comme la « petite-fille d’un combattant de la Seconde Guerre mondiale, grièvement blessé en 1944 et reconnu grand invalide de guerre », mais aussi comme elle-même « résolument antifasciste » (p. 17). Son parcours universitaire est marqué par son engagement politique : si ses travaux portent sur les déplacements traumatiques au sein de la littérature européenne au sortir de 1945, elle appartient également à un collectif de jeunes chercheurs sur « Migrations et altérités1 » (MigAlt). L’implication personnelle d’Eva Raynal est soulignée dans une préface touchante d’Hélène Bruller, fille de Jean Bruller, mieux connu sous le nom de Vercors. « Je déteste les préfaces », y écrit-elle avant d’ajouter pourquoi elle a fait une exception pour cet ouvrage : en plus de résonner avec son histoire personnelle et familiale, ce livre décrit une « urgence » qui est encore d’actualité face aux guerres, aux migrations et aux régimes autoritaires. Il appelle à partager une « vision de l’humain » faite d’« accueil » et de « partage » (p. 14).
2Aller-Retour porte sur trois auteurs qui, s’ils sont contemporains les uns des autres, ne se sont peut-être jamais rencontrés :« À ce jour, il n’est fait nullement mention d’un contact ou même d’une lecture d’un de ces auteurs par un autre » (p. 17), précise-t-elle. Mais leurs expériences de vies se croisent et se répondent. D’abord, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale et de la déportation. Il s’agit de l’Espagnol Jorge Semprún, qui a connu lui-même la déportation, d’Alfred Döblin, dont le frère a été assassiné avec sa famille à Auschwitz, et de Vercors, dont l’amour de jeunesse Stéphanie a également été déporté. D’autres similitudes les réunissent : leurs pères ont tous choisi de s’expatrier ; les trois auteurs ont vécu à Paris. Ils se sont engagés publiquement, par le biais du parti communiste, dans la Résistance ou encore dans la dénazification culturelle. Aussi, ils partagent ce qu’Eva Raynal qualifie d’« identité internationaliste » (p. 19) : Semprún par la revendication de ses cultures française et espagnole, Vercors en tant que fils d’immigré aux doubles racines juives et catholiques, Döblin par sa revendication « d’appartenance à la communauté humaine ». Ce sont des auteurs de gauche, qui maîtrisent plusieurs langues et s’inscrivent dans les réseaux intellectuels et artistiques de leur époque. Ils multiplient également les contradictions : Döblin, issu d’une famille juive, n’en est pas moins catholique pratiquant et a fréquenté des cercles aussi variés que ceux des expressionnistes, des futuristes et des socialos marxistes ; Semprún s’est revendiqué marxiste malgré son éducation bourgeoise ; Vercors multiplie les formes littéraires… Enfin, ils se rejoignent dans un « processus de fait résistant » qu’Eva Raynal définit ainsi : « l’écriture constitue une action dans la continuité de leur engagement et leur tentative de surmonter un évènement traumatique » (p. 22).
3C’est l’un des intérêts majeurs de ce travail : la multiplicité des points de vue sur l’expérience du totalitarisme pendant la Seconde Guerre mondiale et, de façon plus générale, sur une époque traversée par la thématique de l’exil. Avec ambition, Eva Raynal entreprend l’analyse croisée de nombreux textes : pour Alfred Döblin, Voyage et Destin (1949) et Hamlet ou la longue nuit prend fin (1956) ; pour Jorge Semprún, Le Grand Voyage (1963) et L’Écriture ou la vie (1994) ; pour Vercors, Les Armes de la nuit (1945) et La Puissance du jour (1951). D’autres textes et d’autres auteurs sont mobilisés de façon plus ponctuelle. Ces auteurs évoquent un ensemble de « déplacements traumatiques » (l’exil, la déportation, la clandestinité) à l’aide de différentes formes littéraires : autobiographies, autofictions, roman historique… Domine cependant un intérêt particulier pour la fiction, même si celle-ci présente des éléments biographiques ou inspirés de faits réels. Ce sont des « romans de soi » (p. 249) qui décortiquent et documentent les « deux mouvements, à la fois contraires et complémentaires » de l’aller et du retour (p. 273). Sans se réclamer directement du témoignage, les auteurs y touchent et y empruntent avec d’autant plus de force qu’ils s’ancrent tous dans un paradoxe fondamental :« [ces textes] n’auraient pas dû exister et ils n’auraient pas dû rencontrer de lecteurs, puisque leurs auteurs étaient pourchassés et menacés » (p. 35).
4Ici, l’analyse littéraire ne peut être séparée de son contexte historique. Ce dernier fait l’objet de rappels contextuels sur les idéologies totalitaires du xxe siècle qui « tentent d’exercer un contrôle du corps et de l’esprit sur chacun de leurs sujets, mais également de leurs ennemis » (p. 37). Le nazisme y est, bien sûr, tout particulièrement développé, lui qui constitue l’ennemi commun de toutes les œuvres du corpus. La France y est une « terre d’errance, de clandestinité, mais également de combats » (p. 37). L’année 1945 n’y est pas, non plus, un point final : la posguerra des républicains et communistes espagnols de même que la dénazification de l’Allemagne et l’épuration française traversent les ouvrages ainsi que, de façon plus tardive, la libération de la parole sur la politique stalinienne. Les temporalités de publications sont importantes puisque, au lendemain de la guerre, « rares sont ceux qui présentent une réelle envie d’écouter, ou même seulement d’entendre le chapelet de souffrances du déporté ou de l’exilé » (p. 39).
5Afin d’étudier les difficultés qu’entraîne le témoignage « d’un voyage effrayant, violent, mais riche d’apprentissages, où les valeurs vacillent et la parole peine à s’extraire » (p. 41), Eva Raynal recourt également à une approche mythocritique du recours à des figures mythiques de l’exil (Orphée, Lazare, Hamlet notamment). Elles s’inscrivent à la fois dans un patrimoine littéraire européen commun aux trois auteurs, dans une recherche de valeurs humanistes mises à mal par le conflit, et enfin dans des stratégies pour évoquer l’indicible. Le mouvement d’aller-retour, quant à lui, sert à la fois de « prisme de lecture » et d’« objet d’étude » (p. 44). C’est un mouvement « forcé, dramatique, à forte connotation négative » (p. 44), dans un environnement hostile, où le retour semble impossible, sinon vers des lieux qui n’existent plus. Surtout, le retour « est non seulement déterminé par [l’aller], mais […] importe plus encore dans la reconstruction de l’individu et son écriture à venir » (p. 49).
La morale au sein du récit
6Les perspectives développées par Eva Raynal sont très foisonnantes. La première partie est consacrée au questionnement de la notion de morale au sein du récit. Elle permet d’abord d’examiner la notion de « Mal », incarné par l’univers concentrationnaire et sa violence. Les auteurs réfléchissent sur le système qui a permis son existence, en développant surtout le climat de déshumanisation et l’omniprésence de l’idée d’annihilation, dans lesquels les « individus touchent littéralement du doigt la zone de non-retour » (p. 61). Le traumatisme et les symptômes qui l’accompagnent sont évidemment un autre élément qui pénètre la narration : l’autrice utilise alors les outils du « diagnostic », passe les textes au crible du « syndrome de Targowla » (p. 69), du « syndrome d’Ulysse » (p. 73), mais surtout du « syndrome posttraumatique » (p. 77) qui s’incarne dans la figure du Lazare du Nouveau Testament, revenu d’entre les morts. S’y entremêlent culpabilité et recherche de responsabilité, dans la lente prise de conscience d’une génération.
7Enfin, cette partie souligne l’indicible des épreuves traversées : les expériences du camp et de l’exil « mettent à l’épreuve la littérature, le langage tout entier, et en particulier sa faculté à représenter ce qui a été vécu et ressenti » (p. 93). S’ouvre alors le débat littéraire et historique, entre témoignage intégral « insoutenable » (p. 94) et impression que tout ajout formel reviendrait à « considérer les camps comme un matériau littéraire à exploiter » (p. 95). L’autrice interroge également la légitimité à s’exprimer sur les camps quand on ne les a pas vécus, notamment avec l’exemple de Vercors, et sur les limites de l’indicible : raconter, c’est « révéler l’égoïsme, la cruauté contenue dans certaines expériences vécues » (p. 99). D’autres, comme Döblin, n’évoquent jamais la Solution finale malgré une critique nourrie de l’idéologie nazie et de l’autoritarisme. C’est qu’il y a une charge forte dans le fait de raconter, là où le « survivant apparaît comme un intermédiaire entre ceux qui ne sont pas revenus du camp […] et ceux qui n’ont jamais eu à connaître le camp » (p. 103). Si l’analyse d’Eva Raynal n’est pas historienne, cet ancrage temporel et certaines des perspectives développées lui permettent de toucher indirectement aux débats qui travaillent cette discipline. Les auteurs se rapprochent d’une démarche qui, pour l’historienne Judith Lyon-Caen, implique la « [transmission d’]une expérience vécue qui vaut aussi pour les morts, dont [l’auteur] est le testis, le témoin tiers ; souvent le témoin s’adresse au monde, qui doit savoir et ne pas oublier »2. Les débats littéraires éclairent alors la valeur de tels documents comme sources et les précautions qui doivent entourer leur analyse.
8D’autant plus que la posture des auteurs étudiés s’éloigne parfois d’une tendance générale des témoins des horreurs de la Seconde Guerre mondiale : celle du resserrement sur « l’expérience », d’un « choix du petit » qui peut paraître antilittéraire3. Ici, et c’est sur cette notion que se clôture la première partie du livre d’Eva Raynal, est souvent fait le choix de la « puissance narrative du mythe » (p. 109) : l’idée d’un exil miraculeux teinte les mentions des États-Unis ; les figures sacrificielles (le Christ, Lazare, Orphée) saturent les récits, quand ce ne sont pas des fils maudits de tragédies mythiques (Œdipe, Hamlet). Ces figures surgissent pour « soutenir la narration, à travers des figures archétypales et symboliques » (p. 126), et tenter de contourner les limites des fonctions du langage éprouvées dans l’évocation de l’indicible.
L’aller-retour
9La deuxième partie est centrée sur les transformations engendrées par le mouvement d’aller-retour, qu’elles soient voulues ou subies. Eva Raynal pose notamment une question centrale : « Comment écrire un aller non désiré, un retour qui n’aurait pas dû être, et transmettre tout ceci à une audience qui justement ne s’attend pas à ce retour ? » (p. 128) On y rencontre les notions de mémoire et de pardon, d’abord examinées sous l’angle de la morale chrétienne. Le pardon est ensuite exploré par le biais des déchirures du Pierre Cange de Vercors et confronté à la philosophie. Chez Jean Améry, le « ressentiment » occupe une « fonction historique », puisqu’il doit « susciter l’attention, la surveillance des jeunes générations » (p. 138). Pour Vladimir Jankélévitch, le pardon est impossible et « mort dans les camps de la mort » (p. 140) tandis que le ressentiment participe à la « transmission et à l’actualisation de la mémoire traumatique et historique » (p. 140). Il faut aussi se pardonner : reconnaître ses faiblesses individuelles pour revenir à la vie. Le pardon est aussi un échange, ainsi que développé par Paul Ricœur, entre reconnaissance de la responsabilité et formulation du pardon (p. 143). Chez Hannah Arendt, il permet également une lutte contre « l’irréversibilité » (p. 145) et un retour à la communauté humaine.
10Le mouvement géographique fait l’objet du second chapitre de cette partie, avec cette notion de cheminement qui rapproche les romans étudiés de « romans d’apprentissage » (p. 150). L’histoire y est cependant si pesante qu’elle devient un personnage à part entière, déshumanisant et tout-puissant. L’exil est aussi un mouvement dans lequel l’identité est éprouvée, comme Döblin apatride qui ne reconnaît plus son pays et que ses contemporains ne reconnaissent plus. Les auteurs effectuent de nombreux retours sur les lieux des expériences traumatiques, se remémorent, reconstruisent, voyagent dans l’espace et dans le temps. D’autres refusent, comme Ruth Klüger qui qualifie Auschwitz « d’épouvantable hasard » (p. 157) et ainsi « mettent à mal l’entreprise de destruction nazie » (p. 157). Mais souvent, le retour vers le pays natal est surtout un « échec » (p. 158) qui témoigne de la destruction matérielle et spirituelle subie.
11Les écritures se renouvellent pour éprouver cette destruction : quelle langue choisir pour ces auteurs polyglottes et pour rendre l’expérience de la « tour de Babel » qu’est le camp (p. 161) ? La langue est aussi un refuge, une nouvelle patrie par son « potentiel de représentation et de transformation du monde » (p. 162) : les cultures des pays d’accueils pénètrent l’écriture. D’autres, comme Döblin, ont recours à des récits gigognes, au rejet de la linéarité chronologique (Semprún), ou aux multiples réécritures (Vercors). La langue permet la mise à l’épreuve de la mémoire, entre distorsions anachroniques, recours à une « perspective postmoderne du roman et du je » (p. 181), stream of consciousness… Autant de méthodes qui font de la mémoire un « agent de liaison, souvent involontaire et douloureux » (p. 183) : remémorations, introspection, font ressurgir les traumatismes et la mémoire du corps et des sens. D’une façon alternative, le recours aux codes du roman historique permet la prise de distance et fait de l’écrit une « arme propre à éveiller les consciences » (p. 188). Des prises de distance avec la réalité sont prises, mais toujours avec un impératif :« modifier un discours à travers l’artifice de la fiction tout en faisant transparaître les enjeux en cours dans ce cadre historique précis » (p. 189). La posture de Vercors est, à ce titre, intéressante. Il s’inscrit dans la littérature mémorielle en ce qu’il « tente de faire surgir via la nouvelle ou le roman les enjeux et les conséquences de ces violences individuelles à la fois historiques et inédites », même sans avoir été directement victime ou témoin des camps (p. 191).
L’errance & l’exil
12Enfin, une troisième et dernière partie s’intéresse aux problématiques posées par l’aller et les réponses apportées par le retour. Il s’agit d’une partie de questionnement des grandes figures mythiques de l’errance et de l’exil et de leurs limites. Là où le mythe est une tentative d’« explication du monde » (p. 197), son omniprésence dans les romans étudiés est surprenante quand ils racontent des « expériences du réel […] d’autant plus concrètes qu’elles touchent à l’intime » (p. 197). Pourquoi ? D’abord parce qu’ils permettent d’expliquer l’extraordinaire du camp et permettent de « faire intervenir l’imaginaire, car la raison seule ne suffit pas » (p. 198). Ensuite, et c’est notamment le cas chez Döblin, car le recours au mythe permet sa destruction : Hamlet ou la longue nuit prend fin convoque des mythes divers (Saint Michel, l’amour courtois, les personnages de Shakespeare), avatars d’un « escapisme » (p. 209) tourné en dérision. Mais cette posture n’est pas partagée par tous. Chez Semprún, l’appel aux références communes (mythiques, politiques, culturelles) est un moyen de reconstruire la mémoire et l’identité. Chez Vercors, il permet un questionnement anthropologique : des références à Shakespeare côtoient les motifs de l’animalité. Pour tous, le mythe semble être avant tout une « fiction porteuse cependant de vérité » (p. 219), avec laquelle il faut se garder de deux périls : « instrumentalisation du mythe » et « escapisme de l’imagination » (p. 223). Eva Raynal convoque également l’œuvre du philosophe allemand Ernst Cassirer, Le Mythe de l’État, où celui-ci estime que « le mythe est un instrument de pouvoir et de mystification » particulièrement mis en œuvre par les nazis, « dotés de qualités philologiques qui en font des professionnels du discours » (p. 223). Au-delà d’une stratégie auctoriale, le mythe est détourné, dénoncé, dans une « fonction de mise en garde » (p. 228).
13D’autres figures récurrentes gagnent un statut de mythe. Le féminin, d’une façon très essentialisée, incarne une altérité qui « accompagne, voire sauve l’auteur de l’oubli » (p. 231). C’est le cas hors de la narration : Erna accompagne Alfred Döblin, Rita Barisse traduit les œuvres de Vercors. Dans la narration, Döblin fait émerger des figures de mater dolorosa entre « victimes et justicières, demandant le nom des coupables » (p. 232), tandis que Semprún dépeint des femmes qui assurent la « protection de la clandestinité » (p. 235). Si Eva Raynal ne consacre qu’un chapitre à ces questions de genre qui auraient pu mériter de plus amples développements, elle souligne comment ces femmes s’opposent à des violences masculines, même si c’est parfois pour les remplacer par d’autres violences : c’est l’indignation de Nicole dans La Puissance du jour de Vercors, qui place Pierre face à ses responsabilités. Mais surtout, ces femmes permettent de parcourir le chemin de l’aller, et surtout du retour (p. 245) : elles jalonnent le parcours, accueillent, et exercent une « force vive » en opposition au traumatisme concentrationnaire (p. 247).
14Ces parcours et ces questionnements permettent d’envisager une nouvelle identité pour l’homme. C’est une « réflexion anthropologique plus globale » (p. 249) qui s’esquisse ici, au-delà du roman de soi. Chez Vercors, les hommes s’érigent en « une communauté de rebelles qui refuse le diktat autoritaire et aveugle de la nature » (p. 257), trouvent des solutions à l’horreur dans l’action. Semprún avance la possibilité d’une « conscience européenne » (p. 260), d’une « persistance d’un dialogue entre les cultures » (p. 261) : cet humanisme est fondé sur « la conviction d’un dépassement nécessaire des frontières, tout autant qu’un rejet de l’autoritarisme et de l’unification forcée » (p. 264). Celui-ci considère également l’univers concentrationnaire comme un « enjeu essentiel pour réunir les pays européens » (p. 264) et permettre l’élaboration d’un avenir européen commun. Döblin, dont les personnages sont hantés par une « obstination presque pathologique à connaître la vérité » (p. 265), revendique un ancrage dans le monde et l’importance de l’engagement personnel. Il faut dénoncer la « monstrueuse dégénérescence » (p. 268) des totalitarismes et lutter pour « initier la naissance d’un homme nouveau » (p. 269). L’aller-retour devient alors le mouvement dans lequel on acquiert une « lucidité nouvelle quant à la société des hommes » (p. 270), propice pour développer une « nouvelle identité humaine » (p. 270). L’ancrage quasi géographique du travail, ainsi que la mention récurrente et nécessaire des lieux du totalitarisme, nous amène à nous poser la question de la patrimonialisation des camps d’internement en France et leur difficile transformation en « lieux de mémoire », adossés à des institutions muséographiques et pédagogiques. Si la perspective n’est pas développée par Eva Raynal, elle a fait notamment l’objet d’un article stimulant d’Olivier Lalieu dans la Revue d’histoire de la Shoah. Il y détaille les facteurs de la « lente marche vers la reconnaissance » de ces lieux, et l’élaboration récente de dispositifs commémoratifs, notamment à Drancy4.
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15« L’exilé, le survivant, sont les messagers des malheurs survenus et à venir » (p. 280) écrit Eva Raynal en conclusion de son travail. Si son travail d’analyse porte sur le contexte bien particulier de la Seconde Guerre mondiale, des totalitarismes et de l’univers concentrationnaire, l’autrice revient en conclusion sur l’actualité de l’engagement des auteurs. « Le spectre de la guerre ne hante plus la vieille Europe ou du moins il ne concerne plus directement son territoire » (p. 273) écrit-elle ainsi, quoiqu’avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Elle ajoute cependant :« En revanche, les figures de l’exilé, du pourchassé, du clandestin et désormais du contaminé et du confiné, demeurent plus que jamais d’actualité » (p. 273). Minutieuse, exigeante, cette lecture n’en est pas moins stimulante dans les champs des études littéraires, historiennes, mais aussi dans son actualité. En voici, d’ailleurs, sa dédicace : « Déportés, exilés, internés, noyés de la Méditerranée : cet ouvrage est dédié à toutes celles et ceux qui hier et aujourd’hui encore, ne sont jamais revenus de leur voyage et dont les voix se sont perdues en chemin » (p. 8).