Les Marrons (1844) de Louis Timagène Houat : premier roman réunionnais
« Et cette goutte de lait tomba et s’étendit sur tout le lac de sang, qui aussitôt changea de consistance, de teinte et de forme ; il devint un sol couvert d’arbres et d’animaux, un pays accidenté, riche et fertile, pays où il n’y avait de conditions parmi les habitants, où tous ils étaient libres ; où loin de chercher à se faire la guerre, à s’esclaver, à s’entre‑détruire, ils paraissaient au contraire heureux de se rencontrer, heureux de se voir égaux, de s’aimer, de s’unir, de s’entr’aider. »
Louis Timagène Houat, Les Marrons, p. 84.
1En 2021, sous l’impulsion du socio‑historien Raoul Lucas, les Presses Universitaires Indianocéaniques (PUI) inaugurent une nouvelle collection, intitulée « Fictions », dans laquelle est réédité un roman de Louis Timagène Houat, intitulé Les Marrons, et qui date de 1844. Ce livre n’est pas rien pour une île de l’océan Indien, La Réunion, où il apparaît comme l’alpha romanesque, le premier roman francophone des lettres réunionnaises, c’est‑à‑dire une origine. Préfacée par l’arrière‑arrière‑petite‑fille de l’auteur et introduite par celui qui s’en présente comme l’inventeur — c’est‑à‑dire celui qui redécouvre l’auteur à partir des années 1980 —, cette édition restitue le texte ainsi que les « quatorze jolis dessins » qui l’illustrent et constituent comme le frontispice de chacun des quatorze chapitres du roman, du « Conciliabule » à « L’exécution ». C’est le dessin qui inaugure le troisième chapitre, intitulé « Le Marronnage », qui est repris en première de couverture. On y voit, au sommet d’une falaise exotique, un homme sur le point de tomber. Cet homme est harassé par deux chiens appartenant à l’autre personnage qui se dirige vers lui. Il s’agit d’une scène de capture par un chasseur de marrons, thème récurrent dans la production littéraire de La Réunion. Nous rappellerons que le marronnage est le fait, pour un esclave, de s’enfuir de la propriété où il est exploité, pour vivre, dans l’illégalité, en marge de la société servile et coloniale. Ce mode de vie se comprend comme une forme de résistance. Nous nous proposons de rendre compte de cet ouvrage en trois temps : le premier est théorique et retrace les étapes de la redécouverte du premier roman réunionnais ; la seconde est plus concrète et invite à une lecture thématique, idéologique et esthétique de l’ouvrage. Enfin, le troisième consiste en une remise en perspective critique de cette production littéraire qui relève à la fois du document historique et du monument littéraire.
L’Urtext des lettres francophones de La Réunion
Découverte d’un manuscrit
2C’est lorsqu’il fait des recherches à la Bibliothèque Nationale François Mitterrand (BNF) relativement à l’esclavage en général, et à l’île de La Réunion en particulier, que l’historien Raoul Lucas découvre une fiche insolite qui le mène à un ouvrage dont la lecture le bouleverse :
« L.‑T. Houat : Les Marrons, 1844 ». Des différents ouvrages feuilletés, c’est celui de L.‑T. Houat qui retient toute notre attention. L’ouvrage qui nous est remis compte 160 pages. S’il n’est pas en bon état et incomplet, car ne contenant aucun des « 14 jolis dessins » mentionnés dans le titre, sa lecture nous foudroie. (p. 9)
3La fiche mentionne trois éléments : un nom d’auteur, un titre et une date. Le nom de l’auteur est énigmatique ; le titre est clair d’un point de vue thématique ; la date renvoie au contexte colonial et à l’émancipation. R. Lucas demande, consulte et dévore le livre. Il déplore le mauvais état de conservation d’un manuscrit qu’il juge incomplet, car dépourvu de ses illustrations. Mais ce roman relativement bref le marque de façon fulgurante.
À la recherche de l’exemplaire illustré
4Dès lors, la première tâche que se fixe R. Lucas est de trouver un exemplaire complet, comportant les quatorze illustrations :
Nous avons pu mettre la main sur un exemplaire du roman Les Marrons. Contrairement à celui de la Bibliothèque Nationale, l’exemplaire trouvé dans la bibliothèque de Raphaël Barquissau est en bon état et surtout il est complet de ses « 14 dessins. » (p. 10)
5Raphaël Barquissau (1888‑1961) est un écrivain et un historien de La Réunion, originaire de Saint‑Pierre. Il mène de front une carrière d’enseignant et d’écrivain et la thèse de doctorat qu’il soutient traite des poètes réunionnais des siècles précédents, notamment Évariste de Parny et Antoine Bertin. C’est en 1988 que sa fille Hélène Minet‑Barquissau lègue à Saint‑Pierre une part non négligeable de la bibliothèque paternelle, même si la citation suggère que le livre en question a été trouvé avant le don. Naît alors la volonté d’une édition, concrétisée, par le CRI, en 1988. Jusqu’à la présente réédition, on compte deux autres éditions, l’une liée à AIPIDES — « Association d’Insertion pour le Développement Économique, Social » dirigée alors par Julien Mallin — en 1998 et l’autre à EFORES — nouvelle association de Julien Mallin dont l’acronyme signifie « Études, Formation, Recherche dans l’espace Économique et Social » — en 2015.
Enquête sur l’auteur
6R. Lucas mène ensuite une enquête biographique sur l’auteur dont il ne connaît d’abord que des initiales de prénoms et un nom de famille : L.‑T. Houat. L’auteur devient progressivement Louis‑Timagène Houat. Le premier élément significatif concerne l’origine de l’auteur qui est un libre de couleur, c’est‑à‑dire un esclave affranchi ne bénéficiant pas pour autant des mêmes droits que les Blancs. Le deuxième élément est le procès inique qu’il subit en raison de ses positions abolitionnistes dans une société encore esclavagiste, ce qui conditionne son exil à Paris où paraîtra le roman intitulé Les Marrons. Voici comment le raconte son arrière‑arrière‑petite‑fille, Liliane Houat :
Le 12 décembre 1835, Timagène et une trentaine de personnes sont arrêtées pour un prétendu complot visant à assassiner tous les blancs de la colonie. Timagène a 26 ans. Après huit mois de prison, et un procès truqué, Timagène est condamné, ainsi que ses co‑inculpés, à la déportation. Une amnistie royale a pourtant été promulguée entre‑temps par Louis‑Philippe, mais la société coloniale est déterminée à passer outre et à châtier les inculpés. Timagène est expulsé en France. Il rejoint Bissette à Paris et le groupe d’écrivains abolitionnistes. Il obtient la révision de son procès et publie son roman, quatre ans avant la seconde abolition, celle de 1848. (p. 6)
7Cyrille Bissette est un Martiniquais qui connaît une trajectoire similaire. Également libre de couleur et abolitionniste, il fera l’objet d’un procès qui l’oblige à s’exiler à Paris. Comme Houat, il se sert de la plume et se fait le rédacteur en chef de la Revue des Colonies. Le procès inique subi par Houat est en quelque sorte transposé à la fin du roman ici étudié. Le dernier élément digne d’intérêt est la date de la mort de l’auteur, ayant fait l’objet de polémique. R. Lucas la place à Pau, le 9 juillet 1883, à l’âge de soixante‑dix‑huit ans pour Louis‑Timagène Houat.
Lecture d’une œuvre : Les Marrons, roman de l’esclavage
Marronner à La Réunion
8Le thème du marronnage traverse la production littéraire de La Réunion de Chasseurs de noirs (1982) de Daniel Vaxelaire1 à Hallali pour un chasseur (2015) de Jean‑François Samlong2. Dans Les Marrons, le thème apparaît de la façon suivante :
Patience encore un peu donc. Ça ne peut pas tarder. On l’attend de jour en jour. Ici les blancs ne veulent pas. Mais ça ne fait rien : ils ne sont pas les premiers ; les grands chefs sont là‑bas et nous l’aurons. Et alors nous aurons aussi notre case, notre morceau de terre, avec notre légume et notre volaille à nous‑mêmes ; et quand il faudra travailler, nous ferons ceci, cela ; mais ce sera pour nous‑mêmes, et on ne nous battra pas, et nous serons maîtres de notre corps, avec notre femme et nos enfants, qui resteront à côté de nous, pour faire notre plaisir, et ne plus être malheureux… Ah ! frères, ne faisons pas de bêtises ! Attendons cette bonne chose‑là qu’on appelle émancipation. Et, d’ici qu’elle arrive, puisqu’il fait trop mauvais dans l’établissement, ramassons notre petit paquet, et sauvons‑nous du maître. Nous serons marrons. (p. 26)
9Le marronnage apparaît donc comme une solution alternative entre l’esclavage présent et l’émancipation future. Mais il apparaît aussi et surtout comme une alternative à la patience dans la souffrance. De façon ambiguë alors qu’il se présente moins comme une solution que comme un dangereux pis‑aller, le marronnage est exalté comme une utopie et une forme d’héroïsme :
Nous irons vivre dans le morne des Salazes. Là est mon grand‑père depuis des années et des années. On n’a jamais pu l’attraper. Il doit être chef, et sera bien content de nous voir. Là, nous aurons à boire et à manger à notre content et comme nous voudrons, car il y a là, sirop, miel, arack, fraises, patates, palmistes, mangues, bananes, cabots, chevrettes, anguilles, merles, petits fouquets, poules, cochons, cabris marrons et mille et mille choses en quantité, en abondance. (p. 26‑27)
10Le personnage héroïse la résistance de son aïeul dans sa longévité et fait l’éloge d’un lieu sauvage qui regorge des mêmes richesses exotiques dont la littérature fait le catalogue en termes de faune et de flore. Dans un article intitulé « Histoire et mémoire : variations autour de l’ancestralité et de la filiation dans les romans francophones réunionnais et mauriciens », Valérie Magdelaine‑Andrianjafitrimo donne la mesure de ce thème :
Rappelons d’ailleurs que la littérature romanesque réunionnaise a été fondée par les épopées marronnes de Louis Timagène Houat, Les Marrons (1844) et d’Eugène Dayot, Bourbon pittoresque (1848) qui font retour dans un certain nombre de romans contemporains réunionnais comme Adzire, Le Nègre blanc de Bel Air, les ouvrages de Daniel Vaxelaire comme Chasseur de Noirs…. À MAURICE, le roman colonial Ratistatane de Lucien Bray met en scène un héros malgache, cruel et romantique3.
11Ainsi le premier roman réunionnais ne se comprend‑il pas seul, mais en regard d’un autre, paru quatre ans plus tard et intitulé Bourbon pittoresque et signé Eugène Dayot. Ces deux épopées du marronnage fondent une tradition qui se retrouve dans le roman réunionnais contemporain.
Un texte engagé contre l’esclavage
12Sans être à proprement parler un roman à thèse, l’histoire racontée dans Les Marrons est tout entière tendue vers un but : l’abolition de l’esclavage. Pour ce faire, deux procédés sont convoqués avant tout. Le premier est l’injustice profonde du système colonial en raison de la violence sur laquelle il repose et dont le courbari est l’emblème dans le texte. Il fait l’objet de la description suivante au début du douzième chapitre, intitulé « L’Évasion » :
Nous avons déjà parlé, dans notre récit, du bloc ou courbari. Nous serons obligé d’en reparler une fois encore pour l’évasion de nos trois Madagasses. Le bloc ou courbari, avons-nous dit, est un instrument de supplice composé de deux gros madriers. Ils sont faits du bois le plus lourd, et posés longitudinalement et de champ l’un sur l’autre. Le madrier inférieur est attaché à demeure par des crampons de fer dans la muraille du cachot, tandis que l’autre, qui vient sur celui-ci, y forme d’un bout une articulation mobile par le moyen d’une forte charnière, et de l’autre bout, ayant un piton de fermeture, il se lève, se baisse et se cadenasse à volonté. (p. 87)
13Le second est de souligner la valeur morale de l’homme noir et son égalité avec l’homme blanc, ce qui est montré dans le roman comme choquant par le truchement du couple mixte. Le protagoniste Câpre, qui apparaît comme une graphie étrange du mot Cafre renvoyant à l’une des ethnies africaines déporté en esclavage, rêve d’ailleurs — et c’est l’épigraphe que nous avons retenue — que du sang de Frême et du lait maternel de Marie naît un lieu utopique qui fasse mentir l’origine étymologique de métissage, à savoir mauvais tissage. Dans un article intitulé « Le lieu et le lien : à propos de la littérature réunionnaise », Jean‑Claude Carpanin Marimoutou rappelle le caractère fondamental de ce conflit :
Le roman aussi est ancien dans l’île, puisque le premier roman réunionnais est Les Marrons de Louis Timagène Houat publié en 1844 à Paris. Écrit dans la veine romantique, le livre met en scène à la fois le marronnage des esclaves et le métissage. Ce thème du marronnage hante la conscience littéraire de l’époque puisqu’en 1846 Leconte de Lisle écrit une nouvelle sur ce thème, et qu’en 1852, Eugène Dayot publie, en feuilleton, dans « Le courrier de Saint-Paul », son roman inachevé Bourbon pittoresque. Le roman surgit comme forme, après plus d’un siècle de poésie, par le récit du marronnage et du métissage, par l’écriture du conflit qui ouvre l’histoire réunionnaise4.
14Le parallèle littéraire est le même que celui de V. Magdelaine‑Andrianjafitrimo mais son utilisation diffère. Il s’agit ici de faire de l’opposition entre le colon et le colonisé, par le truchement du marronnage, le conflit social fondateur qui fait peut‑être mentir le nom utopique donné ultérieurement à l’île Bourbon, celui de La Réunion.
Une réussite esthétique ?
15R. Lucas s’intéresse assez peu à la dimension esthétique d’un texte qui l’a pourtant touché car il lui préfère son intérêt historique. En d’autres termes, il y voit davantage un document qu’un monument. Néanmoins, il émaille le manuscrit de la mention [sic] issue du latin et qui signifie qu’il en est ainsi dans le texte et que cet usage peut surprendre, voire être considéré comme fautif. Il s’agit ici d’une norme puriste héritée du classicisme toujours sujette à caution face au texte littéraire francophone qui réinvente la langue française. Quoi qu’il en soit, nous laisserons le lecteur libre de son appréciation esthétique en soulignant quelques‑uns des faits littéraires saillants du style de Louis‑Timagène Houat. On remarque d’abord un certain nombre de trouvailles lexicales parmi lesquelles nous reprendrons seulement la verbalisation pronominale « s’esclaver ». Ce verbe, qui signifie « rendre l’autre esclave » ou « faire de l’autre un esclave », retient l’attention par sa construction pronominale qui vise à souligner que l’homme fait cela à son semblable. On note ensuite que les chapitres commencent souvent, d’une façon quelque peu balzacienne, par une description, qui prend ici des couleurs exotiques. Prenons l’exemple de l’incipit intitulé « Conciliabule », qui reprend le topos du couchant : « Le soleil depuis longtemps avait quitté les bords de l’Océan des Indes, et la nuit, ordinairement si belle et si limpide, secouant ses ombres et sa fraîcheur, sous le ciel brûlant des tropiques, était nébuleuse et ne laissait poindre aucune étoile. » (p. 17) Enfin, le style emphatique du roman, les discours solennels des personnages et les concepts philosophiques utilisés dans ce texte littéraire en font l’héritier de la littérature révolutionnaire de 1789. De façon interculturelle, le roman débute par un kabar, forme malgache de la palabre dont le thème est ici la liberté.
Mise en perspective critique. Les Marrons : document & monument
Les Marrons dans l’histoire du roman réunionnais
16La présente édition ne prend pas en compte la littérature qui existe sur le présent ouvrage. Si nous acceptons l’hypothèse selon laquelle Les Marrons est le premier roman réunionnais, on peut alors mettre cette assertion en perspective avec l’Anthologie du roman réunionnais (1991)5 de Jean‑François Samlong :
Actuellement, on compte plus de quarante écrivains pour une soixantaine d’ouvrages à caractère romanesque. Une littérature qui, étant donné la jeunesse de l’île, est précoce puisque le premier roman réunionnais est publié en 1844 (Les Marrons de Louis‑Timagène Houat). À titre de simple comparaison, Pierre Le Gentil pense qu’il est possible de situer la plus ancienne mention circonstanciée de La Chanson de Roland vers les années 1130‑1142 .(p. 14‑15)
17Jean‑François Samlong s’accorde donc avec Raoul Lucas sur le statut originel des Marrons de Louis‑Timagène Houat quant au roman réunionnais. Il établit un parallèle avec la Chanson de Roland et si le facteur chronologique — c’est‑à‑dire la comparaison des dates — nous semble secondaire, la valeur de chacun des deux textes est similaire quant à la construction et à la mythification de l’origine. L’autre roman réunionnais majeur est, aux yeux de J.–F. Samlong, celui qui inaugure la modernité du genre à La Réunion, à savoir :
Les Muselés (1977) d’Anne Cheynet [qui] est une rupture profonde avec l’écriture romanesque antérieure, et le signe d’un renouveau pour le roman réunionnais, mention qui apparaît sur la première de couverture comme marque de différence et/ou de reconnaissance, comme signe d’une affirmation identitaire. Même si cette interrogation est moins pertinente pour la composition de cette anthologie, nous devons quand même cerner les critères qui permettent de dire qu’un roman est réunionnais. (p. 11)
Les Marrons dans l’histoire de la littérature francophone à La Réunion
18Mais une contextualisation plus globale, au‑delà du genre romanesque, s’avère intéressante. Il convient dès lors de s’interroger sur la place des Marrons dans la littérature réunionnaise, ou plutôt dans un objet d’étude scientifique plus restreint, à savoir la production littéraire francophone à l’île de La Réunion. Pour ce faire, nous nous appuyons sur Jean‑Louis Joubert, auteur de Littératures de l’océan Indien (1991)6. Après une première partie consacrée à Madagascar et une deuxième à l’île Maurice, l’auteur traite de La Réunion en troisième partie. La production littéraire est étudiée en trois temps « La littérature de l’île Bourbon (de Bertin et Parny à Leconte de Lisle, Léon Dierx et quelques autres) » (chapitre 13), « Romanciers et prosateurs réunionnais (de Marius‑Ary Leblond à Axel Gauvain) » (chapitre 14) et « Créolité réunionnaise et poésie moderne » (chapitre 15). J.‑L. Joubert reconnaît d’abord l’intérêt de l’œuvre eu égard à l’archéologie des lettres francophones à La Réunion :
La prise de conscience de l’existence de la littérature réunionnaise s’est manifestée aussi par la réédition en fac‑similé de textes anciens : ainsi du premier roman réunionnais, Les Marrons de Louis Timagène Houat, repris en 1988, ou en 1989, du recueil poétique d’Auguste Lacaussade, Les Salaziennes. (p. 202).
19Ainsi l’origine romanesque est‑elle mise en regard de l’origine poétique des lettres francophones à La Réunion. Comme R. Lucas, J.‑L. Joubert s’intéresse d’abord à la trajectoire de l’auteur :
Louis Timagène Houat (1809‑1880 ?) est le premier Réunionnais à publier un roman : Les Marrons (1844). Il avait été impliqué et arrêté en 1835, pour une affaire liée, semble-t-il, à son engagement en faveur de l’abolition de l’esclavage. Condamné, il avait été, malgré une amnistie, expulsé vers la France au début de 1838. Il y publie une brochure poétique dont le titre proteste contre cette expulsion (Un proscrit de l’île Bourbon à Paris, 1838). Aux élections législatives de septembre et octobre 1849, il est, sans succès, candidat à La Réunion. Devenu médecin, il se fixe définitivement en France. (p. 225)
20Les points d’interrogation indiquent l’incertitude qui pèse sur l’état des connaissances biographiques et l’auteur fait mention d’un mémoire qui constitue un autre pan de l’écriture de Houat. Enfin, J.‑L. Joubert juge assez sévèrement le texte :
Malgré sa maladresse de facture, Les Marrons retient l’attention par les thèmes qu’il met en œuvre : condamnation de l’esclavage et exaltation du marronnage, critique de la société coloniale, apologie de l’union entre un esclave marron et la jeune femme blanche qu’il a sauvée d’un incendie. On a suggéré des rapprochements possibles avec Georges, d’Alexandre Dumas (paru en 1843, un an avant l’œuvre de Houat). Le romancier réunionnais s’est manifestement inspiré des souvenirs laissés dans la mémoire réunionnaise par les soulèvements d’esclaves et le marronnage, peut‑être aussi de l’épisode mauricien de Ratsitatane. L’oubli dans lequel cette œuvre était tombé (jusqu’à sa réédition en fac‑similé, en 1988), pourrait tenir du refoulement d’images gênantes. (p. 225) »
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21Cette œuvre nous apparaît comme un roman non seulement réunionnais, mais indianocéanique qui se présente comme une réécriture audacieuse de l’histoire d’amour entre Paul et Virginie parce qu’il met en scène des esclaves malgaches — « Madagasses » dans le texte — qui tentent en vain de regagner leur île. Jean‑Louis Joubert y voit une allusion à Ratsitatane et nous terminerons notre propos en y voyant quant à nous un anti‑Sitarane, c’est‑à‑dire une histoire liée à l’esclavage dans laquelle la lumière l’emporte sur l’ombre.