Penser la praxéologie
1Le titre de l’ouvrage de Denis Vernant, Dire pour faire, fait explicitement référence à la traduction française du texte majeur de John L. Austin, Quand dire c’est faire, inscrivant ainsi sa recherche dans la continuité de ce dernier. Plus précisément, D. D. Vernant vise à « articuler l'analyse pragmatique sur une théorie générale de l'action, une véritable praxéologie qui discerne les finalités transactionnelles de tout sens et de toute communication » (p. 94). En d’autres termes, alors que l’analyse austinienne en reste au niveau pragmatique de l’acte illocutoire, D. Vernant essaie d’étendre la portée de cette analyse au niveau praxéologique de l’acte perlocutoire : « On sait que pour Austin le perlocutoire porte sur les objectifs attendus de la part du locuteur et réciproquement sur les effets produits sur l'auditeur. Toutefois, ce niveau n'est manifestement pas conventionnel et donc non prévisible a priori. Il est pourtant celui où se jouent les finalités praxéologiques du dialogue » (p. 124). Alors qu’Austin laisse de côté le perlocutoire, D. Vernant vise à le réintégrer dans la philosophie du langage et à montrer qu’il est possible de le conceptualiser malgré l’imprévisibilité de son caractère non-conventionnel. Il y a quatre composantes au projet de D. Vernant, qui forment les quatre parties de l’ouvrage : premièrement, il s’attarde sur la pragmatique en philosophie du langage ; deuxièmement, il articule la praxéologie à cette dimension pragmatique ; troisièmement, il offre une formalisation de cette dimension praxéologique ; quatrièmement, il rend compte des dimensions communicationnelle et stratégique de tout discours.
La pragmatique en philosophie du langage
2Un des intérêts de l’ouvrage de D. Vernant réside dans sa capacité à transcender la distinction traditionnelle sémantique/pragmatique (représentée en philosophie du langage par l’opposition philosophie du langage idéal vs. philosophie du langage ordinaire) pour montrer que ce sont différents niveaux d’analyse toujours opérants, et ce ensemble, sans que l’on puisse les séparer si ce n’est méthodologiquement. Cette séparation méthodologique en différents niveaux d’analyse, D. Vernant la considère comme une « approche stratifiée qui considère successivement les aspects sémantique, pragmatique et praxéologique de tout dialogue effectif » (p. 126). Cette approche stratifiée vise non seulement à séparer les différents moments d’analyse, mais surtout à montrer que ces trois niveaux sont présents dans tout dialogue. Toute analyse qui se passerait de l’un ou l’autre tomberait nécessairement dans un manque. Le manque principal étant, pour D. Vernant, celui du niveau praxéologique. Mais avant d’articuler la praxéologie aux deux autres moments, D. Vernant doit d’abord montrer l’articulation sémantique/pragmatique.
3C’est à cette tâche que s’attelle la première partie de l’ouvrage, qui se consacre à l’analyse de certains philosophes du langage (Frege, Austin, Grice) afin de montrer en quoi l’action est toujours présente dans leur pensée du langage. Ainsi, même Frege, que peu considèreraient comme pragmaticien, doit se concentrer sur le caractère actionnel du discours, notamment par le moyen de la « force assertive » qui sera développée et reconfigurée par Austin en une typologie de forces (locutoire, illocutoire, perlocutoire). En montrant que la sémantique ne peut se passer de pragmatique, D. Vernant vise à mettre en place le terrain pour articuler la praxéologie à la pragmatique.
4Il perçoit déjà cette articulation dans l’analyse de Grice dont l’intérêt est « de rappeler la dimension inférentielle du sens et d'introduire, à côté du raisonnement déductif, la procédure de l’implication dialogique » (p. 54). Cette implication dialogique est centrale pour la philosophie du langage de D. Vernant, puisqu’il s’agit pour lui d’étudier les « finalités transactionnelles » de la communication, c’est-à-dire du dialogue. En effet, D. Vernant se concentre principalement sur l’étude de la communication dialogique, même si ses analyses pourraient être adaptées à d’autres formes discursives. Les « finalités transactionnelles » étant particulièrement visibles dans les dialogues, c’est ainsi sur ceux-ci que D. Vernant se concentre.
Articuler la praxéologie
5Dans la deuxième partie de l’ouvrage, partie théorique centrale en ce qui concerne la praxéologie, D. Vernant articule la praxéologie à la pragmatique. D. Vernant s’oppose à la « clôture communicationnelle » qu’il perçoit dans la pragmatique standard et qui tend « à débrayer le jeu dialogique de ses finalités prosaïques. C'est typiquement le cas chez Habermas qui prend bien soin d'émanciper l'agir communicationnel de toute contrainte de l'agir stratégique conçu comme entreprise néfaste de la manipulation. » (p. 64) Alors qu’Habermas distingue l’agir communicationnel de l’agir stratégique, c’est-à-dire qu’il distingue ce qui ressort purement du discours de ce qui ressort de ses finalités, D. Vernant s’oppose à cette idée qu’il qualifie de « tropisme idéaliste ». Pour lui, il faut faire redescendre la philosophie dans la pratique, le dialogue étant « une interaction langagière (pas nécessairement verbale) de nature foncièrement hétéronome et subordonnée à des finalités transactionnelles à la fois intersubjectives et intramondaines » (p. 64).
6Cette hétéronomie du dialogue force l’analyse philosophique à considérer non seulement ce que le langage dit, mais aussi ce qu’il fait et ce qu’il vise à faire. Ainsi,
Le dire est condition sine qua non de toute socialité et communicabilité indispensables au partage d'images du monde, de systèmes de valeurs, d'idéologies, de programmes d'action et d'utopies. Mais cet édifice immense de productions verbales, textuelles, iconiques serait vain s'il n'était orienté vers l'intervention commune ou conjointe sur nos mondes. Plus ou moins médiatement, indirectement, le Dire vise un Faire. C'est en ce sens que prime l'action et que les jeux de langage sont inéluctablement indexés sur des formes de vie. (p. 94)
7Cette idée que « le Dire vise un Faire » révèle le passage de la pragmatique simple à la praxéologie telle que D. Vernant la conçoit. Il ne s’agit plus d’élaborer une philosophie du langage qui décrit les usages et les pratiques (au sens d’Austin et des philosophes du langage ordinaire), mais une philosophie du langage qui prenne en compte ce que le langage vise à faire, ses buts et ses finalités. Alors que l’analyse pragmatique reste au niveau purement linguistique, l’analyse praxéologique déborde du langage pour entrer dans le monde. C’est pourquoi D. Vernant considère que « les jeux de langage sont inéluctablement indexés sur des formes de vie ».
8Cette indexation du langage sur des formes de vie révèle une dimension anthropologique que la pragmatique laissait pour ainsi dire de côté :
Dans sa dimension pragmatique, le dialogue se présente d'abord comme une interaction langagière […] qui instaure une relation communicationnelle entre locuteur et allocutaire et qui leur permet, en négociant des interactes, de construire une image du monde sanctionnant leur accord sur les objets et le micro-monde qu'ils vont partager. On se situe alors dans la dimension représentationnelle d'un échange complexe de signes et de signaux divers fournis par les texte, cotexte, intexte et contexte. Mais dans la mesure où nous considérons que le dialogue constitue un phénomène fondamentalement hétéronome, il convient de compléter l'analyse pragmatique de l'interaction langagière par un examen praxéologique de sa dimension transactionnelle. […] Nous convenons d'appeler situation ce contexte spécifiquement praxéologique qui se déploie en ses deux dimensions intersubjectives et intramondaines. Une telle situation est d'abord caractérisée dans sa singularité dialogique par le jeu des déictiques qui en précise les circonstances : allocutaires, lieu, temps, objets délocutés. (p. 118)
9Le niveau pragmatique se situe dans la dimension représentationnelle du dialogue, que D. Vernant décrit par quatre niveaux textuels : texte, cotexte, intexte et contexte. Les deux premiers niveaux sont relativement communs, les deux derniers un peu plus spécifiques et méritent explication. D. Vernant nomme intexte « les signaux qui mettent en jeu le corps ». (p. 114) Un dialogue n’est jamais que purement textuel ou langagier, il peut même s’opérer sans mots. Tous les signaux corporels qui permettent aux interlocuteurs et interlocutrices d’entrer en dialogue (avec ou sans mots) font partie de l’intexte. Le contexte, quant à lui, est définit spécifiquement comme « le seul ensemble des textes qui recensent les énonciations produites au cours de dialogues antérieurs ayant eu effectivement lieu entre les partenaires du dialogue. C'est donc l'historique des dialogues précédents, le texte des échanges passés qui en même temps pèse sur et éclaire le sens et la finalité du présent dialogue ». (p. 116) Il ne s’agit pas d’un contexte au sens large, mais simplement des différents textes qui viennent avec le présent dialogue, à savoir les dialogues et échanges précédents qui sont parfois (et même souvent) nécessaires pour comprendre le présent dialogue. Tous ces éléments participent de ce que D. Vernant nomme la pragmatique du langage. À ceux-ci s’ajoute encore une dernière dimension, plus anthropologique que représentationnelle : l’arrière-plan sur lequel les échanges s’opèrent. En effet, « la situation intersubjective et intramondaine qui lie les partenaires co-actants s'avère tributaire d'un arrière-plan actionnel inscrit dans une forme de vie assurant l'accord, plus ou moins institutionnalisé, sur le sens et la finalité actionnels de l'échange langagier ». (p. 121) C’est au niveau de cet arrière-plan que la dimension praxéologique se révèle : le dialogue déborde le simple échange verbal pour entrer dans un monde, dans une situation dans laquelle les locuteurs ont des visées.
10De son analyse, D. Vernant peut ainsi conclure que « la vérité des interactions, flatteuses ou non, ne réside pas en elles-mêmes comme ont voulu le faire croire les philosophes idéalistes de la communication et du dialogue, ni même dans leur seule efficacité, mais, plus fondamentalement, dans la dépendance des interactions langagières relativement aux modalités et aux finalités transactionnelles intersubjectives et intramondaines qui les conditionnent. D'où la nécessité d'un renversement praxéologique du processus d'analyse des dialogues ». (p. 136) Cette notion de renversement peut être comprise à l’aune de l’analyse de la place qu’Austin accorde au perlocutoire. Alors que ce dernier se focalise principalement sur l’illocutoire et laisse le perlocutoire de côté, le reversement praxéologique fait au contraire place au perlocutoire. C’est dans l’analyse de la dimension perlocutoire du discours que se situent les « finalités transactionnelles intersubjectives et intramondaines ». Cette dimension praxéologique est nécessaire pour comprendre comment le dire peut viser un faire. Dire n’est plus seulement faire, dire c’est faire (pragmatique) mais également viser un faire, dire pour faire (praxéologie).
Formaliser la praxéologie
11Après avoir montré l’articulation pragmatique/praxéologie, D. Vernant s’occupe dans la troisième partie de son ouvrage de formaliser cette dimension praxéologique. Cette formalisation peut sembler étrange (voire étrangère) à l’entreprise praxéologique étant donné que la situation (au sens de D. Vernant, c’est-à-dire incluant les différentes strates de texte) est peu propice à être formalisée entièrement. Néanmoins, D. Vernant insiste sur un point spécifique qui mérite formalisation, la notion d’inférence qui est intimement liée à la praxéologie. Ce passage à la notion d’inférence est une fois de plus justifié par l’analyse du niveau perlocutoire :
Reste le niveau perlocutoire. Austin en dit peu, mais il souligne qu'il n'est pas conventionnel et que la relation entre l'objectif visé et l'effet produit chez l'auditeur ne relève pas d'un lien causal. Comment alors concevoir que le locuteur choisisse tel ou tel objectif, sinon parce qu'il fait un « calcul » supputant l'effet de son dire compte tenu de la situation, de sa relation à l'auditeur, de leurs buts respectifs ou partagés, etc.? S'ouvre alors le champ non plus du code, mais de l'inférence. (p. 158)
12Alors que la sémantique (et peut-être même certains aspects de la pragmatique selon D. Vernant) reste au niveau du code, le passage au perlocutoire ouvre le champ de l’inférence. En effet, les objectifs choisis par le locuteur ne sont pas déterminés par un code, mais par une inférence. C’est en fonction de certains paramètres situationnels que locuteurs et locutrices vont choisir un objectif plutôt qu’un autre.
13Pour formaliser cette inférence, D. Vernant fait appel au concept d’abduction :
Cet exemple élémentaire montre à l'évidence que l'abduction possède une dimension logique d'inférence, mais aussi qu'une telle dimension n'est assurée à chaque étape que par la prise en compte de données (faits et hypothèses) d'ordre praxéologique. À la différence de la logique déductive qui ne tient compte que de la forme des propositions, il importe ici de considérer la situation locale complexe et de procéder à des opérations spécifiques d'infirmation ou de confirmation des différentes hypothèses explicatives et sélectionnant des indices négatifs ou positifs ayant statut de faits constatés. (p. 143)
14Dans l’abduction, la dimension inférentielle est liée à des éléments d’ordre praxéologique. D. Vernant vise alors à montrer que l’arrière-plan actionnel doit être pris en considération dans le dans le processus inférentiel d’abduction. En effet, c’est cet arrière-plan qui permet de justifier la présence de certains éléments dans le processus inférentiel. Ainsi, la formalisation logique de l’abduction ne peut se passer de faire appel à un arrière-plan praxéologique. La question qui reste en suspens est de savoir si cet arrière-plan lui-même peut être formalisé. D. Vernant utilise la praxéologie pour éliminer ou renforcer certains éléments du processus inférentiel, mais il semble que cette utilisation reste pragmatique et que sa formalisation est donc difficilement réalisable. C’est d’ailleurs l’un des points où l’analyse de D. Vernant est moins convaincante, car l’exhaustivité qui serait requise pour pouvoir rendre compte formellement du processus praxéologique semble impossible à atteindre.
15D. Vernant le suggère lui-même : « Une fois de plus, on observe cette intrication entre une dimension inférentielle (abductive, inductive et déductive) et une autre, expérientielle, relevant à la fois de la perception et de la mobilisation de connaissances d'arrière-plan » (p. 174). Il y a une intrication de la dimension inférentielle (formalisable) et de la dimension expérientielle (non-formalisable) qui rend justement le processus de formalisation un peu artificiel. En effet, la dimension expérientielle n’est jamais complètement déterminable étant donné qu’elle dépend de la perception, c’est-à-dire d’un sujet qui n’est jamais objectivable, et de la mobilisation de connaissances d’arrière-plan qui ne sont pas forcément déterminables pour toutes et tous. Ainsi, l’analyse praxéologique telle que la propose D. Vernant reste ancrée dans une subjectivité qu’il est impossible de dépasser alors que la volonté de formalisation montrée par D. Vernant semble aller contre cette subjectivité.
16De même, l’analyse de certains éléments manque de justifications, notamment dans l’analyse du primat du médium que D. Vernant propose. En effet, alors même qu’il est indéniable que le discours dépend du médium, c’est-à-dire que le médium conditionne les possibilités du dire, les jugements de valeur que D. Vernant suggère sont pour le moins hâtifs. Par exemple, son analyse des réseaux sociaux reste très caricaturale et manque d’entrer dans des détails possiblement intéressants : « L’usage des prétendus ʺréseaux sociauxʺ offerts par la société mercantile actuelle satisfait l’individualisme et le narcissisme ambiants et sert de déversoir au tout à l’ego endémique » (p. 108). Autant les réseaux sociaux sont peut-être des lieux loin de tout reproches, autant une telle caricature manque de montrer le caractère créatif qu’il peuvent produire en termes de discours (tweets, mèmes, ou autres). La rapidité du rejet de telles pratiques est d’autant plus dommageable que l’analyse praxéologique proposée semble être tout à fait adaptée à de telles pratiques. En effet, il y a dans certaines pratiques propres aux réseaux sociaux une identification de l’agir communicationnel et de l’agir stratégique qui serait tout à fait intéressante à analyser d’un point de vue praxéologique (un tweet n’est-il pas dans certains cas l’exemple parfait d’une telle identification ?).
Agir communicationnel & agir stratégique
17D’une certaine manière, par l’exclusion de certaines pratiques, D. Vernant reproduit le geste austinien qui considère comme « parasitiques » certaines formes de discours, alors même qu’il entend réévaluer ce parasitisme :
Loin de parasiter l'acte illocutoire, l'acte perlocutoire en est proprement la fin. Du strict point de vue technique de la description et de l'analyse, il ne saurait donc être question de séparer les différents niveaux de l'acte de discours et d'opérer une scission franche entre les dimensions « communicationnelle » et « stratégique ». (p. 204)
18En combinant les dimensions communicationnelle et stratégique, D. Vernant considère la praxéologie comme une manière d’éviter le parasitisme austinien et une analyse plus détaillée des pratiques actuelles (pas nécessairement dialogiques) serait tout à fait éclairante. Les exemples de D. Vernant restent pour la plupart des dialogues relativement communs et une focalisation sur certaines pratiques actuelles aurait pu rendre le propos plus convaincant.
19À cet égard, son analyse de la « révolution nanotechnologique » est symptomatique. Dans la quatrième partie de l’ouvrage, D. Vernant explore en effet les enjeux politiques de la praxéologie, en montrant cette intrication du communicationnel et du stratégique à partir de l’exemple de « la révolution nanotechnologique » :
Notre objectif n'est évidemment pas de rendre compte précisément d'un phénomène aussi complexe, mais d'en cerner de façon cursive sous l'angle épistémologique la dimension inventive ; sous l'angle praxéologique l'aspect novateur ; et enfin sous l'angle pragmatique les prétentions innovatrices. (p. 213)
20La distinction de l’analyse conceptuelle en trois niveaux permet à D. Vernant de montrer à quel niveau se situent les points de discordance possibles. La dimension inventive concerne le caractère de rupture opéré par l’invention : l’invention amène quelque chose de neuf. La dimension novatrice concerne les résultats de cette invention : l’invention produit quelque chose. La dimension innovatrice quant à elle concerne l’évaluation de ces produits. En ce sens, la novation se situe au niveau praxéologique des finalités de l’invention alors que l’innovation se situe au niveau pragmatique de l’utilité de cette invention.
21Ainsi, D. Vernant conclut de son exemple :
Si, en théorie, l'on doit s'accorder sur l'analyse conceptuelle des novations, il ne saurait en être de même des innovations qui, constitutivement, ouvrent débats, disputes, conflits. Ainsi peut-on s'entendre pour décrire l'invention des nanotubes de carbone et distinguer les avantages et inconvénients de cette novation. Mais demeure entière la question de sa valeur d'innovation requérant que l'on s'interroge sur son utilité, les effets et conséquences divers de ses utilisations. (p. 224)
22L’analyse conceptuelle des novations, c’est-à-dire le niveau praxéologique, est pour D. Vernant objectif et factuellement décidable, alors que la valeur d’innovation reste subjective. Cet exemple montre la nécessité de considérer la praxéologie indépendamment de la pragmatique (méthodologiquement du moins) étant donné qu’elle s’occupe non pas de la valeur des inventions, mais du produit seul. La « révolution nanotechnologique » illustre ainsi la séparation entre pragmatique et praxéologie : la première évalue les résultats de la seconde. Mais cette séparation est d’ordre méthodologique et il ne faut pas oublier que la description de la novation est difficilement séparable de son utilité : la pragmatique et la praxéologie (avec la sémantique) sont des niveaux d’analyse complémentaires dont aucun ne suffit à lui seul pour analyser un discours. La praxéologie ajoute ainsi un niveau essentiel à l’analyse pragmatique en ce qu’elle montre qu’agir communicationnel et agir stratégique sont indissociables : dire, ce n’est pas seulement faire quelque chose, mais c’est aussi et surtout viser à faire quelque chose.