De l’écriture des femmes en Méditerranée
1C’est à Carmen Boustani, professeure à l’Université libanaise de Beyrouth et Edmond Jouve, professeur à la Sorbonne Paris V, tous les deux auteurs de nombreux écrits francophones sur les femmes et l’écriture, que nous devons cet ouvrage innovateur qui réunit le regard de littéraires, linguistes, philosophes, sociologues, anthropologues, juristes et journalistes dans une analyse de femmes écrivant en France, en Italie, en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Égypte et au Liban. Cet ouvrage est le résultat du colloque « Des Femmes et de l’écriture » où fut passé à la loupe la problématique de l’écriture francophone des femmes du bassin méditerranéen selon des méthodes pluridisciplinaires différentes. Quelle est la spécificité de cette écriture dans le contexte socio culturel et sous l’influence des mouvements de libération de la femme est l’une des questions centrales de cet ouvrage. Si l’aire géographique méditerranéenne a été choisie, comme terrain d’investigations, elle le doit pour avoir vu naître et périr de nombreuses civilisations précisent Carmen Boustani et Edmond Jouve dans leur introduction. Et dans la mythologie du bassin méditerranéen, l’image de la femme, la mère domine avec le rapport indissociable mère/fils. Le choix a aussi été guidé par l’assimilation de la figure de la mère à celle de la langue.
2L’ouvrage se divise en deux grands volets géographiques. Celui de la Méditerranée orientale et celui de la Méditerranée occidentale. Le premier volet comporte deux axes. D’une part, la littérature libanaise avec des contributions critiques sur l’œuvre littéraire de Vénus Khoury-Ghata. Dans la dimension mythique donnée à l’écriture au féminin est ainsi analysée La Maestra par Carmen Boustani, dans une approche répartie sur trois niveaux : le lectant (thématique narrative), le lisant (effet du réel) et le lu (inconscient du texte), selon la méthode de Vincent Jouve consignée dans L’Effet-personnage dans le roman. Quand à Évelyne Accard, elle aborde l’écriture de Vénus Khoury-Ghata par le biais d’une perception personnelle introspective de la relation de l’auteur à la poésie et au romanesque.
3Christiane Makward étudie dans quelques textes d’Andrée Chedid, le sentiment du corps, le souvenir du corps et la mémoire du corps-sujet en expliquant la dualité insécable (avant la mort) de l’Une et de l’Autre. La richesse de la réflexion de Chedid sur le corps est au centre de cet article. Françoise Collin se penche sur l’ « autre récit de l’histoire » chez Andrée Chedid et sa déconstruction du fait mémorial qui déploie l’imaginaire sur un canevas, une histoire et des personnages de la mémoire collective pour atteindre à plus de vérité ou une autre vérité. Lucie Lequin met en lumière Abla Faroud et ses personnages aux prises avec la souffrance et en quête de sérénité. Les différentes ruptures « spatiales, temporelles et généalogiques du “je” » et sa capacité à renouer les fils existentiels par un retour au dire forme la trame de cette analyse. Avec Le Cerf-volant de Dominique Eddé, Joumana Debs sur le regard critique porté sur la bourgeoisie beyrouthine.
4Le second axe porte sur la thématique Maghreb/Machrek : femme objet du discours. Marc Kober traite de la femme égyptienne au XXe siècle. Femmes écrivains qui se mettent en scène dans leurs récits après avoir été décrites dans une écriture masculine. Bien que le français s’étiole comme langue de création, il reste le choix pour les femmes soucieuses d’entrer dans le patrimoine littéraire et d’acquérir le statut d’écrivain. Anne-Marie Houdebine interroge la complexité de la langue française. Interrogation qui se porte sur les marqueurs de la différentiation sexuelle et leur signification d’universalité pour les uns mais pas pour les unes. Annie Gruber brosse les multiples facettes d’Assia Djebar : écrivain, romancière, historienne, journaliste, poète, essayiste et se met à l’écoute de sa pensée sans oublier ses réalisations tant au théâtre qu’au cinéma. Denise Brahimi examine N’zid de Malika Mokeddem en développant son regard autour du titre. Dans ce dessein, elle évolue sur deux niveaux. Celui de l’univers romanesque et celui du parcours biographique de l’héroïne qui prend ses racines dans celui de l’auteur.
5La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la Méditerranée occidentale avec en premier volet la littérature migrante. Marta Segarra aborde la problématique de la « réappropriation de l’Orient chez les romancières franco-maghrébines » considérant l’œuvre de Nina Bouraoui, écrivain entre deux cultures. Carmen Mata-Barreiro étudie la « lutte pour être et pour dire » des écrivaines migrantes d’origine maghrébine en Belgique et en France telles, Leïla Sebbar, Leïla Houari, Azouz Begag, mais aussi Fadela Amara ou Samira Bellil dont les témoignages amorcent un changement du regard sociétal sur la condition féminine.
6Dans le second volet, Edmond Jouve enjambe les siècles et remonte plus de deux cent ans pour rendre hommage à Marie-Olympe de Gouges, enfant du Quercy, qui paya de sa vie, le 3 novembre 1793 (le 13 brumaire II) son engagement passionné dans le « combat pour l’émancipation de la femme et pour l’égalité des sexes ». Christiane Veauvy et Laura Pisano ont choisi de traiter « la pensée de la différence » née en Italie à la fin des années 1980, avec Carla Lonzi, traduite par Christiane Veauvy et un roman historique sur Olympe de Gouges écrit par Laura Pisano.
7Carmen Boustani et Edmond Jouve dans, et par cet ouvrage, invitent à multiplier les rencontres francophones au féminin autour de la Méditerranée et proposent de créer une plateforme d’échanges littéraires posant quelques objectifs communs. Faire entendre les voix de femmes de part et d’autre du bassin, qu’il soit oriental ou occidental, sont des enjeux qui ne peuvent qu’enthousiasmer les chercheurs spécialistes et soucieux de l’écriture féminine.