Le livre entre Saône et Rhône
1Il s’agit du second numéro de cette revue dirigée par l’historien du livre Frédéric Barbier. Au format d’un ouvrage, le volume compte trois parties : « Lyon et les livres », « Études d’histoire du livre » et « Livres, travaux et rencontres » dans laquelle figurent les comptes-rendus. Plusieurs textes sont accompagnés d’illustrations. La revue ouvre ses pages aux spécialistes reconnus et aux jeunes chercheurs. La référence aux ouvrages d’Henri-Jean Martin (qui a été conservateur en chef des Bibliothèques de Lyon) est en filigrane, témoignant une fois encore de leur importance et de la voie tracée.
2Pour ouvrir le propos, Jean-Dominique Mellot, propose de cerner le livre et son étude. Il rappelle comment l’histoire de l’imprimé s’inscrit largement dans une histoire des sociétés et de quelle manière elle évolue et se nourrit.
3Le dossier consacré au livre lyonnais est dirigé par Dominique Varry, « il témoigne du travail que mènent quotidiennement universitaires et bibliothécaires, à Lyon et ailleurs, en insistant sur des périodes ou des aspects peu étudiés jusqu’à présent ».
4Philippe Nieto nous invite à des pérégrinations européennes, celles des incunables et de leurs imprimeurs. Il propose une partie de ses recherches en cours, grâce à dix cartes « livrées ici dans un état brut ». Cependant la méthodologie est clairement expliquée et des éléments biographiques sont associés aux noms des libraires.
5Jean-Dominique Mellot livre une « géographie urbaine des métiers du livre ». De la fin XVe au début XIXe siècle, il s’intéresse à l’implantation de ces métiers à Lyon. L’article dresse un tableau de la présence des imprimeurs, libraires et relieurs et de leur répartition dans la ville. Des rues étroites de la presqu’île, ils ont gagné les espaces plus aérés d’une ville nouvelle. En revanche, ils ont mis du temps à s’installer sur « la colline qui travaille » : la Croix-Rousse.
6Le mystère de l’édition du Second livre des Recherches de la France d’Etienne Pasquier est en partie déchiffré par Catherine Magnien. C’est un ouvrage fort rare (trois exemplaires conservés) paru en 1565 et confié à un imprimeur lyonnais huguenot : Claude Senneton. Grâce aux archives, C. Magnien décrit les opinions ou les relations de l’imprimeur. En revanche, les sources restent silencieuses sur les conditions de la rencontre des deux hommes.
7Anne Béroujon explique de quelle manière la contrefaçon de livres s’organise de 1650 à 1700. Une période au cours de laquelle « Lyon, à l’instar d’autres villes de province […] devient un pôle de l’édition illicite ». L’étude est faite à partir des actes des procès ; cent dix affaires ont été dénombrées. Il apparaît ainsi que la contrefaçon n’était pas chez les imprimeurs-libraires, voire les relieurs une activité marginale. L’article s’achève par un tableau dans lequel figurent les noms des imprimeurs impliqués, les procédures et éventuelles condamnations.
8Les Pensées de Pascal éditées chez Desprez en 1670 connaissent de nombreuses contrefaçons. Juliette Guilbaud tente de démêler l’écheveau des contrefaçons lyonnaises. En effet, l'édition parue chez Adam Demen en 1675 soulève de nombreuses interrogations. Cependant, la comparaison minutieuse des différentes éditions ne permet pas de répondre à toutes les questions.
9Brigitte Bacconnier, qui travaille sur la dynastie des Duplain, présente deux frères libraires du XVIIIe siècle, Pierre et Benoît qui avaient ouvert boutique rue Mercière. Soucieux de répondre aux attentes des lecteurs, ils faisaient aussi commerce avec les libraires européens. Leur carrière ainsi que celle de leurs cousins, installés à Paris, sont retracées.
10Dominique Varry rappelle que Lyon « s’est, dans les années 1760 et suivantes, divisée sur la question alors omniprésente : fallait-il conserver ou supprimer les Jésuites ? ». L’auteur a identifié des brochures (le plus souvent anonymes et sous de fausses adresses), parues entre 1760 et 1775 ; elles relèvent des partisans et des opposants. Les libelles, aux contenus fort variés, témoignent de la vivacité des débats.
11Claudette Fortuny s’intéresse aux réimpressions de L’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal parue pour la première fois en 1770. Dix contrefaçons lyonnaises sont ainsi difficilement identifiées ; il s’agit d’une étude complexe puisque les éditions sont publiées sous de fausses adresses. L’auteur explique avec précision sa démarche, montrant de quelle manière le matériel typographique, le papier ou les ornements pouvaient constituer des indices. Elle a ainsi reconstitué l’histoire de ces éditions, parvenant à circonscrire le travail de plusieurs imprimeurs et à identifier les ornements de quatre d’entre eux.
12Caroline Calame nous entraîne dans les montagnes à la suite de Samuel Girardet (1729-1807), libraire-relieur au Locle, qui a entretenu une correspondance régulière avec la Société typographique de Neuchâtel (deux cent huit lettres). La correspondance mentionnée est fondamentale pour la connaissance du personnage. Mais il faut ajouter un extrait de catalogue bien inhabituel : les volets de la librairie Girardet (conservés) qui servaient d’affiche publicitaire. Les titres de trente et un ouvrages ont été inscrits sur les panneaux de bois, de sorte qu’ils fussent visibles en position ouverte. Grâce à ces éléments, le catalogue de cet important libraire a pu en grande partie être reconstitué.
13Aurélie Darbour, Clémence Joste, Céline Lèbre et Anne-Laure Darbour s’interrogent : « Emmanuel Vitte le dernier des libraires catholiques lyonnais ? ». Lyon s’est fait une spécialité du livre religieux au XIXe siècle ; E. Vitte y dirige sa maison d’édition de 1876 à 1928. Imprimeur officiel de l’archevêché, il est en relations étroites avec les institutions ou les écoles libres. Les sources permettent de bien cerner son activité et de l’inscrire dans le contexte éditorial de la ville. À sa mort, la maison perdure au moins jusque dans les années 1960.
14Denis Galindo, relève dans la correspondance de Julien Baudrier (1860-1915) « l’Élaboration de la Bibliographie lyonnaise du XVIe siècle ». Ce sont ainsi quatre cent cinquante lettres qui sont conservées aux archives municipales de Lyon. La bibliothèque familiale fut constituée dès l’Ancien Régime ; elle était « riche en impressions lyonnaises des XVe et XVIe siècles et en reliures armoriées ». J. Baudrier qui s’était placé en continuateur de Péricaud a rédigé une bibliographie fondamentale qui a été réimprimée ou complétée. L’article cite de nombreux passage de sa correspondance.
15Sheza Moledina et Dominique Varry livrent une bibliographie sélective classée, fort utile, qui rassemble ouvrages généraux, monographies et articles.
16Parler du livre à Lyon impose une visite au musée de l’imprimerie cis dans un hôtel Renaissance de la presqu’île, rue de La Poulaillerie. Hélène-Sibylle Beltran présente donc cette institution inaugurée en 1963 et confiée alors à Maurice Audin. Le musée conserve ouvrages, estampes et matériel typographique. Le travail conjoint avec la bibliothèque municipale (dès la création du musée), permet à ces institutions d’être pôle associé de la BnF. Enfin, le musée « est l’un des membres fondateurs de l’Institut d’histoire du livre ».
17Le dossier s’achève par un précieux et volumineux « Index librorum, locorum et nominum ».
18Marie-Dominique Leclerc s’est intéressée aux « Ex-libris manuscrits et notes dans les impressions de grande diffusion (XVIIe-XIXe siècles) ». Dans le cadre de l’article, le propos se limite à la célèbre Bibliothèque Bleue. Ces inscriptions manuscrites permettent d’approcher les lecteurs, les possesseurs de ces ouvrages. L’auteur relève les différents usages, l’instinct de propriété, les réflexions en marge… « Ces traces […] sont les plus nombreuses à annoncer un public peu instruit qui paraît faire des efforts pour gouverner sa main et s’emparer du texte ».
19Les Poèmes moraux et méditations qui fortifient contre la crainte de mourir… constituent un recueil de textes rassemblés par le Comte de Hartig, gravement malade. Claire Madl montre de quelle manière Hartig, en ce XVIIIe siècle qui célèbre le bonheur, a été contraint de s’intéresser à la mort. Le recueil, qui compte quarante trois textes, devait contribuer à poursuivre le lien avec ses proches amis. C. Madl, en analysant son contenu, rappelle la quête d’immortalité sous-jacente.
20Le dernier article est consacré à « Charles-Joseph Panckoucke et le Mercure de France pendant la période révolutionnaire ». Greta Kaucher étudie le Plan du travail du Mercure de France pour l’année 1790. Panckoucke avait acquis le privilège du Mercure fondé en 1672. Il réorganisa le périodique et proposa ce texte dans lequel les consignes ont été inscrites. L’article reproduit le Plan qui renseigne sur les méthodes de travail, les collaborations et l’organisation des différentes parties du Mercure de France.
21Ce numéro, dont les contributions sont très riches, confirme la vitalité des recherches consacrées à l’histoire du livre. Une histoire qui s’écrit, selon J.D. Mellot, par une approche « large et pluridisciplinaire » ; le catalogue d’exposition Les trois révolutions du livre l’avait déjà magistralement illustré.