De la musique après toute chose
1La musique et la littérature entretiennent d’étroits rapports, qui s’expliquent en partie par le fait que toutes deux sont des arts qui s’inscrivent dans le temps, et non dans l’espace, à la différence de la peinture, de l’architecture ou de la sculpture. Dès lors, les occasions de rencontre, de cousinage ou d’affrontement ont toujours été nombreuses, l’union la plus éclatante s’étant produite lorsqu’on inventa l’opéra.
2Le XVIIIe siècle, qui a posé à peu près toutes les questions que l’on pouvait se poser, n’a pas manqué de se demander quel art, de la musique ou de la littérature, faisait le plus d’impression sur l’âme (car, en ce temps-là, on prêtait encore au lecteur ou au spectateur une âme). Rousseau, qui vivait en copiant des partitions, tenait pour la musique. Il l’aimait avec passion parce qu’à la différence du langage articulé, elle ne mentait pas. Une autre question fut de savoir si (et comment ?) la musique se conformait au principe aristotélicien de mimesis, d’imitation de la réalité. L’œuvre de Rousseau est le centre, parfois visible, parfois dissimulé, du livre de Tili Boon Cuillé, qui aborde plusieurs problèmes, dont on voit mal quel rapport ils peuvent entretenir. Une des premières difficultés vient de l’hétérogénéité des œuvres retenues. Quoi qu’on dise, tous les écrivains ne se valent pas et, à côté de chapitres fort intéressants sur Diderot ou Beaumarchais, les sections dévolues à Cazotte (dont l’auteur utilise cet étrange ouvrage qu’est l’Ollivier, paru en 1763, et qui retint l’attention de Nerval), Isabelle de Charrière, Sophie Cottin, Madame de Krüdener ou Madame de Staël sont parfois languissantes. Les minores ou les minimi valent rarement pour eux-mêmes. Ces chapitres forment plus ou moins des unités closes, entre lesquelles il n’est pas aisé de circuler. Une autre difficulté vient de la présence d’un corps étranger, de la greffe forcée d’un concept étranger aux Lumières : celui du « genre », qui, comme bon nombre de courants critiques actuels, porte la condamnation implicite de ces mêmes Lumières, qui croyaient à l’universalité abstraite de la nature humaine. Ce qui fait que ce livre dont le sujet (l’interface entre musique et littérature) est en principe assez proche de celui de Bénédicte Louvat-Molozay (Théâtre et musique. Dramaturgie de l’insertion musicale dans le théâtre français, Paris, Honoré Champion, 2002), se voit lesté de présupposés sinon contestables, du moins anachroniques.