Paroles de contes, contes de paroles
1Cet ouvrage reprend les actes du colloque « le dire et le dit dans le conte merveilleux de l’Age classique » qui s’est tenu à Grenoble en septembre 2005. Après un premier colloque organisé en 2000 autour de l’examen des voies d’une poétique expérimentale dans les contes du XVIIIe siècle1, le présent volume explore les rapports du conte avec l’oralité.
2Organisé en trois grandes parties : Fictions de voix, Co-énonciation et mise en scène et Le corps des mots, le jeu des récits, l’ouvrage opère un retour sur l’origine des contes et s’intéresse à leurs modes d’énonciation. Cette étude témoigne d’une démarche particulière, il s’agit de prendre en compte l’importance de la lecture au XVIIème siècle. La littérature est alors perçue comme un mode de lecture et, par conséquent, se transmet oralement. Dans la préface, Jean-François Perrin met à mal les à priori sur l’origine orale des contes. Si la critique a longtemps pensé que ceux-ci avaient été récupérés par des hommes de lettres pour les mettre en texte, cet ouvrage cherche à lire le conte de fées comme une oeuvre faite pour être lue en même temps qu’il démontre l’origine déjà littéraire des contes de fées. Il ne s’agit donc plus d’envisager la notion de littérarité comme opposée à celle d’oralité mais bien plutôt d’intégrer les différentes manifestations d’oralité dans les contes comme des phénomènes déjà littéraires.
3Le volume s’ouvre sur une réflexion de Lewis C.Seifert qui explore les nombreuses formes que peut prendre l’oralité dans le conte en même temps qu’il donne un aperçu historique de la critique des contes. Les effets esthétiques de la parole dans les contes de fées sont ensuite mis en évidence selon quatre grandes trajectoires transversales :
4Tout d’abord, Jean-Paul Sermain nous donne trois modèles de présence de l’oralité dans le conte de fées à partir des textes de Galland, Perrault et Hamilton. Il met en avant la fonction dramatique et poétique du conte de fées, à l’instar de Manuel Couvreur dans sa contribution sur « Galland ou l’art de la polyphonie à une voix ». Cette fonction dramatique du conte de fées se remarque d’autant plus dans l’étude de l’intertextualité. La fréquence de ce type de contribution souligne les nombreux liens qu’entretiennent les contes de fées avec les autres genres et l’apport qu’ils ont pu fournir au conte tout comme l’influence que celui-ci a pu exercer sur eux. L’article de Marie-Agnès Thirard étudie l’influence de l’Afrique sur les contes de Mme d’Aulnoy. Elle constate l’existence de différentes strates d’écriture du conte qui marquent les passages progressifs de l’oralité à une écriture plus travaillée, plus littéraire. Grâce à ce travail de réécriture, elle remarque enfin que Mme D’Aulnoy parvient à donner un nouveau souffle au genre. De leur côté, Catherine Ramond, Nathalie Rizzoni et Régine Jomand-Baudry s’intéressent particulièrement à l’adaptation du conte de fées au théâtre. L’importance de la parole est ainsi mise en valeur ainsi que son traitement sur la scène. Par ailleurs, le conte de fées est aussi analysé dans son rapport avec l’opéra notamment dans l’article de Benjamin Pintiaux « L’opéra-ballet et le conte merveilleux : « la Féérie » de Cahusac et Rameau (1745) ». Quant à Nadine Decourt, elle analyse les « Veillées de Thessalie » de Melle de Lussan et souligne le rôle de la conversation conteuse dans le théâtre et principalement pour la voix chantée lyrique. Ruth B.Bottigheimer, dans son article « Perrault au travail », étudie l’intertextualité des contes de Perrault et son utilisation de contes écrits et préexistants pour les adapter à son public. Enfin, Jean-François Perrin remarque l’existence d’un interdit implicite au conte : le conteur ne doit jamais être interrompu. Celui qui prend la parole ne la quitte qu’à la fin du conte. Or, Hamilton rompt avec cette tradition et crée ainsi le conte merveilleux persifleur. Fonction dramatique nouvelle, puisqu’elle a pour but d’empêcher le lecteur d’adhérer au récit. De digression en digression, le récit reste inachevé et témoigne du défaut de présence de la co-énonciation.
5La seconde fonction de la parole est la fonction divertissante. Le conte littéraire est en effet destiné à un public de mondains représenté par et dans le discours du conte. C’est notamment ce que mettent en évidence les contributions de Christine Noille-Clauzade qui remarque l’existence d’une contre-voix implicite au conte qui se jouerait des principes de vérité et de vérification du monde actuel, mais aussi celle de Sophie Raynard ou encore de Jean Mainil qui, dans son article « Du triple usage de la parole dans le conte de fées de la première vague : des huttes et des cabanes aux salons mondains », souligne la présence de trois paroles originales : La parole populaire, la parole héroïque qui « réalise une prise de pouvoir du sujet qui passe de la troisième personne à celle de l’autoreprésentation », et enfin, la voix mondaine du conte. Tous trois utilisent des exemples issus de contes de la fin du XVIIème siècle. Cette fonction divertissante permet des développements sur le dialogue dans les contes de fées. Françoise Gevrey, dans son article « Les termes « bavard » et « babillard » dans le conte merveilleux » s’intéresse à la dimension parodique de la parole dans le conte libertin du XVIIIème siècle. La parole conteuse, divertissante, peut aussi devenir une parole révélatrice : la parole dans le conte de fées dévoile l’être et la nature de chacun comme le soulignent Julie Boch dans son article sur les contes de Caylus ou encore Vincent Verselle lors de son étude des paroles d’ogres.
6Ensuite, c’est la fonction morale et instructive de la parole qui est la plus abondamment illustrée dans les différentes communications. Le conte de fées se conçoit comme une méthode parallèle aux leçons ou dialogues pour mettre en avant des comportements vertueux. Raymonde Robert s’intéresse particulièrement aux contes et à la rhétorique judiciaire. Elle prend pour exemple « L’histoire de la Sultane de Perse et des vizirs » de Pétis de la Croix (1707). Christelle Bahier-Porte et Carmen Ramirez étudient respectivement « Les Soirées Bretonnes » et les « Contes tartares » de Gueullette. Elles mettent en évidence un retour à la vocation morale du conte peut-être sous l’influence du dialogue philosophique. Dans son article « Devoir de parole, loi du silence : les pouvoirs du verbe dans « La Belle et la Bête » de Mme de Villeneuve (1740 », Anne Defrance nous offre une relecture remarquable de ce conte et met en avant aussi bien la dimension auto-réflexive du conte que sa vocation initiatique : destiné aux jeunes filles, le conte les éduque à l’amour. Marie-Françoise Bosquet, quant à elle, rapproche les « Mille et Une Heures, Contes Péruviens » de Gueullette de « la Belle et la Bête ». Elle lit les LVIII premières Heures comme un art d’aimer mis en oeuvre par une voix féminine, l’art de conter pouvant alors se lire comme une maïeutique capable de produire un homme nouveau. D’autre part, il était naturellement impossible d’étudier la fonction morale de la parole sans faire référence à Mme Leprince de Beaumont. Sophie Latapie nous propose cette étude dans son article « Conter les fées comme un récit biblique : Mme Leprince de Beaumont et la pédagogie des catéchismes ». La comparaison entre contes de fées et récits bibliques est reprise par Richard Gossin dans un article sur le dire et le dit dans les contes de Noël. Par ailleurs, nous signalons l’article original de Martial Poirson sur le proverbe dramatique dans lequel est étudié « Le Petit Poucet » de Carmontelle (1769) présenté comme « une réalisation scripturale d’une morale collective (populaire) ».
7Enfin, de nombreuses communications illustrent l’importance de la dimension auto-réflexive du conte de fées. Aurélia Gaillard, lors de sa communication sur « Contage et sexualité : le récit à double entente de Diderot, « L’Oiseau blanc, conte bleu » », met en évidence la poétique de l’écouter-jouir de Diderot. Elle nous propose une lecture du conte comme un « conte du contage ». Le conte de Diderot « explore la façon dont peut se révéler la parole profonde enfouie en chacun ». Michèle Bokobza Kahan s’intéresse au conte merveilleux libertin et à ses scénographies. Elle effectue un rapprochement entre le libertinage, dont la principale caractéristique est d’être affranchi de toute contrainte, et le merveilleux qui offre lui aussi de vastes possibilités d’action. Elle lit le conte merveilleux libertin non pas seulement comme une parodie du monde des féeries mais aussi comme une parodie du roman libertin et principalement une remise en question de l’écriture fictionnelle. Par ailleurs, certaines contributions mettent en évidence le travail de réflexion du conte sur le langage. Aurélie Basso, dans son étude sur « La princesse Coque-d’oeuf et le prince Bonbon » (1745), nous présente un merveilleux contaminé par un « quotidien perverti et caricatural ». Elle nous propose de lire ce conte comme un travail de désarticulation du texte qui pousse le genre dans ses retranchements. L’oralité est indice et vecteur d’une désagrégation du conte. Henri Coulet qui étudie les « Contes Bleus » de Rétif de La Bretonne constate que la parole ne vaut que du vent. Elle révèle les ficelles fictionnelles du conte. Philippe Hourcade, dans son article « Mots et choses dans les contes de Mme d’Aulnoy », s’intéresse à son tour au poids des mots. Il s’interroge sur la fonction de certains mots chez Mme d’Aulnoy et conclut sur l’usage, par cet auteur, de mots qui font plus référence à un monde qu’à la chose qu’il désigne. Selon lui, l’écriture du merveilleux donne libre cours à une relation à la langue. Enfin, Noémie Courtès met en évidence la contamination de la narration par le lexique du langage dans les contes du Chevalier de Mailly. Par le biais de l’exemple de « Blanche-Belle » et de sa comparaison avec le conte original de Straparole, elle souligne l’importance de la parole. Ainsi, chez Straparole, l’héroïne est produite par le Péché (la référence biblique est manifeste) tandis que dans le conte du Chevalier de Mailly, c’est le Verbe qui est à l’origine de la naissance de la jeune fille.
8Le recueil s’achève sur l’intervention de Henri Touati qui nous propose un état des lieux de la notion d’oralité aujourd’hui. Il souligne sa fonction essentielle dans la relation à l’autre et à sa culture et conclut sur les différents types de contes qui existent à l’heure actuelle.
9En somme, cet ouvrage nous permet de reconsidérer l’importance du conte de fées dans le contexte littéraire de l’époque, mais il s’attache surtout à mettre en avant la variété de fonctions de la parole dans le conte de fées. L’oralité du conte ne tient pas à son origine mais à des effets esthétiques particuliers qu’il était essentiel de mettre à jour. La variété des articles et des œuvres étudiées offre un véritable panorama critique du conte de fées du XVIIe et du XVIIIe siècles.