Acta fabula
ISSN 2115-8037

2007
Mai-Juin 2007 (volume 8, numéro 3)
Marie-Claire Planche

Les tréteaux du collège

Anne Piéjus (dir.), Plaire et instruire. Le spectacle dans les collèges de l’Ancien Régime, Presses Universitaires de Rennes, 2007. Actes du colloque de Paris, BnF, 17-19 novembre 2005.

1Anne Piéjus dans son introduction donne les limites chronologiques du colloque, du règne de Louis XIV à l’avènement de Louis XV. Elle rappelle que les connaissances sur les collèges de l’Ancien Régime, qui trouvent place dans une histoire de l’éducation, sont maintenant affirmées. Si le théâtre est assez bien connu, il restait cependant à aborder plus précisément la question de la formation artistique qui s’exprime dans la danse et la musique ; tel est le propos de cette publication.

2Jean-Yves Vialleton ouvre le colloque autour de « La notion de sujet d’après quelques remarques du Père Ménestrier ». En s’appuyant sur Furetière et sur les textes du père jésuite, notamment sur le Discours funèbre d’Anne d’Autriche, il nous livre les différentes acceptions de ce terme. Un sujet qui se partage l’invention et la disposition selon les règles de la rhétorique, ou qui contient le religieux.

3Théodora Psychoyou s’intéresse à « L’enjeu de la forme musicale dans la poétique du ballet jésuite ». La forme musicale, appelée dessein, a été peu étudiée dans les théories ; c’est Ménestrier qui lui accorde le plus d’attention Liée à la poétique et à la rhétorique qui s’appuient sur Aristote, Horace ou encore Longin, elle est fondamentale dans l’étude des tragédies.

4Laura Naudeix déchiffre et explique le rôle du ballet dans les tragédies jésuites. Comme en atteste la présence des maîtres de danse au sein des établissement et dans les spectacles, la danse fait partie de l’éducation. Sur scène c’est une danse mimétique, une pantomime que le spectateur doit déchiffrer. Les mots de la tragédie et la gestuelle du corps se répondent et proposent un ensemble à plusieurs niveaux de lecture.

5Bruna Filippi dans « La mise en vision dans le théâtre jésuite à Rome » convoque la visio. Rappelant l’importance des images dans la Compagnie, B. Philippi étudie de quelle façon elles jouent un rôle essentiel dans la réception des pièces. Le terme d’image doit ici être compris dans une acception large : c’est tout ce qui, sur la scène, donne à voir, sollicitant tout à la fois les sens et les affects.

6Anne Surgers s’intéresse quant à elle au décor du théâtre jésuite. Elle interroge les deux traités de perspective d’Andrea Pozzo dont les textes et les estampes publiés in-folio permettent de définir « une esthétique et une poétique du décor et de l’illusion ». Pour quelles raisons Andrea Pozzo eut-il recours à une perspective à point de fuite unique ? En effet, Juvarra ou Bibiena avaient déjà introduit des perspectives plus complexes. A. Surgers démontre, par une fine analyse, l’importance accordée à la simplicité du décor qui permet une « prise en charge du regard » efficace.

7Comme l’explique Brigitte Van Wymeersch, la théorie musicale était enseignée dans les collèges jésuites. Cette théorie, qui découle des mathématiques, est connue grâce à un ouvrage de Galtruche paru en 1655 : Philosophiæ ac Mathematicæ totius institutio. Ce texte fondamental et novateur, écrit par un jésuite, connut un grand succès et de nombreuses éditions. Son originalité et ses principes sont analysés à la lumière des autres théories musicales contemporaines.

8Nathalie Lecomte nous invite à faire connaissance avec « Les interprètes des ballets dansés au collège Louis-le-Grand de 1684 à 1699 ». Son étude s’appuie sur les programmes des ballets donnés entre les actes des tragédies. Des programmes qui livrent les noms des collégiens danseurs auxquels s’ajoutent à partir de 1690 des danseurs professionnels. L’analyse de ces documents est réunie en plusieurs tableaux qui permettent de croiser les informations.

9Jean-Marc Civardi déchiffre une pièce présentée en 1699, La Défaite de Solécisme par Despautère. Voilà donc un sujet grammatical dans lequel les personnages Galimatias et Pédanterie assiègent Éloquence. Il prend appui sur la grammaire de Despautère, utilisée pour l’enseignement par la Compagnie. La pièce est un divertissement « avec pour seul but un souci bien terrestre, ad majorem gloriam latinitatis ».

10Jean-Philippe Grosperrin situe le sujet d’Idoménée, rappelant les occurrences de ce thème à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle. Ce sujet est représenté sur les tréteaux jésuites à partir de 1691. J.-Ph. Grosperrin présente Idoménée du P. François Paulin, pièce de 1700 destinée au collège de Lyon. L’analyse qu’il propose montre comment cette tragédie fait écho au Télémaque de Fénelon ou à Racine.

11Carine Barbafieri s’attache à la comparaison de deux pièces, le Brutus du P. Porée (1708) et le Brutus de Catherine Bernard (1690). Cette dernière était destinée à la Comédie-Française, tandis que celle du P. Porée, en latin, fut représentée à Louis-le-Grand. Le sujet, issu de l’Antiquité, est situé dans le contexte de création du règne de Louis XIV. Puis les pièces sont analysées, montrant la perméabilité entre le théâtre de collège et la scène professionnelle. « Le royaume de Melpomène est lui aussi unifié », même si l’une des pièces s’adresse davantage au cœur, tandis que l’autre choisit la raison.

12François Levy nous entraîne en Italie où au collegio del Porto de Bologne, fut représentée en 1693 une pièce française traduite : Stilicon de Thomas Corneille. Cette première, à l’initiative du Père Merelli, a été suivie de nombreuses autres dans différentes villes. Les pièces de Racine, Pradon, Corneille ou Quinault ont ainsi été traduites afin d’être jouées dans les collèges italiens. Leurs éditions renseignent sur les intermèdes ou les changements de décor. Enfin, ces représentations prouvent « que le théâtre tragique français était très facilement adaptable aux exigences spectaculaires du théâtre de collège ».

13« Tragédie latine et tragédie en musique au collège Louis-le-Grand de Paris : l’exemple de Saül et David et Jonathas (1688) ». Catherine Cessac, après avoir rappelé le sujet des pièces, s’intéresse aux intermèdes qui sont non pas des ballets, mais des intermèdes musicaux que l’on doit à Marc-Antoine Charpentier. La place qu’ils occupent dans ces pièces permet-elle de les définir comme des tragédies en musique ?

14Marie Demeilliez analyse « Les ballets au collège d’Harcourt » qui sont le plus souvent donnés lors de la distribution des prix. Elle définit le principe de ces ballets et rappelle la façon dont le collège d’Harcourt en fait un « usage modéré » et les adapte afin qu’ils transmettent les valeurs de l’institution.

15Nathalie Berton présente une pièce, « Le Ludus pastoralis (1734), une source inédite et complète pour le collège jésuite de Metz ». Un manuscrit conservé à la BnF, fort complet, qui livre l’intégralité de la composition. Une analyse de l’ensemble, un tableau récapitulatif permettent de connaître le propos, la teneur des intermèdes et la chorégraphie.

16Françoise Pelisson-Karro étudie L’Histoire tragique de la pucelle de Dom-Rémy, représentée devant le duc Charles III à Pont-à-Mousson. Le sujet de la pièce est développé et l’histoire de son impression, de 1581 à 1859 est relatée.

17« Les pères de la Doctrine chrétienne à Toulouse : les enjeux du théâtre et de la musique au collège de l’Esquile à la fin du XVIIe siècle ». Jean-Christophe Maillard, après avoir présenté l’histoire des Doctrinaires à Toulouse, en analyse les principes pédagogiques et explique la défiance des Jésuites. Il présente les spectacles donnés au collège de l’Esquile de 1676 à 1696, des pièces mêlant musique et danse dont les sujets sont volontiers puisés dans l’histoire antique.

18Benoît Michel étudie les spectacles du rival du collège de l’Esquile, le collège des jésuites de Toulouse, de la fin du XVIIe siècle à 1762. Il s’intéresse aux parties musicales qu’il situe dans le contexte toulousain, les confrontant ainsi à vie musicale de la ville.

19Marie-Claude Canova-Green explique de quelle manière les collèges jésuites ont célébré le mariage de Louis XIV et de l’Infante Marie-Thérèse d’Autriche. Elle analyse la variété de ces spectacles donnés dans différentes villes de France en 1659-1660. Ils ont en commun le recours à l’allégorie, au service de la célébration de la paix.

20« Collège royal, collège épiscopal. Strasbourg et la pratique du théâtre de 1681 à 1765 ». Après avoir rappelé le contexte religieux et historique de Strasbourg, Jean-Marie Valentin s’attache aux spectacles. Il souligne le manque de sources « d’une scène selon toute apparence peu active, compte tenu de sa trop faible implantation dans une ville restée très majoritairement fidèle au luthérianisme. »

21Les actes de ce colloque trouvent leur place dans un vaste mouvement de recherche qui, au plus près des sources, étudie les spectacles de la période moderne. Entrées royales, divertissements de cour, tragédies, comédies, ballets…. sont l’objet de travaux stimulants. Ils montrent qu’une rhétorique commune prévaut pour plaire, célébrer ou instruire. La bibliographie, d’une quarantaine de pages, fort complète, permet d’en prendre la mesure.