Le devenir du « temps Baudelaire » ou l’éternelle hypocondrie de l’art moderne
1Voici un ouvrage doublement capital.
2Capital, d’abord, parce qu’au terme de la grande ferveur décadentiste dont une partie de l’université française a fait preuve dans les années 1980-1990, une ferveur qui s’est révélée à plus d’un degré (volontaire ou involontaire) passionnante, il offre un des « récits » les plus pénétrants, les plus intelligemment et subtilement construits jamais dégagés de cette rencontre fantasmatique, pratiquée en synchronie comme en diachronie, entre un schème philosophico-historique (la décadence, déclinée en plusieurs paradigmes connexes) et une histoire (grosso modo les années 1860-1900, avec, pourtant, les catastrophes de la moitié du siècle et notre contemporanéité en ligne de mire) ; en même temps qu’il propose une (ré)évaluation parfaitement démystifiante de ce que la fin du XXe siècle a bien voulu y chercher et inventer.
3Capital, ensuite, parce que, en tant que somme extrêmement cohérente et homogène d’articles parus entre 1986 et 2000, ce livre permet en partie de suivre et comprendre le parcours intellectuel de Catherine Coquio, passée progressivement desdites études décadentistes à l’examen direct et entier des littératures confrontées aux catastrophes historiques du XXe siècle. Et aussi, en corollaire (et à rebours), pourquoi la production artistique dont il est question ici est envisagée d’une telle façon, c’est-à-dire d’une façon telle que « l’esthétique, le poétique et le politique s’y côtoient forcément » (« Explications », p. 355), et que l’entreprise semblât dans sa globalité placée sous le signe inévitable du procès, de l’évaluation, et du sauvetage.
4L’essai, donc, est à plus d’un titre engagé, et ce n’est pas la moindre de ses qualités (ceci est évidemment vrai pour l’ensemble des travaux de Catherine Coquio) : il ne s’agit pas ici pour elle de s’adonner à une quelconque confrontation relativiste des discours sur / de la modernité, encore moins de proposer que l’on en referme la page par l’entremise désengagée, ironique et supposée lucide, de quelque paradoxe terminal. Il s’agit au contraire d’en dégager de façon intellectuellement militante (donc sérieuse et fortement charpentée), par-delà les mythes dont l’ont encombrée certains « pro- », « post- » et « anti- » (et dont les linéaments –ainsi semble l’avoir enseigné l’histoire- appellent toujours à quelque anticipation vigilante), sa valeur éthico-esthétique perpétuellement agissante et vivante. Cet engagement suppose évidemment quelques choix, de même que l’établissement d’une généalogie de pensées « familières » à l’auteur et, si l’ensemble de l’ouvrage décortique donc de façon particulièrement rigoureuse et systématique les constructions mythiques qui nourrissent le récit de la modernité, et leur raison d’être (à commencer par « l’accaparement Baudelaire »), il s’articule également autour de quelques figures plus ou moins posées en référence –T. Mann, Broch, Musil, Bloch, Adorno, et surtout Benjamin- dont l’axe, cohérent et homogène, ne saurait être entièrement soumis au même régime d’interrogations. En quoi –fait rare parmi les littéraires- Catherine Coquio supporte sans difficultés –et de plus en plus- un qualificatif qui, pour peu qu’il soit employé avec parcimonie et considéré non comme une donnée ringarde mais bien comme une nécessité et une urgence, nous semble être un éloge de premier ordre : celui d’« intellectuel(le) ».
5Au terme de l’ouvrage, Catherine Coquio présente ainsi son projet. Il s’agit pour elle de raconter « une fable : celle d’une civilisation qui, arrivée à un point de son histoire, lui fait créer et rêver la création à travers la finitude et la destruction ». En procédant « par fragments et immersions successives : dans une œuvre, une constellation, un problème », en proposant « une série de variations sur le jeu de l’art comme espoir pessimiste », elle se propose donc de s’attacher à l’examen et à l’analyse de la « crise de l’art dans son versant moderniste, post-moderniste et contemporain. » L’ensemble serait ainsi de l’ordre de l’« essai de compréhension fragmentaire » de la notion de « décadence », sous laquelle se cacheraient selon elle certaines caractéristiques de la modernité « comme utopie qui accorde un crédit renouvelé à l’art ».
6Bien que consacrée à l’analyse de la méthode de Benjamin, une des dernières études (« Décadence » et « apocatastase » : critique du mythe et sauvetage des œuvres chez Walter Benjamin ») permet encore davantage de préciser la propre méthode de Catherine Coquio. On lit ainsi que, chez Benjamin, « le travail de «précision» consiste à effectuer des «dichotomies» propres à distinguer la partie «féconde», «pleine d’avenir», et la partie «arriérée, morte» d’un «domaine» propre à une époque. » (p. 300) Dès lors, par l’élaboration, à partir de ces différentes parties fécondes, d’un « montage « contre l’histoire » », s’effectuerait une « actualisation », qui n’est rien d’autre qu’un travail d’exhumation et de décantation du « progrès «authentique» », un progrès qui « vient non pas du cours du temps, mais de ses ruptures, et se confond avec sa production du « véritablement nouveau ». » (p. 302) Cela (« métaphysique du salut » mise à part), c’est très exactement la méthode appliquée par Catherine Coquio dans le traitement de son sujet d’étude. Walter Benjamin représente par excellence la figure de jonction entre le « temps Baudelaire », qu’il s’agissait de « réveiller […] de son hypnose en fouillant ses rêves de bonheur enfouis », et les catastrophes européennes de la moitié du XXe siècle, pour lequel il semble que « l’espoir d’un réveil semble se perdre au cœur d’un nouveau précipité narcotique » (p. 306) En convoquant le moment Baudelaire-Benjamin en vue des temps présents, Catherine Coquio effectue toutes proportions gardées le même type de travail, et à de semblables fins.
7L’ouvrage commence par l’exposé de la « fable » générale qui lui donne son unité de lecture : une histoire faite de grandeur et de misère, une histoire à (s’en)dormir debout, susurrée dans nos oreilles contemporaines d’enfants gâtés et –peut-être- très malades. En voici les cinq étapes principales.
81. Il y aurait dans le « geste Baudelaire » quelque chose qui relèverait éminemment de l’intelligence insolente de l’enfant gâté, prompt à provoquer la famille dont il est issu (la bourgeoisie à l’apogée du capitalisme comme « moment culturel »), parce qu’il en a très justement compris le malaise. Ce malaise, Baudelaire en serait lui-même par ailleurs le parfait héritier et le parfait symptôme. Il se manifesterait donc, en lui et en son œuvre, de façon ambivalente, en l’occurrence par un balancement entre le second degré de la pose ludique et distanciée (l’élection d’un « style joujou ») et le premier degré de l’adhésion sérieuse (la « décadence », et son double rédempteur : la « religion de l’art »). Ce balancement, relevant avant tout de la sphère esthétique, connaît nécessairement des implications d’ordre éthique et sociopolitique.
92. La « modernité Baudelaire » serait toute de cette ambivalence, et trouverait sa positivité dans cette ambiguïté même, entre rejet et adhésion, entre sourire distancié (qui peut aussi se révéler, tout compte fait, une forme d’adhésion paradoxale) et acquiescement tragique (qui peut être aussi, au bout du compte, (re)pli critique). Et ce, tant par rapport au bourgeois que par rapport à ses propres inclinations. La « tension des contraires » (p. 21) inhérente au temps Baudelaire a ceci de fécond et de paradoxal qu’elle permet tout autant (et en sens opposé), « de produire un mythe à l’intérieur du [mythe Baudelaire] : celui de la modernité comme nouvelle ère », « d’ouvrir la voie aux avant-gardes animées par le principe de rupture innovante », qu’à « l’historicisme postmoderne, habité par l’idée de fin de l’histoire et de recyclage éternel » (p. 24). D’où la multiplication des accaparements contradictoires du « temps Baudelaire ».
103. Mais voilà que « la littérature décadente » aurait défait la « modernité Baudelaire » des traits ambigus de la fable enfantine –naïve et perverse tout à la fois. La « tension des contraires » serait en effet en train de s’y relâcher. « La littérature décadente » en aurait grossi les traits ; elle l’aurait prise au sérieux. La trace même de cette simplification emphatique serait manifeste dans sa cristallisation (synthèse et système) en « théorie de la décadence ». Au centre de cette dernière, on recense en particulier l’émergence et la résurgence d’une propension inquiétante : celle consistant à mettre en parallèle l’état de désagrégation (supposée) du corps de l’œuvre et celui (tout aussi supposé) de la société qui produit et reçoit cette œuvre. En corollaire, les désirs de régénération vont se traduire en pensées et pratiques de la totalité résolument chargées d’ambiguïtés. Pour autant (on l’apprendra plus tard, p. 87 et sq.), il va se révéler souhaitable de « sauver » l’authentique modernité inhérente à cette focalisation fin de siècle sur le détail, parce qu’il constituerait en effet un « instrument de précision pour une critique du complexe culturel décadent », et de la distinguer de certaines pensées et pratiques du fragment, qui ne seraient toujours et encore que des avatars mortifères de la propension totalisante.
114. A partir de là, mettant en place (et pour longtemps puisque les linéaments se poursuivraient jusqu’à aujourd’hui) les termes de « la création continue de l’idée de crise de l’art », l’Europe fin et début de siècle aurait fait sa grande affaire de cette fable, cherchant un moyen tantôt d’accélérer ce processus, tantôt de recoller, dans le domaine de l’art, du religieux et du politique (quand ce n’est pas dans les trois domaines à la fois), les morceaux d’une unité perdue. L’agent unificateur de la synthèse fait alors l’objet de tous les fantasmes, de toutes les entreprises mythifiantes et démystifiantes. Celles-ci et celles-là pouvant d’ailleurs, dans une société où ce qui est dissident peut par excellence être récupéré (et tout aussi bien le mythe instaurateur que la démystification émancipatrice), échanger de leurs prérogatives.
125. La prise au sérieux de cette fable enfantine (et qui consisterait à avoir pris pour un « mythe » possiblement régénérateur ce qui n’était qu’« allégorie » d’une perte définitive –c’est d’ailleurs le propre de la distinction effectuée par Catherine Coquio entre ces deux termes) semblerait donc avoir rendu l’Europe malade : le temps nazi, nœud qui est tout à la fois constitué d’art, de politique et de religion, en est le symptôme le plus éclatant. Par la suite –et jusqu’à aujourd’hui- l’entreprise de reconstruction de la fable, débarrassée toutefois de ses démons et de ses propensions sacralisantes fétichistes (du moins le pense-t-on), se serait soldée –en particulier au sein des propositions « post-modernes »- par une forme de relativisme et de réductionnisme qui ne serait autre chose que la façon de rejouer, toujours sur le mode problématique du sérieux, quand bien même affectant la pose ludique, cette sempiternelle fable baudelairienne de la « fin » (fin des grands récits, des utopies, de l’art, etc.). « Il paraît que c’est la nôtre », conclut Catherine Coquio, ironique et dubitative.
13La première partie de l’ouvrage (« Baudelaire Papa ») porte sur la question de l’héritage de Baudelaire. Dans « Hériter de Baudelaire », Catherine Coquio envisage les différentes lectures auxquelles l’œuvre et la figure baudelairiennes ont prêté le flanc. Et –jusqu’à la période postmoderne- les critique pour les récupérations et distorsions qu’elles leur ont fait subir. C’est pour elle l’occasion de se demander si Baudelaire a fait commencer la modernité, ou bien sa fin (la post-modernité) ou bien encore, et quoiqu’il en soit, un temps d’extrême violence politique. Dans le sillage de l’invite benjaminienne, il est d’après elle nécessaire de tenter de comprendre et d’analyser le devenir du « récit Baudelaire », et ce, depuis le temps de sa formulation qui, pour avoir le charme des (vrais ou faux ?) nouveaux-nés, n’en est pas moins déjà pétri de contradictions. Et notamment la transformation de « l’allégorie Baudelaire » (une fable lucide) en « mythe Baudelaire » (un récit mystificateur). L’allégorie, c’est à la fois le spleen, héritage de vieux thèmes existentiels et métaphysiques chrétiens, infléchis et personnalisés par un jeu de provocations et de renversements (plus ou moins grossiers et grotesques), et l’expérience douloureuse de la perte de l’identité et de l’aura poétique dans la ville et les masses modernes. Mais le mythe trouve déjà en Baudelaire posant au martyre sa propre naissance, et l’allégorie baudelairienne livre déjà un bazar de thèmes qui ne demandent qu’à être transplantés dans le cabinet décadent, et ressortis à loisir.
14Pour autant, Catherine Coquio précise que la décadence ne saurait se réduire à l’idée d’un dévoiement de Baudelaire ou d’une réduction de son allégorie au seul poncif. Il faut en effet distinguer la relation ironique et consciente que les poétiques décadentes peuvent avoir par rapport au détail baudelairien, et la stigmatisation dont il fait au contraire l’objet dans les idéologies de la décadence, qui, elles quêtent un grand Tout compensatoire et mystificateur. Avec Baudelaire, l’utopie romantique consistant à vouloir faire de l’art et la vie une même « totalité harmonieuse » est radicalement remise en question et ce, plus encore qu’avec « l’art pour l’art » : son Beau pur à lui possèderait en effet toutes les impuretés de la modernité. A cela s’ajouterait encore le fait que Baudelaire semble donner des gages tout à la fois aux partisans de l’art pour l’art et –quand bien même de façon provocatrice, par exemple dans le kitsch manié ironiquement- aux bourgeois (qui représenteraient alors « l’art contre l’art »). L’ennui, du point de vue de la lisibilité de l’héritage, est que le kitsch baudelairien peut être repris tel quel, c’est-à-dire : en en érodant le geste fondamentalement ironique. Alors que, de ce kitsch (de son héritage bien compris), un « sauvetage » pourrait en être effectué, qui en ferait sortir la paradoxale positivité.
15Le deuxième article (« le joyeux mauvais goût de l’art moderne ou le gouvernement de l’enfance ») fait jaillir l’ambivalence baudelairienne d’un moment exemplaire : son éloge ambigu de la toile d’Hassoulier intitulée La Fontaine de Jouvence et présentée au Salon de 1845. Catherine Coquio y montre « comment l’idéalisation esthétique d’un sujet enfantin et d’un mauvais goût assumé permet […] à Baudelaire d’accomplir une critique ambiguë du goût bourgeois et de l’art pour l’art sous couvert de leur éloge, affirmant la vocation sociale de l’art tout en parlant le langage de la «foi» dans la «Beauté» » (p. 30). Ainsi Baudelaire ne refuserait pas l’ère de la marchandisation de l’art, et affecterait de se plier à ses lois mais, ce faisant, par sa relation agressivement empathique à l’égard du kitsch, il insèrerait au sein de cette vraie fausse religion du beau une sorte de principe de destruction qui la nie : « L’inutile beauté baudelairienne représente ainsi le type même de l’art destructeur : l’art contre l’art et par l’art, de mauvais goût par refus de l’esthétisme, humain par dégoût de l’humanisme. » (p. 49).
16Les deux études suivantes (« la « Baudelairite » décadente : fabrication d’un spectre » et « Destin d’un emblème : le Thyrse ») envisagent les ambiguïtés des inflexions portées par les décadents à la fable baudelairienne. Dans le premier cas, il s’agit de l’accentuation de la propension kitsch, accentuation dont l’intentionnalité et la visée parodique ne sont pas toujours entièrement claires. Dans le second cas, il s’agit de rendre compte d’un fantasme propre au récit décadent : celui d’une « efféminisation » de la civilisation, dont le signe, transposé dans le domaine de l’art, serait la prévalence accordée à la courbe et à l’ornement (le Thyrse en effet, symbole sacerdotal antique, est un bâton entouré d’une guirlande de fleurs qui, originellement, équilibrerait donc de façon idéale et complémentaire « l’élément masculin » et « l’élément féminin » -équilibre qui se serait progressivement perdu).
17La deuxième partie (« Le vilain petit détail et le grand méchant tout ») envisage la destinée d’un « poncif de génie » (« Lorsqu’une bêtise se révèle coextensive à d’immenses pans d’une culture, on doit lui reconnaître un génie » écrit Catherine Coquio p. 113), poncif établi par Bourget à partir de Baudelaire, repris par Nietzsche à propos de Wagner, et qui, hanté par le modèle biomorphologique, place le récit de la décadence sous le signe fantasmatique de la « perte d’unité organique, [de la] prolifération cellulaire, [de la] fragmentation anarchique de la totalité, [de l’]hypertrophie du détail, [de l’]émancipation des parties vis-à-vis du tout. » (p. 87). Or ce récit peut être tout aussi bien appliqué à la peinture d’une société à un moment donné, qu’à celle de son « langage ». Mieux : l’état de l’un et de l’autre sont corrélés et peuvent être placés en miroir. Or on sait combien ce poncif a pu rapidement se transformer en « pièce rhétorique » de choix au sein d’une doxa réactionnaire » (p. 88).
18D’où une semblable protestation, à caractère nettement anti-fasciste, et repérable tant chez Lukacs, Benjamin, qu’Adorno, contre toute forme d’élimination du détail dans le champ de la production esthétique et intellectuelle, de même que dans celui de leurs exégèses. Catherine Coquio souligne néanmoins combien cette sorte d’analogie peut avoir la vie dure : tout à la fois maniée de façon empathique et distanciée dans le fameux texte de Jankélévitch de 1950 (« La décadence », paru dans la Revue de Métaphysique et de Morale), elle peut cependant avoir été reprise au pied de la lettre par certains lecteurs de Jankélévitch. C’est ici que Catherine Coquio évoque la nécessité de sauver l’authentique modernité représentée par la focalisation fin de siècle sur le détail, et distingue cette propension de certaines pensées du fragment, qui ne sont toujours et encore qu’une pensée de la totalité.
19L’illustration même de cette double idée (la totalité mortifère ; une certaine pratique du fragment comme complément et non comme antagonisme à cette dernière) nous est donnée d’une part par l’analyse de l’œuvre de Spengler, telle que lue et démystifiée par Adorno et Musil (« Pour un sauvetage décadent. Contre Spengler »), et d’autre part dans le décorticage des tenants et aboutissants d’une résurgence propre à la fin du XXe siècle, celle de quelques figures affectant tantôt la pose tantôt la rhétorique décadentistes (« Sur quelques retours de décadentisme »). Ainsi de Cioran, dont l’œuvre puise abondamment dans le bazar fin-de-siècle pour en faire jaillir, remis au goût du jour, un festival de clichés brillants ; Cioran, fêté par ses contemporains en véritable Nietzsche moderne, mais qui révèlerait, sous sa poétique du fragment, une véritable haine esthético-idéologique du détail. Ou encore de Baudrillard, au sujet duquel Catherine Coquio écrit (p. 111) : « Une «théorie de la décadence» aujourd’hui passerait forcément par un Cas Baudrillard. Comme Wagner, Baudrillard dit oui et non à la fois La synthèse du moderne et du postmoderne, animée par la lecture de Barthes et un imaginaire mélancolique, fait passer la culture critique des années 60-80 sous la coupe de l’idée décadente. D’où son mixte éprouvant de bonne conscience (moderne) et de mauvaise conscience (décadente) insufflée au postmoderne à coup de rêveries sociologiques alarmantes, qui rejouent à demi le scénario de l’intellectuel engagé. »
20Après ces deux premières parties, qui fixent les termes du « récit », les quatre parties suivantes en étudient les modalités et les manifestations dans plusieurs champs spécifiques : poétique, religion, esthétique, politique –étant donné que, si l’une des composantes domine, les autres sont toujours également impliquées. Ainsi, la troisième partie articule ces premières réflexions à l’invention de nouvelles formes littéraires. Il s’agit tout d’abord du poème en prose (« Fin d’un lyrisme : petits poèmes en solde »). Catherine Coquio met en avant un lien important entre la relation qu’entretiennent le Moi et la foule dans la ville moderne, et la création d’un lyrisme qui se creuserait dans l’impossibilité de tout lyrisme. Dans ce cadre, « la prose semble en effet plus favorable que le vers à la création d’une écriture à la fois lyrique et abstraite, émotive et imaginative, descriptive et suggestive ; une écriture portant la trace, comme l’écrivit si Hugo Friedrich, d’un «romantisme déromantisé» » (p. 119). Catherine Coquio suit le devenir de cette forme (et sa possible dégradation ou sédimentation en poncif) chez un certain nombre d’héritiers de Baudelaire.
21Il s’agit ensuite, autour de Dujardin et de certaines théories développées autour de la Revue Wagnérienne, du monologue intérieur (« L’invention du monologue intérieur : poésie de l’âme au pays du corps fin-de-siècle »), dont l’auteur reconstitue ainsi la logique : « celle, à la fin du siècle précédent, d’une idée d’«âme» issue de l’Idéal symboliste, d’une idée de «corps» soumise au Vouloir-vivre schopenhaurien, enfin d’une idée de littérature où devaient s’entrepénètrer prose et poésie, comme s’entrepénètrent le corps et l’âme » (p. 127) De cette façon, si « le monologue fin-de-siècle […] fabrique une métaphysique artiste qui destitue la raison et compromet la psychologie. » et si « son héros est un sujet fantoche qui remplit un programme esthétique, un moi tiraillé entre des présupposés formels et philosophiques », peu importe, au fond, pour l’écrivain fin-de-siècle, qui « revendique le simulacre, se retirant, par l’ingénuité du procédé, aux reproches qui poursuivent le monologue intérieur » (p. 135).
22L’étude des explicites et implicites inhérents à ce masque naturaliste décadentiste derrière lequel se cacherait le T. Mann des Buddenbrook (« Chronique allemande d’un déclin rêvé : poésie naturaliste et poésie romantique dans Les Buddenbrook de T.Mann ») permet, toutes proportions gardées, de voir en la figure du grand écrivain allemand, et dans le jeu des tensions dialectiques qui traversent sa vision du monde, un avatar germanique des contradictions baudelairiennes : « L’impossible passation des pouvoirs économiques, politiques et symboliques, du père sénateur à l’héritier artiste, s’amplifie en crise d’identité collective. Présentée comme un déclin biologique examiné sur quatre générations Dans ce mélange complexe d’effort d’objectivité, de quête d’identité et de credo décadent, dans cette « innocence artistique » bizarrement génératrice d’ironie et d’esthétisme, on peut se demander si l’emprunt au naturalisme procède de la «tendance à l’objectivité» ou de « l’imagination créatrice » par laquelle Thomas Mann pensait avoir «rempli de son âme l’apport de la tradition » (p. 138).
23La quatrième partie (« Mélancolies catholiques : l’art, la foi et la fin ») aborde la question des esthétiques spirituelles, de la possibilité, et du bien-fondé (ou non) d’une religion de l’art, qui viendrait en compensation et en consolation de l’unité (fantasmatiquement) perdue (retrait ou « mort de Dieu » en constituant l’étalon maître), et des incertitudes des temps présents, tout bruissants de rumeurs d’apocalypse. L’étude de L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam (« D’une espérance à l’essai, de son naufrage et d’une voix rescapée, Villiers de l’Isle-Adam, L’Eve future ») montre à quel point récrire la Genèse, dans une modernité hantée par le spectre décadentiste, ne peut se faire qu’à rebours et de façon monstrueuse : « Dans ce roman catholique, et néanmoins décadent, qui semble inscrire le salut dans le temps profane et le corps profané. La catastrophe ne précède pas le Messie elle vient après. Car ce Messie advenu est une Eve qui futurise la Genèse en aggravant la faute. » (p. 159). C’est un constat similaire qui est effectué à partir de l’œuvre de Bloy (« La création selon Bloy ou l’art en litige »). Quand bien même le créateur selon Bloy (qui ne saurait être artiste) a comme mission de participer à l’accomplissement d’une Rédemption inachevée, il ne peut le faire que sur le mode de la mélancolie, et ne peut que recueillir en son œuvre, conjuguée sur le mode du passé antérieur, les quelques fragments d’un monde qui, depuis que l’homme a chu du paradis, ne cesse de se morceler : « L’artiste cache sa création derrière le réservoir de sa nostalgie : le Paradis terrestre, dont l’écriture redit la perte. Créer, c’est passer par un «souffle» devant la «sentinelle du Paradis perdu», l’épée tournoyante ; c’est-à-dire écouter une lamentation, se souvenir. » (p. 178) Enfin, l’étude sur Huysmans (« Fiasco divin et décadence de l’art : Huysmans et Les foules de Lourdes ») tire de l’examen de la laideur sacrilège de Lourdes, où le kitsch chrétien devient signe de la rupture entre le Beau et Dieu, entre l’art et la religion, la conclusion suivante, implacable : « Le fiasco divin voue l’art religieux lui-même à la malédiction du grotesque. »
24La cinquième partie s’attache plus spécifiquement au théâtre. Une étude co-rédigée avec Guy Ducrey, et consacrée à la figure de Loïe Fuller et à l’imaginaire fin-de-siècle de la danse, (« Envols et sabbats de plis à la fin d’un siècle. Danse et décadence ») met en avant l’ambiguïté de la symbolique du « pli » qui peut « figurer au même moment et pour les mêmes auteurs, la bonne et la mauvaise profondeur, le temps et l’éternité, la chute et l’envol » (p. 200). Si « le pli – membraneux, textile, sculptural – est clairement le visage du mal, mot décadent pour dire la fuite de la conscience dans l’infini du désir, trompeur et vertigineux » (p. 201), Mallarmé donne cependant l’exemple d’une réconciliation possible des deux continents désignés par les plis de Loïe Fuller, laissant entendre qu’une refondation harmonieuse du Thyrse originel est possible.
25Le texte suivant (« Théâtres à succès, théâtre à symptômes ; Critiques d’une hystérie culturelle ») s’attache à la fascination et la hantise que provoquent, en particulier chez les représentants du champ littéraire autonome, les succès théâtraux. Ceux-ci sont en effet l’occasion, pour les théoriciens de la décadence, de stigmatiser certains travers d’époque qui, placés sous le signe de la critique de l’histrionisme et de l’effet, bien caractéristiques de ce que serait la « théâtrocratie » moderne, renvoient à la crainte d’un triomphe de la forme sur le fond, une gloire de la gesticulation insignifiante. Le succès représente alors un « facteur de dégénérescence intellectuelle, point de fuite d’une production littéraire emportée dans des milieux qui lui sont étrangers : le journal, le salon mondain, la tribune politique. Le théâtre est un de ces milieux. » (p. 212) La question d’un théâtre d’art qui serait à inventer et à opposer au théâtre à succès donne l’occasion d’évoquer la figure de Mécislas Golberg, auquel est consacrée l’étude suivante (« La mort de soi ; témoignage et fiction, A propos d’un journal intime de Mécislas Golberg »). Le Journal que celui-ci a tenu, jusqu’à ses derniers jours, des effets de sa maladie, invite à se poser les questions suivantes : quels types de liens est-il possible d’établir entre une époque obsédée par les « fictions de la fin », qui a complaisamment transformé le morbide en poncif, et le récit de sa propre mort ? La première aide-t-elle à décrypter la seconde, ou bien la masque-t-elle par la somme de ses leurres ? Ou bien encore l’analyse de ces leurres permet-elle précisément, en dernier recours, d’aborder sa propre vérité ? On ne s’étonnera pas de constater qu’Hervé Guibert et la littérature des « années sida » sont à l’horizon de cette étude.
26La sixième partie s’attache aux domaines de l’histoire, du politique, et de l’idéologie, en insistant –tout particulièrement à partir de l’étude des écrits des anarchistes (ou de leurs opposants)- sur les caractéristiques, en termes de philosophie de l’histoire, des schèmes convoqués dans l’ensemble de l’essai. Le premier essai (« Révolution, République, Décadence : 1789, origine impossible ») envisage, à partir des textes de Kropotkine, Vallès, Rictus et Tailhade, la relation compliquée que ceux-ci entretiennent à l’égard de la Révolution française, référence incontournable, dont le deuil, nécessaire selon la logique anarchiste au risque sinon de verser dans les ritualités compromettantes de la commémoration, est pourtant infaisable. Le second essai (« Regard sur la littérature apache : la décadence aux faubourgs ») montre à quel point, dans le « mythe apache », qui rejoue en outre, aux portes de la ville, le jeu du barbare et du civilisé (termes et réalités d’ailleurs interchangeables), tous les participants –même dans le frisson sanglant- trouvent leur intérêt bien compté. A partir d’un couple de figures significatives (Blanqui et Gobineau, qui rappellerait celui formé par Volney et Chateaubriand), le troisième essai (« Déclin et éternel retour, La « taciturnité du globe » et L’Eternité par les astres, Arthur de Gobineau et Auguste Blanqui ») s’arrête sur un des schèmes philosophico-historiques les plus récurrents à l’époque considérée : celui de l’éternel retour, au sujet duquel on remarque deux constantes chez toutes les figures qui s’attache à son étude, le « glissement de l’exposé à l’adhésion » (p. 273) ; le renversement en « figure de malédiction plutôt que de renaissance » (p. 277). S’il en va ainsi, c’est qu’il introduit une rupture dans le binôme « progrès / décadence », rupture qui facilite son association avec le deuxième terme, dont il accroît, dans l’imaginaire, l’effectivité. La quatrième étude (« Le Soir et l’Aube : décadence et anarchisme ») revient sur ce lieu commun que constitue l’association entre et symbolisme et anarchisme pour se demander si cette rencontre a réellement eu lieu, ou si l’on ne peut pas plutôt avancer l’hypothèse qu’elle pourrait reposer sur un malentendu fécond, avant de mettre en avant concordances et différences entre anarchisme et décadence.
27La dernière étude de cette partie (« Décadence » et « apocatastase » : critique du mythe et sauvetage des œuvres chez Walter Benjamin) permet de revenir sur la notion de messianisme. Elle présente la méthode benjaminienne telle que nous l’avons évoquée plus haut et telle que Catherine Coquio semble la faire sienne : définition de la « catastrophe », qui place sous un nouveau jour (et invalide en partie) le binôme « progrès / décadence » ; technique de la « décomposition » (« division infinie de chaque unité en vue d’une extraction de la vie. », p. 300), du « sauvetage » comme « espoir du désespéré », « retournement lumineux du pessimisme, […] messianique du nihilisme » (p. 298), et du « montage » contre l’histoire, en vue d’un effet d’« actualisation » (p. 302), qui a pour conséquence de dégager « le progrès «authentique» », qui « se définit à l’inverse de son acception commune » et « vient non pas du cours du temps, mais de ses ruptures, et se confond avec sa production du « véritablement nouveau ». » (p. 302). Catherine Coquio y met également en avant les analogies entre le « temps Baudelaire », « le temps Benjamin » et notre époque contemporaine. Mais aussi les différences –en vue d’un pire, d’ailleurs, qui pour une fois et pour un temps fait converger (mais converger seulement) le fantasme et le réel.
28La dernière partie, enfin, relie, autour du concept de kitsch, vecteur de continuité, le récit de l’art moderne et celui de l’art contemporain. Le premier article (« Kitsch et critiques du kitsch : Spleen du Beau et mal de l’Art ») revient sur la distinction entre kitsch volontaire et kitsch involontaire, et voit dans l’engouement actuel pour le musée comme lieu et comme pratique de l’art une manifestation caractéristique du jeu conjoint de la crise de l’Art et de la foi dans l’Art. Dans ce cadre, « le kitsch est ce qui reste de l’Absolu lorsque la fonction sociale de l’art semble faire défaut. Et ce qui reste, c’est la foi dans le Beau. » (p. 315) Le deuxième article (« D’un « style joujou » aujourd’hui : Hubert Renard à la marelle ou l’art adulte au pays des jouets ») repose sur le cas d’un artiste qui, en pleine connaissance de cause, cette fois, c’est-à-dire en pleine connaissance de tous les enjeux et de toutes les modalités du « récit Baudelaire » tel qu’il s’est déployé à travers l’histoire, en rejouerait tous les termes de l’ambivalence première. Mais sans nihilisme : « La biographie fictive, maniaque, d’Hubert Renard le faux, fait grandir par défaut l’ombre du temps réel. Celui-ci a bien partie liée avec le «désir» d’obscurité, comme l’écrivait Hubert Renard le faux à propos de la maison à démolir où il fallait s’enfermer. Mais la drôle de maison en carton du vrai Hubert Renard est une maison à construire. Non à démolir. Une maison faite non pour s’enfermer, mais pour ouvrir sans trop de bruit les issues bouclées de l’histoire de l’art contemporain. » (p. 347)
29Tel est donc le récit, reconstitué de façon exemplaire et représentative, en vue d’un aujourd’hui. Bien sûr, on aurait pu aimer que l’étude de quelques cas ou temps complémentaires vînt en densifier encore davantage le tissu. Inutile de les citer tous, si ce n’est ceux qui sembleraient constituer naturellement des sujets d’étude pour Catherine Coquio : Mallarmé, D’Annunzio, Valle-inclán, Unamuno, Jünger, Barrès, Valéry, Claudel, Hofmannsthal, Benn, Jung, Steiner ou Croce ; le modernisme barcelonais, le futurisme italien, le Bauhaus, le symbolisme russe, etc., dont les contradictions et les ambivalences redoublent et amplifient le « cas Baudelaire » -auquel, il est vrai, « on » a assigné une fonction paradigmatique. On pourrait également désirer que –quand bien même le « cas Wagner » est fréquemment évoqué- cette approche interdisciplinaire et inter-artistique s’ouvrît davantage encore à l’art qui a le plus cristallisé tous les débats ici en jeu : la musique. On pourrait encore parfois regretter, malgré la technique du « sauvetage », une vision par trop sévère, parfois, de la geste et de la période décadentes et, a contrario, une approche peu critique des quelques figures de référence citées plus haut –à commencer par celle de Broch. Ou encore le peu de prise en compte du temps où « la modernité a franchi l’Atlantique » : cela aurait permis de desserrer un peu l’approche au-delà de son territoire (inévitablement) franco-germanique, et de donner une vision plus entière de la problématique prise dans sa dimension contemporaine. On pourrait donc effectuer ces quelques reproches, mais ce serait alors ne pas prendre en compte le souci rigoureux d’un bornage chronologique relativement étroit de la période de départ (Baudelaire et la décadence), afin que ce soient les germes et les ramifications de ce temps-là, et de ce temps-là seulement, qui soient étudiés. Ce qui évite les travers des macro-lectures généralisantes et surplombantes dont Catherine Coquio instruit justement le procès. De même, ce ne serait pas respecter les spécificités de cette approche fragmentaire revendiquée par l’auteur à la façon d’une méthode, certes, mais aussi d’une éthique. Ce ne serait pas tenir compte non plus des hasards et circonstances qui ont présidé à l’écriture de ces vingt-trois articles étalée sur plus de quinze ans (en l’état, le fait que ce recueil puisse à ce point montrer son homogénéité, sans avoir pourtant à pâtir d’effets de répétition, est d’ailleurs à louer au plus haut point). On sait surtout que, parallèlement à l’écriture de ces articles, et depuis la clôture de ce recueil, Catherine Coquio n’a cessé de poursuivre, de consolider, mais aussi de déplacer et réorienter les différents enjeux et temps du récit ici proposé.
30Il faut en effet considérer cet ouvrage tout à la fois comme une somme qui clôt et comme un essai qui ouvre. Elle clôt tout d’abord de façon admirable un temps de la recherche universitaire française clairement circonscrit, avec une focalisation sur des thèmes, des formes, des problématiques, des territoires linguistiques, des figures (de littérature primaire et secondaire), des valeurs, des bêtes noires, des ponts jetés entre le passé et le présent de l’écriture, parfaitement cohérents et on ne peut plus aisément identifiables. De ce point de vue, Catherine Coquio évalue, caractérise et solde le poncif à tous les étages, avec une lucidité et une acuité qui n’appartiennent qu’à elle, traquant en permanence le mythe sous le mythe, intégrant sans cesse à son propos une critique de la critique, double inclination qui, en la matière, se révèle particulièrement salutaire. De cela, nous ne pouvons, nous qui avons été formés durant les années où ce paradigme battait son plein (avec ses qualités et ses excès), que témoigner d’une infinie reconnaissance. D’autant qu’il en ressort aujourd’hui un instrument de travail d’une extrême solidité théorique et conceptuelle, et sur lequel il est possible de fonder nombre de travaux futurs.
31Mais il s’agit aussi d’une somme qui ouvre. D’abord parce qu’au-delà du récit proposé sur le temps décadent (et, en miroir, le portrait dressé des préoccupations intellectuelles des années 1985-2000), il existe évidemment une pérennité, une part vivante et actuelle des débats en jeu, quand bien même ils engagent (ni tout à fait les mêmes ni tout à fait) d’autres termes et figures. C’est d’ailleurs bien l’enseignement ultime auquel souhaite parvenir Catherine Coquio. Le contemporain de ces articles était plein de Huysmans et de « Vienne 1900 », d’Adorno et de Benjamin, d’art dégénéré, de Cioran et de Baudrillard, des « années sida », de Clair, de Lyotard, de Le Rider, de Bourdieu et de Meschonnic, de Kundera et de Gracq, de post-modernité. Ce sont là, toujours, des interlocuteurs, des sujets et des outils probants pour notre contemporain. D’autres encore ont apparu ou sont réapparus aujourd’hui, mythes et allégories, figures et catégories, nouveaux interlocuteurs essentiels, que l’ouvrage de Catherine Coquio nous permet implicitement d’interroger -en attendant qu’elle le fasse elle-même directement –pour nous en tenir à un domaine français, et dans un pêle-mêle volontaire : « requiem pour une (ou des) avant-garde(s) », Compagnon, Fumaroli, Gauchet, « fin » de la littérature, etc. (que les auteurs adhèrent ou non à cette thèse), Rancière, déclinologie et désenchantement, Baverez, Duteurtre, relectures de la Querelle des Anciens et Modernes, Millet, Quignard, Houellebecq, néo-classiques, Kiefer, anti-modernes, nouveaux réactionnaires, Lahire, Heinich, « pour une autre histoire de la musique au XXe siècle », Schaeffer, Michaud, Molino, Nattiez, la crise de l’art contemporain, etc. Oui, décidément, en cette année de célébration, le bazar génialement fécond de la modernité baudelairienne n’a rien perdu de sa palette outrageusement colorée.