Don Quichotte en jupons
1Dans une préface très détaillée, Jean Mainil inscrit son étude dans la continuité des travaux consacrés à la réception littéraire, et en particulier à « la fonction poétique de la lecture dans le roman » (p. 20). Son ouvrage s’intéresse tout particulièrement aux personnages de « lectrices fantasques » qui, héritières de don Quichotte et en partie annonciatrices d’Emma Bovary, lui permettent de poser à la fois la question historique du topos critique de la lecture de romans comme danger pour les mœurs et en particulier pour les femmes, et de mettre en évidence son pendant poétique : la critique de ce topos, en même temps que son illustration, à travers la reprise au féminin de la folie romanesque cervantine.
2On pourrait aussi considérer que cette étude relève des gender studies (ce que l’auteur ne revendique pas), dans la mesure où son corpus se compose uniquement de romans écrits par des femmes, dont la condition d’écrivains est posée en miroir de la situation de lectrices de leurs héroïnes. Ainsi, s’il ne néglige pas l’importance des romans de jeunesse de Marivaux (La Voiture embourbée, Pharsamon) et s’il cite les comédies anglaises produites par des hommes, dont l’une inspire le titre de son étude, Jean Mainil choisit résolument de centrer son propos sur les « don Quichotte en jupons » créées par des femmes, et en rapport avec la question de la condition féminine, à travers un corpus principal composé de The Female Quixote de Charlotte Lennox (1752), Lettres de mistriss Henley, d’Isabelle de Charrière (1784), et des romans libertins de Félicité de Choiseul-Meuse, Julie ou j’ai sauvé ma rose (1807) et Amélie de Saint-Far (1808).
3La problématique de l’ouvrage est très clairement exposée dans cette préface, formulée à plusieurs reprises : il s’agit de montrer comment « [ces] héroïnes nous parlent à la fois d’écriture et de lecture et comment, par leur récupération de ces héroïnes lectrices, sous le couvert d’une critique du romanesque, ces romancières ont contribué à détourner la critique du romanesque pour contribuer à la légitimité du genre » (p. 19) ; en d’autres termes, l’enjeu est « moins d’insister sur la permanence du stéréotype de la lectrice fantasque que d’analyser minutieusement des points d’ancrage spécifiques de résistance à ce topos littéraire » (p. 22).
4Jean Mainil se méfie de l’étiquette « antiroman » et n’utilise jamais le mot de « parodie », ce qui est peut-être une autre manière de prendre ses distances par rapport au G. Genette de Palimpsestes, dont l’analyse simplificatrice du Female Quixote de Charlotte Lennox (rappelée à la p. 9 du présent ouvrage), se contente d’y voir « un fatras d’aventures et de discussions sans grand rapport avec le Quichotte », qui aurait pour seul mérite de servir de chaînon manquant « confus » entre le roman de Cervantès et le bovarysme. Dans son entreprise salutaire de réhabilitation de ces romans féminins du XVIIIe siècle, il s’agit bien pour Jean Mainil de réintroduire de la complexité et une intention spécifique, là où l’on n’a souvent voulu voir que pâle imitation de Cervantès ; et, même si le mot n’apparaît pas, on reconnaît la démarche parodique, notamment telle que l’ont redéfinie depuis une vingtaine d’années les théoriciennes anglo-saxonnes1, dans cette « poétique subtile et oblique2 » que l’auteur nous propose de mettre en évidence et par laquelle « ces textes s’inscrivent dans les topoï mêmes qu’ils remettent en question » (p. 22).
5Avec toujours le même souci de clarté méthodologique, la préface précise également la définition du personnage central de l’étude, le « Quichotte en jupons », reconnu, indépendamment d’une filiation explicite avec le roman de Cervantès, dans « tout personnage [de lectrice folle] qui décode compulsivement la réalité selon une grille d’essence romanesque, tout personnage qui veut faire basculer le principe de plaisir diégétique dans le principe du réel pour remplacer définitivement celui-ci. » (p. 23) ; cette définition va de pair avec celle qui est donnée du quichottisme (masculin ou féminin) comme « fondé sur un rapport de décalage, de rupture, d’inadéquation entre d’une part un héros ou une héroïne romanesque et fantasque, et d’autre part une société composée de personnages rationnels dont l’originalité […] ne fait que rarement l’objet d’une analyse ou d’une explication ». Un autre objectif de l’étude est donc de montrer comment les romancières en question, dans leur « entreprise poétique ironique et oblique », visent à développer le second terme de cette (inad-)équation au même titre que le premier, afin de remettre en question les forces antagonistes sur lesquelles repose le roman de Cervantès, pour se livrer non seulement à une critique du roman, comme c’est prévisible, mais également à une critique de la critique du roman, notamment en ce qu’elle touche au statut de la lectrice et de la romancière.
6Logiquement, un premier développement, dans le cadre de l’introduction, permet à Jean Mainil de faire le point sur le contexte dans lequel se répandent les stéréotypes liés à la lecture ou l’écriture de romans par les femmes, autant de stéréotypes que les « Don Quichotte en jupons » donneront l’occasion à leurs auteures d’illustrer autant que de critiquer. Du point de vue historique, cette introduction richement documentée et très complète offre un panorama précieux de l’image (négative) qui est donnée de la lectrice, puis de la romancière, au cours des siècles classiques. Comme l’auteur se soucie par ailleurs de conserver son fil directeur quichottique, ce parcours se fait parfois cependant au risque d’une simplification de l’interprétation du roman de Cervantès, quand par exemple la folie de l’hidalgo espagnol est interrogée uniquement du point de vue de sa vraisemblance sociologique et de son adéquation ou non aux discours moralistes du temps (p. 29). Mais on fera bien sûr crédit à l’auteur du fait qu’il n’est pas dans son propos de donner une lecture de Don Quichotte, dont chacun connaît par ailleurs la complexité et la richesse d’interprétations qu’il offre aux lecteurs et à la critique.
7Suivent trois parties où l’auteur se propose donc de mettre en évidence la manière dont les stéréotypes de la lectrice folle sont récupérées par certaines romancières, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, pour finalement se livrer à « une critique de la critique de la lectrice » (p. 22). Chaque partie est consacrée à une figure de cette folie littéraire au féminin : la lectrice héroïque, la lectrice sentimentale, enfin la lectrice libertine.
8C’est The Female Quixote de Charlotte Lennox (1752), ou Le Quichotte femelle, selon la traduction qui en fut faite en 1773, qui est au cœur de la première partie : avant d’être à proprement parler une « lectrice héroïque », Arabella est avant tout une lectrice folle des romans héroïques français du XVIIe siècle. Jean Mainil rappelle l’importance de ce roman de Lennox dans l’histoire de la réception de Don Quichotte, mais aussi dans l’histoire du roman anglais, et l’influence qu’il eut non seulement auprès de ses contemporains, mais encore deux ou trois générations après sa parution. Il nuance également de manière fort convaincante la lecture simplifiée qui en a été faite dans la tradition critique : loin de n’être qu’une satire anti-romanesque ou anti-sentimentale, portant de surcroît sur un genre depuis longtemps déclaré mort (le roman héroïque), l’œuvre de Charlotte Lennox mérite d’être relue dans toute la complexité de sa démarche. Cela suppose tout d’abord que l’on relativise la « mort » du roman héroïque et de sa popularité, au moment où Lennox en fait l’objet de la lecture passionnée d’Arabella : Jean Mainil démontre que, si l’on n’imprime plus guère ces romans vers 1750, on continue à se les transmettre de génération en génération, en Angleterre et en Irlande notamment. Il étudie ensuite la manière dont Lennox s’appuie sur la folie romanesque de son héroïne pour mettre en place une « poétique ironique » qui lui permet non seulement de construire une critique du roman post-richardsonien, à travers le modèle supposé caduc des romans héroïques, mais aussi de faire la satire de la société contemporaine, conformément à la double fonction du quichottisme, telle que l’a mise en évidence Jean-Paul Sermain dans Le Singe de don Quichotte (1999).
9Cette étude, précise et technique, s’appuie sur la terminologie de Philippe Hamon dans L’Ironie littéraire (1996), et donne aussi l’occasion au lecteur pour qui ce roman serait inconnu de faire plus ample connaissance avec Arabella : le résumé des principaux épisodes du roman de Lennox, ponctué de citations traduites par Jean Mainil, s’accompagne d’une analyse des procédés ironiques mis en œuvre par la romancière, la principale ironie résidant dans le fait que la folie romanesque d’Arabella est tout autant ce qui la rend ridicule dans le monde que ce qui la préserve des dérives morales de ses contemporains : la folie romanesque de l’héroïne et la société rationnelle à laquelle elle se heurte se relativisent mutuellement ; « la romancière nuance à la fois l’extravagance de son héroïne, et la douteuse raison de ceux qui s’en moquent » (p. 97), notamment par son recours à des personnages que Jean Mainil nomme des « repoussoirs internes », censés mettre en évidence l’absurdité du savoir romanesque d’Arabella, mais qui, en contexte et dans leur dialogue avec elle, révèlent tout autant leur propre vanité. Après avoir commenté la conversion finale d’Arabella avec le même souci d’y faire la part entre le discours apparemment anti-romanesque qu’elle sert et une forme personnelle de défense du romanesque qu’elle met en place, Jean Mainil montre comment Lennox s’est appuyée sur l’éloge paradoxal du roman que lui permet la figure quichottique, pour proposer une nouvelle définition du personnage féminin, porteuse selon lui d’un destin qui, semblable à celui que Molière dessinait dans le registre comique, un siècle plus tôt pour sa précieuse ridicule, est ici « anobli […] en héroïsme romantique ». Cette expression est un peu surprenante et n’est pas vraiment explicitée ; on comprend cependant que la lecture des romans, loin de ne faire que corrompre Arabella, l’a amenée à refuser la condition de fille et de femme soumise que la société aurait voulu lui imposer. Ce faisant, « la romancière réussit la gageure de détourner un triple topos : celui de la lectrice folle, celui de la France corruptrice des mœurs, spécialement celle des femmes, et finalement le topos du corpus romanesque nécessairement corrupteur. ».
10Le deuxième chapitre, consacré à « la lectrice sentimentale », est centré sur le « roman-lecture » d’Isabelle de Charrière, Lettres de mistriss Henley (1784) et s’articule explicitement, pour Jean Mainil, avec la question de l’éducation de la femme dans le dernier quart du XVIIIe siècle. L’étude proposée ici est en fait celle d’un « double roman », composé de celui de Charrière et de son hypotexte unique, Le Mari sentimental de Samuel de Constant (1783). Ce dernier est un « roman épistolaire monophonique » (p. 145), composé des lettres de M. Bompré, atteint d’une forme de quichottisme « politique, agricole et champêtre », en plus d’être sentimental ; ayant conçu un idéal de ce que doit être un propriétaire terrien et un époux à partir de sa lecture assidue de traités d’économie et d’agriculture, le héros de Constant se heurte à la réalité d’avoir épousé une « lectrice au boudoir » (p. 132) qui préfère souvent la compagnie des romans à celle de son mari et se révèle une épouse tyrannique. Le discours du « mari sentimental », déplorant l’échec de son couple, constitue donc une manifestation de plus de la condamnation répandue à l’époque de la lecture (romanesque ou non) par les femmes ; et, selon Jean Mainil, « le suicide final du mari sentimental et le comportement égoïste et impérieux de son épouse font véritablement de la destinée de M. Bompré une tragédie : celle d’un mari qui ne sait pas se faire respecter par une femme qui a trop lu de romans » (p. 145).
11Les Lettres de mistriss Henley sont une réponse directe au roman de Constant, « roman-réponse » qui ne consiste pas à donner les lettres représentant le point de vue de l’épouse, mais à proposer, dans une structure elle aussi épistolaire, le point de vue d’un couple marié (les Henley) lui-même lecteur du roman de Constant, et soumis à son tour à l’influence de cette lecture : « Il s’agit chez Charrière plutôt de récrire, non pas le roman de Constant, mais les lectures qui en sont faites, souvent au détriment des épouses transformées pour la cause en un groupe homogène et considérées comme autant de Mesdames Bompré. » (p. 148) : Jean Mainil montre la manière dont la romancière parvient à critiquer cette critique de la lecture féminine, par une récriture-relecture évitant tout manichéisme, tout parallélisme trop strict, et toute logique binaire, bref toutes les formes de généralisation abusive sur les épouses et leur comportement de lectrices.
12Bien que les analyses, ici encore, soient très précises et convaincantes, notamment en ce qui concerne la comparaison des épisodes communs aux deux romans, on semble un peu loin, dans cette deuxième partie, du quichottisme en jupons. Jean Mainil semble en avoir conscience, qui réintroduit explicitement son motif central, tout en lui donnant un sens très élargi et « détourné » (voir les deux sous-titres, « détournement de la lecture », p. 155, et « détournement de l’identification romanesque », p. 159), notamment vers une version masculine du phénomène : par un « renversement ironique de l’effet du quichottisme », « le quichottisme de M. Henley est […] le pur produit de sa raison » (p. 156) et contribue à l’aliénation de sa femme. Pour celle-ci, la lecture est en revanche source de lucidité puisque, selon Jean Mainil, « par la lecture du roman de Constant, et surtout par la lecture qu’elle fait de la lecture de ce même roman par son mari », elle se rend compte que partager la domesticité d’un époux aussi rationnel et insensible la condamne au chagrin. Ce faisant, « Charrière montre combien la toute-puissante raison, ennemie du romanesque et bien souvent opposée au sentimentalisme quichottesque, est tout aussi dangereuse. » (p. 163). La critique de la critique de la lecture féminine passe donc par la critique d’un quichottisme paradoxal (celui de l’époux trop rationnel) et la réhabilitation du romanesque d’habitude associé au quichottisme.
13Du modèle cervantin, dans cette deuxième étude, Jean Mainil a donc retenu l’aspect le plus « moderniste », plus structurel que thématique : la mise en abyme de la lecture et le renversement ironique de la critique et de la satire. La figure de la « lectrice sentimentale » (l’épouse tyrannique chez Constant ; l’épouse victime de la « folie rationnelle » chez Charrière) n’est finalement pas la plus concernée par le quichottisme ici, et la question s’est nettement déplacée du motif du « Quichotte en jupons » vers la figure de l’auteur-femme défendant la lecture féminine et une certaine forme de sentimentalisme contre les préjugés rationnels et masculins du temps.
14Ce n’est plus du tout de romanesque qu’il est question dans la troisième partie du livre, qui aborde la question de la lecture érotique, à travers les figures de « la lectrice libertine » : la réalité contaminée par l’imagination n’est plus celle des sentiments ou des relations sociales, mais bien la sexualité féminine, telle que la littérature érotique du XVIIIe siècle l’aborde sans tabou dans « ces livres qu’on ne lit que d’une seule main »… On revient donc plus près de la thématique centrale de la lectrice dont l’imagination enflammée par les romans influence l’appréhension du monde réel, et de la critique de la lecture comme influence pernicieuse pour les femmes ; mais ce quichottisme n’est plus un idéalisme, comme il l’est chez Cervantès ou chez Lennox ; il n’est plus extravagance sentimentale et livresque, mais défi volontaire aux tabous touchant à la sexualité féminine, à travers une littérature plus proche du « réel » que la société ne l’autorise. Les topoï du roman érotique tels que Jean Mainil les rappelle avec beaucoup de clarté au début de cette troisième partie (à propos des romans de la « première vague du roman obscène des Lumières » dans les années 1740, p. 167) soulignent par ailleurs un autre déplacement par rapport au quichottisme cervantin : le passage « du romanesque au réel » (p. 178) n’est pas le seul fait de la lectrice. En effet, Jean Mainil démontre bien l’importance de la structure voyeuriste du roman érotique où intervient une lectrice : celle-ci est toujours observée par un homme, caché dans l’attente des effets immanquables de la lecture sur les fibres « plus molles » de la femme et sur son imagination plus fertile, et c’est ce tiers qui vient concrétiser les fantasmes éveillés par le livre dans l’esprit de la femme.
15Jean Mainil donne pour sa part une analyse fort pertinente de cette forme bien particulière de « quichottisme sexuel » : « Si le quichottisme en général invite à une distanciation dont dépendra l’effet comique du texte, le quichottisme sexuel pousse au contraire à l’imitation […], mais surtout à l’imitation de l’imitation. » (p. 181). Le genre obscène renverse donc totalement la logique première du quichottisme cervantin : « la lecture libertine représente l’effet, irrésistible et absolu, de la lecture auquel tout lecteur est invité à succomber en l’imitant à son tour. » (ibid.). Dès lors, le détournement du topos à l’intérieur même du topos, au cœur de la démarche de cet ouvrage, se pose lui aussi en termes bien différents ; c’est à travers deux romans de Félicité de Choiseul-Meuse que Jean Mainil se propose de le faire, en y montrant à la fois une « réappropriation de l’effet excitant de la lecture libertine » (à travers notamment une inversion des rôles traditionnellement dévolus à l’homme et à la femme dans ce genre de récits) et « une récupération de sa propre écriture comme corpus excitant » (p. 182), puisque l’utilisation décisive de la lecture érotique par une femme pour faire céder un homme trop chaste porte, dans Amélie de Saint-Far (1808), sur un roman précédent de l’auteure, Julie ou j’ai perdu ma rose (1807), lui-même en décalage par rapport aux conventions du genre. La démonstration est menée avec une grande maîtrise par Jean Mainil, excellent connaisseur du corpus libertin, qui analyse avec finesse ses variantes et leur signification en termes d’une poétique du roman féminin. Notons au passage que l’habile Alexandrine d’Amélie de Saint-Far, rendue savante et maître de soi par ses lectures mêmes, est tout sauf une « lectrice folle » : à l’image de son auteure, elle a compris le pouvoir de la lecture érotique et l’utilise à ses propres fins en toute lucidité. Par ailleurs, le roman n’est plus ici synonyme de romanesque, et l’on est assez loin du bovarysme…
16La notion de quichottisme et la référence à Cervantès sont reprises par Jean Mainil dans sa conclusion, afin de souligner explicitement le lien entre les trois études qu’on vient de lire. La manière dont il le fait est révélateur du présupposé critique fort cohérent qui sous-tend l’ensemble : « ces nouveaux Quichotte en jupons ne rêvent plus de parcourir la campagne pour livrer bataille à de faux géants » (p. 222) ; les géants bien réels que combattent ces héroïnes sont les préjugés sociaux qui cantonnent la femme (et la femme-écrivain en particulier) dans un rôle subalterne et méprisé, comme l’est le roman lui-même ; refuser, à travers l’exploitation du motif quichottique, de souscrire aux topoï anti-romanesques signifie, pour les héroïnes comme pour les auteures, d’affirmer la dignité du « genre féminin », dans tous les sens du terme.
17Pourtant, en supposant que don Quichotte, chez Cervantès, « rêve de livrer bataille à de faux géants », Jean Mainil révèle dans le même temps une certaine lecture du roman de Cervantès qui paraît contestable : dans le chapitre VIII de la première partie du roman de Cervantès, don Quichotte est convaincu de livrer bataille à de vrais géants et à de faux moulins ; sa folie romanesque repose sur une confusion, voire une inversion entre réalité et fiction. Ce schéma est conservé dans le quichottisme d’Arabella, dans le roman de Lennox, mais non dans les cas de la « lectrice sentimentale » et de la « lectrice libertine ». En ce sens, la référence à Cervantès est non seulement explicite, mais directement pertinente, dans le cas de The Female Quixote et de l’étude à laquelle elle donne lieu, alors qu’elle serait à prendre plutôt dans un sens métonymique pour les deux suivantes, la « poétique ironique » d’Isabelle de Charrière et de Félicité de Choiseul-Meuse entretenant plutôt une relation de contiguïté avec la figure quichottique, via la structure « oblique » de la poétique cervantine, dont la « modernité » (soulignée par Carlos Fuentes, cité par Jean Mainil p. 226) n’est elle-même pas toujours en rapport direct avec la folie romanesque du personnage.
18Il reste que Jean Mainil, de manière méthodique et toujours convaincante, propose une lecture détaillée et précise des œuvres qu’il étudie, et démontre très efficacement la place importante qu’il convient de rendre à ces romancières, qui, de manière moins reconnue que Jane Austen (citée fort opportunément p. 223), ont contribué à la tradition critique et ironique du roman, à travers une démarche apparemment anti-romanesque, mais qui se révèle tout autant « anti- anti-romanesque » (p. 226)3.