Livres des Lumières
1Voici le premier volume d’un ensemble qui, une fois achevé, occupera une place de choix dans les grandes bibliothèques, chez les meilleurs libraires d’ancien, voire sur les rayonnages de tous ceux qui s’intéressent à la « presse » au Siècle des Lumières. La périodisation retenue ne s’est pas embarrassée de considérations inutiles : les dépouillements courent de la première année du XVIIIe siècle à la Révolution, qui jeta à bas l’édifice de la librairie d’Ancien Régime et aboutit à une décomposition – recomposition du paysage éditorial. De manière paradoxale, la physionomie du monde du livre, en ce XVIIIe siècle si épris de libertés diverses, était le résultat de la centralisation énergique et de la surveillance autoritaire imposées par Louis XIV. Le Roi-Soleil ne pouvait naturellement pas admettre l’insolente liberté qui avait caractérisé le règne de son grand-père Henri IV, et que son propre père, Louis XIII, avait déjà commencé de brider. Il n’était plus question de pouvoir imprimer un peu partout sur le territoire des libelles subversifs ou des tracts diffamatoires, et ce qui valait pour la province s’appliquait avec autant (voire davantage) de rigueur à Paris, théâtre de cette Fronde qui avait tant heurté le jeune monarque. Aucun groupe professionnel ne fut autant encadré, surveillé, réglementé, que celui des activités liées à l’édition (ce qui constitue en même temps une forme d’hommage rendu au caractère potentiellement subversif de la littérature). Revers de la médaille : la police et la justice produisaient et produisent toujours ce que le moment présent qualifie de paperasse et que l’avenir appelle des archives. Nous possédons dans les fonds manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (dossiers du commissaire Nicolas de La Mare, registres de la chambre syndicale de la librairie), de la Bibliothèque de l’Arsenal (archives de la Bastille) et parmi les dépôts des Archives nationales, des sources documentaires très étendues, qui ont été mises à profit dans le présent ouvrage.
2Ce premier volume, qui ne couvre que trois lettres de l’alphabet, donne déjà à lire un demi millier de notices. Les acteurs légaux sont connus par le cours naturel de leur activité ; ceux qui œuvraient dans la clandestinité ne le sont que par accident (souvent malheureux). L’originalité et l’intérêt de ce grand travail tiennent à ce que, auteurs et lecteurs exceptés, toute la chaîne de production d’un livre est prise en considération : imprimeurs, libraires ayant pignon sur rue, mais également relieurs et colporteurs. Chaque notice est bâtie selon un modèle simple, rationnel, qui permet d’aller à l’essentiel : 1°) données familiales et état civil - 2°) activités professionnelles - 3°) environnement social, fortune - 4°) références - 5°) notes. Certaines notices, consacrées à d’humbles comparses qui n’ont fait qu’effleurer la surface du monde, sont peu fournies ; d’autres, qui couvrent plusieurs pages, envisagent des dynasties entières (comme les Ballard ou les Barbou) ; le personnage le plus connu de ce premier volume étant, à n’en pas douter, Beaumarchais.
3Le travail accompli par les maîtres d’ouvrage et leurs collaborateurs est considérable et digne de toutes les louanges. Il n’en demeure pas moins qu’une équipe de savants, si énergique et entreprenante soit-elle, ne peut tout lire et tout faire. Il y aurait des investigations très étendues à mener dans les correspondances du temps, conservées à Paris, en province ou à l’étranger. La mieux connue et l’une des mieux publiées, celle de Voltaire, fourmille d’allusions (souvent aigres) aux libraires amenés à travailler avec l’infatigable écrivain. Mais il en est d’autres. Montesquieu se moquait finement de Jean Anisson (Lettres persanes, CXLIII) et de sa spécialisation dans la vente d’ouvrages de piété. L’on dira pour finir avec quelle impatience on attend la suite de cette entreprise remarquable, appelée à rendre (et pour longtemps) les plus grands services.