Muances. Métamorphoses médiévales
1Cristina Noacco propose dans cet ouvrage fondé sur son travail de thèse soutenu à Toulouse en 2002 une première synthèse sur la métamorphose au Moyen Age en insistant sur ses origines mythiques et chrétiennes. Etudiant la « poétique de la muance », elle analyse les descriptions de la métamorphose pour rechercher ses fonctions sémantiques et ce qu'elle révèle des mentalités médiévales en marche vers la prise de conscience d'une individualité. Son corpus s'intéresse aux textes narratifs en langue d'oïl des 12e et 13e siècles, romans, lais, chansons de geste, et témoigne du jeu entre les lectures païennes et chrétiennes de la métamorphose qui interroge différents rapports à l'identité, à l'autre et à la transcendance.
2Elle offre en première partie un bref panorama historique sur l'origine et à la théorisation du concept de métamorphose dans les civilisations gréco-latines (en accordant une place particulière à Ovide chez qui la métamorphose, irréversible, révèle la véritable nature de l'être et s'y adapte), nordique-celtique (la métamorphose, liée à un apprentissage où à une pensée chamanique et magique permet une initiation à l'amour et à la connaissance ou à la maîtrise de la nature) et chrétienne (on y trouve des transformations diaboliques, des théophanies, et des miracles : par un phénomène d'assimilation et de rationalisation, le merveilleux païen est converti en miraculeux, et avec saint Augustin, le magique folklorique est rejeté parmi les illusions diaboliques, tandis qu'avec Boèce, la métamorphose se prête à une lecture symbolique, ce qui ouvre la voie aux gloses allégoriques du texte d'Ovide) qui ont le plus influencé la pensée médiévale.
3Dans sa deuxième partie, l'auteur étudie d'abord la moralisation courtoise des métamorphoses, un cas de métamorphose irréversible. La reprise des mythes de métamorphose dans les Ovidiania à partir du XIIe siècle éclairerait les préoccupations de l'homme médiéval : l'amour-passion, l'amour fatal, la connaissance de soi. Avec le roman de la rose la fable cache une vérité philosophique supérieure. On tend à transformer les récits mythiques anciens en exempla dans une perspective d'édification.
4Dans le Bel Inconnu, la confrontation du personnage avec la femme métamorphosée en guivre relève de son initiation amoureuse et de sa quête identitaire. Les métamorphoses du loup garou, autre forme d'expression de l'inconscient, renvoient à la dualité de l'homme tendu entre instinct et raison, tout en rejetant sur la femme la responsabilité de la métamorphose.
5Aux XIIe et XIIIe siècles le merveilleux païen de la métamorphose est associé à un ailleurs oriental (les filles-fleurs du Roman d'Alexandre) et breton (métamorphoses en cerf et en oiseau) ou germanique (la légende des enfants cygnes).
6Si l'église tend à récupérer le merveilleux païen et à la convertir en miraculeux, la métamorphose n'en reste pas moins ambivalente, bien que rationalisée comme effet de pratiques scientifiques opérées sur la nature et soumises à des lois.
7En troisième partie, l'auteur étudie les perspectives chrétiennes sur la métamorphose. Elle s'intéresse d'abord aux métamorphoses diaboliques, zoomorphes ou anthropomorphes, toujours surmontées par les héros qui y sont confrontés, notamment dans les Continuations du Conte du Graal ou dans le cycle du Lancelot-Graal, puis à la figure plus ambiguë de Merlin.
8Elle traite enfin des cas limites et beaucoup plus rares de métamorphoses que constituent les manifestations et œuvres divines, avec les transformations divines liées à l'Incarnation et à la Résurrection du Christ ainsi qu'à la transsubstantiation, (mise en scène dans les textes du Graal et inspirée de recueils d'exempla) et aux miracles de métamorphose, puisque seul Dieu dispose sur pouvoir de modifier l'ordre du monde : l'espace et le temps, l'apparence et l'essence des choses, la nature sexuelle (pour Yde et Blanchandine).
9Il s'agit d'un travail synthétique, clair, et bien structuré, dans un ouvrage qui se lit et s'utilise facilement. Dans l'introduction et la conclusion on aurait peut-être pu insister davantage sur la théorisation de la métamorphose, sa définition et ses limites, son mode de perception, ou encore le continuum qui existe entre différents types de transformation, comme par exemple du déguisement à la métamorphose. La conclusion évoque ainsi différents domaines d'enquête pouvant offrir des prolongements à cette étude comme les mutations du cuer, les guérisons miraculeuses, le thème de la semblance, l'identité, l'altérité, et l'individualité, autant de notions qui affleurent à différents moments de l'étude et qui auraient pu être discutés, quitte à être congédiés, au cœur même de l'ouvrage. La mise en perspective historique des origines de la métamorphose, qui introduit des catégories et des fonctions de la métamorphose qui seront reprises et exploitées dans les parties suivantes, passe parfois très vite sur des œuvres et des auteurs importants, mais l'ensemble est bien documenté, comme en attestent les références inclues dans les notes de fin de chapitre et la bibliographie. Le corpus de textes étudiés est varié, il reprend souvent des œuvres littéraires souvent canoniques. Si l'ouvrage contextualise bien la métamorphose dans le cadre théologique chrétien, sa confrontation plus nette avec la pensée scientifique médiévale, à travers les ouvrages scientifiques et encyclopédiques contemporains en latin, ou leur vulgarisation et leur diffusion dans des traductions en langue vernaculaire, serait la bienvenue, d'autant que la question de la connaissance de la nature, du savoir magique et de sa rationalisation par des pratiques à caractère scientifiques a été posée. Enfin l'ouvrage contient un dossier iconographique comprenant trente illustrations dont l'exploitation ouvre encore un autre sujet d'étude, la question de la représentation picturale de la métamorphose.