Un défilé de pédants
1Comme J. Royé l’explique lui-même dans son introduction, la littérature critique offre déjà un certain nombre de travaux sur le personnage du pédant à l’époque classique : cette étude apporte toutefois un nouvel éclairage, en proposant d’une part un panorama plus vaste –depuis les origines jusqu’à la disparition progressive- et en tentant de comprendre d’autre part pourquoi le contexte du XVIIe siècle était le plus favorable à l’épanchement du pédant. Ce travail synthétique et très bien documenté cultive en permanence un double point de vue : celui du pédant et celui de ses détracteurs. Sans parti pris, son auteur montre ainsi très bien comment, en amont, le siècle a pu engendrer ce type de personnage et pourquoi, en aval, le pédant ne pouvait qu’être la cible de certains écrivains contemporains.
2La richesse quasi exhaustive de l’ouvrage est néanmoins rendue accessible par un péritexte très exploitable : une introduction problématisée, et trois index (noms d’auteurs, noms d’œuvres, noms de personnages pédants). La cohérence de l’organisation d’ensemble permet de répondre à une problématique diachronique tout en révélant le rapport ambigu des écrivains à ce personnage.
3La première partie, consacrée au portrait du pédant, est assez descriptive et multiplie les textes permettant de penser un personnage prototypique. Bien que dans une certaine mesure il descende de « l’écumeur de latin » médiéval ou du « dottore » italien, le pédant s’avère être définitivement un être du XVIIème siècle. Le traitement du latin, qu’il soit fidèle ou tronqué, est indispensable chez cet homme qui , loin d’être un personnage de dialogue, se satisfait d’une logorrhée monologuée traduisant une pensée centripète en circuit fermé. Si le lien entre le pédant et le clergé est si souvent souligné, c’est parce que tous deux manient une langue obscure et inaccessible ; et si l’autre est présent dans le discours, ce n’est que comme argument d’autorité. Dans cette première partie, le personnage est donc étudié en situation, parmi ses domestiques et sa famille. L’auteur parvient alors à dégager des constantes dans le portrait du pédant, mais aussi dans le patronyme qui lui est attribué et, surtout, dans son rapport à la langue, puisqu’il « n’éprouve de la jouissance que par son langage ».
4La seconde partie s’attarde d’ailleurs plus précisément sur le langage pédantesque et les formes qu’il emprunte. À partir de multiples exemples, l’auteur cerne les spécificités d’une syntaxe compliquée, agrémentée de néologismes et d’îlots en latin : « le langage du pédant peut se définir comme un langage artificiel usant donc de stratagèmes trompeurs qui en régissent et limitent l’entendement ». Cette partie, plus analytique, tente d’évaluer la motivation et la portée des choix langagiers du pédant : chaque fait de style trouve ainsi sa légitimation. Chez ce personnage, le culte du détail, de l’exhaustivité et de l’obscurité, tient à la « spécialisation d’un moment de parole », sorte de morceau de bravoure dans lequel le pédant se jette à corps perdu pour subjuguer l’autre : c’est là l’une des hypothèses majeures de l’étude.
5La troisième partie, consacrée au pédantisme de la rive droite, propose une véritable ouverture, en élargissant le point de vue. Le pédant jusqu’alors fustigé est-il vraiment plus condamnable que ces nouveaux docteurs qui font leur apparition à la fin du siècle et se regroupent en petites académies ? Les mondains et les courtisans ne risquent-ils pas de sombrer dans les mêmes travers que le pédant de collège, et ce en dépit de la multiplication des traités de civilité ? La pierre d’angle de cette partie est, nous semble-t-il, l’ambiguïté –bien que le mot ne soit jamais prononcé : ambiguïté de ces femmes qui font leur entrée dans le monde des lettres, qui n’avaient jusqu’alors pas accès au savoir mais qui en font ensuite un usage pédant, donnant alors naissance au personnage de la précieuse ; ambiguïté d’un écrivain comme Balzac, attaqué à la fois par les partisans du classicisme pour sa trop grande liberté de parole et par les amis de Théophile pour sa trop grande réserve ; ambiguïté encore du bel esprit, qui désigne au début du siècle « une personne savante qui évite toute attitude pédantesque » et s’applique à la fin du même siècle à ceux qui « affectent de paraître doctes ». Mais l’ambiguïté majeure est celle de l’écrivain qui fustige le pédant, pour finalement en faire un exutoire¸c'est-à-dire un prétexte à l’épanchement d’une plume qui n’a plus tout à fait sa liberté dans un siècle normatif et prescriptif.
6L’ensemble des hypothèses proposées par l’auteur est vraiment convaincant, et permet une nouvelle approche du pédant. En dépit d’une première partie un peu trop descriptive (ce qui n’enlève rien à sa richesse), cet ouvrage répond à une intuition forte, sans jamais tomber dans la généralisation : en construisant sa conclusion sur les mots de Boileau, J. Royé montre bien que, tout au long de son étude, il a eu le souci de confronter les points de vue pour replacer le pédant dans un siècle tiraillé par des exigences contradictoires.